Accueil  --  Actualités  --  Textes

 


LISTE DE SUPERVISEURS


 

REZO Travail Social
Connexion au REZO Travail Social

 

ASIE-PSYCHASOC
3, Rue Urbain V
34000 Montpellier

Tél : 04 67 54 91 97
asies@psychasoc.com

 

   

Textes > fiche texte

Aspects psychologiques du suivi familial en institution

Suggérer à un ami Version imprimable Réagir au texte

Lin Grimaud

samedi 25 octobre 2003

« Notre efficacité auprès de l’enfant est limitée par le fonctionnement psychique de ses parents ». Cette remarque de René DIATKINE justifie et oriente les aspects psychologiques du suivi familial en institution. D’emblée elle en circonscrit la fonction : non pas thérapie des parents, mais association nécessaire des parents à un travail qui dépend aussi d’eux. La prise de conscience de cette dimension n’est pas toujours agréable aux professionnels car elle leur montre que l’institution soignante qui prend en charge l’enfant n’est pas toute puissante. Personne n’aime le rappel de la castration symbolique. Je tiens que les parents sont en position de tiers entre l’enfant pris en charge et l’institution, et que c’est de leur reconnaître une telle position que l’alliance thérapeutique a des chances de se nouer. La pratique m’a enseigné cela au fil des ans et des divers dispositifs institutionnels auxquels j’ai pu participer. Donc, lorsque je reçois les parents à propos de leur enfant placé, je le fais dans l’esprit de les consulter, sachant que sans eux rien n’avancera vraiment. Au travers de leurs difficultés, parfois de leurs réactions négatives, du fait même de venir ils acceptent de nous remettre un matériel qui fait sens, du seul fait de leur présence. Lorsque c’est possible au regard de la situation particulière et du dispositif institutionnel, l’enfant est là comme témoin. Il me paraît essentiel que l’enfant soit témoin au moins d’une chose : que l’institution met ses parents en position de parents et s’adresse à ses parents comme à des parents. Même si ces derniers n’ont pas de ressources symboliques parentales, même s’ils n’ont que leur défaillance à dire, ce positionnement subjectif de la part de l’institution à de puissants effets d’interprétation aux yeux de l’enfant. Je dirais même que c’est la condition pour qu’il puisse croire à ce que nous lui proposons. C’est un acte de parentalité que produit la société, au travers de l’institution soignante, lorsqu’elle positionne les parents en tant que parents. Cela implique une élaboration dans l’équipe spécialisée : une manière déterminée de concevoir le fait d’inviter les parents, de les recevoir, d’animer la rencontre. La condition est de travailler nos contre – investissements, notre défensivité psychique activés par la perspective de rencontrer les parents. Après tout, il nous est facile de nous retrancher dans l’intellectualisation et la projection en pensant que les parents sont malades, que la famille est malade, et que l’on va faire de la « thérapie familiale ». En l’occurrence, l’expression non analysée de la défensivité de l’équipe spécialisée entraîne immanquablement des clivages familles – institution qui vont se reporter structurellement sur le lien enfant – institution, puis à l’intérieur même du groupe rééducatif d’enfants, pour revenir finalement sur l’équipe professionnelle d’où est partie la motion défensive. C’est dire que dans la manière dont l’institution soignante allie les parents à son travail se crée la fiabilité du lien de travail avec l’enfant. Au moins l’institution doit - elle construire une position d’où elle devient repérable dans sa raison éthique et technique. Cela se concrétise aujourd’hui par le Projet d’Etablissement et le Projet Individuel Globalisé. L’équipe pluridisciplinaire est en mesure de faire face aux parents lorsqu’elle se tient sur des positions énonçables, intelligibles, cohérentes et dynamiques. Avec des projets non élaborés dans la dimension collective de l’établissement spécialisé, on peut toujours dépêcher devant les parents l’un ou l’autre des membres de l’équipe en « expert auprès des familles». Mais il ne faut pas compter que les protagonistes restent longtemps dupes de ce qui reste un mouvement défaussant l’équipe pluridisciplinaire d’une élaboration essentielle à la dynamique de la prise en charge. Le véritable interlocuteur des parents est l’équipe pluridisciplinaire car elle a concrètement en charge l’enfant. Cela n’empêche pas la délégation de professionnels spécialement formés tels que les assistants sociaux, mais exige en revanche que ceux – ci s’articulent adéquatement, notamment aux éducateurs qui sont les proches du quotidien de l’enfant. D’après mon observation du fonctionnement du suivi familial dans plusieurs établissements, le point de variation concerne le mode de participation des éducateurs à ce travail. L’argumentation tient entre deux pôles :

