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Apprendre à exercer les libertés : projet d'éducation ou projet de société

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Anicette Thomas-Daniel

jeudi 13 mai 2004

Dégagés d’opinions standardisées qui privent l’action de sens, nous devrions pouvoir accéder à une réflexion globale de même nature au sein des institutions à caractère éducatif comme dans les familles.

Ne serions-nous pas ‘formés’ ou pas assez, pour éduquer nos enfants ?

La demande sociale d’éducation, sans cesse renvoyée des uns aux autres, conduit inexorablement à l’abandon de cette tâche à responsabilités d’égale importance, peut-être par excès de prestations de plus en plus réduites en ‘actes éducatifs’ successifs, à courts termes. La spécialisation comme la démultiplication à outrance finit par aboutir à une déresponsabilisation massive mais coûteuse en incivilités au sens le plus large.

Le problème d’incivilités révélé par l’école ne se posait pas en ces termes il y a quelques années.

Le vocabulaire évolue pour tenter d’identifier un nouveau rapport entre enfants et adultes dont il est difficile de cerner la nature ou les contours, difficile à maîtriser pour les adultes en charge d’éducation, parents comme enseignants et autres professionnels du travail social.

S’agit-il d’un langage brutal et direct d’adolescents irrespectueux, de petites violences ordinaires, d’actes à la frontière de l’infraction à la loi ?

Y aurait-il en arrière plan une véritable défaillance d’autorité, déficit d’éducation ?

Les années 90 ont introduit la C.I.D.E en FRANCE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant) par extension de la D.U.D.H de 1948 (Déclaration Universelle des Droits de l’Homme).

Si la C.I.D.E a bénéficié d’une large diffusion, son application dans la vie quotidienne a bousculé les références éducatives des Adultes et contribué à générer de l’incompréhension pour tous.

Nous sommes confrontés aujourd’hui à des enfants qui revendiquent des droits et libertés sans moyens d’en mesurer les contraintes. Ils réclament tout autant d’autorité que de libertés. Ils dénoncent très tôt un sentiment d’injustice à être maintenus dans une relation infantilisante, une non-reconnaissance de leurs capacités à être responsabilisés sans pour autant renoncer à une période de dépendance de plus en plus longue.

L’adaptation des uns et des autres à ce nouveau statut reconnu à l’enfant par la C.I.D.E ne se fait pas spontanément car il bouleverse en effet tout un mode de raisonnement de nos rapports à nos enfants.

Un lien de Droit

Nous sommes passés d’un rapport de pouvoir de l’adulte sur l’enfant à un rapport de Droit, un nouveau type de lien de civilités des uns envers les autres dans nos modèles de démocraties occidentales.

Y avait-il tant d’incivilités à l’égard des enfants qu’il faille rédiger une Convention des Droits de l’Enfant se rajoutant à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 dont les enfants auraient été exclus totalement jusqu’en 1990 dans nos pays modernes ?

Le respect mutuel s’impose non plus par sens du devoir, mais par la loi qui s’applique à tous et dégage de toute ambiguïté, d’arbitraire. Elle se distingue de la morale du bien et du mal différente selon les milieux culturels d’origine. La règle de Droit est formulée par une loi écrite (code civil) commune à tous quelles que soient nos différences de point de vue. La loi

Editions JYD

s’applique suivant une procédure, la même pour tous. Elle est évolutive dans l’histoire d’une société.

Ne sommes--nous pas au fondement même de l’apprentissage de toute démocratie ?

Ce lien de droit fait donc appel à des notions de contraintes et d’obligations, au-delà d’idée de morale, même si la règle de droit s’en inspire.

Sans droits, pas d’obligations, encore moins de devoirs qui sont associés immédiatement et négativement aux devoirs scolaires lorsque cette question est abordée avec des enfants…

En positionnant de manière récurrente les devoirs en parallèle ou par opposition aux droits, les enfants sont mis dans une incapacité réelle d’accéder aux obligations que confère cette règle de Droit. Ils ne réussissent pas à mettre en œuvre leurs compétences sociales pré existantes. L’effet escompté se transforme vite en tensions par incompréhension ou mal entendu dans le message transmis. Les positions tendent à se radicaliser entre les uns et les autres.

