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A propos de l'ouvrage de J. et F. Rouzel: "Le travail social est un acte de résistance"

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Jacques Cabassut

lundi 17 mai 2010

Recension de l’ouvrage « Le travail social est un acte de résistance » de Fanny et Joseph Rouzel, Paris : Dunod, 2009.

Par Jacques Cabassut.

 
 

 De quoi « Rouzel » est-il le nom ?

Tel pourrait être en effet le titre de l’ouvrage «  Le travail social est un acte de résistance  ». C’est à la fin de ce dernier que l’on apprend que Jeannette, résistante du réseau breton nommé « turquoise », mourra à Ravensbruck en mars 1945. C’était la tante des « Rouzel » qui pour la première fois sont réunis ici dans l’acte d’écriture. Ainsi, l’acte de résistance, dans le travail social, contre l’idéologie postmoderne, comme durant les périodes sombres de notre histoire, est une affaire sérieuse où chacun joue sa vie, même si le plus souvent c’est de son existence dont il s’agit.

A la conceptualisation du travail social à laquelle Joseph se coltine depuis plusieurs années, tant sur un plan clinico-théorique que politique (création du site internet Psychasoc, de PSF -Psychanalyse sans frontière-, les colloques passés et prochains, d’Asie – Association des Superviseurs Indépendants Européens-) répond ainsi le témoignage de sa sœur, Fanny Rouzel. Le livre expose finalement cette résistance en acte qui donne le sens de ce double travail d’écriture : outre la dimension éthique et clinique, c’est le politis , la vie dans la cité, le « vivre ensemble » des humains dont il s’agit ; et ce, à un moment où justement les « humanités » dans le champ du savoir et des métiers de la relation humaine sont touchés. Si la valeur d’une culture ou d’une société se fonde sur la façon dont le lien social s’établit, de l’un à l’Autre, y compris à cet Autre en soi que Lacan nomme inconscient, alors cet ouvrage par sa simple existence pose la question de la résistance éthique de chacun à partir de la niche occupée par chacun, et en particulier dans le champ du travail social. « Au fond, les humains tiennent ensemble parce qu’ils habitent le langage et que le signifiant s’articule  ». (M-J Sauret, L’effet révolutionnaire du symptôme, Erès, 2008, p 17).

La question d’Oury « Qu’est-ce que je fous là ?  » à mon poste de travail auprès des démunis, des SDF, des personnes en fin de vie... ? n’en finit pas de résonner au fil des pages. Ce pourquoi l’ouvrage pourrait constituer une référence actuelle auprès des travailleurs sociaux… ou bien rebuter ceux qui n’auraient pas été portés par une culture institutionnelle, une transmission du travail social ou qui préféreraient l’efficacité des échelles ou autres évaluations quantitatives au questionnement éthique. Ils pourraient alors à leur tour résister. L’ambition de rendre compte de l’engagement, de la responsabilité et de l’impossible de l’acte et de l’action (au sens où pour Freud éduquer, soigner, gouverner sont des métiers impossibles), voire de défendre le désir du travailleur social (au sens où il existe un désir de l’analyste pour Lacan) pourrait en décourager plus d’un, et alimenter donc une autre forme de résistance a la lecture. Pour les autres, l’analyse de la novlangue actuelle dans laquelle sont pris les établissements spécialisés et/ou de formation de la santé, du social et du médico-social (Itep, Irts, Cemea…) via  les récents textes de loi et les politiques actuelles, pourrait s’avérer utile. Il en va de même pour les différentes alternatives proposées par réintroduction de fictions théoriques et autres éprouvés cliniques transféro-contre-transférentiel au centre de nos dispositifs tant institutionnels que de pensée…

Il me vient en effet à l’esprit, alors que j’écris ces lignes, que j’étais en cette fin d’année 2009 à la librairie Lipsy pour la sortie-dédicace de l’ouvrage commun de « l’appel des appels  », en présence de Roland Gori, Serge Portelli, B. Cassin, C. Laval, etc.. Ce livre s’inscrit clairement dans cette mouvance, ou plutôt dans un discours, au sens lacanien du terme celui de « remettre l’humain au cœur de la société  », qui n’est autre que le mot d’ordre de « l’appel des appels  ».

