« Rendre l’autre fou est dans le pouvoir
de chacun : qu’il ne puisse exister pour
son compte, penser, sentir, désirer en
se souvenant de lui-même et de ce qui
lui revient en propre »
Harold Searles, psychanalyste américain
L’effort pour rendre l’autre fou
Quels que soient les espaces où se tourne le regard, le recours à la norme enferme de plus en plus fréquemment le sujet dans une bulle où l’oxygène se raréfie. Il disparaît derrière ce diktat de la norme à tout prix.
Eclairons les termes norme, hors norme et sujet afin de mieux en comprendre le sens :
La
norme
: « état régulier, le plus conforme à l'étalon posé comme naturel, et par rapport auquel tout ce qui dévie est considéré comme anormal. Antonymes : anomalie, anormalité. Un modèle de «type idéal» : la norme prescrit ce qui doit être en se basant sur des jugements de valeur »
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.
Que retenons-nous de cette définition ? S’accorder à un étalon, correspondre à un idéal, à ce que l'on doit être ; toute déviation est synonyme d'anormalité avec comme fondement le jugement de valeur. Ne pas être dans la droite ligne exigée entraîne donc une éviction sociale.
Qu'en est-il du
sujet,
bien absent de cette précédente définition ? « Se dit d'Une personne, par rapport à sa capacité et à ses talents - Soumis, qui est dans la dépendance »
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. Un sujet est unique mais il n'est pas pour cela exempt de toute soumission ; soumis à quoi ? Nous tenterons d’y répondre.
Cet exposé s’articulera autour de deux axes : ce qui fait point de similitude au fil des siècles et spécificité aujourd'hui.
Normes et hors normes au fil des siècles - le sujet et l'Autre
Le sujet sortant de la norme a toujours été traqué.
Le peintre Caravage au XVe siècle avec sa peinture dite scandaleuse ;
Luther
et Copernic au XVIe ;
Galilée au XVIIe… La liste est infinie.
De tout temps, ce qui ne correspondait pas à l'époque, à l'espace social, à la culture pouvait être immédiatement rejeté avec plus ou moins de violence.
Prenons quelques exemples :
Le peintre Caravage fut un proscrit de l'art. Chacune de ses oeuvres fit scandale, Nicolas Poussin dira après sa mort « il était venu pour détruire la peinture ». Ce peintre, à l'apothéose de l'art baroque, ne fut reconnu que trois siècles plus tard.
Van Gogh au XIXe siècle peignait de manière réaliste, utilisant des couleurs insolites pour son époque. Le hors norme du mouvement impressionniste fut critiqué et repoussé.
Les savants furent nombreux à être poursuivis. Galilée, "et pourtant elle tourne", fut jugé par le Saint-Office, le bras judiciaire de l'inquisition. Il dut, afin d'éviter les tortures, renier ses convictions scientifiques.
Martin Luther, posant une perception différente de la religion connut la même éviction sociale.
Des communautés entières furent ainsi tourmentées : les savants et les artistes, les protestants mais aussi les indiens, les juifs, les gitans… Et aujourd’hui, les chiites, les personnes schizophrènes, hyperactives…
L’inventaire est démesuré.
« Le premier des biens est la mesure »
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disait Platon, l’homme est loin de cette maxime.
Les normes se transforment au fil des mouvements culturels et sociaux. Mais cette mobilisation violente pour que l'autre demeure dans la norme survole les époques. La convocation normalisante est-elle moins agressive aujourd’hui ? On ne brûle plus les sorcières mais la « violence humaine » est toujours vive, plus insidieuse.
Pourquoi tant de violence quand l'autre se différencie de nous ? Il faut le guérir, le réparer afin qu'il nous ressemble. L'autre différent devient l'étranger, l'étrange fait peur. Que vient-t-il réveiller comme angoisse pour que l'identique deviennent la seule valeur ?
« Je ne peux connaître autrui », dit Malebranche, « que dans l'exacte mesure où il évoque mes propres états de conscience »
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.
Tout sujet a tendance à être englué dans son imaginaire, son Moi. Il ne peut se reconnaître qu’à partir de l’autre, les identifications imaginaires lui servant de référence pour sa propre reconnaissance. « Le Moi n’est pas maître chez lui, il n’est pas au centre de lui-même pas plus que la terre n’est au centre de l’univers »
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. Reste enfoui au plus profond de chacun de nous une part d'étrange, d'indiscernable, d'inconnu.
