Défendre la "défenseure des enfants" ?
(nouvelles réflexions sur la « résistance »)
Chers collègues, chers amis « résistants »,
Pardonnez-moi, mais j’ai quant à moi, à contre-courant des réactions que je lis sur le forum de Psychasoc, reçu l’information de la suppression du poste de la dite « défenseure des enfants » sans état d’âme ; et, aggravant mon « cas », je vous avoue que j’ai même ri de bon cœur, avec un vieil ami juge des enfants, aujourd’hui à la retraite, lorsqu’il m’a dit qu’il avait lui aussi reçu de son côté cette information comme une « bonne nouvelle » ; mais il est vrai que nous ne sommes guères des « fréquentables », et pourtant.
1- déjà, "défenseure"... comment se prêter à une telle torture de la langue ?
Je ne l’ai pu et je ne le pourrai – je demeure sur ce point un irréformable. Comme disait le cher Arthur : « tenir le pas gagné » (dans Une saison en enfer, Adieu).
Le « pas gagné » c’est ici avoir saisi que le masculin du titre (dans le jargon analytique, le masculin-générique de « la fonction phallique ») n’est pas équivalent au masculin-sexué, soit, si je puis dire, au masculin comme tel ; il n’y a de masculin (au sens sexué, et non générique (neutre) du terme, que lui-même divisé du Sexe (du Phallus). Nous sommes là au cœur de l’apport et de l’éclairage de la psychanalyse sur la question du Pouvoir. Saisir cela – il y faut du temps, s’y salir, s’y blesser – c’est saisir en quoi l’enjeu nodal du dépassement, au très long cours, du « patriarcat », est un enjeu
de symbolisation, pour l’un et l’autre sexe, de la fonction phallique !
Viser à dépasser (dialectiquement) le « patriarcat », ce n’est pas entretenir je ne sais quelle illusion « révolutionnaire » d’un au-delà, soit disant féminin, de l’axe phallique (totémique) du Pouvoir ! Il faudra quand même bien un jour déconstruire le féminisme quant à la question du Sexe et du Pouvoir !
Ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux, ce n’est pas la fin du « phallocratisme », mais bien la mise en place d’un nouvel axe phallocratique : je dirai, un axe « matriarcal », producteur de nouvelles perversions institutionnelles, langagières, juridiques, à partir de quoi se met en place un nouveau régime du « mythe parental » (auquel le terme mou et confusionnel de « parentalité » donne ses lettres de noblesse !), qui risque un jour de nous faire regretter l’ancien ! Les « parents combinés », c’est un fantasme préœdipien, aux sources du nouveau « familialisme » d’Etat…
Sur cette affaire de la révolution-réforme de la langue, je renvoie au remarquable article "Du fondamentalisme linguistique ou de la tentation de rectifier la pensée par le langage" de Christian Vanderdorpe, sur le site "Le chaudron psychanalytique" animée par Jacquelyne Poulain-Colombier (psychanalyste, traductrice de Bion), et puis aussi, pour ceux qui pourraient percevoir plus avant combien le « prendre soin du sujet » exige de
prendre soin de la langue
, autrement dit
de prendre soin de l’habitat institutionnel langagier du sujet
(du « cadre »), je renvoie à l’ouvrage de Hélène Merlin-Kajman, « La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement », au Seuil, 2003.
2) comment, si à une clinique moderne du sujet nous aspirons, ne pas relever l'idéologie de "l'enfant au centre", de la "parole de l'enfant" – autant de signifiants équivalents à celui de His Majesty The Baby, donné par Freud comme verrou du narcissisme – qui a présidé à la mise en place de cette instance de la « défenseure des enfants » ?
une idéologie qui, alimentant l'hystérisation des "signalements", la confusion du fait et du fantasme, a aussi conduit directement aux travers présidant à l'affaire d’Outreau...
3) et comment ne pas repérer, modestes "professionnels", la manière dont cette instance,
véritable appel d’offre aux chasseurs d’inceste
– les chasseurs du « sexuel » (du sexuel au sens psychanalytique du « sexuel infantile ») –, a pu prétendre valoir, quasi juridiquement, dans le surplomb des instances instituées ?
Autant de remarques qui ne me font pas renoncer, bien au contraire, à une pensée critique quant aux pratiques, administratives et judiciaires, de la "protection de l'enfance".
Mais une réflexion critique à hauteur des enjeux d'aujourd'hui suppose, je le rabâche, et le soutiens dans ma pratique, que la question juridique, celle de la fonction symbolique des juges des enfants, soient investies en rigueur par ceux qui prétendent orienter la clinique, les pratiques de la « protection de l’enfance ».
Ma réflexion quant au dit « intérêt de l’enfant » (notion pour le moins flottante aujourd’hui !) a donc pour noyau dur la question de savoir sous quel régime institutionnel, quel régime du mythe
– du
mythe parental institutionnel
– nous sommes en train de placer les jeunes générations. (Je renvoie sur ce point à ma réflexion sur « l’impératif généalogique » qui va paraître dans la prochaine livraison d’automne de la revue Conférence ; cf. le site web de cette revue)
Je ne suis pas de ceux qui, tablant sur le « privé », vomissent l’Etat, l’Administration et les Institutions, mais je m’inquiète de la manière dont la République, les politiques, épousant le discours du management – un management ignorant sa propre inscription dans l’ordre généalogique – ont laissé le champ libre à la technocratie gestionnaire, mais tout aussi bien à des pratiques dé-référées, aveugles, à tout une féodalisation accrue du champ institutionnel. Il ne faut pas après s’étonner des retours de bâton.
