Ce texte restitue la trame, illustrée de quelques extraits, d’un mémoire universitaire dans le cadre de la maîtrise des Sciences de l’Education.
Ce mémoire est intitulé « Ces chevaux qui murmurent à l’oreille de l’homme .
Il a pour thème l’image inconsciente du corps étudiée à travers la relation de l’enfant au cheval. On peut se demander en quoi la pratique équestre peut modifier le rapport au corps chez l’enfant inhibé. Pour répondre à cette question, nous étudierons dans un premier temps le concept d’image inconsciente du corps de Dolto (1984) et les troubles et symptômes des enfants abordés sous la vision psychanalytique. Dans un deuxième temps, des entretiens avec des professionnels et des observations ont été menés pour recueillir « ce qui est dit » et « ce qui est vu ». Les éléments recueillis nous révéleront alors l’intérêt de l’analyse clinique pour l’interprétation des données.
Mots clés : Image inconsciente du corps
Schéma corporel
Inhibition
Rééducation par l ‘équitation
Analyse clinique
.
Dans le cadre de ce mémoire en Sciences de l’Education, j’ai souhaité réfléchir sur la relation enfant-cheval, notamment auprès d’enfants présentant une grande inhibition.
En effet, une certaine pratique professionnelle me pousse à croire que la relation qui s’installe entre l’enfant inhibé et le cheval permet au jeune de modifier son rapport au corps, d’élaborer une nouvelle dynamique corporelle.
L’objectif de ce travail de recherche est de comprendre comment ce changement est introduit et repéré auprès de l’enfant. J’ai choisi d’aborder ce sujet à l’aide de concepts psychanalytiques traitant de l’image inconsciente du corps et de l’inhibition.
A partir du concept de
l’image inconsciente du corps
développé par Françoise Dolto (1984) et en repérant les symptômes spécifiques à l’
inhibition
(à partir des travaux de Freud, Colette Chiland et Anny Cordié),
je me demande s’il peut y avoir
restauration de l’image du corps au travers de la relation au cheval.
Dans le chapitre I (théorie), je définirai dans un premier temps le concept d’image inconsciente du corps (Dolto, 1984) et j’essaierai de voir en quoi celui-ci est intéressant à étudier dans le but d’une prise en charge d’enfants en difficulté. Les troubles des enfants seront abordés dans un deuxième temps sous une approche psychanalytique. Ensuite, je situerai ma recherche dans son cadre : la rééducation par l’équitation pratiquée dans l’atelier équestre.
Dans le chapitre II (méthodologie), je présenterai la méthode clinique à ancrage psychanalytique qui m’a permis de mener cette recherche. Des entretiens avec des professionnels pratiquant la mise à cheval d’enfants en difficulté ont été menés. Des observations d’enfants évoqués en entretien ont été pratiquées.
Dans le chapitre III, je relaterai ces entretiens et ces observations suivis de leur analyse.
L’ensemble de ce chapitre est référé à l’ouvrage de Françoise Dolto, « L’image inconsciente du corps », 1984, Editions du Seuil.
Le concept d’image inconsciente du corps (F.Dolto, 1984) émane de sa pratique, plus précisément de ses entretiens avec les enfants et de ce que les enfants élaborent dans leurs productions (dessins, modelage…)
Françoise Dolto a remarqué que les instances de la théorie freudienne (le ça, le moi, le surmoi) –instance de la théorie psychique-- se repèrent dans les compositions libres des enfants (l’enfant donne vie aux différentes parties des dessins, il anthropomorphise, il a tendance à attribuer aux êtres et aux choses des réactions humaines-).
Les productions sont les fantasmes des enfants où sont décodables les structures de l’inconscient.
Le
médiateur
de ces 3 instances psychiques dans les représentations fournies par les enfants est ce que Dolto a appelé
image inconsciente du corps
.
L’image inconsciente du corps se dit, se représente dans toute composition libre de l’enfant. Elle n’est pas ce qui est dessiné, ni modelé, elle a à se révéler par le dialogue analytique avec l’enfant. Elle est une médiation pour dire les fantasmes.
Dolto explique la différence entre Schéma corporel et Image du corps.
« Le schéma corporel est une
réalité de fait
» (Dolto p 18). C’est le vivre charnel au contact du monde physique.
Le schéma corporel est en principe le même pour tous les individus d’une même espèce. Il peut être l’interprète de l’image du corps. Il se structure par l’apprentissage et l’expérience. Le schéma corporel réfère le corps actuel dans l’espace à l’expérience immédiate. Il peut être indépendant du langage entendu comme histoire relationnelle du sujet aux autres. Il est inconscient, préconscient et conscient. Il est évolutif dans le temps et l’espace.
Certaines lésions organiques peuvent entraîner des troubles du schéma corporel. Ceci dit, un schéma corporel infirme (atteinte organique, lésions) peut cohabiter avec une image du corps saine. Un enfant au schéma corporel atrophié pourra se construire une image du corps saine, fonction des
échanges
qu’il aura eu (avec ses parents ou substituts…).
Les échanges sont
humanisants
, leurs absences déshumanisantes (ces échanges dépendant de l’acceptation du handicap par les parents).
F. Dolto cite l’exemple d’enfants paraplégiques (c'est-à-dire atteints de paralysie des membres inférieurs) l’enfant a besoin de parler de courir, de sauter et d’entendre parler de courir, bouger.
Dolto énonce l’hypothèse que la non-structuration de l’image du corps est en grande partie due au fait que l’instance tutélaire (parents, substituts) désorientée par l’infirmité de l’enfant, désorientée de n’avoir jamais les réponses attendues habituellement d’un enfant de cet âge, ne cherche plus à
communiquer
avec lui autrement que dans un corps à corps pour l’entretien de ses besoins et abandonne son humanisation.
« L’image inconsciente du corps est propre à chacun, elle est liée au sujet et à son histoire. Elle est inconsciente. Elle est la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles » (Dolto, 1984, p22). Elle peut être considérée comme l’incarnation symbolique inconsciente du sujet désirant, comme
la mémoire inconsciente de tout le vécu relationnel.
L’image inconsciente du corps se structure par la
communication
entre sujets. C’est grâce à notre image du corps portée par –et croisée à-- notre schéma corporel que nous pouvons entrer en communication avec autrui.
L’image inconsciente du corps réfère le sujet du désir à son jouir, médiatisé par le langage mémorisé de la communication entre sujets.
L’image du corps est toujours inconsciente.
Françoise Dolto explique en quoi la technique psychanalytique permet le déploiement de l’image du corps : le schéma corporel est neutralisé par la position allongée sur le divan. L’analysant ne voit pas et n’entend pas l’analyste, il n’y a pas de saisie de la réalité visible d’où la possibilité de représentation imaginaire.
Dans la psychanalyse d’enfants, F. Dolto explique bien que faire dessiner ou modeler l’enfant ne signifie pas jouer avec lui (l’analyste ne doit pas mêler ses propres fantasmes à ceux des enfants). Il s’agit d’un travail de mise en mots des fantasmes de celui-ci (s’exprimer en vrai, en vérité), advenir à sa propre compréhension. Les dessins et modelages des enfants sont des témoignages de l’inconscient (lorsque l’enfant parle de sa mère, de son père… il parle de sa mère en lui, de son père en lui…).
L’image du corps est à chaque instant, pour un être humain, la représentation inconsciente où se source son
désir
. Les pulsions de vie et de mort visent à l’accomplissement du désir. Les pulsions de vie (actives ou passives) sont toujours liées à des représentations. Les pulsions de mort (ni actives, ni passives) sont sans représentation.
L’image du corps est ce dans quoi s’inscrivent les
expériences relationnelles du
besoin et du désir
, valorisantes et-ou dévalorisantes, narcissantes et-ou dénarcissantes.
L’image du corps est du côté du désir, elle n’est pas à référer au seul besoin.
Le
schéma corporel
est le
lieu de source des pulsions
.
L’image du corps
est le
lieu de représentation des pulsions
. L’image du corps est un « ça » déjà relationnel. Les pulsions (qui trouvent leur source dans le schéma corporel) ne peuvent passer à l’expression dans le fantasme que par le moyen de l’image du corps.
L’élaboration de l’image du corps ne peut être étudiée que chez l’enfant, au cours de la structuration de son schéma corporel en relation avec l’adulte éducateur (l’image du corps est ensuite refoulée, en particulier par la découverte de l’image scopique du corps puis par la castration œdipienne). Par l’intermédiaire d’un témoin humain (réel ou mémorisé), le
schéma corporel
-lieu du besoin
-- qui constitue le corps dans sa vitalité organique, se croise à
l’image du corps
–
lieu du désir
-.
Le tissu de relation permet à l’enfant de se structurer comme humain. Plus tard, les relations humaines introjectées permettront la relation narcissique à soi-même. L’image du corps se structure donc dans une relation intersubjective.
Toute interruption de cette relation peut avoir des effets dramatiques (l’enfant qui attend sa mère et qui ne retrouve plus la sensation qu’il a de lui-même. L’enfant attend sa mère telle qu’il l’a quittée, quand celle-ci revient, il la voit autre et lui aussi a changé). Il y a alors une discordance entre l’imaginaire et la réalité, discordance qui peut produire des effets pathogènes chez l’enfant. C’est sur cet effet pathogène que vont opérer la psychanalyse et la thérapie.
F. Dolto énonce ici la particularité du besoin et du désir.
Le
besoin
(qui se répète dans ses modalités) doit être assouvi, satisfait dans le corps pour que celui-ci puisse continuer à vivre (assouvissement des besoins fondamentaux) afin d’éliminer les tensions dans le corps). La parole ne peut « satisfaire » qu’un temps le besoin.
Le
désir
trouve à se satisfaire sans jamais s’assouvir dans les expressions permises par la parole, les fantasmes, les images.
Schéma corporel et image du corps sont en relation par ces deux processus.
1.1.4. L’image inconsciente du corps et le langage.
« Édifiée dans le rapport langagier avec autrui, l’image du corps constitue le pont de communication interhumaine » (Dolto F, 1984, p 41) le vivre dans un schéma corporel sans image du corps est un vivre muet, silencieux (ex : l’enfant autiste, psychotique qui semble ignorer ses sensations, ses pensées).
S’il n’y a pas de parole, une image du corps peut exister mais elle est archaïque, sans mot pour la représenter le sujet est en manque de symbolisation… Le
sens
est donné par le
langage
, qui recouvre des émotions entre deux sujets dont l’un au moins parle ses émotions, est une personne.
F. Dolto pose alors la question de l’interruption de la communication. Cette interruption de communication ne serait-elle pas à l’origine de la débilité ? Il existerait une brèche dans la symbolisation, la potentialité de symboliser l’image du corps serait endormie. S’il y a arrêt de la communication avec la
personne structurante
, l’enfant symbolise pour lui-même tout ce qu’il vit, il se crée lui-même un code qui n’est plus communicable, un code délirant pour nous. Toutes les perceptions ne venant pas de l’objet complice attendu (parents, substitut…) sont ressenties comme des bruits de parole, des perceptions sensorielles dépourvues de sens pour l’image du corps. L’enfant est réduit à un schéma corporel. Le monde des choses est en conversation avec l’enfant mais pas celui des humains. Il y a donc un lâcher prise de lui ou de l’autre (parent ou enfant).