«
Le premier statut de l'altérité », pose Jean Louis Blaquier, « n'est pas le semblable, le petit autre mais l'Autre, le sujet aliéné et séparé de ce qui constitue sa matrice psychique primaire, mémoire oubliée de l'enfance »
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A continuer à ignorer cette aliénation, nous restons coupé d'une partie de nous-même et projetons sur l'autre nos propres pensées. « Si je ne puis reconnaître mon moi qu'à partir de l'autre, je ne puis entendre ce que je dis quand le prêtant d'abord à l'autre, c'est ce que nous nommons projection »
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Entrevoir cette part d'inconnu permet d’accueillir l'autre dans ce qu’il est, hors de ce prisme déformant et protecteur. Mais combien il est difficile de se confronter à notre part d’inconscient avec ce qu'il comporte de dérangeant : regarder nos failles, déranger nos défenses et révéler notre part d'impossible à être. Cette problématique de l'humain est intemporelle.
Toute société, toute époque se laisse surprendre par cette équivoque du sujet parlant. Chacune garde néanmoins ses marques, qu'en est-il des nôtres aujourd'hui ?
Les lunettes sociales
Je choisirai deux approches : d'une part les moyens multimédias (la presse, la radio, la télévision) ; d'autre part la science, le médical en pleine explosion aujourd'hui.
Ouvrez une revue, lisez un journal, regardez la télévision, la psychologie envahit l'écrit, les ondes, le psychologue est là envahissant tous les espaces. Mais de quelle psychologie parlons-nous ?
Le regard devient impudique, il oscille entre un semblant d'accueil de la différence et une analyse moralisante, aux conclusions interprétatives, assurées, définitives et sans appel.
Un comportement n'a alors qu'un sens, le soin devient unique et sa définition s’en trouve pervertie. Soigner devient « soi-nier », se nier et nier l'autre. La projection est là avec toute sa ténacité.
Des exemples illimités. On vous dit comment élever votre enfant, rencontrer quelqu'un, être un bon père, une bonne mère, une bonne grand-mère, un bon amant sans oublier le bon professionnel : « comment aller travailler avec plaisir ». La relation est unique, semblable pour tous les humains, un code à appliquer commun à tous.
Quoi de plus simple, les compétents, les gens normaux y arrivent, les autres hors normes, anormaux échouent ? Ils vont devoir y travailler ou plutôt les autres doivent œuvrer à les normaliser : programmes psychosociaux, traitements pharmacologiques… Une jouissance absolue, sans frein ; dictature d’un toujours plus de jouir.
L’avènement de la science marque ce trajet. Regardons du côté de la médecine, de la santé où le sujet n’est souvent « rencontré » qu’à travers les clichés radiologiques et analyses biologiques. Il n'est plus inscrit dans une histoire et perd son unité corps - esprit. De nombreuses impulsions tentent de recréer cette unité, mais le mouvement scientifique a une puissance prodigieuse, il puise ses forces sur le désir de l’homme d’accéder à un tout savoir.
La génétique, avec beaucoup d’énergie, tente de combler les zones d’ombre. Après de longues études pour trouver les gènes de la criminalité, de l’autisme, de la dyslexie, de la schizophrénie… la poursuite ou plutôt la « pour-fuite » continue. Toute sortie de la norme se doit d'être génétique. Nous ne faisons plus aujourd’hui d’ablation frontale pour transformer certains comportements, les soins étaient alors radicaux. Mais le mouvement me parait beaucoup plus sournois ; quand la « preuve » est absente, il s’agirait d’une méconnaissance temporaire de la science.
Donc, dans l’attente de ce tout savoir, il faut annihiler ce qui dérange et ne rentre pas dans le cadre. L’enfant « dysphasique », simplifions, qui a du mal à parler, à se faire comprendre, seule issue la rééducation. Quelle réduction du sujet parlant !
Dès 1981, Lacan situait cette ivresse de la civilisation par l’avènement de la science. « Ce malaise », disait-il, « s’accentuera certainement, il ne peut que s’accentuer en raison de ce qu’apporte de tout à fait nouveau dans le lien social lui-même, ce discours scientifique »
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. Ce discours de la science transmet à l'homme la chimère d’un tout maîtrisable, vaincre l’immaîtrisable quelle jouissance ! Ayant peur du vide, il souscrit à cette proposition illusoire. Le pas est fait pour exiger que l’autre se conforme à un idéal.
