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Calligraphie : la mise en scène du mot

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Edwige Timmerman

mardi 26 septembre 2006

« On Arrange et on compose

Les mots de tant de façons

Mais comment arriverait-on

À égaler une rose ? »

Rilke

Préambule - Précaution de lecture :

Le texte qui suit est un témoignage, et une piste de réflexion(s) sur ma pratique artistique.

Il me semble important de souligner qu’il n’engage que moi ; les sensations décrites me sont personnelles et n’ont aucune portée universelle.

Pourquoi chercher à réécrire ce qui l’est déjà ?

Pourquoi chercher à susciter une émotion nouvelle ? Et/ou une trace nouvelle? Comme si les mots ne se suffisaient pas d’eux-mêmes.

Quelle place donne la calligraphie au vide créé par le mouvement et le rythme des mots lus ou entendus ?

Quel est le lien possible entre les mots de la parole et les mots de l’écrit ?

Qu’est-ce que la calligraphie vient dévoiler d’une nouvelle identité offerte aux mots ?

Toutes ces questions, je me les pose souvent, je m’y confronte quand je prends mon outil et que j’éprouve le besoin de tracer des mots, des lettres, et de chercher une esthétique qui soit compatible avec l’idée que je me fais de cette parole choisie.

Pour répondre à toutes ces interrogations, revenons d’un pas en arrière.

Je vais organiser mon propos suivant deux axes, qui se complèteront par la suite.

Je vais dans un premier temps aborder la calligraphie par ses approches possibles d’expression, et dans un second temps, je parlerai de ce que l’utilisation des mots et de la parole implique dans la pratique de la calligraphie.

Si la calligraphie est « cet art ingénieux de peindre la parole et de parler aux yeux » 1 , sa pratique est riche en alternatives artistiques.

Il s’agit de prendre des mots et jouer avec leurs sens pour traduire l’émotion de l’oreille (le son des mots) par l’émotion de l’œil (la trace laissée par les mots).

Il est aussi question de trouver l’approche adéquate afin de donner du sens à son travail, car il est lui aussi multiple :

Ø le sens littéral des mots choisis (réel ou symbolique)

Ø le sens du tracé (la direction du geste)

Ø le sens esthétique (donner une couleur, une épaisseur ou une finesse, etc.)

Pour ma part, je prends un malin plaisir à camoufler, transfigurer, à mystifier textes et paroles.

Je trouve qu’il y a là par essence, une réelle beauté dans l’utilisation des mots et de leur sens pour les mettre en valeur et en lumière.

Car il n’y a pas de hasard. Les mots qui me touchent, je les travaille, et puisqu’ils me touchent (trop ?), je me cache derrière la possibilité de les rendre illisibles.

Le mot devient outil pour que la calligraphie participe de sa mise en lumière, je ne parle pas là de lisibilité mais de l’usage des mots. Car cet usage n’en est pas moins problématique.

S’il n’y a pas de hasard dans le choix des textes, il n’y en a pas non plus dans le choix du matériel, de l’écriture utilisée, du support, de la couleur, du format de la composition, etc. Il est important que le fond et la forme se complètent dans l’évocation des mots.

La calligraphie porte en elle cette grande liberté de laisser l’artiste s’exprimer comme il l’entend, et dans toutes ces (ses) contradictions. Il peut tout autant :

Ø rendre un texte limpide en privilégiant un sens esthétique élégant et lisible.

Ø rendre un texte énigmatique en travaillant les matières, les textures, les superpositions jusqu’à l’illisibilité.

Mais avant de faire ces choix artistiques, vient la question de mon intérêt personnel porté à ces mots, et à leurs transformations, de la croyance de figer sur un support ce que les mots ne suffisent pas à exprimer à leur écoute ou leur lecture. Je suis amenée à réfléchir sur l’utilisation de ces mots, leur implication dans ma création.

Pour étayer ma réflexion je pars du principe que le mot en tant que communication, est par essence source de malentendu (mal-entendu), tout en étant la condition indispensable à toute relation humaine, (mais là n’est pas mon propos).

Entre :

Ø ce que je pense

Ø ce que je veux dire

Ø ce que je crois dire

Ø ce que je dis

Ø ce que je ne dis pas

Ø ce que vous voulez entendre

Ø ce que vous entendez

Ø ce que vous croyez comprendre

Ø ce que vous voulez comprendre

Ø et ce que vous comprenez,

Il y a là d’innombrables raisons de ne pas pouvoir s’entendre, de régulièrement se perdre dans nos pensées respectives, envers autrui et envers soi-même.

Le mot parole vient du latin Parabola : « jeter à côté ». La parole jaillit dans un mouvement qui s’accompagne de mots. Elle est extérieure tout en prolongeant la pensée. On retrouve dans cette définition la déformation préalable au paradoxe compréhension/émotion face aux mots.

Les mots sont des instruments de la parole, et pour en revenir à ce qui me préoccupe, ces mêmes mots sont ensuite traduits dans l‘écriture.