La compréhension d’un mot dépend à la fois du schéma corporel de chacun et de la constitution de son image du corps (relié aux échanges qui ont accompagné l’intégration du mot).
« Les mots pour prendre sens, doivent d’abord prendre corps, être du moins métabolisés dans une image du corps relationnelle » (Dolto, p 45). Le premier phonème qui assure la cohésion narcissique du sujet est le prénom. Il accompagne le sensorium de l’enfant dans sa relation avec ses parents puis avec autrui.
« Cette prégnance des phonèmes les plus archaïques -le prénom en est l’exemple type- montre que l’image du corps est la trace structurale de l’histoire émotionnelle d’un être humain. Elle est le lieu inconscient d’où s’élabore toute expression du sujet, le lieu d’émissions et de réceptions des émois interhumains langagiers » (Dolto, p 48). Dolto cite le cas d’un enfant adopté et rebaptisé à onze mois du prénom de Frédéric.(Dolto, 1984)
Suite au développement théorique qui nous permet de comprendre ce concept développé par Dolto, il est nécessaire de comprendre à quoi sert ce concept pour notre recherche.
Rappelons que selon Nasio, « l’image inconsciente du corps est la première ou mieux, les toutes premières représentations psychiques des plus primitives sensations corporelles éprouvées par le bébé au contact de sa mère, au contact charnel, affectif et symbolique de sa mère ». Les sensations vécues dans l’enfance sont imprimées dans l’inconscient. Pour que la
sensation
ait son
image dans
l’inconscient
, il faut que celle-ci, qui émane du
bébé désirant
, rencontre la
présence maternelle désirante
. Cette sensation qui se fixe en une image au travers de l’autre devient alors l’image d’une émotion. « L’émotion est la tension de la rencontre charnelle, désirante et symbolique entre la mère et son enfant » (Nasio, 2000). C’est la résonance de ces deux présences (mère-enfant) qui s’inscrit en image dans l’inconscient. Organisées en un langage archaïque dans un premier temps, ces premières sensations pourront s’exprimer sous différentes formes tout au long de notre vie. « Nous parlons tous le langage des sensations vécues jadis dans notre corps de petit enfant, mais sans jamais en avoir conscience » (Nasio, 2000).
L’image inconsciente du corps est un code propre à chaque humain qu’il est important de déchiffrer pour pouvoir communiquer. Il est primordial de prendre en compte cet « outil théorique » afin de pouvoir
entrer en communication
avec l’enfant en difficulté. Ces images, trace d’une sensation corporelle, bien que refoulées au-delà de trois ans, pourront s’extérioriser dans toutes les
manifestations du corps
. Ces manifestations sont les signes visibles que l’enfant nous donne à voir.
Dans le cadre de l’atelier cheval, nous accueillons des enfants qui expriment leurs difficultés, leur souffrance au travers de divers symptômes. Ce concept d’image inconsciente du corps pourrait alors nous permettre
d’entendre, d’écouter autrement
ce que l’enfant nous livre afin de tenter d’établir avec lui un lien, une communication dans laquelle il pourrait se sentir reconnu « là où il en est », ayant toujours à l’esprit que « l’image inconsciente du corps est la mémoire des plus primitives sensations vécues. » (Nasio,2000).
Les enfants de l’établissement présentent un certain nombre de troubles (cf. annexes) exprimés au travers de nombreux symptômes.
Nous aborderons ici plus particulièrement la théorie psychanalytique des psychoses et des névroses ;
Il me paraît nécessaire pour aborder ce sujet de définir plus précisément le concept de
refoulement
et de
symptôme
expliqué par Freud dans « Cinq leçons sur la psychanalyse » (1910).
Les travaux de Freud sur les mécanismes psychiques des phénomènes hystériques l’ont amené à traiter ses patients par hypnose afin de permettre le souvenir d’évènements pathogènes. Freud abandonne progressivement l’hypnose pour proposer un traitement cathartique. La méthode cathartique est une « méthode de psychothérapie où l’effet thérapeutique cherché est une « purgation » une décharge adéquate des affects pathogènes ». Freud s’interroge sur le lien entre les scènes pathogènes oubliées et les symptômes qui en étaient les résidus.
Les souvenirs oubliés ne sont pas perdus, ils restent en la possession du malade mais une force les empêche de devenir conscients (il y a une résistance).
Au moment du traumatisme, des forces ont provoqué l’oubli et le refoulement des incidents traumatiques dans
l’inconscient
. Freud a appelé ce processus le
refoulement
. Dans ces situations, Freud émet l’hypothèse que le désir ressenti par l’individu, inconciliable avec les aspirations morales de celui-ci, a entraîné un conflit intérieur : le désir inconciliable a été refoulé. Le refoulement épargne un malaise chez l’individu, il est un moyen de protection.
Dans le conflit psychotique, le « moi » cherche à se défendre contre les souvenirs pénibles. Le désir refoulé continue à subsister dans l’inconscient, il réapparaît dans le conscient sous une autre forme, sous forme d’un substitut. « Ce substitut de l’idée refoulée, le
symptôme
, est protégé contre de nouvelles attaques de la part du « moi », et au lieu d’un court conflit, intervient maintenant une souffrance continuelle. Si l’on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour - cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées - alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin une meilleure solution que celle du refoulement » (Freud, 1910, p 29).
Cependant si la résistance est importante, elle s’oppose à l’émergence de souvenirs ce qui émerge garde valeur de symptômes (même s’il y a similitude avec ce qui est recherché). Ces productions diverses (lapsus, mot d’esprit, actes manqués…) sont précieux à analyser et à interpréter.
« Le symptôme serait indice et substitut d’une satisfaction pulsionnelle qui n’a pas eu lieu, un succès du processus du refoulement » (Freud, 1926, p 7).
Selon le vocabulaire de la psychanalyse (Laplanche et Pontalis,1967)
la psychose
est décrite comme « une perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité, la plupart des symptômes étant des tentatives secondaires de restauration du lien objectal » .
Dans ses premiers écrits, Freud cherche à montrer le
conflit défensif
contre la sexualité, conflit à l’œuvre dans certaines psychoses.
Freud y dégage la notion de défense et cherche à repérer ses modalités à l’œuvre (Rejet - Projection…).
Freud a découvert très rapidement l’influence énorme de la sexualité.
Dans « Trois essais sur la théorie de la sexualité, 1905 », il affirme que la libido existe dès la naissance. Celle-ci passe par différents stades successifs dont chacun est caractérisé par une zone érogène privilégiée, par une région du corps dont la stimulation provoque la satisfaction libidinale.
C’est d’abord le stade oral caractérisé par la succion du sein maternel (ou succion du pouce : satisfaction auto-érotique), puis le stade anal (la libido est satisfaite par la défécation et l’excitation de la muqueuse anale) et ensuite le stade phallique (les organes génitaux deviennent la zone érogène prédominante). La libido, d’abord auto-érotique, c’est à dire tournée vers soi, devient allo-érotique, c’est-à-dire tournée vers un objet extérieur.
Ce développement peut être entravé et entraîner certaines pathologies (infantilisme, perversions).
Dans le cadre de sa première théorie de l’appareil psychique et des pulsions, Freud évoque la psychose sous l’angle de la relation entre les investissements libidinaux et les investissements des pulsions du moi.
La première théorie de l’appareil psychique exposé par Freud en 1900 distingue trois systèmes : inconscient, préconscient et conscient.
« Freud conçoit l’activité psychique comme essentiellement inconsciente : les désirs inconscients sont le cœur de notre être. Tout processus mental a son origine dans l’inconscient ; en abordant le préconscient, il peut soit être refoulé, soit se propager sous la forme plus ou moins déguisée d’affects, d’idées, de paroles, d’actions : le passage du préconscient à la conscience est contrôlé également par la censure » (Lagache D., 1955, p 34)
.
Dans sa seconde conception, exposée en 1923, l’appareil psychique est composé de trois instances de la personnalité :
- Le
ça
: il est le siège des pulsions et des désirs refoulés (la pulsion étant la poussée énergétique et motrice qui fait tendre l’organisme vers un but) ;
- Le
moi
: le moi se différencie du ça au contact de la réalité et contrôle l’accès à la perception et à l’action. Le moi, sujet conscient résout comme il peut les conflits entre les pulsions qu’il veut satisfaire (principe du plaisir) et les nécessités auxquelles il faut bien s’adapter (principe de réalité) ;
- Le
surmoi
: différenciation du moi, il se forme par intériorisation des images idéalisées des parents, primitifs objets d’amour.
Selon cette conception, « dans la psychose, il se produit tout d’abord une rupture entre le moi et la réalité qui laisse le moi sous l’emprise du ça et en un second temps, celui du délire, le moi reconstruirait une nouvelle réalité, conforme au désir du ça » (vocabulaire de Psychanalyse,1967, p 358).
Pour
Maud Mannoni
, « La psychose, loin d’être un processus morbide, est d’abord et avant tout une réaction de toute la personnalité à une situation de vie éminemment conflictuelle » (Maud Mannoni, 1976, p 269). Lorsque le nourrisson se sent agressé, il met en œuvre des moyens de défense pour retrouver sa cohérence, sa sécurité.
« L’enfant en insécurité face à un monde extérieur qu’il ressent comme menaçant porte en lui le souvenir perdu d’une angoisse impensable et ses symptômes ne sont rien d’autre qu’une façon désespérée de se défendre contre le retour de cette angoisse là » (Maud Mannoni, 1976, p 274).
L’enfant psychotique exprime en termes de malaise corporel des difficultés qu’il ne peut exprimer en langage verbal. Le
symptôme
apparaît comme
une solution à
l’angoisse, un appel à l’aide
. Le symptôme de l’enfant est un langage qu’il nous appartient de déchiffrer. C’est en déchiffrant le secret inclus dans le symptôme que l’on permet à l’enfant de s’exprimer dans un autre langage.
L’enfant énonce ses difficultés (scolaires, attitudes caractérielles, délinquance, troubles somatiques…) au travers de son symptôme qu’il est important de repérer au niveau symbolique afin d’éviter de fermer toute tentative de dialogue.
Au travers de son symptôme, l’enfant cherche à faire reconnaître son désir.
La
névrose
est « une affection psychogène où les symptômes sont l’expression symbolique d’un
conflit psychique
trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la défense » (Laplanche et Pontalis,1967, p 267).
Les troubles névrotiques prennent leur source dans des émotions appartenant au passé et enfouies dans
l’inconscien
t.
Souvenirs, désirs inconscients jouent un rôle considérable dans la vie mentale.
La névrose peut être caractérisée par :
- « Les symptômes névrotiques qui sont des troubles des conduites, des sentiments ou des idées qui manifestent une défense contre l’angoisse et constituent à l’égard de ce conflit interne un
compromis
dont le sujet tire, dans sa position névrotique, un certain profit (bénéfices secondaires).