- d’un côté la marge de manœuvre gagnée par les éducateurs auprès des enfants lorsqu’ils ne sont pas impliqués directement auprès des parents,

- à l’inverse, l’intérêt pour les éducateurs de rencontrer souvent les parents afin de se faire directement une représentation des difficultés de l’enfant et mieux l’aider à construire des liens.

La parentalité.

Je crois que tout sujet a plus ou moins l’intuition de ce qu’est la fonction de parentalité – articulation du rapport à la loi, au sens, au temps – et de l’effet de positionnement subjectif qu’elle produit. Que la parentalité s’exprime directement pour l’enfant au travers de ses parents ou bien de la part d’instances relais mandatées par la société, me paraît en fin de compte une question secondaire. La question première qui se pose aux institutions d’accueil et de soin est : comment produire de tels effets de structure. Il ne saurait s’agir de substitution parentale, ce que seule l’Aide Sociale à l’Enfance est légalement habilitée à faire, mais de faire apparaître et consister les repères de la Différence des Sexes, des Places Symboliques, des Droits, des Devoirs, des Libertés et des Limites dans le fonctionnement même du quotidien institutionnel. Pour cela donc, en premier lieu, reconnaître aux parents leur place de parents et les accueillir comme tels.

Il convient donc de distinguer entre parenté et parentalité . La première notion indiquerait le fait de la participation biologique, reconnue par un individu, à l’événement d’une procréation ; la deuxième notion, implique le processus constitutif et intime qui peut, à partir de cette reconnaissance, développer chez le sujet une transformation subjective profonde. Construire sa parenté on peut toujours y arriver par hasard ou par conformité ; mais pour la parentalité , voilà une affaire qui nous confronte à une réélaboration de nos modes originaux d’attachement, et conséquemment à ce que nous avons hérité des positionnements subjectifs de nos parents vis à vis du deuil et du don . J’ai donc appris par le passé, avec les adolescents difficiles et leurs parents, que notre action institutionnelle - par le biais du dispositif de suivi familial et plus particulièrement par son aspect d’ entretien collectif réunissant les parents, le jeune et deux membres de l’équipe - pouvait aider parents et enfant à repérer leurs places généalogiques. A l’instar de la formule indiquant qu’il faut trois générations pour faire un psychotique, je dirais qu’il faut aussi trois générations pour faire un parent. Il faut d’abord qu’il ait été imaginé par ses parents, lorsqu’il était enfant, comme un parent potentiel, pour pouvoir, le moment venu, se trouver en accord avec sa nouvelle identité de parent. Cette transmission d’un « objet » symbolique fondateur, qui n’est autre que l’articulation du sujet à un système de places , se réalise à la condition du regard anticipateur d’un Tiers Généalogique : celui du parent du parent ou de son substitut symbolique. J’en suis venu à la conviction clinique que le suivi familial institutionnel pouvait relayer cette fonction lorsqu’elle apparaît défaillante et restaurer ainsi pour l’enfant placé, la perspective de sa future parentalité. Le suivi familial m’est donc apparu comme le noeud ferroviaire, si j’ose dire, du sens du placement thérapeutique d’un enfant, l’endroit de la pratique institutionnelle où le réseau transférentiel généalogique vient poser la question concrète de ses zones impraticables.

