EDUCATEUR SPECIALISE et PSYCHANALYSE :
Réponse tardive à Michel ONFRAY
Question actuelle au médico-social
Jean-Marie HOBET
mai 2012
Les fureurs de la tempête médiatico-égologique s’étant déportées sur d’autres objets de tumulte, il m’est possible, même tardivement, de profiter de l’estran pour envisager ce que la psychanalyse m’a apporté dans mon métier d’éducateur spécialisé ; avant que tout cela ne s’évanouisse avec la prochaine marée montante.
Tout d’abord, je dois dire que votre travail sur « Le crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne » a alimenté en 2010 dans mon entourage, nombre de discussions passionnées et passionnantes, radicales ou méprisantes, rarement nuancées. Une telle excitation, euphorie, serait à questionner.
J’ajoute que je ne suis ni psychanalyste, ni psychothérapeute, ni psychologue, ni psychiatre, ni philosophe.
J’étais un professionnel de terrain (à la retraite), en relation quotidienne avec des enfants et des adolescents qui portaient dans leur for intérieur, et souvent en vrac, la souffrance de « maux d’être » (maladies, handicaps, maltraitances, abus, troubles psychiques, traumatismes, carences affectives, déficiences …)
Vous dire que mon métier d’éducateur spécialisé s’est exercé dans le cœur de l’humanité et en même temps à ses frontières que sont la monstruosité, la barbarie et l’impensable.
Je vous remercie d’avoir descendu Freud de son piédestal.
Ce socle sur lequel l’égo cherche à se hisser et où les autres vous portent pour vous extraire de l’humanité et vous transformer en objet de leur propre adoration ou mirage d’eux-mêmes.
Quelle aliénation que celle liée à la fonction d’idole et à la position d’idolâtre !
En faisant redescendre Freud dans la glaise de l’humain, vous avez relié le génie du créateur (qu’il soit créateur d’idées, d’art ou d’actes) aux origines personnelles de sa démarche créatrice.
Pour moi, un créateur, quel qu’il soit, ne crée que de sa place, de ce qu’il est, de ce qui l’a nourri, dans un contexte et une histoire particuliers. Le créateur ne crée d’aucun autre lieu que de lui-même.
La création éducative, quotidienne et nécessaire à l’éducateur spécialisé est du même ordre, même si elle s’exerce dans un cadre professionnel qui l’oblige à la réflexion sur elle-même.
Les origines intimes d’une démarche créatrice ne sont-elles pas ce que chacun puise dans ses profondeurs existentielles pour « tenir » en lui la nécessité de vivre et la certitude de mourir.
Freud n’y échappe pas !
Votre travail n’est pas une découverte, mais un rappel humanisant de sa personnalité, aussi complexe soit-elle.
Et pourtant, cette complexité n’est que le reflet de celle des hommes.
Ce n’est pas une excuse, mais une porte de compréhension de ce qui constitue aussi l’humanité et chacun d’entre nous.
Vous, lui, moi, sommes, comme tout le monde, pétris par nos contradictions, nos intérêts, nos faiblesses, nos ambiguïtés, nos lâchetés, nos fantasmes peu avouables, mais aussi, par nos grandeurs et notre transcendance.
Je pense que c’est grâce à cela que nous sommes ou pouvons être, au quotidien, le créateur de notre propre vie.
Il arrive quelquefois, que la création de certains, pour des raisons souvent mystérieuses, emprunte le chemin de la célébrité, de la reconnaissance, de la notabilité.
C’est souvent là que commencent les difficultés liées à la rencontre de cette création personnelle avec la notoriété, l’argent, le pouvoir, la représentation, l’instrumentalisation (laïque ou religieuse par exemple) et la démesure égologique.
Il n’en reste pas moins la création.
Et concernant Freud, elle a été sans doute très importante pour lui, et surtout pour l’influence qu’elle a eue et possède toujours sur de nombreuses autres créations (intellectuelles, thérapeutiques, dans la vie quotidienne, dans l’éducation, sur la connaissance de l’homme, etc).
