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Bonne route

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Jean-Luc Viudes

mercredi 12 mai 2004

Il était arrivé un matin accompagné par la police. On ne pensait pas qu’il allait rester la journée. Ce n’était pas son habitude. De Marseille à Paris en passant par les squattes des villes et de campagne, il était toujours en partance. Depuis ce drame qui avait croisé sa route, depuis son premier abandon. Enfin plutôt son deuxième ou troisième, je ne sais plus trop. Enfin si, pour lui c’était déjà beaucoup trop. Dans ce foyer, il a été peu à peu à son aise. Une équipe assez à l’écoute, des jeunes assez compréhensifs ou parce que c’était le moment. Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure. C’était peut être la bonne heure. A savoir. Tout pour permettre de s’installer et d’avoir envie de reprendre des forces. Après une série de convocation et de mise en examen, il a eu droit à une peine avec sursis. La prochaine fois ce serait un séjour entre quatre murs. Il savait et semblait avoir compris. Il n’était plus le même. Le cadre et la loi avaient fait son travail. Il voulait certains jours être boulanger ou alors éducateur. La juge d’un regard complice lui avait lancé : « pourquoi pas un boulanger éducateur » Il avait gagné de l’assurance allant jusqu’à donner des conseils aux jeunes du foyer. De démon, il était devenu ange. A supposer qu’il ait pu être démon. En tout cas aux yeux des autres, il ne l’était plus. Un ado parmi tant d’autres.

Si j’aurais su, j’aurais pas v’nu. Comme le petit Gibus, M. aurait pu dire la même phrase. Il aurait même rajouté « du coup j’aurais pas resté aussi longtemps » Effectivement, il est reparti après quelques mois. Quelques mois où il avait posé son sac trop lourd dans un foyer et dans un tribunal où il avait payé ses actes d’errance. Il n’est pas resté. Plutôt, on lui a demandé de partir parce que lui, il serait bien resté. Mais voilà dans ce foyer d’urgence, on ne reste pas. On arrive dans l’urgence puis on passe. On ne s’installe pas. On pose juste son sac dans l’attente d’un temps administratif, juridique…. Il y a parfois beaucoup de hic avant de pouvoir repartir. Ca peut durer des mois. Il disait qu’il ne voulait pas partir mais pas de chance cette fois-ci, on ne voulait pas qu’il reste. Il était trop attaché à ce foyer disait certains.

Effectivement, il y avait une attache sinon il aurait vite repris son chemin. Il l’avait finalement choisi ce foyer pour diverses raisons. Sans attache on ne reste pas. Il le savait lui qui n’avait aucun port d’attache. Il avait amarré sur ce quai et s’y sentait bien. Il avait même aidé au déménagement heureux d’être le premier à investir cette nouvelle structure. Il y était bien. Ca peut faire peur à une équipe. Et s’il ne voulait plus partir !!! Cet amarrage qui avait coupé court son envie de fugue semblait un danger pour certains. A son foyer, a son école, à ses camarades de classe, il s’était lié. Il avait lâché sa garde. Il ne risquait pas de les perdre ceux-là. Eux-mêmes qui lui avaient redonné courage et espoir. L’histoire ne finit pas mal mais comme je l’ai déjà dit, on ne reste pas ici, il y a des foyers spécialisés. Alors l’équipe a trouvé un autre lieu où il pourrait de nouveau continuer sa route. A contre-cœur, il a dit oui. Il n’avait pas le choix. Lui qui n’avait pas connu son père, abandonné par sa mère et d’autres encore, il ressentait de nouveau ce sentiment d’abandon qui venait cette fois-ci d’un foyer, d’une équipe, d’un éducateur. Il s’était trompé. Il avait lâché sa garde pour finalement être lâché. Que fallait-il faire ? Ecouter et entendre cette parole qui refusait de partir. Ecouter et entendre était possible, satisfaire cette demande ne l’était pas.

Ce qui devait arriver arriva. A sa demande et celle de l’équipe, il fut placé dans une famille d’accueil. Il y resta quelques secondes et quelques jours. Quelques secondes pour approuver une décision qui n’était pas la sienne, quelques jours où il resta physiquement présent dans cette maison. Son angoisse n’était plus perceptible mais criante. Un abandon de plus ou de moins. Peut être un abandon de trop. Aujourd’hui, il erre à nouveau, ici ou ailleurs. Plus d’école, plus de copains, plus de contact. Un jeune la vu ici, un autre la croisé ailleurs. Personne n’a pu le raisonner. Est-ce raisonnable d’ailleurs ? « On m’a encore eu, on ne m’aura plus » se dit-il peut être. On se refait le film qui est plutôt une série B institutionnelle. Et si, et si, et si…. Tous les si du monde ne feront pas reculer cette réalité que l’on ne réussit pas toujours à maîtriser. Il est toujours difficile de se rendre compte que l’on est parfois impuissant à retenir quelqu’un. Ca l’est sans doute encore plus quand on a contribué malgré soi à cette fuite. Le pas assez est l’ennemi du trop . Pour un jeune ayant vécu des situations d’abandon il est très difficile de supporter le trop peu et d’accepter le pas assez . L’accrochage affectif a été nécessaire pour que M. arrête de naviguer sur une mer déchaînée mais la moindre vague aperçue au large dans un moment de creux trop intense lui a fait reprendre le chemin des eaux. Bonne route.

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