Dans ces circonstances, et avec l’aide du docteur François TOSQUELLES 2 , j’ai commencé d’apprendre le métier en réalisant que nous devions permettre au famille de nous faire comprendre les différentes dimensions de leur situation. Ces parents en détresse sont nos véritables enseignants, ils sont porteurs des éléments à partir desquels nous pouvons prendre les bonnes directions avec leur enfant ; la condition restant que nous acceptions de les rencontrer fréquemment, d’écouter ce qu’ils disent au travers parfois d’une confusion qui tend à s’exporter, au travers aussi de passages à l’acte, d’expressions de séduction, de récriminations, voire d’accusations. Le professionnel de l’action médico – sociale doit tirer les conséquences, comme l’a fait FREUD dans la pratique qu’il a initiée, de mettre l’usager en position d’enseignant : celui par lequel le sens advient. Mais dans le cas du placement de l’enfant, de quel usager s’agit – il, des parent, de l’enfant, de toute la famille ? La pratique montre que répondre à cette question implique la prise en compte institutionnelle du lien famille – enfant. L’usager caché de l’action médico - sociale, finalement, c’est ce lien.

Réciprocité et transformation.

Ceci dit, Il reste délicat, et peut - être même non pertinent, d’établir une problématique d’ordre général, transversal à cet ensemble de situations que l’on appelle placements thérapeutiques ; pourtant - et c’est ici un point d’appui clinique - chaque fois que nous nous trouvons face à cette nécessité reconnue d’un placement, une même difficulté apparaît qui concerne la construction de l’identité du sujet.

Le placement spécialisé est un événement qui désigne différents niveaux de réalité : crise du sens, problème de construction des échanges entre le sujet et son environnement, vécu de méconnaissance et de déception. Ma première hypothèse sera qu’un placement spécialisé, quel qu’en soit le motif de base, et aussi pertinent soit - il, constitue pour le groupe familial, dans un premier temps, un traumatisme psychique surajouté. Tout ce que l’on peut espérer est que ce « trauma fonctionnel » permette à terme de réaliser une identification des distorsions défensives 3 qui se sont mises en place : du côté de la famille à partir de l’autre trauma, le « vrai », qui continue d’être vécu comme porteur d’une destruction originelle - mais aussi du côté de l’institution, pour autant qu’un fonctionnement institutionnel finit toujours par s’ériger en superstructure défensive 4 contre le changement. Il s’agit donc, dés l’admission, de mettre en perspective le sens à construire pour que les dimensions d’existence de chacun puissent à nouveaux ordonner leurs frontières et développer des surfaces de contact et d’échange ; la nécessité du placement apparaît souvent comme une évidence pour les professionnels mais reste souvent perçu comme un signe inacceptable du destin pour les usagers. Demeure alors la question pratique de créer un système d’interprétation intermédiaire, entre les parties, afin de permettre une double identification :

- celle des figures de la souffrance et des mécanismes de défense

- celle du projet institutionnel dans ses hypothèses et aboutissants.

Une démarche d’identification concerne toujours un processus de transformation réciproque des représentations. Cette notion fait écho dans mon esprit à celle de co-variation , dont le philosophe allemand Jurgen HABERMAS désigne l’interaction entre structures légales et sociales. Ceci doit attirer notre attention sur le fait que les règles du jeu des interactions sociales constituent un objet de création collective. Autrement dit, et pour revenir au particulier du propos, tout dispositif de suivi familial doit pouvoir évoluer comme une modalité singulière, une matrice intermédiaire créatrice de sens entre système familial et système institutionnel. Pour atteindre cet objectif, nous sommes conduits à maintenir ouvert le chantier de l’institutionnalisation, à retravailler continuellement nos dispositifs et leurs règles de fonctionnement. Il s’agit donc bien - selon la formule de Jean OURY - de rester instituant , de veiller concrètement à ce que l’institution soit au service des usagers et non l’inverse ; c’est ce que l’idée de co-variation véhicule. Entre chaque famille et l’institution tend ainsi à se former un processus d’intertransformation pratique. A l’éclairage du symptôme psychopathologique groupal dans le réseau de l’usager, correspond une mise en lumière du symptôme de l’institution ; c’est à dire de chacun de nous, professionnel, et de l’état de nos alliances, de notre fiabilité, de notre créativité.