- Le caractère névrotique du Moi. Celui-ci ne peut trouver dans l’identification de son propre personnage de bonnes relations avec autrui et un équilibre intérieur satisfaisant » (Laplanche et Pontalis,1967, p 270).
D’après le dictionnaire Hachette, l’inhibition est « la suspension temporaire ou définitive de l’activité d’une fonction, d’un organe ou d’une cellule ».
Dans son sens psychologique, c’est le « blocage des fonctions intellectuelles ou de certains actes ou conduites, le plus souvent dû à un interdit affectif » ;
Ces mots proviennent du latin, précisément d’un verbe :
in-habere
qui signifie
« garder, retenir à l’intérieur ».
Il est intéressant de remarquer que « inhibition » s’utilisait dans la marine romaine lorsqu’il s’agissait de ramer en sens inverse pour arrêter un navire. Il y a donc dans l’origine même du mot une idée de
contre force active
qui est assez éloignée de la façon habituelle de voir l’inhibition comme une réaction passive.
Le terme d’inhibition revêt une double signification :
- L’une dérivée du sens latin : le mot signifiant le fait de freiner ou, en terme maritime, de retenir un bateau en ramant à contre-courant.
- La seconde plus récente (XVIIIe siècle) se retrouve dans le domaine juridique ou ecclésiastique au sens d’interdiction ou de prohibition, désignant l’acte ou la décision par lesquels on suspend le pouvoir d’un individu.
En 1870, les physiologistes utilisent le mot inhibition pour décrire une action nerveuse empêchant ou modérant le fonctionnement d’un organe. Ils insistent d’abord sur le mécanisme physiologique. Parmi les neurones (certaines cellules du système nerveux), certains sont excitateurs, d’autres inhibiteurs. Le neurone inhibiteur, en étant stimulé, freine ou bloque la conduction de l’impulsion électrique qui transmet le message nerveux (il rame à contre-courant). Sans neurone inhibiteur, nos mouvements seraient impossibles à réaliser, car il faut bien par exemple que le biceps se relâche si l’on veut que notre bras s’étende par l’action de son muscle antagoniste, le triceps.
L’inhibition au niveau neuronal est donc un phénomène actif.
Le sens psychologique apparaît ultérieurement comme « action d’un fait mental qui empêche d’autres faits mentaux de se produire ou d’arriver à la conscience ».
En 1926, dans « Inhibition, symptôme et angoisse »,
Freud
montre que l’inhibition est l
’expression d’une restriction fonctionnelle du moi.
L’inhibition a une relation particulière avec la fonction et ne signifie pas forcément quelque chose de pathologique. Le moi renonce aux fonctions qui lui incombent pour ne pas avoir à procéder à un nouveau refoulement pour esquiver un conflit avec le ça. Les inhibitions générales du moi suivent un mécanisme simple : lorsque le moi est impliqué dans une tâche psychique d’une difficulté particulière, il connaît un tel appauvrissement de l’énergie disponible pour lui qu’il est obligé de restreindre sa dépense en beaucoup d’endroits à la fois.
Les inhibitions sont des restrictions des fonctions du moi, soit par précaution, soit à la suite d’un appauvrissement en énergie.
L’inhibition est, selon Freud, la limitation d’une fonction soit dans un fonctionnement
normal
soit dans des situations
pathologiques
(l’inhibition peut alors être un symptôme, indice d’un processus morbide, signe d’une souffrance psychique).
Dans les deux cas, l’inhibition est un processus actif, coûteux en terme d’énergie psychique, et visant au bout du compte
à protéger le Moi
d’un afflux important et déstabilisant de pulsions.
Dans le sens de la normalité, il s’agit de détourner de leur but corporel les pulsions sexuelles et les amener progressivement vers des satisfactions substitutives plus élevées, mieux tolérées sur le plan social (sublimation).
Dans le domaine de la pathologie, il pourra s’agir d’une inhibition globale, un appauvrissement énergétique général de l’appareil psychique.
L’
inhibition
se différencie du
symptôme
, celui-ci ne peut pas être décrit comme un processus dans le moi ou au niveau du moi.
Le symptôme, en revanche, représente un compromis qui permet une satisfaction pulsionnelle au moins partielle.
C’est parfois ce que l’on peut repérer quand l’inhibition s’atténue, elle laisse transparaître d’autres conduites symptomatiques (phobiques, obsessionnelles, agressives…) avec éventuellement des changements de comportement, exemple : l’enfant inhibé qui devient turbulent, agressif.
Plus récemment (1971),
Colette Chiland
dans « L’enfant de 6 ans et son avenir » précise que le terme d’inhibition n’est le plus souvent utilisé que dans un usage descriptif pour indiquer la limitation de l’activité de l’enfant dans tel ou tel secteur. Cependant, l’inhibition peut marquer de façon globale le comportement de l’enfant.
« L
’inhibition
peut alors être nommée
symptôme
, considérée comme équivalente à un symptôme dans la mesure où elle tente, comme le symptôme,
d’éviter la
survenue de l’angoisse
… ».
« Ce qui est connoté sous le terme d’inhibition est la difficulté du contact avec l’enfant, son attitude de retrait, sa non-participation à l’échange verbal alors même qu’il peut y avoir une certaine communication émotionnelle » (Colette Chiland, 1971, p 173).
On peut décrire différentes formes d’inhibitions
-
L’inhibition intellectuelle
apparaît comme un renoncement : le sujet n’utilise pas ses capacités, pourtant bien présentes.
-
L’inhibition scolaire
: les enfants apparaissent gênés dans leur capacité de penser. Toujours en retrait, ils interviennent peu dans les activités scolaires, craignant d’être interrogés, de se tromper. L’inhibition peut se repérer à l’oral comme à l’écrit. Certaines inhibitions peuvent s’accompagner d’une diminution plus ou moins importante d’efficience intellectuelle objectivable aux tests intellectuels...
-
L’inhibition motrice
(différente du ralentissement moteur de l’enfant déprimé). L’inhibition peut toucher le corps qui devient peu mobile, peu actif.
-
L’inhibition affective
avec l’attitude de retrait, la pauvreté des échanges et des contenus fantasmatiques évoqués soit verbalement, soit par les dessins. Il existe une absence de plaisir du fonctionnement du moi. Paradoxalement, cette inhibition à fantasmer peut faciliter l’insertion sociale grâce à une attitude conformiste. Le danger d’appauvrissement des processus internes est d’autant plus grand que le refoulement des fantasmes est important (on repère souvent un enfant sage, docile, passif qui a peur de l’agressivité des autres et de la sienne).
L’inhibition est un concept central dans l’ouvrage
d’Anny Cordié
« Les cancres n’existent pas ». Le fonctionnement intellectuel ne peut être dissocié de l’ensemble des composantes d’un être : « ses affects, sa libido, ses fantasmes, ses pulsions, ses désirs, son mode d’être au monde ».
Anny Cordié pose un regard sur l’inhibition au travers de cet ensemble distinguant trois types d’inhibition :
- L’inhibition intellectuelle comme désordre névrotique provoquée par le conflit inconscient des instances du moi.
- L’inhibition dans les structures psychotiques. L’inhibition n’est pas liée au mécanisme du refoulement mais à la forclusion. « Le sujet ne peut accéder à l’ordre symbolique en raison d’une faille structurale qui trouble profondément son accès au savoir » (Anny Cordié, 1993, p 171).
- L’inhibition liée à la carence d’apport signifiant. Celle-ci peut toucher les enfants élevés en milieu carencé en échanges verbaux, affectifs…
Dès sa naissance, l’enfant part à la conquête du monde (de par les diverses explorations qu’il entreprend : son corps, le monde extérieur). Il est important pour lui de savoir et de comprendre. « La curiosité, le plaisir de la découverte, l’acquisition des connaissances font partie de la dynamique même de la vie » (Anny Cordié, 1993, p 29).
Freud assimile ce désir de savoir à une pulsion : la pulsion épistémophilique.
La
pulsion
est au sens freudien une énergie à la source de tout le fonctionnement humain : charge énergétique, force, poussée, processus dynamique.
Il y a inhibition lorsque le mécanisme dynamique s’arrête : « le désir de savoir est inhibé lorsqu’il y a suspension des investissements cognitifs… » (Anny Cordié, 1993, p 30).
Freud évoque trois principales causes de l’inhibition :
- un conflit avec le ça,
- un conflit des instances du moi (sévérité du surmoi au détriment du moi),
- la pathologie du deuil.
Dans son ouvrage, Anny Cordié étudie principalement l’inhibition intellectuelle dans laquelle sont généralement à l’œuvre les deux premières causes évoquées par Freud. Dans le cas d’un conflit des instances du moi, « l’inhibition n’apparaît pas en première ligne, elle reste noyée dans le développement d’un symptôme particulier ou de la névrose elle-même » (Anny Cordié, 1993, p 210).
L’inhibition est un phénomène d’arrêt porté sur le « penser » et sur le « faire ».
.Anny Cordié distingue le « non » exprimé dans l’inhibition et le « non » exprimé dans la négation. « Dans la négation, le sujet dit quelque chose de son inconscient en le négativant… Dans l’inhibition, le sujet révèle quelque chose de sa vérité par un « non » qui est un « non » de refus, ce n’est plus le « non » pris dans le discours, c’est un acte… La dénégation est une révélation de l’inconscient prise dans la chaîne signifiante…
L’inhibition est un acte qui se situe davantage sur le versant de l’objet » (Anny Cordié, 1993, p 210).
Pour articuler la notion de pulsion et celle d’inhibition, Anny Cordié expose la notion du concept de l’angoisse au travers de la théorie de Freud et de Lacan.
Dans son ouvrage « Inhibition, symptôme et angoisse », Freud a évoqué le lien entre l’inhibition et l’angoisse : «
L’inhibition est une limitation que le moi s’impose pour ne
pas éveiller l’angoisse
… l’angoisse étant un dispositif mis en action par le moi devant une situation de danger » (Freud, chez Anny Cordié, 1993, p 213).
Lacan
exprime le fait que « l’angoisse n’est pas sans objet, l’objet « a » étant toujours là dans le surgissement de l’angoisse, mais un objet qui n’a pu se séparer et entrer dans les circuits symboliques ».«
Quand l’objet « a » gardé sa connotation de
réel, quand il n’a pu être métabolisé dans des structures signifiantes, il éveille
l
’angoisse
.… Objet « a » qui selon Lacan est l’objet définitivement perdu, manquant, éludé, effacé mais éternellement présent dans l’économie libidinale du sujet … L’angoisse apparaît quand cet objet qui devrait être « perdu quant au réel » dit Lacan, ne se détache pas, n’est ni effacé, ni éludé… Or, s’il est une structure où l’objet « a » reste au plus près de cette connotation de réel, au plus près du corps, c’est la pulsion » (Anny Cordié, 1993, p 213-214).
Dans son ouvrage « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse », Lacan a repris le concept de pulsion de Freud en le situant par rapport à l’objet « a ». La pulsion conserve les composantes freudiennes : la source, le but, l’objet.