En dénonçant les « travers » d’humanité de Freud, vous ramenez sa personne à la dimension d’un être humain.
Il fallait le faire pour comprendre, apprécier et développer son œuvre.
Votre travail est donc désaliénant de ce piège idole - idolâtre et vecteur de connaissance sur le rapport de l’homme – créateur avec son œuvre.
Dans mon ancienne activité professionnelle, cette désaliénation pouvait s’exercer par exemple, sur les pièges fascination – répulsion, don de soi et dette de l’autre, ou encore identification et assujettissement…
La question, pour moi, n’est pas de savoir si Freud était un affabulateur, un plagiaire, un obsédé sexuel, un cocaïnomane ou un sorcier post moderne mercantile. Cela relevait de la justice des hommes de l’époque et du travail des historiens aujourd’hui.
Ce qui m’intéresse, c’est plus ce qu’il a produit comme théorie reprise et sans cesse enrichie depuis par une foultitude d’autres penseurs, acteurs sur le terrain de la prise en charge de ces « maux d’être » ; c’est-à-dire, d’autres créateurs qui ne participent pas forcément et aveuglement depuis cent ans à cette « hallucination collective freudienne » que vous dénoncez.
Il me semble aussi que la psychanalyse a apporté beaucoup à d’autres théories (la psychologie, les sciences sociales et de l’éducation, par exemple), comme elle-même s’est nourrie de pensées antérieures.
Certes, avec une telle influence sur les idées, les comportements, la vie quotidienne, il est toujours nécessaire de rester vigilant sur l’institution de la psychanalyse (différentes écoles, chapelles, obédiences et autres loges) et de garder ouverte la question du gourou et de ses adeptes, du prêtre et de ses fidèles, du maître et de ses disciples, de l’idole et de ses fans, du chef et de ses troupes.
Ceci, pour laisser la psychanalyse (son développement, sa critique et sa transmission) dans le champ de l’humain et ainsi, essayer d’éviter de la parer de toute religiosité qui ne déplairait pas à certains caciques théocrates du secteur. Dieu a-t-il un inconscient ? Les hommes, certainement, et ils ne manquent pas d’actes pour le faire passer.
Effectivement, chacun peut penser que la psychanalyse ne guérit pas, car notre humanité n’est pas une maladie.
Cependant, elle fait souvent beaucoup mieux.
Elle aide à vivre mieux ce que nous sommes.
Pour moi, c’est cela l’efficience thérapeutique de la psychanalyse : moins de mal de vivre de son mal d’être.
A un niveau individuel, ce chemin, personnel, intime, n’est donc pas modélisable, reproductible de l’un à l’autre. C’est ce qui fait que la psychanalyse n’est pas une science exacte. Elle est une théorie de la connaissance de l’homme qui produit des effets thérapeutiques sur la connaissance de soi.
Dans mon ancien secteur d’activité, la psychanalyse a humanisé la santé mentale, c’est-à-dire, notre rapport individuel et sociétal à la folie, à la monstruosité, à l’idiotie. En participant à réintroduire le fou, le monstre et l’idiot dans un continuum d’humanité, la psychanalyse, avec d’autres approches aussi, nous rend moins étranger à nos propres étrangetés.
En nous désaliénant, elle favorise notre liberté. Celle qui ne s’accomplit pas sans exigences, sans devoirs et sans responsabilités .
Ceci étant dit, venons-en à notre sujet, puisque de SUJET il s’agit !
Mon métier d’éducateur spécialisé était avant tout, un métier de relation éducative, professionnelle, vécue entre deux êtres humains : l’adulte,l’éducateur et l’enfant ; l’enfant et l’éducateur et exercé dans un cadre professionnel avec une équipe pluridisciplinaire.
La psychanalyse a ouvert la conception de l’être humain à la dimension psychique, positionnant ainsi celui-ci à une place de SUJET PSYCHIQUE.
Certes, d’autres avaient déjà débroussaillé cette voie, mais c’est quand même à partir de Freud que cette conception et sa théorisation se sont imposées.