Sans doute, la figure de l’exclusion, que signe toujours symboliquement un placement spécialisé, diffère - t - elle d’une situation à l’autre. Mais dans tous les cas, il nous faut rester conscients des tendances lourdes du contexte individualiste et concurrentiel dont le processus général de mise en spectacle altère les structures collectives de base. Je m’explique : ce qu’on appelle Collectif désigne plusieurs niveaux de réalité - structurel, processuel, dynamique. Entre autres effets, tout collectif produit une forme de représentation qui est la synthèse des projections des individus qui le composent. Le collectif fonctionne donc comme un écran dynamique qui reçoit des projections des membres du groupe, les recompose et les rétro projette vers les individus qui se trouvent alors témoins d’eux – mêmes au travers du groupe auxquels ils appartiennent. Dans un monde où les représentations sont généralement traitées au titre de marchandises, il y a dénaturation de leur fonction groupale du fait de la diffusion généralisée et du traitement systématique dont elles font l’objet. Les groupes sociaux n’ayant plus les moyens qualitatifs de construire les représentations collectives assurant leur identité de base, ils se clivent les uns des autres pour autant que l’ Identité est avant tout moyen d’échange . Ainsi chaque « monde » refuse son regard à l’autre : le monde des bien - portants supposés, le monde des handicapés, le monde de l’institution, celui de la famille. Chacun utilisant l’autre comme le miroir de sa propre scénographie méconnue. Ceci est une tendance. En tant que travailleur sociaux nous ne pouvons la méconnaître lorsque nous recherchons à établir un système de liens entre groupes et en l’occurrence entre équipe et famille. Je veux dire que le suivi familial évolue dans l’inconfort d’un chemin étroit entre l’hystérie de son spectacle et la perversion de son huis – clos. Entre les deux il y a l’analyse de sa pratique, qui ne garantit rien, mais cherche à produire un effet : que la rencontre ait des effets singuliers de construction et de remaniement des représentations pour toutes les parties.

Après l’évocation de ces aspects transversaux, j’aborderai maintenant un point de ma pratique auprès des parents d’enfants handicapés visuels.

Douleur identitaire chez les parents de l’enfant handicapé.

On peut insister à se demander, puisque cette question repère le travailleur social en tant que professionnel de la crise identitaire , pourquoi dans notre société la survenue du handicap déclenche une telle menace pour la cohésion du groupe familial, une telle remise en question de l’équilibre psychologique de chacun de ses membres, une telle crise de relation avec le monde extérieur ? Quelques sociologues contemporains, je pense en particulier à Alain Touraine dans son ouvrage « Critique de la modernité », ont répondu dans leur champ, mettant en évidence le rôle normatif de certaines représentations sociales construites sur l’idéalisation de la logique économique. Il est bien clair que dans le cadre de cette idéalisation collective, les notions de Limite, de Défaut, de Finitude, de Frustration, ne sauraient être admises pour ce qu’elles sont : des balises dont la reconnaissance constitue notre humanité. La Faille de la personne, à plus forte raison le Handicap s’avèrent, dans un tel contexte, de véritables « trous noirs » par lesquels se volatilisent - pour le sujet et son groupe d’appartenance - les énergies d’investissement. Voici ce dont témoignent les parents :