« Quant à l’objet, Lacan souligne son inconsistance : cet objet que nous confondons trop souvent avec ce sur quoi la pulsion se referme. Cet objet qui n’est en fait que la présence d’un creux, d’un vide, occupable par n’importe quel objet, et dont nous ne connaissons l’instance que sous la forme de l’objet perdu « a »… Le destin pulsionnel de l’objet « a » s’estompe à mesure que le sujet se civilise. Le « a » est d’abord cette « livre de chair », ce morceau de corps qui « anticipe sur le corps lui-même quant à la constitution du sujet…
Notre corps, à travers des objets « a » mis en circulation dans les échanges avec l’autre, perd son poids de réel et acquiert une charge de jouissance dont la plus immédiate est la pulsion. La pulsion peut jouer un rôle pathogène dans la relation
mère-enfant…
l’enfant peut occuper la place de l’objet « a » pour la mère… Si le
nom du Père
n’opère pas, si l’enfant ne peut avoir accès au
symbolique
et s’inscrire dans la lignée, sa dépendance vitale au grand autre maternel induit une satisfaction de corps à corps de nature pulsionnelle proche d’une jouissance perverse… Lorsque l’enfant ne peut s’extraire de cette place d’objet, son évolution est compromise… » (Anny Cordié, 1998, p 384).
Dans les inhibitions d’enfants, Anny Cordié souligne que l’angoisse de l’enfant est d’autant plus grande si celui-ci reste l’objet « a » de la pulsion de l’Autre.
« L’enfant ne peut qu’annuler tout désir propre, il fait le mort pour survivre. L’angoisse a joué son rôle de signal de danger et fait jouer l’inhibition. L’angoisse et l’inhibition sont donc en relation directe avec un objet « a » qui rate son effacement du réel, dont la séparation se fait mal » (Anny Cordié, 1993, p 214-215).
Concernant mon sujet de recherche, il est essentiel de noter l’importance de la relation à l’autre (à la mère, aux substituts parentaux) au travers des échanges et de la parole dans la constitution de
l’image inconsciente du corps
.
Dans la prise en charge en atelier équestre, nous souhaitons donner à l’enfant une « nouvelle », une « autre » possibilité d’échange et de relation. Auprès du cheval et soutenu par l’adulte, on peut supposer que schéma corporel et image inconsciente du corps pourraient être remobilisés dans leur architecture relationnelle.
Concernant l’atelier équestre de l’établissement, créé en 1990, un bref rappel sur l’origine et les bienfaits de cette pratique équestre me paraît judicieuse afin de cerner le cadre de ma pratique professionnelle.
L’intérêt de la pratique équestre pour le corps humain trouve ses origines dans le passé.
Hippocrate célébrait déjà le rythme si bon du cheval pour la santé.
En 1751, Diderot écrit dans son encyclopédie à propos de l’équitation : « À chaque époque on a reconnu que les exercices corporels étaient le moyen le plus sûr et le plus efficace, de maintenir en bon état une santé chancelante… Mais si les exercices présentent en général tous ces avantages, c’est bien l’équitation qui occupe la première place. Par son entremise, non seulement on peut
soigner
un grand nombre de maladies, mais on peut aussi les
prévenir
avant qu’elles ne se déclarent ».
En 1889, le docteur Perron traite des traumatismes et des troubles que peut provoquer la pratique de l’art équestre, mais évoque conjointement les bienfaits de l’équitation sur l’organisme, notamment sur la mise en jeu des fonctions respiratoires, circulatoires et motrices.
En 1943, au Danemark, Madame Bodiker, kinésithérapeute, pose les bases d’une
équitation à intention thérapeutique et rééducative
pour les handicapés moteurs.
En 1970, en France, sous l’impulsion de Monsieur Hubert Lallery (kinésithérapeute) et de Madame Renée de Lubersac (psychomotricienne), l’Association nationale de rééducation par l’équitation (A.N.D.R.E.) voit le jour. Monsieur Lallery et Madame de Lubersac associent leurs connaissances et publient l’ouvrage « La rééducation par l’équitation » (la RPE). Madame de Lubersac enseigne la RPE à la faculté de Paris VII à un public essentiellement constitué de personnel médical et paramédical cavalier. En 1974, Madame de Lubersac affirme sa volonté de former davantage les praticiens de la RPE à la thérapie.
Dans les années 1980, le terme RPE est abandonné et remplacé par celui de TAC (Thérapie Avec le Cheval).
La TAC est une thérapie utilisant un outil qui est la relation avec l’animal-cheval. Cette thérapie permet d’instituer un médiateur entre le patient et le thérapeute dans une perspective curative
. L’équitation à visée thérapeutique est centrée sur la personne dans le cadre d’une relation à l’animal.
« Thérapie » : cette méthode concerne obligatoirement les seuls thérapeutes.
« Avec » : ce mot souligne la relation étroite que le thérapeute s’efforce d’établir entre le patient et le cheval.
« Cheval » : le cheval représente tout ce que nous apporte l’animal en tant qu’être vivant par sa présence, son contact, sa relation singulière.
Parallèlement, l’Association nationale d’équitation thérapeutique et de loisirs pour handicapés (A.N.E.T.E.L.H.) redéfinit ses objectifs et crée une nouvelle association, l’Association nationale handi-cheval (A.N.H.C.) dont le souhait est la généralisation des formations pour les professionnels travaillant avec le cheval. L’engouement pour les activités équestres est tel qu’une départementalisation se crée. L’A.N.H.C. développe sa politique de partage de l’expérience. En 1993, l’organisme de formation de l’A.N.H.C. voit le jour et forme les professionnels qui utilisent l’activité cheval à intention thérapeutique, rééducative, sportive ou de loisirs et de réinsertion.
En ce qui me concerne, j’interviens dans l’atelier équestre en tant qu’éducatrice spécialisée, formée par l’association nationale handi-cheval à la mise à cheval de personnes en difficulté.
À la création de cet atelier, j’ai développé et argumenté l’intérêt d’une prise en charge éducative par le cheval. (texte joint en annexe)
Dans le cadre de l’atelier équestre, les prises en charge des enfants sont diverses :
-Prise en charge à titre de
loisirs
: je peux proposer aux enfants une balade à cheval pour le plaisir, dans le cadre d’une activité de loisirs.
-Prise en charge
sportive
: au même titre que d’autres sports dans l’institution, l’équitation peut être proposée à certains enfants ayant acquis des compétences équestres et susceptibles de pouvoir les expérimenter à l’extérieur (inscription en club extérieur).
Ce travail est le fruit d’une longue prise en charge à l’atelier équestre dont l’aboutissement se concrétise par l’autonomie du jeune dans l’activité et dans sa prise en charge globale (ouverture vers l’extérieur).
- Prise en charge
éducative et pédagogique
: l’atelier équestre, au même titre que d’autres ateliers éducatifs dans l’institution, peut permettre à l’enfant d’aborder certains apprentissages. La présence de l’animal est bien souvent une motivation suffisante et importante pour mobiliser le jeune. Poussé par le désir de monter à cheval, de diriger l’animal, l’enfant accepte les contraintes liées à l’apprentissage nécessaire des notions équestres.
- Prise en charge de l’enfant dans le but
de favoriser le contact enfant-animal
et de permettre un investissement affectif pour l’enfant.
L’animal peut alors être un intermédiaire privilégié dans la relation enfant-adulte.
- Prise en charge dans le cadre d’une préparation de ré-orientation, vers une
insertion professionnelle
. Les notions de travail, de compétence, de rentabilité, d’efficacité, peuvent être exploitées à l’atelier équestre.
Je ne parle pas de prise en charge thérapeutique n’étant moi-même pas thérapeute.
Cependant, dans cette relation créée entre l’enfant-l’animal-l’adulte, on peut parfois repérer des « effets thérapeutiques ».
Un travail d’observation, de prises de notes, d’échanges sur la prise en charge de l’enfant est nécessaire et judicieux. Ainsi, peut se repérer chez l’enfant l’émergence d’une attitude, d’un dire, d’un souhait, d’une peur… de quelque chose de nouveau que permet la présence du cheval. Toujours dans ce cadre de l’atelier équestre, on peut repérer des choses spécifiques.
La plupart du temps, l’enfant demande lui-même à venir, il existe une espèce de fascination, d’engouement où se mêlent curiosité, émotion, admiration, défi…
L’enfant demandeur fait tout seul (avec l’aide d’un cheval et d’un adulte), le chemin difficile qui le mène à vouloir apprendre, comprendre).
C’est un processus dynamique, actif qui peut changer le regard de l’enfant sur lui-même, le réconcilier avec lui-même, l’amener à laisser tomber certaines défenses (passage à l’acte, passivité).
Après de nombreuses années de pratique à l’atelier équestre, il m’est apparu que ce contact animal-enfant était particulièrement profitable aux
enfants inhibés
, enfants en difficulté dans leurs
corps
et dans leur
parole
.
Éducatrice spécialisée, cavalière par intermittence, j’utilise le cheval comme médiateur et support de relation dans ma pratique professionnelle.
C’est parce que j’ai moi-même été touchée par cette relation si particulière et si forte avec cet animal que j’ai choisi à mon tour de travailler avec lui pour favoriser le contact avec des enfants ayant des troubles de relation.
«
Toucher
» est un terme sur lequel j’aimerais m’attarder ici.
Selon le dictionnaire Hachette, toucher signifie :
- mettre la main sur, se mettre en contact avec quelqu’un.
- entrer en contact avec.
- entrer en communication avec quelqu’un.
- atteindre quelqu’un dans sa sensibilité.
Le toucher peut faire ainsi
lien
à l’autre au niveau corporel et au niveau psychique.
Ce toucher réalité de faits auprès du cheval est souvent le premier contact au cheval.
L’utilisation du cheval semble tout à fait pertinente dans une approche corporelle. L’enfant expérimente son corps par l’intermédiaire de celui du cheval.
Le
contact de corps à corps
offre des moments riches et privilégiés, aussi bien près de l’animal (soin, pansage) que sur le dos de celui-ci.
Le cheval sera le support d’un travail corporel avec l’enfant en jouant le rôle d’attracteur de la relation, permettant à l’adulte de garder une certaine distance afin de ne pas être vécu comme intrusif.
Cette relation qui passe d’abord par le toucher est bien évidemment accompagnée de
paroles
; mots posés par l’adulte pour commenter les faits et gestes du jeune, mots pour traduire les sensations et les émotions ressenties ; paroles et questions énoncées par l’enfant. L’adulte suscite un dialogue au cheval dans lequel l’enfant est entendu, reconnu.
Panser vient de « pansare » qui veut dire prendre soin.
Panser le cheval n’est pas seulement un acte hygiénique de massage et de contrôle du bon état du cheval avant la monte, c’est un moment intense où l’on est tout proche du cheval, en
communication
avec lui. Le pansage est un contact peau à peau, le toucher est primordial dans cette situation (même si d’autre sens sont fortement sollicités, notamment l’odorat –odeur du cheval, du crottin, de l’écurie).
Certaines parties du cheval sont plus caressées que d’autres par l’enfant, le pansage est une façon de progresser dans l’exploration du corps de celui-ci.
