D’un couloir à l’autre…
Marshall ne sait pas qui il est. Marshall est parfois lui-même, parfois un peu des autres. Marshall dans sa chambre c’est une pièce. Marshall dans le couloir c’est une longue plainte qui se déroule à l’infini. Marshall dans une pièce remplie de personnes c’est une cellule parmi d’autres qui a du mal à trouver sa place, personne ne l’aide à la trouver, il préfère souvent passer par une longue plainte et redevenir une pièce.
Marshall s’est aussi un homme. Il a une quarantaine d’année, il a des troubles psychotiques, des trouble du comportement. Il a des problèmes relationnels avec sa famille. Il en a aussi avec les autres usagers de l’unité de vie du foyer où il habite. Parce que Marshall est en foyer, il ne peut pas vivre tout seul.
Mais ça nous le savons, lui, il ne le sait pas.
Marshall parfois a envie de dire, d’exprimer, mais il n’arrive pas, il entend les autres parler mais ils vont trop vite et le langage qu’il entend ce n’est pas le sien.
Pourquoi les autres ne peuvent pas lui transmettre des émotions simplement comme il essaye de le faire.
Ce matin Marshall va bien. Il se sent moins pièce dans sa chambre, la plainte qui devient en traversant le couloir est moins violente. Lorsqu’il prend son petit-déjeuner, il y a beaucoup de personnes, mais la cellule qu’il est alors, trouve une place dans cet organisme collectif aujourd’hui.
Il se dirige vers les ateliers, un des éducateurs lui parle :
« - Marshall dépêche-toi tu vas être en retard en atelier. »
Puis à un autre éducateur,
« - Je ne sais pas ce qu’il a en ce moment je trouve qu’il a de plus en plus mal à partir en activité.
- Ça dépend, j’avais l’impression qu’il était plus serein quand il est passé. Enfin de toute façon, on ne saura jamais, moi en tout cas il fait partie de ceux que je n’arriverais jamais à cerner. »
Marshall ne se soucie pas de la conversation qui a lieu à côté de lui, ça parle de lui, mais là il est dehors et dehors Marshall se sent à la fois le sol, à la fois le vent, mais aussi l’autre qui le bouscule en passant trop rapidement. Cette bousculade est compliquée à ressentir pour lui, l’espace d’un instant il devient cette bousculade et cette bousculade l’a dérangé, à qui doit-il en vouloir du coup, à l’autre ? Mais l’autre c’était lui, ça le redeviendra dans l’atelier.
Heureusement Marshall dehors s’est aussi le bruit qui retentit du chantier. Et oui car en ce moment il y a un nouveau bâtiment qui se construit, Marshall ne comprend pas vraiment mais bientôt il sera un nouveau bâtiment, une nouvelle pièce, il va devenir une plainte différente dans des couloirs plus longs, et plus clairs. Bientôt Marshall qui ne sait pas qui il est sera quelqu'un d’autre, et à nos yeux pourtant, toujours le même.
En ce moment au foyer, un nouveau bâtiment se construit. Bientôt ce sont plusieurs groupes de vie qui vont passer d’un lieu à l’autre. Ils vont devoir retrouver leur repère, vivre dans un espace différent.
Je ne m’attends pas à ce qu’ils aient beaucoup de difficultés, à mon sens, on a souvent tendance à les sous-estimer, ils sont une capacité à supporter certains changements peut-être supérieurs à la notre bien souvent. Cela est notamment dû à leur vie en institution et à tous les changements qu’ils subissent, notamment à travers les changements de personnels, stagiaires titulaires.
Cela étant dit, il ne faut pas pour autant négliger ce qu’un tel changement peut apporter, enlever, modifier dans leur vie. Lorsque je décris Marshall un peu plus haut, je suis dans une interprétation d’un personnage et de ce qu’il pourrait éventuellement ressentir. Je ne me réfère pas à une personne a laquelle j’aurais changé le prénom mais plutôt à ce que je pourrais parfois imaginer de la vie des personnes que j’accompagne en fonction de ce que j’en ressens, de ce que j’en ai appris de manière théorique et également en me référant aux expériences que des formateurs, intervenants, professionnels ont pu partagé avec moi.
Donc lorsque je parle de Marshall, j’essaye d’imaginer la complexité de choses qu’il peut vivre au quotidien. Je pense que parfois nous n’imaginons pas l’impact que peuvent avoir certaines choses sur eux.
Prenons l’exemple du couloir, je pars sur l’hypothèse qu’un couloir peut signifier beaucoup de choses pour une personne ayant des troubles psychiques important. Je parle dans l’exemple de Marshall de l’hypothèse qui, dans un couloir, devient une plainte. Quand je parle de plainte, je fais bien sur référence au cri et non à la plinthe qui court le long des murs pour cacher la mauvaise finition entre deux supports différents, encore que…
Donc dans un couloir, les choses peuvent être vécues différemment. Un couloir finalement c’est un passage, en endroit qui mène d’un salon, lieu de vie de groupe, à sa chambre, lieu de vie individuel, par exemple. Il s’agit alors d’une transition. La transition est bien souvent une phase compliquée. Dans le foyer où j’interviens, la journée est ponctuée par les changements de lieu, de l’internat aux activités de journée, et inversement et cela plusieurs fois par jour. On peut alors observer chez certains résidants les difficultés que cela engendre ce moment de transition.
Donc en essayant de garder une ligne directrice dans ma réflexion, je me représente les couloirs du bâtiment actuel et ceux du nouveau bâtiment que l’on peut commencer à imaginer, la maçonnerie étant déjà finie.
Donc d’un côté nous avons des couloirs qui ne sont pas droits, qui ne sont pas réguliers, éclairés seulement par la lumière artificielle des ampoules. Des couloirs souvent repeins avec des couleurs parfois douces, parfois criardes. Un couloir où lorsqu’on a vécu ou travaillé dans le foyer depuis un moment déjà, ont une histoire.
De l’autre côté se dessinent des couloirs lumineux, quasiment entièrement vitrés, neutres, avec encore une histoire à créer. Mais ces couloirs sont aussi longs, sans défauts. Certains d’entre nous, professionnels, les redoutons un peu, ils font « couloirs d’hôpital ».
Alors voilà, face à face, le passé, le présent, tout ça seulement en parlant de couloir. Un endroit plus adapté, mais moins chaleureux est opposé à l’endroit où l’on se sent encore bien même si on s’en plaint depuis longtemps, ce n’est pas assez fonctionnel. D’ailleurs on s’en plaint comme Marshall qui dans le couloir se sent plainte.
La question que je me pose finalement c’est dans ce nouveau bâtiment, il va se sentir quoi, qui lorsqu’il traversera ces couloirs ?…
Moi aussi ces changements vont sûrement me changer. Une réflexion, une pensée c’est comme un long couloir que l’on emprunte avec des pièces différentes, parfois des escaliers, des pièces communes ou individuelles voir très intimes. Finalement moi aussi je me pose la question de comment ma pensée va évoluer, dans un nouveau bâtiment mais avec chaque changement que la vie m’apporte. Est-ce que mon couloir, va coller au passé, ou se tourner vers l’avenir, froid, ou plutôt chaleureux, droit ou tortueux ?....
Rédigé le 29 janvier 2011 sans objectifs autres que d’écrire ma pratique et ma pensée.
Antoine PASSERAT.