- « Comment parvenir à faire comprendre aux autres cette épreuve cruelle ? Comment leur dire l’indicible ? Comment leur transmettre l’intraduisible ? Comment leur communiquer l’histoire insensée de ces existences disloquées par la détresse d’une promesse de vie devenue tragédie ? Comment faire partager l’impartageable expérience d’un bonheur volé par le sort ? D’une irrémédiable béance ? D’un ciel obscurci par une ombre impossible a dissiper ? Comment faire appréhender la somme d’arrachements et de renoncements qui en découlent, en même temps que l’interminable quête d’apaisement et de sérénité ? » 5

- « Ce qui m’arrive, me donne l’impression que je m’enfonce seul dans un tunnel sans fond, en m’éloignant de plus en plus du monde des autres. Comment faire partager à qui que ce soit ce que j’éprouve ? » 6 .

Le vécu d’isolement représente la substance de l’épreuve pour ceux qui mettent au monde un enfant handicapé. C’est donc bien à cette réalité que l’on va devoir se confronter pour bâtir le lien famille – institution. Les dispositifs mis en place pour soutenir ce lien devront tenir compte de ce facteur, d’autant plus présent que le traumatisme sera récent, que nous travailleront avec des enfants jeunes et des parents récemment soumis à l’annonce du handicap.

Une conséquence universelle de la confrontation à l’enfant handicapé est d’activer profondément et durablement les réactions phobiques dans l’entourage. Par réactions phobiques, entendons une série de comportements, généralement discrets, reposant tous sur la logique de l’ évitement ( ou son inverse, la surprotection ) venant s’installer comme processus intersubjectif organisateur entre handicapé et non - handicapé. Un tel facteur phobique ou contra phobique va déterminer l’organisation subjective du sujet handicapé autour de l’épreuve d’être confronté au refus inconscient d’identification de la part d’autrui. A ceci vient s’ajouter, dans le cas de la cécité, au fait que : « [...] ce qui crée des problèmes n’est pas tant la cécité que l’incapacité pour l’adulte de savoir ce qu’il peut attendre d’un enfant aveugle et comment encourager son développement optimal » 7 .

Nous pouvons concevoir deux types de causes responsables des difficultés d’organisation de la subjectivité entre l’enfant handicapé et son entourage :

- la douleur narcissique à être constitué comme objet d’évitement

- la méconnaissance réciproque du référentiel perceptif de l’autre.

En réalité, ces niveaux de causalité fonctionnent en boucle et ne peuvent être dissociés que pour les besoins de la formalisation.

Comment accueillir les parents ?

A l’I.E.S 8 . les figures du suivi familial sont multiples selon les services et la nature de la population a laquelle ils s’adressent. On ne propose pas aux parents les même modalités de rencontre au service d’accompagnement familial et d’Education Précoce ( S.A.F.E.P. ) qui reçoit jusqu’à trois ans les bébés et les jeunes enfants atteints de troubles visuels, ou au service d’Enseignement et d’Education Spécialisée ( S.E.E.S. ) qui reçoit aussi des enfants amblyopes, agnosiques ou aveugles, et dispense le programme adapté de l’Education Nationale, du Cours Préparatoire au Cours Moyen deuxième année. Dans le premier cas se sont les éducatrices et l’assistante sociale qui rencontrent le plus souvent les parents pour autant que le travail a pour but d’établir et d’enrichir la relation bébé – environnement ( avec la mère, le père, mais aussi les personnels des haltes – garderies, crèches, écoles maternelles). Ces actions ont surtout pour cadre le milieu naturel et d’intégration, mais des rencontres se passent aussi en milieu institutionnel : pour de la rééducation où les parents peuvent – être invités à participer, pour des activités de groupe réunissant parents – enfants et professionnels, pour des entretiens ou de suivi de la relation parents – enfant ( avec ou sans les frères et sœurs ).

