Je connais Cécile depuis le début de mon intervention à l’I.M.E dans le cadre de l’accompagnement au quotidien d’un groupe accueillant des adolescents souffrant de psychoses déficitaires.
Cécile a 17 ans. C’est une jeune fille aux cheveux courts et qui dégage par ses attitudes et a façon d’être une certaine ambiguïté quant à son identité sexuelle. Ses épaules son carré, son ventre très musclé, sa démarche lourde et appuyée.
Depuis son arrivé dans l’institution, Cécile s’est toujours focalisée sur certaines éducatrices, recherchant une relation fusionnelle avec elles. Il se trouve que depuis mon arrivée, Cécile se montre très « collante » avec moi, physiquement comme psychiquement. Elle pose sa main sur mon épaule à la moindre occasion, me fixe du regard et lors de mes interrogations sur son comportement me répons sans cesse « devines.. » Elle répète tout au long de la journée et en ma présence ou mon absence : « Séverine c’est MA préférée » en appuyant sur le « ma » qu’elle fait traîner en longueur. Elle s’approche de moi, ce qui me semble être toutes les 10 mn pour me dire « approche, te dire un secret : je t’aime… tout court ». Lorsque je m’occupe d’un ou d’une autre jeune du groupe, Cécile se lance dans des rires forcés pour se rappeler à moi ou m’apporte des dessins (des tonnes de dessins ! !) en me montrant qu’il y a « toi et moi ! !). Si Cécile déborde du cadre et est rappelée à l’ordre, elle répondra : « c’est pas moi, c’est Séverine »
Si la relation éducative suppose une rencontre, cette rencontre ne peut avoir lieu que dans la mesure où les individus en relation sont suffisamment séparés, différenciés l’un de l’autre. C’est la principale difficulté que je rencontre avec Cécile puisqu’il semble qu’elle cherche à se fondre en moi, devenir moi et ne peut alors plus se reconnaître comme individu singulier et prétendre à une évolution personnelle.
J’ai été et je suis encore parfois en difficulté dans l’accompagnement de cette jeune fille. Je me sens comme vampirisée par sa présence constante à mes côtés, son regard perpétuellement accroché au mien ; sa façon subtile de me ramener à elle.
Pour avoir une action éducative en lien avec demandes de Cécile, il s’agit de pouvoir comprendre, mettre du sens sur ses comportements pour tenter une réponse adaptée
Il semble en fait que Cécile soit en train de prendre conscience d’une différenciation entre elle et les autres. La notion de manque commence à apparaître concernant ses parents et particulièrement sa maman. Son comportement avec les adultes du Centre et particulièrement avec moi serait alors le reflet d’une difficulté à se séparer ? Cette régression à un mode relationnel que Cécile avait quelques temps auparavant pu dépasser peut alors et au contraire être en lien avec une évolution de sa structuration en tant qu’individu séparé des autres, une prise de conscience de la réalité avec forcément les angoisses de perte et d’insécurité que cela génère.
Ce besoin de collage serait peut-être synonyme pour elle d’une demande de réassurance du lien qui existe entre elle et les autres, malgré la notion de séparation qui s’élabore en elle. Tout ceci n’est qu’hypothèses…
Je constate toutefois qu’en tentant de rassurer Cécile sur le lien, la permanence de ma présence, de mon existence au-delà de son regard sur moi (comme si elle devait faire l’expérience que je pars puis reviens et que pour autant elle reste elle, toute entière) permet un certain détachement même s’il reste fragile.
Cette fragilité s’exprime au sens où elle peut sembler apaiser pendant une demi-heure et remettre ensuite en scène les mêmes comportements comme pour vérifier là aussi que ce qui était vrai il y a une demi-heure l’est toujours…
Le mode relationnel que je propose à Cécile est donc axé sur la réassurance du lien.
D’abord Cécile ne se couche pas tant que la veilleuse n’est pas arrivée. En effet, elle exprime son sentiment d’être abandonnée au moment où je quitte mon travail. Nous accueillons donc ensemble la veilleuse et prenons le temps de parler de choses et d’autres afin que Cécile perçoive qu’un relais est pris et qu’elle ne reste donc pas seule.
Ce passage de relais se fait également entre la journée et la soirée. Mes collègues et moi-même allons retrouver les jeunes dans la cour de l’I.M.E. et dialoguons avec notre collègue de l’internat sur les événements de la journée. Cécile est toujours très attentive à nos propos à ce moment là et aime y participer. De cette manière, nous évitons d’être entraînés dans un clivage de la prise en charge (sans pour autant tout dire bien sûr) et amoindrissons le morcellement de la personnalité des jeunes comme Cécile et donc de leurs angoisses.
Il a été important qu court de ces deux dernières années de rassurer Cécile sur ma présence au-delà de son regard. Je prépare avec Cécile comme avec chaque jeune d’ailleurs, chaque départ en vacances ou même en week-end. Il s’agit simplement de lui verbaliser ma prochaine absence. Cette préparation est notamment des plus importantes lorsque les semaines sont difficiles avec Cécile, qu’il me faut lui rappeler les règles. Il est indispensable de différencier les choses et de lui rappeler que je ne pars pas parce que je suis en colère après elle mais pour d’autres raisons (ce qui n’empêche pas la colère !)
Je partage avec elle et au quotidien des temps d’échanges, des temps de vie en individuel dans lesquels elle montre alors toute son adaptabilité, toute sa partie saine, ses capacités mais Cécile supporte toujours mal le retour au groupe et reprend alors ses attitudes de collage…
Aujourd’hui, son mode relationnel reste encore inadapté et ses tentatives de fusion si elles ont changés de cible restent fréquentes et quasi le seul mode relationnel de cette jeune… L’accompagnement de cette jeune est encore à réfléchir ! ! Cécile pourra t-elle un jour supporter de partager ? Pourra t-elle s’individualiser, émettre des choix, exprimer des désirs propres ? Je veux y croire…