La dimension psychique du sujet s’appréhende à l’aide de certains concepts : le transfert, l’inconscient, le refoulement, le complexe d’Oedipe, les principes de plaisir et de réalité, les résistances, la pulsion de mort, etc. Les spécialistes développeront cela beaucoup mieux que moi.
Cette dimension psychique confère à chacun une position inaltérable, irréductible de SUJET, qui force à sa reconnaissance, à son respect et sa prise en compte chez les enfants, leurs parents, les éducateurs, les soignants.
Cette ouverture de la conception de l’être humain à la dimension de sujet psychique, est pour moi, le premier apport de la psychanalyse à mon métier d’éducateur spécialisé. C’est l’apport de la SUBJECTIVATION.
D’autres apports en ont découlé directement : la mise en tension de la psychanalyse avec l’éducation, l’enrichissement de mes pratiques et attitudes éducatives avec la CLINIQUE DU SUJET (écoute sensible, prise en charge particulière, réflexion solide et partagée), l’exigence d’un cadre théorique et réflexif consistant et rigoureux, un fonctionnement institutionnel responsabilisant, ouvert, démocratique, référencé à la psychothérapie institutionnelle, un travail d’équipe pluridisciplinaire incontournable et régulier, des valeurs éthiques, des positionnements politiques, la revendication et la défense permanente d’une liberté et d’une créativité professionnelles…
Car ,comment aider un enfant à construire son autonomie si l’éducateur n’a pas la maturité de la sienne ? Comment aider un enfant à devenir libre si l’éducateur n’a pas la responsabilité et la créativité de la sienne ?
Comment s’est opérée cette rencontre entre la psychanalyse et mon métier d’éducateur spécialisé ?
Il y a 44 ans, quand j’ai débuté dans ce métier, Mai 68 venait juste de passer.
-Serions-nous assez réalistes pour demander l’impossible ;
-Assez rêveur pour pouvoir imaginer ;
-Sans être ni robot, ni esclave ;
-Discuter tout ce qui est discutable ;
-Faire attention à nos oreilles, car elles ont des murs ;
-Ne pas céder un peu, car c’est capituler beaucoup ;
-Ni interdire d’interdire ; mais oser !
Après l’utopie du grand soir, il fallait de nouveau s’éveiller chaque matin. Le soleil se levait toujours à l’est.
Les pavés étaient retournés sur le sable, la plage était à marée basse et notre imaginaire marqué pour longtemps.
Beaucoup de choses ne seraient plus comme avant. Nous allions devoir nous débrouiller nous-mêmes, avec les interdits, la loi, l’autorité, le désir, la sexualité, la liberté, etc.
A cette époque, la relation éducative quasi « verticale », la position d’autorité de l’adulte, notre jeunesse et notre inexpérience, nos origines d’éducation populaire et de syndicalisme ouvrier ne nous avaient pas rendus sensibles à la dimension psychique du sujet.
La première étape importante de cette rencontre fut notre formation d’éducateur spécialisé.
Les enseignements dispensés par nos pairs (psychologues, sociologues, psychanalystes, philosophes, psychiatres, professionnels de l’éducation, professionnels de la création artistique, directeur de l’école et permanents très engagés dans un fonctionnement participatif et responsable de l’institut, formateurs de terrain de stage, etc) nous ont fait entrevoir, rendre perceptible (souvent à travers nous-mêmes), tout ce champ particulier de l’humain.
La deuxième étape se déroula un peu plus tard, après que nous soyons devenus de jeunes éducateurs spécialisés diplômés. Nous étions imprégnés par les pédagogies actives et porteurs d’expériences éducatives nouvelles, dans un climat post soixante huitard d’effervescence théorique et politique, de libération des mœurs, de critique des organisations et des institutions (dans leur aspect de normalisation, de reproduction sociale, d’aliénation diverses) de syndicalisme autogestionnaire (l’affaire LIP n’était pas loin), etc.