La maman de Roseline, petite fille aveugle de deux ans et demi, vient d’avoir un autre bébé qui ne présente pas de problème particulier de santé ni de handicap. C’est à ce moment seulement, après la naissance de l’enfant puînée, que l’éducatrice du suivi familial est pour la première fois questionnée par la mère sur le problème de l’identification, par le milieu extérieur, de la cécité de Roseline. La maman demande : comment dois - je dire au coiffeur qu’elle n’y voit pas ? Autrement dit, comment dois - je indiquer au dehors qui est ma fille et ce dont elle a besoin, comment puis - je me positionner en intercesseur identitaire entre ma fille et le monde extérieur. Il est certain que l’implication de l’éducatrice, la construction transférentielle dans cette relation, ont permis à la maman de faire le lien entre ce qui était en train de se passer avec son bébé voyant et ce dont Roseline avait besoin elle aussi : d’être comprise et représentée par sa mère pour le monde du dehors. Au S.A.F.E.P. on est directement confronté aux difficultés particulières au passage à la parentalité qui s’imposent aux parents confrontés à la naissance d’un enfant handicapé. L’évolution subjective du parent est alors susceptible d’être entravée au moment où il s’agit pour lui d’assumer la fonction d’intercesseur afin de tenter de comprendre, de traduire, et de défendre les intérêts intimes du bébé. La notion Winnicottienne de présentation de l’objet marche dans les deux sens : le monde est certes présenté à l’enfant, mais l’enfant aussi a besoin d’être présenté au monde. Et pour ce faire l’identification parents – enfant doit s’établir dans de bonnes conditions. Les parents sont en panne pour présenter au monde un enfant auquel il y a trop de douleur à s’identifier.

Dans notre exemple, l’éducatrice a tout de suite situé à sa juste « valeur parentale » la demande de cette maman - comment dois - je dire au coiffeur...etc. - et y a répondu de la manière suivante : La question que vous posez est importante, on va d’abord en parler entre nous dans l’équipe, et ensuite on l’abordera ensemble avec votre fille, son père et vous. Lorsque les parents positionnent un professionnel à la place du Supposé Savoir, il est tentant de s’engouffrer dans cette image d’omnipotence dont on finira toujours par s’apercevoir, mais trop tard, qu’elle nous isole des collègues, nous aliène à un imaginaire de l’emprise et de la dépendance. Ici, l’éducatrice fait effectivement tiers entre Roseline et sa mère et valide cette position en faisant exister l’équipe comme référent.

la Référence doit ainsi être reconnue en tierce position, entre soi et l’autre ; c’est là le point de structure qui permet de tenir à distance les deux principaux écueils dans nos professions : l’automatisation des pratiques et la domination du soigné par le soignant. Ce que rappelle Madame SLOMSKA-SCHMITT en ces termes : « Oedipe s’adressant à Tirésias est l’histoire de l’oracle qui sait et par son savoir dirige et précipite le drame, barrant ainsi toute possibilité de l’avènement du désir – elle est signifiante comme antimodèle dans le fonctionnement d’une équipe... » 9 .

Donc, au S.A.F.E.P., dû à la nature du service, les éducatrices sont aux premières loges du suivi familial. Aussi, ses aspects psychologiques transitent - ils largement par le biais de la fonction éducative qui doit être rigoureusement articulée dans le fonctionnement de l’équipe pluridisciplinaire.