Le vide subsistant, l’homme s’engage un peu plus dans ce trajet pour nier ce que la mort vient régulièrement lui signifier ; il est sujet divisé qui ne pourra jamais être comblé.
Lacan montre combien ce vide est pourtant structurant et gage de vie : « Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir, bien sûr; ça vous soutient. Si vous n'y croyiez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie ? ... La vie, pour qui pense et sent un peu, n'a strictement qu'un sens : vouloir la jouer. Ce dont il s'agit, c'est de la jouer, c'est du pari ; hors du risque de la vie, il n'y a rien qui à la dite vie donne un sens »
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La mort, disent Hegel et Lacan, est le maître absolu. Elle nous confronte à notre être faillible, manquant, signifie que le tout n’existe pas. Ce constat est à la source de nos désirs, nous désirons parce que nous manquons.
Le désir d’idéal aujourd’hui
Notre quête d’idéal, encouragée par la science, est très présente aujourd’hui. Les États-Unis sont innovants dans ce domaine. Les études et conseils se multiplient : faire écouter de la musique classique à un fœtus développerait son intérêt pour la musique, espérons que la mère aime celle-ci sinon quelle contrainte, quelle transmission !!! Présenter des lettres de l’alphabet à un nourrisson lui permettrait d’accéder plus rapidement à la lecture.
Les enfants sont soumis chez nous aussi à ce diktat enfant idéal. Le risque d'échec commencerait dès la maternelle ; toute sortie de la norme est alors sanctionnée par un imaginaire assidu : « échec futur », « risque de redoublement », « il n'a pas envie d'apprendre les lettres »...
Des recherches confirmeraient cette vision, un enfant à deux ans à la maternelle aurait plus de chance de réussir sa scolarité qu'un enfant y accédant à trois ans.
Les analyses, évaluations donnent l’illusion de l’enfant parfait ; l’enfant-
tout existerait, il suffit de le construire. Quelle tentation !!! Son enfant parviendra-t-il à combler le vide ? Il perd toute existence propre.
« Le symptôme de l'enfant se trouve en place de répondre à ce qu'il y a de symptomatique dans la structure familiale » ou « devient l'« objet » de la mère, et n'a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet »
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comme le souligne Lacan.
Ce déplacement est en pleine expansion. Un rapport de L’INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale) est paru, en septembre 2005, sur le thème : « trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent ». Le groupe d’experts, je cite, « recommande une stratégie de traitement pharmacologique adaptée à chaque sujet » : « Une relation directe entre les comportements d’agressivité et la peur peut être mise en évidence chez le petit animal, ainsi qu’une relation plus complexe avec l’anxiété. Le groupe d’experts recommande d’explorer tous ces aspects pour mieux comprendre les mécanismes de l’agressivité. », « Approfondir les travaux de neuro-imagerie… Ce repérage ainsi que l’identification des circuits neuronaux impliqués… permettent de mieux appréhender les effets neurobiologiques des interventions psychosociales ou pharmacologiques chez les sujets »
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.
Le sujet est réduit à un corps, un cerveau que l’on va contrôler. La construction du petit d’homme est mise en parallèle avec le comportement animal. Comment ne pas s'inquiéter d'un mouvement qui ne prend pas en compte la spécificité du sujet parlant ?
Que fait-on aujourd’hui de l’inscription de l’enfant dans une famille ? Qu'en est-il de ce qui est vivant ? Du désir de savoir, d'apprendre, de découvrir de l'enfant ? La construction d’un enfant prend appui sur l’autre, comment pourra-t-il se construire, sujet unique, si les programmes psychosociaux et génético-thérapeutiques envahissent son espace ?
L’individu disparaît. Réduit à un symptôme, sa discordance est cimentée. « Lorsque la norme est point de départ de l'action, elle entraîne des violences quand l'autre la déjoue »
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Il est agité par exemple mais figé hyperactif, donc soumis à la Ritaline ou au Conserta. Cet enfant dont le corps pulsionnel parle, qui présente une souffrance sans mot est bâillonné, sa parole n’ayant plus droit de cité. Le mot hyperactif le définit. « Un mot », précise Augustin Ménard, « peut faire mouche et pulvériser le symptôme ou au contraire faire de gros dégâts. Il y a des mots qui tuent »
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. « Les mots sont des missiles » disait Lacan. Cet enfant en mouvement posait un désarroi, on a oublié de l’entendre.