Sans arrêt, l’élaboration de l’un, résonne l’éprouvé de l’autre, sans que toutefois un clivage se forme entre une pensée et une illustration de celle-ci dans la pratique. Ce point est particulièrement intéressant : Joseph Rouzel, fort de son expérience en la matière, articule les mots et la Chose, la théorie à la pratique, parfois avec quelque malice où les anecdotes de l’histoire familiale côtoient habilement la grande Histoire ou la praxis du travailleur social. Remise en jeu de la dimension de sujet (de l’inconscient) et du symptôme (analytique), remise en cause des notions de handicap, de dysharmonies, d’anomalies, de dysfonctionnement, de soins au lieu du thérapeutique…, résistance à la novlangue postmoderne donc, je le répète, qui se décline au quotidien des pratiques, de l’écriture de la clinique et de l’épreuve de la rencontre, autant de thèmes que J. Rouzel déconstruit pour que cesse la technique, (la fameuse boîte à outil du travailleur social dans lequel celui-ci puiserait l’outil adéquate en fonction de ses besoins !) pour que se construise plutôt la méthode (analytique), dans une mise en mouvement de la dite (ce que l’on nomme l’heuristique). J. Rouzel est freudien (donc lacanien) : le réel et le transfert n’intégreront aucune boîte à outil qui se transformerait illico en « bric à brac » praxique. Il y préfère le « rubrique à brac », ces albums de B.D réalisés par Gotlib, dessinateur talentueux au références multiples, celles-là même que J. Rouzel utilise (les misérables de Hugo, la méditation bouddhiste, Kafka, Pierre Perret…. ) là où Gotlib les aura mises en bandes dessinées.

 F. Rouzel traite également du réel. Mais elle ne l’imprime pas de la même façon. Peut-être parce qu’il l’aura marqué, évidemment, comme personne. Son style, vif et rapide, nous livre quelques pépites d’actes bruts qui impliquent le lecteur en l’obligeant à élaborer ses écrits. Ainsi à propos de cet accompagnement jour et nuit d’une personne âgée en fin de vie, lorsqu’elle écrit sans autre forme de procès, qu’elle n’est pas allée à son enterrement. Le sens de cet acte éthique devra être donné par le lecteur.

Le point commun pourrait consiste dans la mise de départ « il n’y a de résistance que de l’analyste » nous enseigne Lacan. Il n’y a donc de résistance que du travailleur social. L’ouvrage tente finalement de d’établir en ces périodes troubles ce fameux « Holding de holding  » cher à C. Allione : face aux récents textes de loi réglementant nos pratiques, aux démarches qualité et autres théories du management de l’humain appliquées au social, au médico-social ou à la santé, le plus grand danger est bien le sujet, qui à l’instar d’Eichmann, ne sera préoccupé que par le départ de « ses » trains à l’heure. Résister, d’un point de vue analytique, est donc un mot à plusieurs entrées. Il peut signifier également la résistance comme défense (de la rencontre, psychique, etc…), la surdité ou l’aveuglement à ce qui se passe pour soi comme pour autrui. Il est donc utile que cette question là soit abordée versus défensif.

 Puisque la figure du résistant est omniprésente, le lecteur pensera peut-être à Marie Durand, victime de la révocation de l’édit de Nantes et de l’interdit du protestantisme, à qui l’on attribue le fait d’avoir gravé en occitan sur la pierre de la tour de constance, dans la cité médiévale d’Aigues Mortes, le terme de « register ». Elle avait été enfermée dans ce qui était alors une prison pour femmes, en 1730 pour en ressortir en 1768. Sa captivité durera 38 ans, durant lesquelles elle devra résister à la pauvreté, le froid, la promiscuité. Ce que Fanny Rouzel partage avec les plus démunis pour lesquels elle écrit et « illustre » ce quotidien de l’éthique sur lequel J.Rouzel écrit quelques chapitres auparavant.

L’ouvrage donne quelques raisons « de ne pas désespérer Billancourt  » (Badiou est d’ailleurs souvent cité) certes d’un point de vue éthique, clinique, conceptuel et politique mais aussi et surtout en réhabilitant de fait ce « Moment fraternité  » souligné par Regis Debray (2009, NRF-Gallimard). Ainsi terminerai-je par ce dernier qui dans L’intellectuel face aux tribus, Hommage à Samir Kassir ( Paris, Cnrs Editions, 2008), écrit ceci : « Le berger conduit le troupeau : modèle sémitique, prophétique, monarchique. Le tisserand entrecroise patiemment la chaîne et la trame, fougueux et modérés, réformistes et conservateurs, musulmans et chrétiens, pour faire une seule et même toile, la Cité. Ainsi peut s’unir sans se mélanger, fondre sans confondre. Modèle hellénique. Puisque tels sont au dire de Platon, dans son dialogue sur le Politique, les deux modes possibles de formation d’un collectif : le pastoral et le tissage. »

 Ainsi, en guise de réponse à ma question initiale, dirai-je que les Rouzel sont peut-être le nom des tisserands actuels ….

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