Si donc les Administrations d’Etat aussi bien que les Associations privées ne sont pas elles-mêmes « domestiquées », c’est-à-dire référées et limitées par les politiques (et les juges) – soit par une fonction « paternelle » institutionnelle digne de ce nom – je crains que le nouveau mythe totalitaire, sous les atours du jour, ne pousse encore plus avant à la dite « perte des repères ». Il y aura alors dans le réel, quoiqu’on veuille, de nouvelles escalades et de nouveaux sacrifiés. Et ce n’est pas en faisant sonner les trompettes et en brandissant les nobles étendards qu’on y changera quoique ce soit ! Il nous faut d’abord reconquérir une vraie politique de la pensée, j’entends là aussi le sens de la descendance des textes. Par exemple ne pas faire comme si Lacan était avant Freud, ou comme si il n’y avait pas eu d’autre pas après Lacan. J’entends là aussi, avoir le sens de la « classification » des textes. Par exemple ne pas confondre le modeste (mais néanmoins décidé) propos que je soutiens et l’œuvre d’un Pierre Legendre…
Sous les discours de la « transparence », du « partenariat », de « la prise en charge globale », nous sommes en train de perdre le sens de la mesure, de la limite, de l’écart. Nous ne comprenons plus l’exigence de l’espace tiers, de la triangulation. Notre
raison d’être politique
, dans nos offices respectifs, est pourtant là : soutenir la limite et l’écart, nos propres limites, notre propre écart. Et cela, c’est le plus difficile, car cela nous renvoie, pour le coup, à notre propre « castration »… Et pourtant c’est par là, dans ce sentier de modestie, de patiente élaboration, de transmission de la Loi, de conquête de notre propre « liberté », que nous pouvons soutenir à mon sens le plus bel ouvrage « politique »…
Je ne sais si, chers collègues, vous mesurez combien
l’espace de séparation
est aujourd’hui mis à mal, subverti, et combien donc le champ institutionnel est « incesté »…
Comment dans ces conditions se contenter de « panser », de mettre des réparateurs (pas si réparateurs que cela d’ailleurs, et qui coûtent si chers), des « défenseures », et ne pas se soucier, selon l’expression de Pierre Legendre,
de l’institution du sujet
, des conditions juridiques et institutionnelles de la fabrique de l’homme ?
Mais pour autant, croyez-bien que je n’ai épousé le discours de ceux qui prêchent le simple retour au passé.
Si nous sommes bien dans une impasse, et s’il y a donc nécessité, quand on est dans une impasse, de reculer pour en sortir, cela ne se pourra sans nouvelle élaboration ; c’est un fantasme de croire qu’on pourrait retrouver le point d’où nous venons.
L’enjeu est devant nous : se ressaisir, mais de manière renouvelée, des fondamentaux de la construction du sujet et de la société.
Pour les éducateurs, et autres praticiens du « travail social », élaborer notre relation au Réel, soutenir la Limite (soutenir ce que j’appelle en termes simples, dans quelque exercice que ce soit, le « ce que je ne peux pour autrui »), suppose et exige de se dégager des deux formes actuelles de l’illusion (au sens freudien de « l’avenir de l’illusion ») : l’illusion scientiste (cognitivo-comportementaliste) et l’illusion thérapeutique (je renvoie ici au vieil ouvrage, « L’illusion psychanalytique en éducation », de Bigeault et Terrier).
Ce ne n’est à mon sens que de ce « travail » que nous pouvons, dans les qualités de sensibilité des uns et des autres, pour le coup « résister », au singulier, au cas par cas, au procès de dé-civilisation en cours.
Nous résistons alors, comme je le vis avec bien de mes collègues proches, mes amis, dans une
communauté de reconnaissance
bien plus efficace que toute autre, nous
résistons
par la mise en œuvre de nos propres limites, du
négatif,
par la mise en œuvre de l’écart conquis, toujours à reconquérir, par rapport au Pouvoir… Ce qui implique aussi, le risque…
Nous ne pouvons cher Collègues « gagner » sans nous perdre, sans nous perdre comme clinicien, si nous ne demeurons des « parents pauvres », c’est-à-dire si, par-delà le point aveugle de nos engagements, nous ne retrouvons
la mesure
pour nous dégager de l’idéalité, soit-elle celle d’un nouveau
roman familial politique,
celle
d’une nouvelle formation légendaire pour les masses…
C’est pourquoi je suis si attaché à l’idée et à l’acte de dissolution de la Colle à la Cause, soit-elle Cause de l’Enfant !
Daniel Pendanx
Bordeaux, septembre 2009
défenseure des enfants
jean marie Vauchez
lundi 12 octobre 2009