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Florent Martel

mardi 22 janvier 2008

Parfois une porte s'ouvre. Devant un hall, comme ça. En passant. Ça s'ouvre et on te cause. Tu tombes bien. On veut te voir. On a besoin d'une info, d'un conseil. D'une écoute, c'est déjà trop. Tu auras du mal à y croire, peut-être, mais ça te change ta journée. Tu travailles tellement sur du rien. C'est pas péjoratif, c'est juste comme ça. Il faut pouvoir soutenir cette position, "en rue", de n'être là pour rien. Ou presque.

Etre là. Là où il est tellement improbable qu'il y ait quelqu'un. Quand on ne te connais pas, on te suppose forcément flic. Ou indic. Ou camé. Etre là pour entendre, ça n'existe pas. A la rigueur certains sont là pour voir. Pour repérer. Les flics ou les sociologues. Les urbanistes. Ils ont un but à eux dans leur présence. Toi, c'est différent, ton but, tu n'en es pas précisément dépositaire. Le jeu dans la présence et l'absence de tes interlocuteurs, tu n'en es pas maître. Ils sont là, ou pas. Le jeu, c'est eux qui le mènent...

Ton but ne peut être qu'un pari. Un pari sur le temps. Une idée. Tu mises aujourd'hui, avec ceux que tu croises, sur après-demain, et peut-être avec d'autres. T'as vu la gueule de la roulette? Qu'est-ce que tu tiens dans les mains? Un peu de temps. Un chemin et du temps.

Le travail social te refile du dispositif à tout-va, et c'est utile, mais... tu sais bien. Tes outils sont là: rien de plus qu'un peu de temps et un chemin à arpenter.

Et dans ce temps, et sur ce chemin, des mots. Des mots à entendre, à écouter, des mots à dire, à donner. Des mots qui signent une appartenance commune. Ils en doutent tellement. Sont-ils du même monde? Ont-ils une place, là, dans ce monde, de l'autre côté de leur porte? Il n'y a que tes mots pour le leur assurer. Parce que tes mots ont froid comme eux. Tes mots arpentent ce chemin qu'ils connaissent bien mieux que toi. Ta présence, tes heures parfois solitaires entre les tours vides et les lampadaires en panne n'ont pas d'autre but. Permettre à tes mots de leur arriver. Tu n'es pas légitime. Pas en amont. Pas avant d'avoir traîné. D'avoir fait sortir tes mots de l'écrin institutionnel dans lequel tu les ranges habituellement. C'est tout nus qu'ils doivent se présenter. Leurs beaux habits feraient peur. Un petit côté uniforme, en plus. On n'aime pas les uniformes, ici. Ta formation, ton expérience en institution, remise-les au fond de ta besace! Il sera temps de t'en souvenir, quand au milieu du gué, il te faudra éclairer la rive inconnue. Les dispositifs. Les institutions. Le social. Tout le reste. Tous les autres. Bien organisés. Entre eux. Une petite place entre eux, entre deux? Entre. Insère-toi. Mais respecte la case prévue à cet effet. Attention, "ça dépend, ça dépasse"! Ta formation, ta connaissance des institutions, c'est là. C'est pour assouplir les contours de la case. Faire en sorte que "ça dépend", dépasse, et alors? Ça dépassera. Ils peuvent compter sur tes mots pour faire l'interface. Le temps qu'il faudra.

Parfois une porte s'ouvre, et c'est sur des mots. Et sur le pari que tu fais, que ce geste ouvre une autre porte, symbolique celle-là. Une entrée dans la communauté. Dans la Cité. Sortir de la cité pour entrer dans la Cité, voilà le programme. S'arracher à la "Téci" pour entrer dans la "πολις" (Polis : La Cité grecque). T'es de la polis? Assurément!

Ça ne se fait pas du jour au lendemain. Ça s'approche. Ça se traque. Ça s'apprivoise. Doucement. Petit à petit. Allers-retours. Hésitations. Reculs. Abandons. Découragements. Espoirs. Essais.

Du temps.

Du temps et un chemin de mots, c'est tout ce que tu as.

Janvier 2008.

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