De la parole à l’écriture…
C’est à Flaux, près d’Uzès, qu’un petit groupe de six adultes du Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) s’est déplacé, les 20 et 21 juin derniers, pour un week-end consacré à l’écriture. Ce programme a pu se réaliser grâce à l’enthousiasme d’Yves Fayolle et d’Olivier Besson de l’ADAPEI de la Drôme et à la participation de l’ESAT de Saint-Vallier qui a financé le coût pédagogique pour les ouvriers dans le cadre de la formation continue.
Le projet est né lors des rencontres du « groupe de parole » que j’anime dans le cadre du SAVS. J’ai initié cette pratique mensuelle afin de compléter l’accompagnement individuel, singulier que nous dispensons habituellement, par des réunions favorisant la parole, l’expression, l’écoute, le respect, le partage, la solidarité. Ces moments collectifs volontaires permettent de rompre l’isolement où certains adultes s’abîmaient au nom d’une indépendance comprise parfois comme une obligation à se passer des autres et camouflant ainsi la difficulté, voire l’impossibilité, d’aller vers eux. L’apport du groupe, au contraire, favorise la prise d’autonomie par l’expression de sa différence, par l’échange, la possibilité de s’organiser – de réaliser des sorties, par exemple. C’est mon travail d’éducatrice de soutenir et d’entretenir cet élan, de réveiller, révéler, nourrir les capacités relationnelles peu sollicitées par l’individualisme prégnant de notre société. C’est mon travail de faire des ponts pour passer d’une rive à l’autre. Ce groupe d’une douzaine d’adultes se réunit depuis plus de trois ans à la MJC, lieu emblématique de l’insertion sociale.
Quelques unes de ces personnes créent, chez elles ou en atelier d’art. Brigitte, au cours de nos entretiens individuels à eu recours à des images poétiques que j’ai transcrites avec elle.
Créer c’est accomplir au mieux sa tâche d’être humain, c’est se tenir debout, c’est résister aussi, c’est pouvoir attraper ce supplément d’âme que la vie parfois nous offre et que l’on s’offre aussi pour sortir de la souffrance, pour ne pas subir. Une dynamique s’est instaurée au fil du temps dans ce groupe qui donne lieu depuis deux ans à une exposition à la MJC de Tain-l’Hermitage. Ceux qui le souhaitent peuvent exposer leurs œuvres, soutenus par leurs collègues qui accueillent les visiteurs. Cette année nous avions partagé le plaisir d’écouter la comédienne Marie Hélène Leschiera lire les poèmes de Brigitte.
Écrire est devenu pour certains une curiosité et un désir.
Une rencontre plus loin… Michèle Reverbel, « éveilleuse d’écriture ».
Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, dont
Je vous écoute écrire
qu’elle vient de rééditer à son compte. Je l’ai lu lors de sa parution en 1993 aux éditions Comp’act .Ce livre m’a soutenue souvent dans mon métier d’écouter, de respecter, dans mes réflexions, dans ma vie, il m’habite depuis et il a sa place attitrée sur ma table de chevet.
Plusieurs reportages télévisés et autres émissions de radio ont été consacrés au travail de Michèle. Elle est l’une des trois femmes qui recrée le métier d’« écrivain public » en 1978. Vous l’avez peut- être connue dans ces années lorsqu’elle offrait l’écriture sur les marchés, ou bien dans son échoppe à Valence.
De formations en ateliers, elle a sillonné la France, son matériel avec elle : encres, encriers, plumes de toute sorte, (la plus grande collection nationale d’objets d’écriture), cire, sceaux, papiers de textures, couleurs, formats divers et variés et autres supports – de quoi faire tomber toutes les inhibitions et éveiller le désir de laisser sa trace.
Elle a installé ses coffres et déballé ses trésors à l’hôpital psychiatrique, en maison de retraite, dans la rue, au bistrot, au CAT…
Elle a écouté écrire.
Je suis allée la rencontrer dans sa maison de pierre à Flaux dans le Gard, intimidée.