Pour les scolaires ( S.E.E.S. ), les choses vont autrement et je ne décrirai qu’un seul point du suivi familial lié à un cycle de dispositifs institutionnels autour de la réunion de synthèse de l’enfant. Ce dernier est rencontré en entretien individuel dit de préparation de synthèse , généralement par le psychologue. S’il est déjà en psychothérapie avec celui – ci, c’est le médecin psychiatre qui préparera la synthèse avec l’enfant. Puis, a lieu la réunion de synthèse rassemblant les professionnels concernés. Ensuite, l’enfant est revu à nouveau dans les mêmes conditions que la première fois pour un second entretien individuel dit de retour de synthèse . Enfin, et pour clore ce cycle qui a lieu au minimum deux fois par année scolaire, se tient la réunion suivi de projet à laquelle sont invités les parents, les professionnels de la synthèse, et l’enfant lui – même ( en deuxième partie de cette réunion ) s’il accepte de venir ( la question lui est toujours posée ). Les intérêts de ce dispositif successif sont nombreux. Enfants, professionnels et parents y travaillent le projet de prise en charge dans son rapport au temps, au sens, à l’après – coup. L’équipe pluridisciplinaire présente concrètement sa fonction d’outil collectif. Les parents sont positionnés par le collectif spécialisé en tant que garants de l’enfant et du collectif familial. L’enfant découvre qu’à son sujet des liens paritaires se construisent, des représentations se tissent et se modifient. Non seulement ses contenants de base ( familial et institutionnel soignant ) ne sont pas altérés par ces échanges, ces transformations, mais ils sont au contraire renforcés et surtout légitimés. Pour l’équipe, ce cycle de travail a des effets mobilisateurs d’investissements et d’attention, puisqu’il s’agit finalement de prendre connaissance de l’expression de l’enfant, de ce que les collègues et les parents ont à dire, ainsi que de rendre compte de son propre travail, non pas seulement entre soi, mais devant un regard extérieur.

En conclusion.

Les établissements médico – sociaux se sont souvent défendus du regard extérieur des parents de l’enfant placé. Pour une part cette attitude a pu être positive, protégeant l’espace institutionnel de l’enfant afin de lui donner l’occasion de rejouer sa problématique autrement, avec d’autres protagonistes ; mais elle a pu engendrer aussi des effets de démobilisation parentale et d’omnipotence de la part des services. Il faut rappeler que parfois aussi, devant la carence d’équipements adaptés, les parents ont créé eux - mêmes « leurs » propres associations et établissements médico – sociaux ; les professionnels ont pu alors se demander comment rétablir pour l’enfant une situation d’extériorité vis à vis de la famille. Aujourd’hui, avec les éléments de la loi de 75 rénovée présentant le placement spécialisé dans une dimension clairement contractuelle entre famille et établissement, l’obligation de ce lien est désormais spécifié sans être pour autant normalisé dans son contenu. Devoir présenter une modalité contractuelle aux parents, ne dit pas aux établissements comment faire. Or, c’est sur le « comment faire » que repose l’élaboration du sens de la pratique de l’établissement et, au delà, que se définit la spécificité de l’action médico – sociale. A côté de ses aspects psychologiques, le suivi familial constitue une modalité révélatrice, un analyseur exhaustif des politiques concrètement menées.

2 François TOSQUELLES, « De la personne au groupe », érès, 1995.

3 Sigmund FREUD, « les destins pulsionnels (se présentent) comme des modes de défense contre les pulsions », Pulsions et destins des pulsions, Métapsychologie, Gallimard, 1971.

4 Eliot JAQUES, « Des systèmes sociaux comme défense contre l’anxiété dépressive et l’anxiété persécutoire, contribution à l’étude psychanalytique des processus sociaux », in LEVY, A., Psychologie sociale, textes fondamentaux anglais et américains, Dunod, 1978.

5 Charles GARDOU, Parents d’enfant handicapé, érès, 1996.

6 KENZABURÔ OE, Une affaire personnelle, Stock, 1986.

7 NORRIS ( 1956 ), cité par LAIRY G.C et HARRISON-COVELLO, dans « Attitudes familiales et déficit congénital. Répercussions de ces attitudes sur le développement précoce de l’enfant. »

8 Institut d’Education Sensorielle.

9 Marzenka SLOMSKA-SCHMITT, Les relations précoces mère - enfant aveugle - De la nécessité de ne pas se précipiter, Intervention au congrès de L’A.L.F.P.H.V. Juin 1987.

Commentaires


 

Copyright © par ASIE-PSYCHASOC
n° de déclaration : 91.34.04490.34

< site créé par meliwan  >