Ce fut alors notre rencontre avec de jeunes pédopsychiatres, porteurs également de cette dynamique et aussi, des mouvements de l’anti-psychiatrie, de la désinstitutionnalisation de la psychiatrie italienne, de la psychothérapie institutionnelle, des expériences des lieux de vie, et formés eux-mêmes à la psychanalyse comme l’étaient aussi de jeunes psychologues cliniciens de l’époque.
Ces rencontres nous apprirent petit à petit à tenir compte de l’inconscient du sujet et à écouter, prendre en compte et essayer collectivement de comprendre ce que ce sujet psychique nous disait, par exemple, dans ses expressions particulières (délire, cris, angoisses, auto-mutilation, errance, mutisme, violences, balancements et autres symptômes et bizarreries).
Nous découvrions ainsi, l’importance du langage, celui des mots, bien sûr, mais aussi celui des sens, du corps, des attitudes, des silences, ce qui, au-delà d’un simple aspect communicatif, nous donnaient des points de compréhension de la situation psychique de l’enfant.
Ce fut l’écoute de ce qui nous était inentendable, la parole de l’indicible, l’expression de l’inaudible, qui se sont ouvertes petit à petit dans notre travail.
Tout ceci prit beaucoup de temps, plusieurs années. Cela modifia, enrichit au quotidien notre relation éducative avec l’enfant handicapé et développa en nous une écoute attentive à l’inconscient, au symbolique, une prise en charge dans une relation humaine et bienveillante du sujet et une réflexion complémentaire sur nos attitudes éducatives pour leur donner une visée thérapeutique : c’est la clinique du sujet.
Celle-ci concerne tous les professionnels, de leur place, de leur métier, de leurs compétences qui participent à l’accueil, la prise en charge, aux soins de l’enfant, de l’adolescent et de leurs familles. Elle nécessite aussi une organisation particulière de l’institution pour que celle-ci puisse offrir l’hospitalité indispensable à cette dimension psychique des enfants, à leurs troubles et leurs symptômes, à leurs étrangetés et subjectivité.
Cette organisation s’est référée à la psychothérapie institutionnelle, à la démocratie et à la responsabilisation de tous.
Ainsi, tous les personnels d’un établissement (secrétaire, directeur, agents de service, orthophoniste, psychomotricienne, kinésithérapeute, psychologues, pédopsychiatre, cuisinier, chauffeurs, éducateurs, etc.) sont à une place à minima de responsabilités et d’engagements relationnels susceptibles d’échanges transférentiels. Ceux-ci doivent être alors élaborés dans une réflexion d’équipe pluridisciplinaire pour que chacun s’inscrive dans une dynamique thérapeutique pour l’enfant. Cette réflexion collective s’élaborait, entre autres, dans les réunions institutionnelles qui regroupaient tous les personnels.
Toutefois, cette « prétention » thérapeutique collective a un préalable : celui du désir et de la responsabilité de s’engager personnellement dans un tel projet, un tel dispositif et une limite, celle d’instances de réflexion soutenues par une recherche théorique, une critique et une construction permanente. Tout ceci se déroulant dans un cadre réflexif garant de la loi symbolique et réelle. Un établissement n’est ni un cocon maternel ni un objet de perversité.
La relation éducative prenait ainsi d’autres dimensions humaines indispensables dans notre rencontre quotidienne avec nos limites et celles des difficultés des enfants.
La psychanalyse nous a aidés aussi à ne pas trop nous perdre dans les méandres des « maux d’être » de ces enfants, ni à nous laisser happer dans les abysses quelquefois fascinants de leur tourment.
Certes, la psychanalyse et tout ce qui s’est construit après et qu’elle a influencé, a amené aussi certaines erreurs dans ses recherches de sens (par exemple, la culpabilisation des mères d’enfants autistes à une époque).
Mais elle a apporté surtout ,des points de lumière dans notre travail d’éducateur qui nous ont souvent guidés dans la pénombre de la connaissance psychique des enfants handicapés. Car, s’il suffisait de savoir, par exemple, que le mongolisme est une maladie génétique (trisomie 21), pour la guérir et régler le problème, cela se saurait depuis la découverte du Professeur LEJEUNE. Or, ce que cette maladie « évoque », à tout point de vue pour l’enfant lui-même, sa famille et son entourage reste le nœud personnel et intime du vécu et des souffrances de chacun et avec lesquelles nous avons à travailler tous les jours.