Le symptôme est un signal. Il a deux versants, un versant signifiant pour un autre signifiant et un versant revendication pulsionnelle, évaluation de l’angoisse.
Il donne au sujet, écrit Dominique Miller, « sa structure, son assise, quelle qu’elle soit, et pour qui donc la guérison ne peut signifier en aucun cas l’élimination pure et simple du symptôme », « soigne, mais ne guérit pas »
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Eteindre trop rapidement le symptôme enlève au sujet ses défenses. Ce signal est à ménager afin de prévenir l’apparition d’un symptôme de substitution ou d’éviter le surgissement de l’angoisse tapie dans l’ombre.
Comment aider le sujet trop amarré, attaché à son symptôme ? Difficile car celui-ci, bien que ligotant le sujet, est chéri par lui. Le soigner sans le guérir signe une ouverture.
Continuons notre voyage.
Une « thérapie » avec un enfant autiste a consisté à le mettre devant un ordinateur. Le lien à l’autre, si angoissant pour lui, s’éloigne un temps ; mais l’enfant, poinçonné enfant-machine, disparaît. Les recettes ça n’existent qu’en cuisine.
Alors comment l'aider à cheminer dans la relation ? Le seul axe qui doit nous guider est un « être avec ».
L’accompagner devient une invention, une création de tous les instants, loin de la rentabilité et de l’évaluation. Le temps à prendre en compte est celui du sujet et non le temps chronologique. Difficile dans une société où le temps est précipité.
« J’ouvrirais », écrit Max Jacob, « une école de vie intérieure et j’écrirai sur la porte : Ecole d’art ». La phrase me séduit, mais il n’y a pas de formule magique ni pour le travail sur soi, ni pour l’invention.
L'adulte n'est pas mieux protégé dans ce mouvement norme hors norme. La schizophrénie par exemple, ce mot qui a un sens bien spécifique pour nous cliniciens, rentre dans le vocabulaire courant et devient synonyme de diable meurtrier. Mouvement tout sécuritaire actuel ?
Rappelez-vous cette émission de télévision sur la schizophrénie après cet évènement dramatique dans un hôpital où 2 soignantes ont été tuées. La dangerosité a été très présente mais seule une oreille avertie pouvait entendre que le danger se retrouvait surtout dans les schizophrénies paranoïdes. Quelle émission angoissante pour les sujets atteints et leurs familles ! Heureusement, tout le monde ne donne pas à la télévision une place de maître, la sœur d’une connaissance est allée se coucher en disant « ça ne me correspond pas ». Cette simple phrase est riche d'enseignement.
Toute personne est Une. La nomination par le symptôme, la tentative d’un tout savoir sur l’autre aboutissent à une négation de l’individu.
Jean-Claude Milner est incisif : l’« évaluation généralisée met la main sur tout l'existant, pour le transformer en un vaste magasin de choses évaluables ». Sa perception de la normalisation en découle : « quant à l'égalité ainsi obtenue, elle n'est plus égalité d'êtres parlants, c’est bien plutôt l’égalité des grains de sable, indéfiniment substituables, parce qu’indiscernables. L’évaluation amorce la transformation des hommes en choses ; elle en annonce l’achèvement prochain ; que dis-je, elle l’installe »
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La science agrafe, amarre le sujet à son symptôme. Il disparaît derrière ce qui le nomme.
Comment réinscrire du sujet dans ce mouvement chosifiant ? Comment permettre à chacun de trouver ou retrouver son inscription dans le champ social ? « La première hospitalité n'est autre que l'écoute »
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, mais que signifie ce mot galvaudé ?
Accueillir, regarder ce que l'on ne sait pas, se laisser surprendre, questionner. Accepter d’être dans un non savoir de l’autre, se laisser enseigner, notre propre savoir ne peut se substituer au savoir de l'autre.
Ne pas oublier notre particularité d’êtres parlants.
Le bébé, l’infans naît dans un bain de langage. On a parlé de lui bien avant qu'il ne naisse, il est inscrit dans une histoire. Tout sujet porte en lui la marque d'une parole qui a accompagné ses moments de vie. Le langage est « un métier à tisser le lien social »
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Sa présence humanise, même si l’autre ne l’utilise pas, comme le bébé ou certains autistes, ou ne l’entend pas, comme les personnes sourdes.
