Ignacio Garate Martinez, Anahit Dasseux ter Mesropian, Laurence Joseph; Cosimo Santese, Candela Zurro
Psychanalystes en devenir : les constructions d’une clinique.
Editions Encre marine 2010 125 p 19€
A l’heure des experts en tous genres, des statistiques à tout va et autres savoirs sus, il est un domaine où l’on ose encore s’exposer, celui de la psychanalyse, quand il s’agit non seulement de prendre la responsabilité de diriger des cures , mais ensuite, celle de transmettre à d’autres ce qu’il en est d’une expérience unique, celle de la rencontre avec un analysant et de l’acte clinique afférent. Pas simple de décrire le déroulé d‘une cure psychanalytique à des lecteurs ou à un auditoire. D’aucuns s’y sont essayé, et pas avec le meilleur résultat ; tout le monde n’est pas Freud. On peut se perdre dans les dédales de la minutie des détails et rater l’essentiel ; de même, l’essentiel peut se dérober, la mise à plat de l’inconscient n’étant pas une mince affaire. Des gageures de l’interprétation, à l’impudique narcissisation de l’analyste qui met en avant ses compétences, le dédale est risqué à emprunter et l’on en voit beaucoup s’y fourvoyer. Les plus belles constructions de cas peuvent se dégonfler comme une outre, tant il est mal aisé de viser l’indiscible. Mais dans cet ouvrage élaboré par cinq analystes, se dit quelque chose de nouveau ; quelque chose qui rend compte d’un véritable acte analytique. Une sorte de cinquième dimension s’instaure faisant le lit, non d’un sens, mais d’un au-delà comparable (l’oserai-je ?) avec cette très étonnante particularité du “duende”
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, de la tradition andalouse. Une transcendance où l’on sait que s’avance, masquée mais présente, une trajectoire vers un véritable accès au désir du sujet. Quelque chose échappe, précisément de ce qui s’est joué dans le discours de l’inconscient. C’est très lacanien, cette notion du trou dans le savoir, du manque, Lacan ayant eu précisément ce talent, de par son style incomparable, de faire entendre, pour qui voulait s’en emparer, ce surgissement d’un langage qui s’échange au delà de la parole. Les cadres de cure présentées sont atypiques, in and out, au risque de faire bondir les puristes... mais au final, n’est-ce pas le propre de toute cure, où l’analyste part de zéro sans connaissance aucune, hormis son propre parcours analytique. Travail sans filet s’il en est qui suppose courage et engagement. Il s’agit de réinventer pour un autre, au rythme de son temps logique, les conditions dans lesquelles va se mettre en jeu son devenir de sujet. Une expérience, une émotion, une aventure humaine à nulle autre comparable, n’ayant rien à voir avec le pathos et le vouloir-du-bien des parcours psychothérapeutiques. La transition du passage à l’analyste, cinq professionnels en font état, rendant compte de la solitude de leur acte : l’acceptation du manque à être, la coupure d’avec le savoir, pour occuper cette place à nulle autre pareille. Comment occuper une place vide en se vidant de son être ? C’est tout l’enjeu, loin des semblants du transfert : accepter ce silence où règne la pulsion de mort pour que s’y loge la construction d’un espace de pulsion de vie. Se développe ici un style - cinq au demeurant - qui tendent aux confins de la poétique. Chacun réussit à mettre au diapason son écriture et son style clinique, créant une harmonie inhabituelle. Cette manière de transmettre inscrit ici la dimension d’une rencontre
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où, dans le transfert, s’affirme qu’il y a de l’autre et que l’on peut l’écouter sans relâche. “Quelque soit la façon dont la vie le contraint à se tenir, un sujet est toujours debout et prêt à faire quelques pas, si tant est qu’un autre lui fasse accueil et entour.”
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Et la rencontre, pour se soutenir, tient d’une position éthique conduite par le fil rouge du désir de l’analyste, celui qui émerge de sa propre cure et sur lequel se greffe son style propre. Un art à part entière. Tous les arts sont susceptibles de “duende”. Autrement dit, il y a sous le mot “duende” une expérience universelle, un phénomène. Cet ouvrage a su en rendre compte.
Florence Plon
cf conférence de F G Lorca à la Havane 1930
Le « duende » est un mot espagnol intraduisible en langue française. Il témoigne de l’indiscible rencontré dans des moments de grâce de l’art flamenco. Sa mystérieuse signification semble indiquer, au delà des divergences culturelles, une facette de notre expérience habituellement passée sous silence.
La rencontre, à savoir la rencontre unique, celle qui, une fois arrivée, est définitive” J Lacan Le Séminaire, XIV 24 mai 1967
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