L’espace est appréhendé dans toutes les directions. L’enfant fait des grands mouvements vers le haut, vers le bas, dans un sens, dans l’autre, en avant, en arrière, au-dessus, au-dessous… des mouvements rotatifs, des mouvements de va et vient… il monte sur la pointe des pieds, descend sur les talons, se penche sur le côté et sous le cheval. Il doit inverser ses gestes lorsqu’il passe de l’autre côté du cheval. Le pansage est parfois un moment difficile pour l’enfant, qui a du mal à s’approcher du cheval, à aborder le corps de celui-ci dans son entier. L’enfant exprime souvent sa crainte, sa peur (crainte d’être agressé par le cheval ou crainte de lui faire mal). Dans la situation du pansage, nous sommes dans un premier temps dans un registre très anal (odeur de crottin, traces de crottin sur le cheval, sabots des chevaux à décrotter…).
Il y a une maîtrise nécessaire des pulsions pour arriver à approcher cet animal si imposant et par là même inquiétant, une maîtrise du corps et du geste pour réaliser ce pansage qui demande tant d’efforts.
Le pansage du cheval se fait dans un geste d’enveloppement du corps, le pansage est aussi un massage pour le cheval, il faut doser l’intention que l’on met dans son geste, la pression de sa main sur le corps du cheval. L’adulte peut faire prendre conscience à l’enfant des diverses sollicitations tactiles envers le cheval.
L’enfant est dans une situation qui engage son corps dans la relation à l’animal. Un
dialogue corporel
(ou dialogue tonique) s’établit entre le jeune et le cheval. Dans le pansage, il est inévitable de toucher et d’engager son corps dans l’action.
Le toucher n’est jamais à sens unique, toucher, c’est aussi être touché.
Au-delà de la figure imposante que représente le cheval, il représente aussi une
figure maternelle
par sa douceur, sa chaleur, sa capacité de portage. Pendant le pansage, l’enfant prend le temps de caresser son cheval, porter son visage contre le corps de celui-ci pour sentir sa chaleur ou son odeur, se faire lécher la main, autant de gestes qui crée une relation intime ou le corps de l’un et celui de l’autre sont étroitement liés dans la dimension du
plaisir
.
À cheval, le corps du cavalier et du cheval se touchent dans un contact permanent.
La selle peut être dans un premier temps une protection entre le corps de l’enfant et celui du cheval (la mise à distance et aide matérielle pour tenir à cheval).
À cru (sans selle), l’enfant perçoit la chaleur de l’animal et ressent davantage ses déplacements.
Le pas du cheval, son portage n’est pas sans rappeler le handling de la mère (Winnicott) –balancement rythmé et cadencé, chaleur – (cf. annexes)
Sa fonction de portage lui confère un statut de libérateur des contraintes (physiques et psychiques) mais aussi de substitut maternant (réactivation des sensations liées à la petite enfance).
L’intimité créée par les mouvements rythmiques et harmonieux, la chaleur ressentie dans le corps favorisent l’expression des émotions.
Sur le cheval, la relation qui s’établit est différente de la relation au sol (relation chevauchant- chevauché).
PROBLEMATIQUE.
En reprenant le concept à Dolto, Nasio (2000) précise que « l’image inconsciente du corps est la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles. Edifiée dans le rapport langagier avec autrui, l’image du corps constitue le pont de communication inter humaine ».
Comme nous l’avons énoncé en théorie, le vivre dans un schéma corporel sans image du corps est un vivre muet, silencieux. Sans mot pour représenter l’image inconsciente du corps, le sujet est en manque de symbolisation. L’image inconsciente du corps est liée au langage, il s’agit du corps symbolisé, pris dans le langage. S’il y a une brèche dans la symbolisation, si la potentialité de symboliser l’image inconsciente du corps est endormie, l’enfant est réduit à un schéma corporel.
Cette défaillance, repérée chez certains enfants, se traduirait alors par une inhibition, une atteinte à l’intégrité physique ou psychique du sujet, une gène à l’exercice normal de sa vie, une atteinte du narcissisme.
Ce concept d’image inconsciente du corps permet donc de préciser la question de départ en se demandant si, d’une part, la relation au cheval permet à l’enfant un réaménagement profond de son image, un travail de restauration de celle-ci et si elle lui permet de renouer avec l’image inconsciente de son corps et de relier image et schéma corporel et d’autre part si ce lien est perçu par les professionnels qui accompagnent les enfants dans de telles pratiques.
CHAPITRE SECOND : LE CADRE METHODOLOGIQUE
Mon questionnement prend son origine dans la prise en charge en atelier équestre d’enfants réputés en inhibition (inhibition considérée comme symptôme majeure, symptômes tels que nous avons pu les exposer dans le cadre théorique).
Mon objectif était donc au point de départ d’étudier comment la pratique équestre pouvait aider l’enfant à renouer avec son corps, plus spécifiquement avec l’image inconsciente de son corps au sens de Dolto (1984), c’est-à-dire à faire le lien entre sa mémoire inconsciente, construite dans la sensation partagée, et son schéma corporel.
Des observations recueillies au cours de séances d’équitation ont donné lieu à des tableaux d’indices concernant l’attitude de l’enfant en général, la communication enfant-cheval et la communication enfant-adulte.
Des entretiens menés avec les professionnels ont donné lieu à une analyse clinique du discours.
« En 1949, D.Lagache, philosophe, psychiatre et psychanalyste, définit la
psychologie clinique
comme une discipline fondée sur l’étude approfondie de cas individuels. Son objet est « l’étude de la conduite humaine individuelle et de ses conditions (hérédité, maturation, conditions physiologiques et pathologiques, histoire de vie, en un mot, l’étude de la personne « totale en situation ’ ’ (Albert Ciccone, 1998, p 10).
Étymologiquement, le terme « clinique » vient de la médecine. Il renvoie au domaine médical, aux soins du médecin « au pied du lit du malade » (Kliné, lit en grec). En médecine, la clinique est ce que l’on fait au lit du malade, « à mains nues, sans instrument » (Colette Chiland, 1983, p 9) le médecin palpe, ausculte, regarde …
La
psychanalyse
est une référence essentielle pour la psychologie clinique qui vise le psychisme humain. Elle propose des modèles d’intelligibilité du fonctionnement psychique.
Freud définit d’ailleurs la psychanalyse comme « un procédé d’investigation des processus psychiques qui autrement sont à peine accessibles » (Ciccone,1998))
« La psychanalyse désigne à la fois une méthode de recherche concernant les processus psychiques, une méthode de traitement basée sur cette recherche, et un corpus conceptuel, un ensemble d’énoncés permettant de modéliser et de rendre intelligible le fonctionnement des processus psychiques ».
La psychologie clinique ne se confond en aucun cas avec la psychanalyse (celle-ci enrichit la psychologie clinique par ses modèles de représentation du fonctionnement des processus psychiques).
Au début du XIXe siècle, le but de
l’entretien clinique
est de poser un
diagnostic
pour différencier les sujets normaux des malades mentaux.
Ce classement des diverses maladies mentales permet alors de s’interroger sur l’étiologie des troubles, et ce, dans un contexte médical dans un premier temps.
Les découvertes psychanalytiques ouvrent de nouveaux horizons et attribuent au fonctionnement psychique un fonctionnement propre (les troubles psychiques ne sont plus uniquement imputés à des lésions organiques). Cette nouvelle compréhension des choses situe l’entretien clinique dans un cadre de références particulier.
L’apport diagnostique de l’entretien clinique s’enrichit d’une possibilité
thérapeutique
. L’apport de Freud a été essentiel dans cette perspective thérapeutique. L’introduction des traitements chimiothérapiques permet à certains malades, grâce à l’atténuation des symptômes, de commencer un traitement psychothérapique. L’entretien clinique peut se situer alors dans le cadre d’une relation de soins.
Dans le cadre de la
thérapie
, grâce aux découvertes de la
psychanalyse
quant au fonctionnement psychique, l’entretien clinique se préoccupe désormais du
contenu latent
du discours (derrière son contenu manifeste).
L’entretien se situe dans « une perspective relationnelle où deux personnes se trouvent engagées avec leur conscient et leur inconscient » (Chiland C,1983).
L’entretien clinique est un entretien verbal. Le clinicien n’y emploie aucun instrument (il est son propre instrument pour comprendre).
Le clinicien est un professionnel ayant acquis un certain savoir (savoir vivant acquis par un travail sur lui-même) qu’il met au service d’autrui.
Le clinicien a une position dont certaines caractéristiques s’originent dans la psychanalyse :
- Il a une attitude de neutralité bienveillante (il doit permettre au patient de libérer sa parole, sans émettre ni jugement ni critique, sans communiquer ce qu’il éprouve).
- Il doit inviter le patient à parler tout en respectant l’aménagement défensif (du terme psychanalytique « défense » introduit par Freud dans les années 1890).
- Il doit être attentif aux deux modes de communication qui s’expriment (verbal et non verbal), qui peuvent s’accorder ou se contredire.
La place du silence (des silences) est importante à repérer.
Dans son attitude bienveillante, le clinicien recueille le contenu manifeste et le contenu latent du discours.
- Il peut intervenir pour relancer la parole mais s’abstient d’interpréter.
Dans l’entretien clinique à visée thérapeutique, c’est généralement le patient qui est à l’origine de la demande (plus ou moins directement). Le patient est censé tirer un bénéfice de cet entretien.
Dans l’entretien clinique à visée thérapeutique (clinicien-patient) il est important de repérer dans la relation duelle les principaux processus psychiques à l’œuvre chez chacun des partenaires.(transfert, contre-transfert, projection…) et de prendre en compte la communication non verbale.
Le
transfert
« désigne en psychanalyse, le processus par lequel les désirs inconscients s’actualisent sur certains objets dans le cadre d’un certain type de relation établi avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique » (Vocabulaire de la psychanalyse, p 492). Il s’agit d’un processus psychique
totalement inconscient
.
Il y a
déplacement de relation
qui peut entraîner des perturbations ultérieures dans la communication. La situation de l’entretien clinique favorise ce processus de transfert dans la mesure où le clinicien est présent pour l’autre, disponible dans une attitude bienveillante.
Le transfert positif est nécessaire dans un entretien clinique afin d’aller le plus loin possible. « Dans le transfert positif la relation aimante pour un parent de l’enfance se répète et prend le clinicien comme substitut » (Colette Chiland, 1983, p 61).
Un excès de transfert peut fixer le patient dans une attitude de dépendance face au clinicien.
Le transfert négatif basé sur toute forme de haine est néfaste dans l’entretien s’il n’est pas exprimé et surmonté (le patient doit savoir que l’expression d’une hostilité n’est pas mortifère.
Si le transfert n’est pas repéré et analysé, l’entretien ne pourra se poursuivre.
Le
contre-transfert
est « l’ensemble des réactions inconscientes de l’analyste à la personne de l’analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci » (Vocabulaire de la psychanalyse, p 103).
Une situation évoquée par le patient peut faire résonance chez le clinicien qui pourrait réagir
inconsciemmen
t selon sa propre subjectivité.
