Dômo arigatô gozaimashita*
Parce que les belles histoires méritent d’être racontée, j’ai pris un temps pour taper ces quelques lignes, en espérant que certains prendront le temps de les lire.
Mon histoire est une histoire d’éducateur, une histoire qui parle de personnes, une histoire qui parle d’une activité, une histoire qui a commencé avec un résidant il y a de cela 4 ans…
Il met un pied sur l’espèce de tapis. La dame en blanc et noir le reprend, il ne faut pas rentrer comme ça sur le tatami.
Aujourd’hui c’est un grand jour, il peut enfin faire du sport avec les gens normaux, pas au foyer. Depuis le temps qu’il réclame. Il avait tellement hâte de venir, mais là, ça l’effraye un peu quand même. Heureusement il n’est pas seul, il est accompagné.
Au départ, c’est des gestes hésitants, il ne comprend pas tout ce qu’on lui demande, celle qui est en blanc et noir, la prof, elle lui dit des noms qu’il n’a pas l’habitude d’entendre. Je lui explique que c’est du japonais. Il ne sait pas bien ce que ça veut dire mais bon.
Il faut toucher l’autre, toucher le sol, saluer, il se demande s’il y arrivera…
Suite à une demande de pratiquer un sport, un résidant à intégrer un groupe d’Aïkido à l’académie d’Aïkido de Condrieu (69) rattachée à l'Académie Régionale d'Aïkido Rhône-Pilat (ARARP) et à L'Académie d'Autonome d'Aïkido Kobayashi Hirokazu (3AKH).
Je l’ai accompagné dans les premier temps pour qu’il puisse s’intégrer au groupe.
Rapidement, au bout de quelques séances, je l’ai laissé se rendre tout seul à son cours, encouragé par Anne LEBRANCHU, senseï (enseignant dans le contexte des arts martiaux) encadrant ce cours.
C’est tout un travail autour de son corps, un travail d’intégration, de posture, d’apprentissage qui a suivi pendant deux années. J’étais régulièrement en lien avec LEBRANCHU senseï . C’était les fondations d’un travail en partenariat qui se mettaient alors en place.
Deux ans plus tard, ce résidant me faisait une remarque :
«
Tu sais ce qui serait bien ?
» Je n’ai pas le temps de lui répondre que déjà il enchaîne « ça serait que les autres viennent me voir à l’aïkido, et peut-être ça leur plairait, peut-être qu’il voudrait venir avec moi ? ».
Comme à son habitude il m’a pris de court. Je ne sais pas trop quoi répondre, j’évite par habitude les « je sais pas » ou « on en reparlera plus tard » du travailleur social dans l’impasse. Du coup, je me dis et lui dis dans la foulée «
pourquoi pas
».
Il y a deux ans nous avons créé une activité d’Aïkido en lien avec l’académie de Condrieu. Cette activité ce déroule tous les jeudi après-midis.
L’un roule sur lui-même, l’autre refuse de se lancer, une troisième à fait des progrès très rapide. L’un à sa veste de kimono complètement défaite, il sollicite la prof qui l’aide à la remettre comme il faut, l’autre se sent plus à l’aise depuis qu’il a la même tenue que les autres.
Je les observe, cela fait un an que l’activité est mise en place et que ce groupe s’est formé, je ne les ai pas vus depuis longtemps, à cause de mon stage et de mes regroupements, du coup aujourd’hui je les redécouvre.
Ils ont tous fait des progrès, leur allure a changée, de les voir tous en blanc ,alignés en seiza pour saluer la prof, cela me fait quelque chose.
Ce n’est pas une révélation, ils ne sont pas devenus du jour au lendemain des grands pratiquants d’arts martiaux, mais en tout cas des personnes qui évoluent dans leur posture, des personnes qui renvoient des choses différentes sur le tatami qu’au foyer. Un des participants un jour au foyer à dit à sa manière à un remplaçant qu’il faisait de l’aïkido, il a fallu l’aider car il un peu du mal à se faire comprendre, mais il a ce désir de dire qu’il fait quelque chose. Malgré un diagnostic, une étiquette d’autiste, je le sens fier de sa pratique, je ne saurais pas dire exactement pourquoi, mais je suppose pour les mêmes raisons qui me font être fier moi aussi certains jours de ce que je fais.
A l’approche de la fin de cette deuxième année d’activité collective (4 ans pour le résidant qui a commencé seule), c’est l’heure du bilan, plutôt positif.
Aujourd’hui l’activité rassemble 8 participants, 6 résidants du foyer le Reynard où je travaille et 2 du foyer l’Échappée, de la même association. L’année prochaine nous allons essayer de proposer l’activité à une neuvième personne pour que le groupe soit vivant, que les rôles évoluent. Nous essayons de trouver une personne d’une autre institution afin de favoriser les échanges, que l’activité ne soit pas celle d’un foyer, mais bien une activité proposé par l’académie d’aïkido pour des personnes handicapées.
Il y a des possibilités pour que certains intègrent d’autres cours dans la semaine tout doucement comme le fait déjà le premier résidant qui a débuté cette activité. Petit à petit, le groupe participe à des manifestations organisées par le club. Cela permet de se rencontrer autour d’un plaisir commun pour les résidants et les autres adhérents.
Une dynamique de groupe se forme petit à petit, il existe maintenant une interaction entre les participants à l’activité qui n’existait pas dans les premiers temps. Pour la plupart il me semble que sur le tatami, ils peuvent exister différemment.
L’activité se termine, un peu plus d’une heure s’est écoulée. Ils ont tous participé à leur mesure à la séance. Il a fallu les stimuler pour la plupart mais moins qu’avant. Ils ont assimilé beaucoup de gestes. Tous vêtus de leur kimono blanc, ils s’alignent, tous les 8 face au senseï.
C’est l’heure du petit rituel en japonais. Quelques mots prononcés par le senseï, qui se termineront toujours par un salut collectif et quelques mots en japonais repris par le groupe
Dômo arigatô gozaimashita*
Rédigé par Antoine PASSERAT, éducateur au foyer le Reynard.
Texte publié dans le lien social n°1068 du 28 juin 2012
*formule japonaise très formelle pour remercier quelqu’un, en l’occurrence ici le professeur pour le cours délivré
Dômo arigatô gozaimashita
Antoine Passerat
jeudi 27 septembre 2012