Nous avions beaucoup à nous dire et le programme d’un « week-end -atelier » intitulé Présences d’écriture, dédié aux oubliés de l’écriture, aux échoués des écoles, à ceux à qui on ne demande plus de laisser trace… était sur le papier. Nous travaillerons ensemble, elle éveille, elle accouche, moi j’élève, j’entretiens, je fais lien. Intimité. Nous avons fait notre pont des mots de nos expériences mêlées, de papier, de plumes et d’encre et nous l’ouvrons à ceux qui veulent se lancer dans cette aventure humaine ancestrale.
Ce 20 juin à neuf heures trente, tout le monde est à l’heure au rendez-vous.
À midi, Michèle nous accueille, installe chacun dans sa chambre, et nous voilà réunis autour d’un premier repas où chaque pique-nique individuel se transforme en amuse-gueules et offert à tous. De son côté, Michèle nous avait préparé de délicieux petits plats car, selon elle, c’est un principe de base que pour bien travailler, il faut bien manger. Principe que nous avons appliqué… à la lettre.
La salle de travail nous attend, une véritable « caverne d’Ali Baba », comme l’a nommée, au premier coup d’œil, Sébastien. Une grande pièce claire, vue magnifique sur la campagne environnante, les murs couverts de photos, de textes, des rayonnages pleins de boîtes, de livres, de revues, de dossiers, des boîtes remplies de matériel pour couper, coller, coudre, tamponner, percer, sans parler des ramettes de papier, des cartes postales récoltées depuis des années… « Tout est à votre disposition », nous dit-elle.
Au centre de l’espace, un assemblage de tables réunies en une seule, où trônent pots de crayons, feutres, plumiers, stylos et petites boîtes… et, à chaque place, une chaise, une feuille blanche, un encrier, des porte-plumes, un buvard… invitation.
Michèle passe devant chacun et de sa belle écriture en pleins et en déliés lui écrit son prénom. Marcel, un peu tendu, se souvient de ses apprentissages scolaires, Michèle lui répond qu’ici, les fautes s’envolent et passent par les trous du plafond, soulagement. Il réécrit :
Marcel
, appliqué, concentré… Telle sera, pendant deux jours, l’atmosphère générale dans ce lieu.
Déjà on entend le grattement caractéristique de la plume sur le papier. Annie a pris son envol, elle écrit. Le soir à la veillée, elle nous fera la lecture de son travail : le récit de souvenirs d’enfance auprès de ses grand-mères qu’a réveillés en elle la maison de Michèle.
Gaëlle aussi s’est prise au jeu, elle aussi tournée vers les origines et les racines, cherche
Le monde autour de la Terre
qu’elle nous lira aussi le soir.
Michèle est présente pour chacun, répond, renvoie la question parfois, mais n’abandonne jamais. « Mais tu vois que tu y arrives ! ».
Maxime penché sur sa feuille nous annonce qu’il fait un courrier d’importance, Cathy, elle, a pensé à prendre son carnet d’adresses.
La clarté de nos places respectives dans l’activité, le cadre posé qui permet à chacun d’écrire ou de « bris-coller », selon la formule de Joseph Rouzel, à côté des autres, sans se gêner, notre commune certitude que laisser une trace, une signature, un texte, participe d’un processus qui donne l’opportunité de « croître en humanité » comme le dit si bien Charlotte Herfray, tous ces éléments contribuent à l’« ambiance » de ces journées de travail où ont pu se lever d’anciennes inhibitions, au moins se relâcher certaines tensions.
Au total vingt-cinq lettres plus originales les unes que les autres partiront par la poste de Flaux le lundi 22 Juin 2009 : Michèle les a initiés à l’art postal et a surtout permis à chacun de réaliser qu’il avait une adresse, une personne à qui écrire.
J’ai vu, au fil des heures, des visages se détendre, des sourires nouveaux se dessiner ; si quelques photos que j’ai prises à cette occasion en témoignent de manière flagrante, je ne peux passer sous silence ma grande surprise d’apprendre que l’été et les vacances, chacun étant de son côté, ont donné lieu cette année à de nombreux échanges épistolaires… « Par surcroît ».
Le lien social, mon métier.
Ce texte doit paraître prochainement dans la revue Cultures & Sociétés.
Catherine Rouxel le 15 août 2009
Bien
Akim CHEBOUKI
dimanche 06 décembre 2009