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Pratiques d’accompagnement des personnes handicapées

Pratiques d’accompagnement des personnes handicapées
Le temps qu’il faut
L'Harmattan
30/09/2016

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Pratiques d’accompagnement des personnes handicapées. Le temps qu’il faut (Sous la dir. de Claire Lecoeur), L’Harmattan, 2016.

Les devins chinois des temps anciens jetaient, dit-on, des carapaces de tortues sur le feu pour y voir advenir, dans les craquelures de la matière, des signes. Ces signes ils les interprétaient en inventant à côté une écriture qui donnait un sens. Ainsi naquit l’écriture des premiers idéogrammes chinois.  Récit légendaire ou histoire, peu importe.  Cette idée d’une « écriture à côté » me parait féconde.

En intervenant au titre d’une formation autour de l’écriture professionnelle, dans le SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale)  d’Etrepigny dans les Ardennes, Claire Lecœur, forte de ses années de pratique comme travailleuse sociale, mais aussi de sa passion pour l’écriture qu’elle enseigne dans divers ateliers depuis des lustres, ne se doutait sans doute pas des prolongements possibles de ce qui visait avant tout à (re)donner confiance aux  professionnels impliqués, dans leurs capacités d’élaboration, notamment par la médiation écrite. Et voila que  l’aboutissement de ce travail conduit à la publication d’un ouvrage où chacun s’est risqué à cette « écriture à côté ». A côté parce que le vivant du travail social, qui amène les professionnels du SAVS à côtoyer au quotidien les usagers (usagés ?) qu’ils prennent en compte (plus qu’en charge !), cette part intime, obscure, dérangeante, étrange, frappée bien souvent d’indicible, tels les devins antiques chinois, fait advenir dans l’écriture une mise à jour du plus obscur du travail. Ce plus obscur qui fait que le travail social, ça ne se voit pas. L’écriture, cette écriture seconde, vient révéler, comme on le dit de ces images photo qui sortent au jour dans un bain de sel d’argent. Faire venir au jour cette part d’ombre ne va pas sans étonnement, mais aussi sans inquiétude. En effet le travail dit social, ce travail d’accompagnement, voire de compagnonnage,  au plus près de la souffrance de X qui casse sans cesse les carreaux de son appartement, de Y tabassée à longueur de journées par un mari noyé dans l’alcool, de Z qu’on accompagne au cimetière, sa dernière demeure, en pensant à Yesteday des Beatles, qu’il aimait tant…, toutes ces rencontres nécessaires, humanisantes, ne laissent pas indifférentes . ça prend au corps.  Que l’on soit psychologue, éducateur, assistance sociale… c’est dans la fulgurance de la relation que le travail opère, dans cette translation étrange et inquiétante que les psy désignent sous le terme de transfert. Une telle misère, une telle détresse, un tel désarroi, éclatant parfois dans des passages à l’acte, mais aussi des ciels bleus de joie jaillissante, un telle humanité en souffrance partagée, demande un travail dans l’après-coup pour le supporter, pour sauver sa peau de professionnel qui en prend plein la poire, qui encaisse à longueur de journées de travail. S’il faut le temps qu’il faut pour la rencontre, il le faut aussi pour l’intégrer et en témoigner.

Le mode d’écriture que le lecteur découvrira dans cet ouvrage participe de cette écriture seconde, à côté,  à la fois témoignage de pratique, mais aussi usinage des émotions, des sensations, des éprouvés qu’une telle pratique fait vivre aux professionnels. Les auteurs ainsi réunis renouent, bien loin des langues de boa qui empoisonnent les écrits dits professionnels, avec la grande tradition du récit de pratique. « Racontouze », disait plaisamment l’écrivain Georges Perec. Ce mode de récit que, petit à petit, une société ravagée par le règne de l’argent et du chiffre (ah ! les fameuses statistiques !), a méprisé et délaissé. Et pourtant… Soyons sérieux, le travail social c’est pas du roman. Faites nous des rapports avec de beaux camemberts en couleur, des histogrammes, des files actives de population. Des chiffres, des chiffres, des chiffres, que diable !!! (Re)lisons Zola, Dostoïevski, Duras, Genet etc comme autant de témoignages d’un état du monde. Preuve est faite ici que le récit, comme dans le roman justement,  transporte une véritable matrice de théorisation d’une clinique prise au feu vif du quotidien de la rencontre humaine. Dans ce SAVS on ne gère pas des populations, on accompagne des humains.

Notons encore qu’une telle expérience d’écriture ne tombe pas du ciel. Certes il y faut le savoir-faire et le coup de pouce de la formatrice qui agit comme levain dans la pâte. Mais sans l’investissement profond de tout un chacun, du directeur aux éducateurs, infirmière, assistante sociale, en passant par la responsable du service et la psychologue, chacun de sa place s’est engagé à cœur ouvert dans l’aventure.

Le résultat en est étonnant, quelque chose de simple et profond  à la fois. Une écriture qui ouvre un théâtre et une réflexion sur les plus démunis de nos contemporains  les laissés-pour-compte, les déclassés. Ceux pour qui seuls quelques travailleurs sociaux courageux (il ne suffit pas d’en recevoir commande du Conseil Général) partagent encore un lien social qui se délite, tissé des petits riens du quotidien. Cela donne à ce travail une dimension éminemment politique, au sens premiers des grecs anciens : ce qui se passe dans la  cité (la polis) ça nous regarde.  

Un groupe de jeunes instituteurs vinrent trouver un jour Maria Montessori pour la questionner sur les ouvrages qu’il fallait lire pour bien comprendre les enfants « Apprenez à lire les enfants », leur confia la grande  pédagogue.  Les professionnels que l’on croise dans cet ouvrage ont appris à lire - et parfois à dé-lire ! -  les dits usagers, comme les devins chinois apprenaient à lire les écailles des tortues passées au feu. Ils ont donné à lire, dans cette « écriture à côté », leur interprétation vivante des personnes rencontrées au jour le jour. Un peu comme un musicien interprète une partition écrite de Bach ou Mozart. Remercions-les pour ce partage qu’ils nous offrent à lire à notre tour…

Joseph ROUZEL


 

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