La parole est appel qui attend une réponse, recherche d’un lieu d’adresse et non un appel au savoir de l’autre. Elle engage, prendre le risque de la parole c’est ne pas savoir où elle mène, elle confronte au manque et donc articule du désir.
Aujourd’hui, trop souvent banalisée, elle devient parfois jouissance du blablabla, un traumatisme il faut le parler, et/ou destructrice : nomination par le symptôme, évaluations… Les mots peuvent devenir des balles meurtrières.
Conclusion
Il est difficile de s'insérer dans une société où normes et écarts de la norme tendent à devenir les seules références, où le nouveau maître qu'est la science donne l'illusion que le manque n'existe pas. Le tout semble à portée de main : tout savoir, tout comprendre, tout guérir. Cette illusion tant recherchée par l'homme fait disparaître ce qui est du vivant, du désir. La vie est toujours un pari, un risque (le risque zéro n'existe pas).
Le sujet est fréquemment coupé de son histoire, de ces paroles qui l’ont accompagné et ont marqué sa place de personne unique. Seul le symptôme le nomme, il est chosifié, « grain de sable » parmi d’autres.
La norme à tout prix le fait disparaître. Comment l’aider à ne pas se figer tout en s'intégrant dans l'espace social ?
Avant tout lâcher l’illusion d'un tout savoir sur l’autre, l’accueillir avec son histoire et le réinscrire dans le langage. Alors nous pourrons peut-être nous laisser surprendre et faire preuve d'invention.
Une aide au 1 par 1 ouvrira pour cet enfant ou cet adulte un chemin vers une place propre, la plus sereine possible. Elle lui permettra de trouver sa place et de poser son écriture dans le champ social.
« Soigne mais ne guérit pas »
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comme l’exprime Dominique Miller. Le sujet présent avec son histoire sera ou non divisé et manquant.
Je terminerai mon exposé par une phrase de Jacques Lacan :
« Nous ne savons pas non plus, nous sommes bien incapables de dire par rapport même à des stades, à des époques qui nous sont proches, quel était à ce moment le savoir qui était précisément ce qui faisait l’équilibre, ce autour de quoi enfin s’apaisait cette horrible impatience ; et c’est bien parce que nous ne le savons pas que nous en sommes réduits à nos propres moyens»
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.
Que peut-il bricoler le sujet pour trouver sa place dans la société ? N'est-ce pas là que doit se porter notre regard ? Nous ne pourrons jamais tout savoir.
Décembre 2005
1
Dictionnaire étymologique, « trésor de la langue française ».
2
Dictionnaire de L'Académie française, 5th Edition (1798).
3
Platon, « Philèbe ».
4
Jean Louis Blaquier, « Le dernier oxymore de Lacan : l’Autre qui n’existe pas ».
5
Augustin Ménard, « Pourquoi la topologie ? », collège clinique de Montpellier, 26 octobre 2005.
6
Jean Louis Blaquier, idem.
7
Augustin Ménard, idem.
8
Jacques Lacan, conférence à l’université de Louvain le 13 octobre 1972, paru dans Quarto, 1981, n° 3, pp. 5-20.
9
Jacques Lacan, "La mort est du domaine de la foi", Quarto, no 3, 1981.
10
Jacques Lacan, « Note sur l'enfant », « Autres écrits », Seuil.
11
Rapport de l’INSERM, « Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent », septembre 2005.
12 Mireille Cifali, « Une difficulté en question », Lugano, 1994.
13 Augustin Ménard, « Pourquoi la topologie ? », collège clinique de Montpellier, octobre 2005.
14
Dominique Miller,
«
La psychanalyse et la vie »
,
édition Odile Jacob, avril 2005.
15
Jean-Claude Milner, « La politique des choses », édition Navarin, 2005, p.17 et 27.
16
Jean-Louis Chrétien, "L'arche de la parole", Paris, PUF, 1998, p.427.
17
Jacques-Alain Miller, «
La conversation d’Antibes - la psychose ordinaire », Le Seuil, 1999.
.
18
Dominique Miller, « La psychanalyse et la vie », édition Odile Jacob, Avril 2005.
19
Jacques Lacan, conférence à l’université de Louvain, 13 Octobre 1972, paru dans Quarto, 1981, n° 3, p. 5-20.