« Il n’y a pas d’écriture sans parole ; la parole dicte, la main obéit (…) mais c’est une parole intérieure, une parole mentale, sans existence objective, étrangère au monde physique ». 2

Et la création calligraphique ne fait que déplacer ce que la parole véhicule : l’entendu et le mal-entendu.

Puisque témoin de ce mal-entendu inhérent à la parole, la calligraphie se conçoit autour de sa reconstruction, demandant un éclaircissement à l’artiste, (là où se loge l’art de la lettre ?), l’obligeant à faire des choix dans son travail de mise en valeur.

Tout un univers s’offre, laissant l’artiste user à sa guise de ce qu’il entend et de ce qu’il veut dire, mais le laissant aussi exprimer ce qui lui échappe. L’artiste est évidemment lui-même victime de ce mal-entendu qu’il interprète avec ses outils artistiques, (peut-être à son insu).

« Les mots prononcés sont les symboles de l’expérience spirituelle, les mots écrits sont les symboles des mots prononcés ». 3

L’artiste reproduit par son geste le manque intrinsèque de la parole.

Entre :

Ø ce que l’artiste crée

Ø ce qu’il veut exprimer

Ø ce qu’il croit exprimer

Ø ce qu’il exprime

Ø ce que le spectateur voit

Ø ce que le spectateur ne voit pas

Ø ce que le spectateur croit voir

Ø ce que le spectateur veut voir

Ø et ce qui est,

L’objet composé par l’artiste retraduit le parcours de la parole à travers l’écrit.

Le mal-entendu se situe alors dans l’expression propre de l’artiste, dans ses choix esthétiques, sa création. On y retrouve la source de distorsions et la création d’un manque équivalent à un vide.

Vide que l’on retrouve dans la composition.

Cette question du vide me permet d’aborder un point plus précis de la pratique de la calligraphie.

Par le mouvement du geste, l’œil se concentre non pas sur la trace formée, mais sur la forme intérieure, celle que l’artiste n’a pas tracée : la contreforme, le blanc, c’est-à-dire le vide.

Une composition calligraphique s’équilibre autour du rythme, du vide, de l’absence, de « ce qui n’est pas ».

Un peu comme en musique, où le temps de silence est nécessaire pour laisser toute la puissance du son des instruments s’exprimer, la trace a besoin de respiration. Elle a besoin de se loger dans le contraste entre blanc et noir.

L’amateur qui débute en calligraphie ne se doute pas de ce qu’il importe de cette construction du vide. D’ailleurs, il est assez aisé de la comprendre, mais plus difficile à appréhender dans le geste.

Se concentrer sur ce que l’on ne trace pas demande en effet une démarche intellectuelle insoupçonnable quand on réduit la calligraphie à la reproduction traditionnelle des alphabets historiques.

Pourtant cette démarche est passionnante, vraiment intense.

Elle met de la distance dans l’approche du mot et permet cette respiration plus qu’essentielle dans le travail de la lettre. Elle est même nécessaire pour que chaque mouvement prenne sens.

La présence du vide est la première chose pourtant face à laquelle on doive se positionner.

Il est toujours très surprenant de voir comment est organisée la première feuille d’un débutant.
Certains n’y déposent que quelques traces, d’autres au contraire ont besoin de tout remplir. Du bord gauche au bord droit, et du haut en bas.

Nos réactions sont très diverses et révèlent déjà notre façon d’appréhender ce vide.

La pratique de la calligraphie apprivoise ce vide pour qu’il devienne un élément graphique de la composition.

On assiste alors à un dialogue entre :

Ø le mouvement de la trace, celui que l’artiste a consciemment produit avec son outil et qui laisse une empreinte visible.

Ø Le mouvement laissé blanc à l’intérieur de la trace, celui que l’artiste cherche à maîtriser, mais pour lequel il existe une marge assez grande pour l’accident ou le hasard.

Bien sûr, il est toujours possible de retravailler et de redessiner ce vide, de faire en sorte qu’il devienne l’élément central de la composition. Mais peut-on le contrôler d’emblée ?

Et dans ce dialogue permanent entre mouvements et traces, blancs et noirs, silence et parole, je fais un parallèle entre ce vide qui entoure la trace et ce qui ne se dit pas dans la parole.

La calligraphie reproduit ce que la parole elle-même égare avec les mots.

Elle est un passage de témoin, comme un relais du réel au symbolique.

Elle est aussi le lieu de la parole, avec ses mal-entendus, accentué par le fait que l’artiste peut rendre les mots encore plus distants en faisant le choix de l’illisibilité ; ce rapprochement donne à la calligraphie une place considérable dans l’expression du mot et de la parole.

Elle offre donc à l’artiste une multitude de possibilités avec l’art de la lettre, que l’on utilise la calligraphie de façon traditionnelle ou contemporaine.

Rouen, avril 2006

www.plumes-et-chiffon.net

1 Citation de Guillaume de Brébeuf

2 Citation de Egger,

3 Citation d’Aristote

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