Prenons pour exemple le droit à l’instruction : il a pour conséquence l’élaboration d’une obligation qui fixe la limite au-delà de laquelle le Droit ne serait plus garanti. L’obligation d’instruction de 6 à 16 ans s’adresse autant aux parents et à la société dans son ensemble qu’aux enfants, quant à eux, contraints par l’autorité parentale et publique.

La logique du raisonnement doit pouvoir rester lisible pour être comprise.

Le jugement de valeur ou la disqualification de la personne développe inévitablement un sentiment de culpabilisation, de honte qui ne favorise pas la responsabilisation mais au contraire, crée le désir de vengeance ou d’adaptation réactive à l’image dévalorisée qui est véhiculée sur l’enfant coupable.

La responsabilisation se fait d’abord et avant tout par une adhésion libre et volontaire aux contraintes positives du Droit.

Une autorité questionnée

Nous connaissons tous les mêmes difficultés, adultes et enfants sont logés à la même enseigne, pour obéir autrement que sous la menace de sanctions pendant la scolarité et après….

L’exercice de l’autorité est bien sûr indispensable. Il ne s’agit donc pas de laisser-faire. La sanction peut être salutaire pour éviter le désarroi du sentiment d’abandon.

Pourtant, nous ne pouvons ignorer combien le respect des lois n’est pas une attitude naturelle Plus les lois sont nombreuses et peu vitales, plus les efforts à fournir pour les respecter sont importants. Autrement dit, s’il faut rappeler que la loi existe pour être respectée, sa transgression participe de notre formation continue sur le sujet. Nous délibérons en permanence en choisissant de respecter la loi.

Les enfants sont en situation particulière d’apprentissage des limites afin de faire leur propre choix de vie. Ils ont besoin de s’opposer pour se construire, s’affirmer, se mettre en quête de modèles possibles. Il n’est pas possible de s’orienter dans le désert sauf de se retrouver en danger réel constant et dans la peur du vide.

A force d’oublier cet aspect essentiel, l’autorité se réduit au seul souci de maintien de l’ordre et néglige un principe fondamental d’éducabilité reconnu pour tout mineur, quel qu’il soit. L’aventure et l’effort d’éducation se retrouvent finalement abandonnés.

Dans ce domaine, l’exercice de l’autorité traverse une profonde mutation :

Avant la diffusion de la C.I.D.E, la parole des enfants et adolescents était confisquée au profit d’un système éducatif coercitif pour ne pas dire totalitaire dans lequel l’enfant devait obéissance passive et silencieuse aux injonctions des adultes. Rappelons que le mot ‘enfant’ signifie précisément ‘celui qui ne parle pas’.

La famille puis l’école représentaient la source quasi unique d’informations et de tous les savoirs peu exposés à la critique.

Les enfants deviennent maintenant sujets de droit .

Ils bénéficient de libertés conquises par des canaux d’informations multiples que les adultes ne maîtrisent pas toujours. Ils savent communiquer entre eux, demandent, protestent. Consommateurs parfaitement ciblés, envahis de messages médiatiques, ils restent cependant peu avertis.

Les enfants disent aisément «j’ai le droit de. » au lieu de «j’exige… » en écho à ces messages prônant une société sans efforts, sans frustrations, sans négociations.

La tâche des adultes en charge d’éducation devient d’autant plus épuisante si ce n’est parfois culpabilisante, qu’elle est sans cesse soumise aux pressions et aux sollicitations extérieures de ce type.

Outre l’énergie dont nous devons faire preuve pour dépasser un système archaïque d’éducation à la merci de tous les excès, nous devons repenser l’exercice d’une autorité réfléchie, respectueuse de la personne sans tentation du laxisme ou de l’autoritarisme, tous deux producteurs de violences.

Nous devons faire preuve de juris-prudence au regard de l’Histoire ancienne et plus récente mettant au devant de la scène des personnages dont la dite autorité, renommée, voire recommandée pour l’exemple de son ’efficacité à remettre en ordre, a fini par révéler de graves atteintes à l’intégrité d’enfants.