Le contre-transfert est une réponse au transfert du sujet.
Il y a une résonance d’inconscient à inconscient.
La
projection
« est l’opération par laquelle le sujet expulse dans le monde extérieur des pensées, affects, désirs qu’il méconnaît ou refuse en lui et qu’il attribue à d’autres personnes ou choses de son environnement » (Ionescu, p 228).
La projection est un processus
inconscient
, un mécanisme de défense.
Le patient projette des vécus infantiles sur la personne du thérapeute. Cette « situation projective » est à décrypter et à interpréter par l’analyste afin de permettre un réaménagement pour le patient.
La
communication non-verbale
doit être repérée et analysée car la communication verbale ne rend pas compte à elle seule de toutes les informations. Les mimiques, le regard, les postures, le ton de la voix, la communication tactile, l’utilisation signifiante de l’espace, les manifestations neurovégétatives, le silence, précisent, enrichissent et nuancent le discours manifeste.
« Chaque message envoyé ou reçu est nécessairement l’objet d’une interprétation, d’une mise en relation avec nos expériences vécues, emmagasinées au fil des années. C’est cette orchestration associative qui finalement donne sens au message.
Elle s’appuie sur la richesse de nos organisations fantasmatiques où se sont sédimentés les évènements de notre histoire personnelle.
Quelles que soient les références à l’éthologie dans le domaine de la communication non verbale, il est important de souligner la rupture radicale entre l’homme et l’animal, et la place fondamentale de l’imaginaire, du désir et du langage dans la relation que tout être humain établi avec autrui » (Colette Chiland, 1983).
Dans le cadre de la
recherche,
l’entretien clinique n’a pas de visée diagnostique ou thérapeutique. Le chercheur est à l’origine de la demande (l’interviewé n’a pas forcément d’intérêt personnel à la recherche).
Le chercheur suggère le domaine à explorer (contrairement à l’entretien à visée thérapeutique). L’objectif de l’entretien est limité au domaine à explorer (suggéré par la consigne du chercheur).
Cette consigne, qui est la seule structuration formelle induite par l’enquêteur, doit être exprimé avec naturel et spontanéité (mots simples, non équivoques). Elle doit être suffisamment large pour provoquer la
liberté d’expression
du sujet et son
implication
.
.Une fois la consigne donnée, l’interviewer doit s’effacer et ne relancer le discours que si le silence est trop long (relance avec des mots significatifs et employés par l’interviewé). L’interviewer doit avoir une attitude bienveillante en respectant le cadre de référence de l’interviewé.
Le but de l’entretien clinique est de comprendre comment une personne vit une situation (compréhension d’un vécu).
Dans l’entretien clinique à visée de recherche, le chercheur doit rassurer l’interviewé sur l’anonymat de l’entretien. L’entretien clinique à visée de recherche est enregistré
(contrairement aux entretiens clinique à visée thérapeutique), l’enregistrement permet le respect du dire de l’interviewé et permet à l’interviewer d’être plus disponible.
La référence à la
psychanalyse
est indispensable pour analyser le discours. L’analyse de celui-ci permet au chercheur de recueillir des
indicateurs
(les manifestations d’émotion, les silences, les lapsus…). De même que le thérapeute au cours de l’entretien clinique à visée thérapeutique, le chercheur, au cours de l’entretien de recherche, est confronté aux
mécanismes de défense
de l’interviewé. Ceux-ci peuvent apparaître dans le discours sous différentes formes :
- la
rationalisation
(plutôt qu’une implication de la personne)
- la
fuite
-la
projection
(l’attribution aux autres de ses propres sentiments et attitudes)
-l
’identification
(l’interviewé se conforme à l’idée qu’il imagine celle que le chercheur a de lui)
-l’
oubli
-
-le
refoulement
(qui consiste à rejeter hors de la conscience les désirs coupables, les faits pénibles.
Ces attitudes, paroles, comportements sont destinés à protéger la personne lorsqu’elle est en situation difficile.
Le troisième chapitre de ce mémoire présente les observations et les entretiens suivis de leurs analyses.
Voici l’extrait d’un entretien mené avec un professionnel suivi de son analyse et de l’analyse transversale de l’ensemble des entretiens.
LÉGENDE :
… …… silence (plus ou moins long)
en souligné : ton appuyé sur certains mots
I : interviewé
M : moi
M : Est-ce que tu peux me dire ce que tu vois, toi, dans la relation enfant-cheval au cours des séances ?
I : Moi, ce que j’y vois d’abord c’est l’opportunité pour l’enfant et pour
moi
de se rencontrer avec un support original…… Et le support original
pour moi
c’est l’
animal
c’est pas quelque chose d’inanimé mais ce n’est pas une
personne
…… ça veut dire que les enfants que nous on a au CMP qui sont des enfants qui ont des difficultés de relations en général avec tout type de personnes, effectivement là ils sont en présence de quelque chose qui est animé mais qui ne parle pas……
Donc
ils ont pas comme souvent dans le cadre du CMP à s’expliquer, à s’exprimer verbalement ils déjà d’abord à faire connaissance avec l’animal…
et du coup
le fait de faire connaissance avec un animal ça les
oblige
eux…
spontanément
… à réfléchir et puis dans un deuxième temps peut-être à parler finalement c’est à dire que l’
obligation
de parler ne vient pas dès le départ ils y sont
un peu poussés
par cette rencontre avec l’animal qui n’est pas un être parlant mais ils sont peut-être
un peu obligés
du fait parce qu’il y a des problèmes qui se posent à eux ils sont mis en difficulté y a des choses qui leur font plaisir y essaient de comprendre ou y sont interrogés. Bon enfin il y a toute sorte de choses qui se présentent à eux, toute sorte de cas de figures et euh souvent ça leur pose question ça les amène un petit peu à verbaliser à réfléchir, voilà ce que je vois après…… c’est une première chose.
M : Est-ce que tu vois d’autres choses que ce qui peut se passer dans la relation enfant-cheval……
I : (me coupe la parole dans la question)
Ce
qui est intéressant avec le cheval
c’est ça
révèle beaucoup de choses à l’enfant aussi, de
comment
lui y fonctionne
, c’est à dire
c’est un petit peu comme un miroir un cheval
……(
beaucoup d’insistance pour expliquer…)
c’est à dire
euh…
le fait
euh…
d’abord
d’être euh
…… d’être avec un cheval
euh…(
de nombreuses hésitations…haché..)
l’enfant se rend compte qu’effectivement c’est pas magique de faire fonctionner un cheval, y a un certain codage et
qu’euh
s’il veut pouvoir en tirer un certain plaisir même une certaine maîtrise il faut que l’enfant se soumette à un certain type de codage… que connaît le cheval
et que
c’est un passage obligé pour pouvoir se servir du cheval
et que (
très enchaîné…)
si y refuse de faire fonctionner ou de fonctionner lui-même en tant que cavalier de cette façon là il se prive de quelque chose… et ça il se rend bien compte que ça vient pas de
l’adulte
qui est là c’est à dire euh
l’éducateur
, l
’instituteur
, enfin
l’accompagnant,
l
’encadrant
, enfin toutes la,
toutes les personnes
qui
ne
(lapsus ?)
peuvent euh tournicoter
(terme péjoratif..)
enfin tourner auprès des enfants… donc c’est, ça responsabilise l’enfant, ça le responsabilise, ça lui fait faire connaissance plus directement avec ses difficultés donc il a souvent souvent conscience mais une conscience je dirais un peu diffuse et
que du coup
(très enchaîné
)
ça révèle aussi chez lui euh à la fois ses difficultés mais aussi ses potentialités, c’est pas forcément que c’est pas négatif, ça a un côté révélateur qui peut être douloureux mais ça peut être révélateur dans le bon sens du terme c’est à dire
je suis obligé
de passer par là pour m’occuper de mon cheval pour en tirer plaisir, pour pouvoir faire ce que
j’ai envie
de faire avec mais finalement
je me
rends
compte
que je peux
le faire aussi,
je suis
capable
de…
donc pour des
enfants
qui sont en difficultés de tous ordres c’est
quand même
assez positif
…(passe au style direct,parle
pour l’enfant, coupure je/enfant en difficulté)
…… rires……(
atténuation, silence, rire, pause café…existence d’une tension ? pas très à
l’aise, besoin de respirer…)
Demande une pause pour prendre un café.
I : Ce qui fait peut-être justement ou que c’est des enfants un petit peu agités ou un petit peu instables ou des enfants comme ça comme ça qui sont très ……
(modalisation.. devient plus
descritif)
provocants … ou qu’on connaît bien dans la structure parce qu’ils ont un comportement qui n’échappe à personne ce qui fait qu’on les a plus souvent ceux-là que les enfants inhibés justement
je crois
que c’est
…
(
ne dit pas ce qu’elle pense
) parce qu’on est toujours un peu sur cette
vieille idée
que l’équi, l’équi, l’équitation c’est un peu
référé
à l’équitation
classique
, c’est à dire
l’armée
euh… le
règlement
euh… euh… le
contrôle
euh…(
beaucoup d’hésitations…succession de termes inattendus)
apprendre à faire des choses dans un certain ordre et je crois même que si
on essaye
nous euh enfin si
moi j’essaie
de leur montrer que ça peut se faire autrement que dans le contrôle, ce qui passe
quand même à
l’extérieur
c’est cette
vieille idée
que quand on fait quand on monte à cheval il faut avoir un contrôle de soi, il faut contrôler l’animal
et pis
ça peut pas se faire autrement que sur un certain mode…(
discours très lié)
et ça
je pense qu’on a toujours l’idée et je crois même que c’est une illusion que quand on apprend qu’on essaie de faire passer les enfants par quelque chose de très cadré
et ben
finalement
ce serait
comme si euh on leur mettait une belle peinture de cadrage et
que ça
suffisait à faire que euh eux y seraient toute de suite euh tout à fait raisonnables, tout à fait censés, qu’
utiliseraient
une logique intellectuelle, qui
seraient capables
(changement de mode..conditionnel, quelle serait la condition ?..)
de prendre en considération les tenants et les aboutissants de plein de problèmes qui se posent à eux alors qu’en fait ça fonctionne pas du tout comme ça…(
envie de dire ce qu’elle a envie de dire
depuis longtemps..)
c’est plus dans la rencontre et en fait dans les expériences successives qu’ils vont vivre dans le cadre de l’atelier cheval,
alors
le cadre de l’atelier cheval faut peut-être le définir
parce qu’il
y a à la fois l’animal mais
il y a aussi
l’espace, l’environnement qu’il y a autour,
y a aussi
la personne ou les personnes qui peut y avoir autour
alors
ça peut être un autre enfant c’est
l’adulte encadrant
, c’est un
homme
c’est une
femme
, c’est
quelqu’un qui est compétent
ou
qui est pas compétent
dans cette discipline,
c’est quelqu’un
(parle de quelqu’un, de qui ?...)
qui a un vécu ou qui en a pas dans cette discipline, de même… à cheval euh euh
c’est
l’environnement et l’environnement
c’est
spécifique aussi
parce que
l’environnement
c’est
dans le cadre de l’institution ça veut dire qu’euh
on
peut être vu aussi……(
qui désigne le « on » ?..)
c’est à dire que l’enfant qui est dans ce cadre là d’activités y peut être vu par d’autres enfants
parce que
ça jouxte la cour de récréation, il
peut être vu
par d’autres adultes et bien souvent l’enfant aussi interpelle les adultes pour qui euh
ça aurait de l’importance
(
conditionnel
) que ça soit vu pour lui, par exemple il interpelle
son instit
son éducateur référent
,
enfin une personne
(
énumération
de la qualité de l’adulte beaucoup de rôles…énumération pour cacher ?