J’avance que pour l’éducateur spécialisé, confronté quotidiennement aux difficultés des enfants, souvent à l’impensable de leur tragédie et de leur histoire, et quelquefois à l’impuissance de ses propres espoirs, garder ces points de lumière vivaces relève d’un exercice très difficile, s’il est solitaire.
Ainsi, le travail d’équipe pluridisciplinaire et un cadre théorique, symbolique et administratif, peuvent et doivent aider alors à garder ce possible en éveil.
C’est aussi avec l’éclairage de la « castration symbolique » qu’il nous a fallu accepter que l’autre (le sujet enfant) nous échappait ; que nous ne pouvions pas tout savoir de lui et pour lui, tout contrôler, tout diriger, tout penser ou imaginer dans un fantasme totalisant anti-éducatif.
Que l’autre devait advenir de lui-même et pas de ce que l’on voudrait qu’il advienne.
Un autre apport important de la psychanalyse est son point de vue particulier sur la compréhension de certains troubles psychiques, comme les psychoses…
La psychanalyse a ainsi amené l’éducateur spécialisé à construire des attitudes cliniques complémentaires à ses attitudes éducatives. Cette démarche clinique vise à élaborer du sens sur les manifestations symboliques, symptomatiques du sujet et à charpenter notre relation éducative pouvant être, de surcroît, thérapeutique.
La psychanalyse a aussi interpellé en profondeur le travail de l’équipe pluridisciplinaire d’un établissement pour enfants handicapés.
En mettant en tension l’éducation, la psychanalyse a amené l’éducateur spécialisé à réfléchir sur son métier spécifique, ce qu’il est, ce qu’il fait et ce qu’il pense ; à être professionnellement responsable de lui-même.
Ce travail de distinction professionnelle, nécessaire pour un travail pluridisciplinaire ou en partenariat, permet à l’éducateur spécialisé de mieux définir ses compétences, ses territoires d’intervention, ses méthodes de travail et les attitudes propres à son métier. Afin de les expliquer, les faire valoir et reconnaître comme spécifiques par tous les autres métiers du secteur.
Cela évite aussi à l’éducateur spécialisé de chercher à imiter n’importe quel autre métier qui n’est pas le sien.
C’est en élaborant son métier que l’éducateur spécialisé peut en exercer l’authenticité dans la relation à l’autre et se défendre contre tout amalgame : beaucoup de gestionnaires actuels, voudraient l’amputer, le dévaloriser ou l’anéantir.
C’est dans et avec le quotidien que l’éducateur spécialisé nourrit et élabore son travail particulier.
Le partage avec l’enfant du temps et de l’espace de ce quotidien, procure petit à petit à celui-ci ce cadre indispensable et sécurisant pour un chemin possible de subjectivation, avec un peu moins d’angoisse et un peu plus de désir.
Sans la durée, lente et quotidienne du temps, la prise en charge éducative et clinique de ces enfants souffrant de leurs « maux d’être » ne peut inscrire et dynamiser en eux cet espoir vital et thérapeutique.
La clinique du sujet et l’éducation spécialisée demandent du temps, des efforts et ont des exigences.
Ces trois conditions minimales, explosent aujourd’hui dans la « modernité » du soin immédiat (qui ne vise souvent que la réduction du symptôme et la mise au pas du sujet), dans le zapping thérapeutique (tout est achetable :n’importe quelle croyance, dressage, pseudothérapie, et autre imposition des mains …), dans la moindre frustration (tout, tout de suite,l’envie pas le désir), dans le refuge du virtuel (comme fuite de la réalité), dans le coaching (comme perte régressive de la responsabilité de soi), dans l’évaluation réductrice (comme fausse efficacité rassurante par ces temps de crise morale, économique, spirituelle, sociale…), dans l’activisme (comme appréhension mortifère du vide), dans la recherche de certaines facilités (drogues diverses, abus de médicaments), dans le tout rentable (pour développer les profits), du quantifiable (pour contrôler et normaliser), dans la judiciarisation excessive (pour masquer les défaillances de ses propres devoirs)…
Pourtant, on entend sourdre cette révolte contre la perte de l’humain, c’est-à-dire cette dimension, qui, dans la relation à autrui, porte ce mystère qui nous différencie de l’objet, du clone, de l’animal, et fait que nos rencontres sont toujours une découverte et une perpétuelle recherche de sens et de connaissance.