Il faudra bien faire le deuil du désir de toute puissance sur le monde et accepter que la loi soit discutée pour autoriser les nouvelles générations à se socialiser sans violences. Le débat reste à organiser. Sans doute est-ce une question de volonté avant d’être un problème de formation ?

Faire autrement

L’écoute et la parole peuvent s’apprendre comme discipline à part entière. La formation par l’expérimentation d’espaces de débats adultes-enfants ouvre une possibilité de confrontation des points de vue, réductrice de tensions partout où elle se pratique. L’éducation passe aussi par l’acceptation du contradictoire car si la loi n’est pas négociable lorsqu’elle est publiée, elle devrait pouvoir être questionnée et débattue avec les enfants. (Association Temps d’écoute, Temps de Rencontre).

N’est-ce pas la base de l’apprentissage des règles fondamentales de la démocratie qui permettent de retrouver la capacité à se projeter dans un avenir plus constructif ?

« Nous ne sommes pas d’accord, mais nous restons ensemble » écrit A.E.R.E (Association pour un Eveil à la Responsabilité à l’Ecole).

« La violence est une parole non aboutie » écrit LACAN, psychanalyste.

Il nous faut peut-être penser la loi, non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen de reconnaissance de l’existence d’autrui ;

Penser l’autorité comme affirmation de la règle de droit en tenant compte de toutes les parties à égalité de droits qui ne se confond pas bien entendu à une égalité de statuts (parent-enfant, mineur-majeur, parent-enseignant etc.) ;

Penser une sanction restauratrice de la personne comme un des aspects de l’éducation ( non le seul) qui permet à l’enfant, sans le condamner d’amblé ou apriori, d’élaborer une pensée plus autonome pour agir progressivement selon son intime conviction plutôt que par réactivité.

Créer des réseaux dans lesquels la réciprocité développera une intelligence commune à agir sur l’avenir. Chacun détient une part d’un savoir qui lui est propre mais d’égale importance à celui de l’autre.

Cela suppose une clarification des a priori des uns vis-à-vis des autres, des représentations sociales personnelles, des conceptions qui feraient référence. Nous ne nous méfions pas assez des idées reçues. Le réseau construit des solidarités. Enfants et parents doivent y trouver reconnaissance et appartenance pour la construction de liens et d’objectifs communs.

Je terminerai mon propos en pensant qu’il n’existe pas de hiérarchie de savoirs en matière d’éducation mais d’abord une diversité de ceux-ci qui enrichit chacun et nourrit la démocratie pour choisir de l’améliorer.

Nous ne savons pas tout sur tout mais nous n’avons pas appris à raisonner ainsi. Pourtant la compétence s’acquiert autant, si ce n’est plus vite à partir de nos échecs que lorsque tout nous réussit.

Le sentiment de réussite, d’un acquis sûr et définitif , peut rendre parfois aveugle, développer une certaine surdité et engendrer des petites violences très ordinaires que nous ne voyons pas surgir et qui nous dépassent en n’y prenant pas garde.

Si l’isolement dans l’échec et l’exclusion rendent visibles les problèmes d’une mutation difficile, le culte de la réussite individuelle à tout prix semble tout aussi inquiétant dans l’émergence de violences discrètes mais lancinantes et répétées, terreau de sentiments d’injustices, petites bombes à retardement pour les plus fragiles.

Chaque problème posé, puis partagé plus collectivement dans sa tentative de résolution, peut devenir une opportunité pour intégrer, à condition de s’en saisir dans la perspective d’un investissement à long terme, ce qu’est toute entreprise d’éducation. Certaines prises de risque sont nécessaires car « qui tente, avance ». Manquerions-nous à ce point d’imagination collective en se laissant enfermés par la pression d’opinions qui réclame le recours à la force pour toute ambition vis-à-vis de notre jeunesse ?

La question des incivilités repose au fond sur une volonté d’éducation, non pas par addition d’intérêts particuliers, mais par intérêt commun à affirmer des valeurs de Droit, en s’assurant bien sûr que nous en sommes d’accord, pour ensuite reconnaître l’inadmissible, l’inter-dit et le permis.

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