)à qui il tient d’une certaine manière à qui il voudrait montrer
un petit peu
, comment il sait faire les choses, comme il a du plaisir à faire
ces choses là
(
plaisir..ces choses là..)
avec le cheval par exemple donc c’est c’est quand même spécifique de cette activité là que ça se passe dans l’institution.
Ensuite le fait
qu’il soit euh avec un autre enfant ou avec des autres enfants je crois que c’est aussi euh très important …
parce qu’y
peut se passer… des des choses entre les enfants…
que ça
soit des enfants complètement différents
c’est à dire
un instable et un inhibé
c’est vrai
(
beaucoup d’argumentation…)
que ça peut avoir quelque chose de tout à fait bénéfique
moi je l’ai vécu
avec Mehdi et Nathalie, Nathalie qui était pas du tout dans la provocation, qui était extrêmement réservée, en grande difficulté intellectuelle, en grand manque de confiance avec un gamin comme Mehdi effectivement ça l’a aidé à certains moments à se rassurer à prendre confiance, à vérifier qu’effectivement y avait pas grand chose de dangereux dans ce qui lui était proposé dans cette activité, de même Mehdi qui était plutôt lui l’instable
du du
couple euh ça l’a invité bien souvent à… à faire
un petit beaucoup
moins
de démonstrations (
hésitations « du..du.. »..couple inattendu ..)
de de comportements agressifs ou parasites et à s’apaiser davantage justement au contact de Nathalie qui ne répondait pas à ses provocations donc ça les repositionnait chacun dans une
……un…une espèce de…
(
de
nombreuses hésitations..)
comportement qui était un petit peu différent de ce qu’y avaient l’habitude de proposer ou comme y avaient l’habitude de fonctionner dans d’autres cadres de… d’activités, ça c’est quand même assez intéressant à repérer et à travailler pour l’un et pour l’autre
et puis après
y a la place de l’
encadrant
aussi dans le …… dans cette relation avec l’enfant et le cheval…… euh parce que
soi même
en tant qu’
encadran
t on a une expérience… c’est à dire on a une expérience en tant que…en tant que cavalier…
soi même
et puis l’expérience en tant que cavalier
soi même
elle est pas toujours pavé de roses et de violettes
rires
…(
rires puis silence…)
et donc euh c’est vrai que je crois ce que les enfants vivent dans cet atelier là on l’a toujours
forcément
vécu (
moi vécu..soi vécu..forcémént
vécu..)
à un moment ou un autre, donc ça crée une espèce de… d’empathie…… de …… de pas de compassion parce que le terme est un peu lourd je veux dire mais une espèce d’empathie ce qui fait qu’on est
forcément
peut-être plus patient plus indulgent et qu’on est pas dans euh vouloir absolument faire en sorte que l’enfant réussisse que l’enfant soit compétent mais qu’il puisse quand même lui même se… s’approprier ,
sa, son
propre vécu (
hésitation…),
sa
propre expérience dans ce cette activité là parce
qu’on sait ce que ça coûte
parce qu’on sait à peu près ce qu’on vit comme
émotions
et comme
difficulté
s donc on a une espèce de canevas de repérage d’
émotions
et puis d’
expériences
qui fait qu’on est…… un peu
plus euh……
juste et un peu
……modeste
, un peu plus
humble
par rapport à ça. (
beaucoup de … émotions, difficultés, expériences, juste, modeste, humble)
Moi je crois
(
suppose que d’autre ne le croient pas… )
que c’est une aide
…
d’être cavalier soi même
……
parce que ben être à cheval d’abord parce qu’on
perd
euh à la fois on perd des choses et on
gagne
des choses quand on devient cavalier d’abord on a un statut déjà on s’appelle plus piétons on s’appelle cavalier… euh y a toute une notion de
prestige
de
prestance
qu’on
gagne
aussi avec tout ça pour l’enfant ou même pour les adultes qui ont un petit déficit de euh de l’image de soi enfin ben de … qui ont du mal à être à se sentir valorisé dans leur vie…… effectivement là on récupère des petites bribes des petites miettes de bonnes choses comme ça à, à prendre et qui font, qui font du bien et qui aident à vivre un petit plus sereinement…… et puis euh…… quand est cavalier et ben
on est obligé(
« on est obligé » revient….)
de d’aménager complètement sa façon de faire les choses, sa façon de voire les choses c’est à dire qu’on est plus haut mais aussi on perd, on n’a plus les pieds sur le sol
donc on est obligé euh
… de se déplacer dans un espace euh… euh… de et là on se déplace plus à deux (à dos ?)… on se déplace… on se déplace plus seul, on se déplace à deux…
c’est à dire on est obligé
de s’occuper d’une
autre personne
aussi, on est sur le dos d
e quelqu’un
qui est
pas une personne
mais qui est euh
quand même
quelque chose d’animé mais qui n’a pas de pensée et qui n’a pas de parole mais qui vit
quand même
et sur lequel euh…… on … avec lequel
on doit composer
pour pouvoir faire ce
qu’on a envie
de faire quand on est un cavalier.
Donc
on a deux choses à voir, on a à voir avec soi ce
qu’on a envie
de faire et pis
composer avec une autre, un autre un animal
qui lui aussi a une façon de faire parce qu’il a appris un certain nombre de choses à faire c’est son dressage
et puis
il y a aussi son caractère… parce que les
chevaux
ont aussi leur caractère… leur… y sont
plus
ou
moins (
opposition)
dynamiques, y sont plus ou moins toniques, y sont plus ou moins obéissants… le dressage est pas forcément toujours parfait on a un cheval
vieux
, un cheval plus
jeune
(
opposition..)
donc ça veut dire ça met
ça oblige
aussi les enfants à s’adapter… à un cheval ça veut dire que pour lui le cheval c’est pas quelque chose qui est
figé
… c’est euh c’est un peu
comme une personne finalement
(
le cheval comme une personne, permet de parler des
personnes..)
c’est à dire qu’il a des « je » j’ai envie de travailler d’autres fois pas des fois il comprend pas ce qu’on lui demande donc ça fonctionne pas ce qui fait que l’enfant ou l’adolescent est
obligé
un peu de faire l’effort de comprendre pourquoi ça marche pas… et
bien souvent les enfants que moi j’ai en atelier en fait
c’est souvent ça
euh l’écueil
c’est à
dire (
s’y reprend à plusieurs fois..)
qu’il y a toute une période quand il arrive à l’atelier où c’est ce que moi j’appelle
la lune
de miel
c’est à dire c’est beau, c’est magnifique ça y est
on
est
amoureux
le
cheval et moi
et puis à la première difficulté ça s’effondre comme
un…
château de sable
parce qu’effectivement
ben là l’enfant prend conscience que c’est extrêmement difficile finalement et
que pour arriver là
(
saut dans le temps..)
où il en est arrivé il
est obligé
de faire un certain nombre d’efforts
d’abord
de comprendre… euh ce qui se passe
donc
il doit écouter
un petit peu (
de nombreuses modalisations « un petit peu »..)
les explications qui peuvent lui être donnés par l’encadrant
ou bien même
de faire lui-même l’effort réflexif de se poser la question de pourquoi ça fonctionne pas comme y voudrait
et après
le deuxième temps qui est vraiment plus difficile c’est essayer de remédier
c’est à dire
qu’il doit imaginer
soit en prenant
des conseils qui lui sont donnés en compte soit lui-même en essayant de faire lui-même (
pas très clair..)
un petit
peu
le chemin de sa réflexion et de son expérimentation pour voir
un petit peu
ce que, comment
lui peut faire pour arriver là où il voudrait en arriver (
les efforts de l’enfant à faire..)
et détourner un peu les
difficultés
en tout cas ne plus être
coincé
par les
difficultés
qui fait que l’activité ça
s’arrêterait
et que ça se terminerait
par un échec……
bon
……
(échec…)……
…………….
Dans cet entretien A, on peut noter un discours très argumenté en général et très lié (donc, et pis, parce que, alors…). On peut relever de nombreux mots de liaison. On peut noter d’autres indicateurs au niveau du discours :
- de nombreuses hésitations (euh)
- de nombreux silences (….). Certains pourraient faire place à un discours plus personnel.
- des manifestations d’émotion (rires)
Dans le vocabulaire employé, on peut repérer de nombreux mots fortement connotés émotionnellement, des changements dans le positionnement de la personne dans son discours (je, on, nous..) et de nombreuses modalisations qui personnalisent, donnent du relief ou atténuent le discours.
Tout au long du discours, on relève de nombreuses oppositions pouvant être interpréter comme des ambivalences (gagner/ perdre – humble, modeste / prestige, prestance – obliger / spontanément)
Au niveau oral, le débit est rapide et continu, l’interviewé me coupe d’ailleurs la parole au début de l’entretien . C’est un discours fleuve, pleins de modalisations, d’enchaînements, d’oppositions et paradoxes. Le renforcement des enchaînements, le discours compact et lié peuvent laisser supposer chez l’interviewé un désir de combler, un besoin de parler, la peur d’être interrompue.
A plusieurs reprises, mes interventions sont maladroites et ne font que renforcer les mécanismes de défense, j’obtiens alors un discours impersonnel, rationnel et fortement argumenté.
Plusieurs thèmes émergent de ce discours : l’obligation, l’échec, la réparation, l’identification.
1- Les termes d’
obligation
, de
plaisir
et d’
échec
sont extrêmement liés.
Le discours est marqué par des termes comme « il faut, on doit, on est obligé, je dois, ça oblige… » et fait apparaître des oppositions fortes, des paradoxes que l’on peut analyser comme des ambivalences.
« ça les oblige/ spontanément à réfléchir, à parler » même si l’obligation est quelque peu atténuée « ça les oblige peut-être, ils sont un peu obligés ».
« on est obligé d’aménager… on est obligé de s’occuper d’une autre personne…ça oblige les enfants à s’adapter…
« il est obligé de faire un certain nombre d’efforts pour comprendre... il doit écouter... il doit imaginer… »
Cette obligation concerne souvent l’enfant mais elle s’applique aussi à l’interviewé qui est défini comme encadrant je dois être tout prêt… je ne peux pas… » et au cavalier en général « ça oblige le cavalier à réfléchir » .
On peut relever l’ambivalence vouloir / pouvoir « si l’enfant veut pouvoir… »
On note aussi les nombreux efforts à apporter, à fournir (4 termes efforts) ;
Le discours s’achève sur « il faut savoir, il faut que j’apprenne, c’est un passage obligé ».
Le plaisir apparaît bien souvent lié à cette obligation et on peut noter à nouveau des ambivalences : plaisir / soumettre. « s’il veut pouvoir en tirer un certain plaisir… c’est un passage obligé…-répété deux fois dans le paragraphe- ils veulent avoir du plaisir ».
Le plaisir est relié également à la peur « du plaisir dans le presque le vais tomber je vais me faire mal… le plaisir à se faire peur ».
En fin d’entretien, le plaisir apparaît pour la première fois relié à quelque chose d’agréable. L’interviewé se laisse aller à parler « j’aime bien…je suis bien…qui me fait plaisir…extrêmement précieux, extrêmement chaleureuse.. .extrêmement plaisant… ».
Très rapidement, à la fin du paragraphe, ce plaisir énoncé se doit d’être questionné et argumenté « peut-être qu’il faudrait s’interroger sur le côté plaisant.. ». L’argumentation reprend sur les enfants « ça, ça,… et pis les enfants… ».
Dans le discours, on note que ce plaisir, qui passe par l’obligation, débouche à plusieurs reprises sur la notion d’échec. Malgré l’obligation faite à l’enfant de réfléchir et malgré les conseils qui lui sont donnés « ça terminerait par un échec…ça rebondit encore une fois sur son... son échec, son vécu d’échec ».
Malgré tous les efforts et les obligations « il faut repartir, y faut recommencer, y faut reprendre confiance… ». « on est jamais confirmé dans rien » est peut-être relier à l’échec.
L’échec est évoqué pour les enfants « un vécu d’échec terrible » à relier peut-être à leurs difficultés existentielles évoquées mais il est aussi évoqué pour « la grande cavalière » -identification de l’interviewé ?- qui à nouveau est en obligation d’apprendre et d’admettre l’échec. Ce discours se généralise pour le cavalier « c’est battu en brèche, c’est mis en échec ».
2- La
particularité à nommer l’adulte par différents noms
se repère tout au long de l’entretien.
On note une longue énumération : l’éducateur, l’instituteur, l’accompagnant, l’encadrant, la personne, l’adulte, un homme, une femme…Cette énumération répond-t-elle à un besoin de classification, de justification ? celle-ci peut-elle cacher quelqu’un ?
Dans cette énumération, l’interviewé se repère lorsque l’adulte est défini « l’encadrant…c’est moi… ».
On peut noter l’apparition de « la grande cavalière » dans un discours progressivement personnalisé qui s’évoque au style direct (passage du « on » au « je ») mais avec un retour rapide aux cavaliers en général « tout type de cavaliers ».
3- Le thème de l’
identification
du cheval apparaît avec insistance.
Dès la première page, on note « …l’animal ce n’est pas une personne… » puis on lit « on est obligé de s’occuper d’une autre personne, on est sur le dos de quelqu’un – expression à double sens d’ailleurs – c’est un peu comme une personne »
Le cheval est identifié comme une personne à qui l’on peut prêter des sentiments amoureux « c’est ce que moi j’appelle la lune de miel… on est amoureux le cheval et moi… »
Le cheval est évoqué régulièrement comme « quelqu’un d’autre » « je découvre le corps de quelqu’un d’autre », voir comme une personne qui peut s’exprimer « c’est un peu comme une personne finalement c’est-à-dire il a des je, j’ai pas envie de travailler »
4-
L’évocation des enfants
.
Nathalie et Mehdi sont présentés ensemble, on note d’ailleurs le terme de « couple » qui les désigne « du du couple ». L’interviewé se situe face à ces enfants en montrant la cohérence d’une telle prise en charge, à savoir l’équilibre trouvé entre les deux comportements et en mettant en apparence la particularité pour chacun des enfants (apaiser Mehdi, rassurer Nathalie).
Concernant Dylan, on note un discours très maternel répondant aux besoins de l’enfant « comme un tout petit…tenir…être tout près…poser ma main…regarder…rassurer… ». On peut imaginer que l’interviewé se voit à la place de la mère, elle pense que l’enfant la voit comme une mère à qui il demanderait soins et exclusivité « qu’y ait pas d’autre cheval dans le manège » sous-entendu « qu’y ait pas d’autre enfant avec moi » ?
On note l’ambivalence entre la bonne mère qui a pour obligation de prodiguer les bons soins « je dois être tout près…je dois poser ma main…je dois le regarder…je ne peux pas le laisser… » et la mauvaise mère à qui revient la culpabilité « c’est moi qui a pas été à même d’assurer sa sécurité, effectivement dans les faits c’est vrai… ».
.
Concernant Kévin, cet enfant est différencié des autres avec insistance « lui » (5 fois). On repère la préoccupation de l’adulte face au plaisir de la peur – se faire peur, lui faire peur – « moi j’arrête tout de suite ». L’interviewé se lâche alors dans ses propos « alors peut-être qu’il devrait tomber de cheval une fois pour toute » repris aussitôt « sauf que moi je veux pas… je veux pas… ». On relève ici une contradiction. Cette évocation se termine par des rires et un silence, évocation d’une tension émotionnelle ?
Dylan et Kévin provoquent des réactions différentes chez l’adulte, éveillant des sentiments différents.
5-- La
réparation.
Ce terme émerge des propos de l’interviewé qui se distingue des autres en général « si on essaie nous euh enfin si moi j’essaie… » et argumente « alors voilà…ouvrir un monde nouveau », il s’agit de recommencer quelque chose, de refaire à neuf..
Ce discours
compact
et particulièrement
argumenté,
ponctué de nombreux paradoxes, mettant en évidence de nombreux
mécanismes de défenses
(notamment dans la généralisation et l’argumentation des propos) peut laisser supposer que l’interviewé reste sur la défense, dans le contrôle de soi-même afin d’éviter de révéler quelque chose malgré elle. Les défenses s’élaborent autour d’un élément douloureux (on note beaucoup de souffrance, d’échec), laissant supposer l’existence d’un événement douloureux, peut-être en tant que cavalier ?
Suite aux trois entretiens, j’ai obtenu des discours dans lesquels on peut noter certaines similitudes dans les thèmes repérés.
Le
besoin de reconnaissance et de valorisation
émerge des entretiens A et B reconnaissance en tant que professionnel ? en tant que cavalière ?
Le
sentiment de culpabilité
est commun aux entretiens A et C. La prise en charge d’enfants en atelier équestre déclencheraient des sentiments de culpabilité chez l’adulte, ce qui nous amènent à nous poser certaines questions : de quoi s’agit-il ? de quoi l’adulte se sent-il coupable ? qu’est-ce qui déclenche ce sentiment chez l’adulte ?
On note au cours de ces trois entretiens, malgré leur différence dans le ton et le débit (long discours très argumenté chez A et C, nécessité de relances plus nombreuses chez B), une
difficulté à déployer un discours plus personnel
. Celui-ci est souvent très argumenté, très rationnel et se « tarit » après de nombreuses hésitations et silences.
Les
nombreuses défenses repérées
sont-elles une réserve, une difficulté qui révèleraient une certaine peur, un certain malaise, une certaine interrogation quant à la pratique de la rééducation par l’équitation, notamment par rapport à l’efficacité attendue ?
L’entretien A fait ressortir de
nombreux efforts et de nombreux échecs
et conclut sur « ce que j’aurais envie de faire, ce que je sais faire, ce qu’il faudrait faire… »à prendre directement pour la pratique évoquée ici, c’est-à-dire la rééducation par l’équitation ou peut-être à élargir à d’autres domaines…
L’entretien B marque à plusieurs reprises
le besoin d’être reconnu, valorisé
.
L’entretien C nous révèle de
nombreuses interpellations interviewé-interviewer
dans le discours développé. On peut supposer que ces interpellations sont une recherche de réassurance, une demande d’adhésion de l’interviewer.
L’analyse de ces trois entretiens nous fait apparaître des discours de l’adulte sur l’enfant dans lesquels on repère de
nombreuses interactions entre l’enfant et
l’adulte par l’intermédiaire du cheval
.
Plus qu’un discours sur la relation enfant-cheval, c’est un
discours sur la
relation adulte-enfant qui émerge de ces entretiens
.
Le cheval serait-il alors pour l’adulte un
moyen privilégié de dire son rapport à
l’enfan
t ?
On note l’existence de nombreux sentiments plus ou moins conscients chez l’adulte dans les propos qu’il tient concernant la prise en charge de l’enfant à l’atelier équestre.
Est-ce que cela pourrait être vu alors comme une difficulté à voir le rapport cheval-enfant pour lui-même ? Auquel cas, on pourrait se questionner sur les
mécanismes
repérés chez l’adulte
(projection, identification, transfert..) qu’il est alors important de prendre en compte dans la rééducation par l’équitation.
Ceci nous amène donc à considérer la
subjectivité
comme
un fait majeur
dans la prise en charge de l’enfant
et repose la question de l’image inconsciente du corps en relation à l’autre et de la
nécessité d’analyser
les mécanismes de
projection et de transfert
pour un travail centré sur l’enfant sinon
l’inconscient de
l’adulte joue à son insu
.
L’objet de mon étude était de repérer les changements chez l’enfant au cours de sa prise en charge en atelier équestre.
La consigne pour l’entretien était de chercher à voir ce qui se passait dans la relation enfant-cheval.
Suite à l’analyse des entretiens et à l’étude des
observations, il s’avère que, plus que des changements évoqués et des indices relevés pour les enfants, c’est un discours sur la relation de l’adulte à l ‘enfant que nous avons recueilli. Il s‘agit du discours manifeste énoncé par l’adulte.
L’analyse clinique nous a permis de repérer dans celui-ci les manifestations de l’inconscient. Nous avons pu noter que celles-ci étaient particulièrement présentes dans les propos tenus par les interviewés. L’analyse clinique nous révèle alors l’existence d’un discours autre, un discours latent, chargé des
manifestations de l’inconscient et caché derrière le discours manifeste
Il semblerait que l’objet de mon étude
« la relation enfant-cheval » fasse
résonance chez l’adulte
qui développe un discours que l’analyse clinique nous a permis de lire autrement. On peut alors se poser certaines questions :
Dans la pratique de la rééducation par l’équitation,
n’y aurait-il que l’image
inconsciente du corps de l’enfant qui soit « sollicité
» ?
Le cheval, que l’on souhaitait
mobilisateur pour l’enfant
,
ne l’est-il pas tout
autant pour l’adulte
?
Ce cheval, que l’on nomme souvent « médiateur
» entre l’enfant et l’adulte et surtout « révélateur » des émotions de l’enfant
ne s’avérerait-il pas révélateur des
émotions de l’adulte
, en référence
à sa propre image inconsciente du corps
?( image d’une émotion selon Nasio).
Cette recherche nous permet donc de conclure que plus encore que les indices relevés pour les enfants au cours de ce travail, de cette rencontre avec le cheval, c’est
la triade enfant-cheval- adulte
qu’il est intéressant à’étudier.
Le discours inconscient qui se déploie au sein et autour de ce trio semble particulièrement révélateur de
ce qui se vit
,
de ce qui se revit à l’insu de chacun des partenaires
.