Depuis plus de cent ans, la psychanalyse participe avec d’autres théories à cette recherche fondamentale pour l’homme sur lui-même.
Je crois avoir entendu que vous étiez pour une psychanalyse post freudienne, une psychanalyse qui serait soin de l’âme et pas doctrine de Freud.
Vous avez jeté le bébé, gardons l’eau du bain pour alimenter cette psychanalyse post-freudienne (à l’œuvre, à mon avis, depuis la naissance même de la psychanalyse freudienne).
A mon sens, la psychanalyse doit quitter un certain « parisianisme » élitiste, « gardien du temple » et s’inspirer encore et toujours plus de ce que les acteurs de terrain rencontrent tous les jours dans leurs pratiques cliniciennes dans les secteurs de la psychiatrie, des hôpitaux de jour, des CAMSP, des CMPP, des institutions médico-sociales (IME, CAFST, SESSAD) et autres établissements et services accueillant, tous les jours, des personnes fragilisées de la vie.
C’est dommage que l’on ne donne pas plus la parole à ces dizaines de milliers d’adultes, d’enfants, d’adolescents et leurs familles, qui ont rencontré, un jour, des professionnels, formés entre autres, à la psychanalyse, pour les accompagner sur le chemin de leur mieux-être.
Et vous verriez alors que nous sommes très loin d’une psychanalyse réservée à une élite, cultivée et argentée, du prix exorbitant d’une séance, de la désinvolture de l’écoute flottante, du chamanisme, du dogmatisme sectaire des « grands prêtres » analystes, bref, de tout ce qui est souvent mis sur le devant de la cène médiatico-narcissique. Chacun trouve son compte et alimente ses comptes dans ces différentes postures.
C’est dommage aussi que l’on ne donne pas plus la parole à tous ces professionnels qui ont les manches retroussées tous les matins sur les terrains d’accueil des difficultés de l’homme.
C’est là aussi que la psychanalyse opère, se construit et se régénère.
En luttant contre la « chosification » de l’être humain, la psychanalyse participe aussi, à ne pas considérer l’autre, seulement comme un étranger à soi-même, un cas, un symptôme, un handicap, un dossier, un coût, un test, une étiquette, une maladie, un jugement, une situation, une courbe et autres saucissonnages.
La psychanalyse aide à rendre l’homme moins aliéné, moins barbare et un peu plus humain.
Enfin, votre livre, c’est-à-dire votre création, s’inscrit, que vous le souhaitiez ou pas, dans un mouvement de critique de la psychanalyse.
Cela est nécessaire et vital pour elle.
Cependant, depuis des années, cette critique s’exerce dans un contexte où des enjeux idéologiques très puissants essaient, sous couvert de remise en cause de la psychanalyse, d’imposer d’autres conceptions et formes de pensées sur l’homme et sur les prises en charge de ses fragilités (neurosciences dévoyées, thérapies comportementales et cognitives exagérées, méthodes d’apprentissages à la baguette et au bonbon, recommandations de la HAS, procès du Professeur DELION sur le packing, dangerosité de la maladie mentale, prévision / prédestination de la délinquance à 3 ans, soins sous contraintes, double peine thérapeutique, réduction drastique des moyens en personnel soignant dans les prisons, les hôpitaux psychiatriques, remplacés par des bracelets électroniques et des caméras de surveillance, étiquetage d’hyperactivité des jeunes enfants scolarisés qui « bougent », hypernormalisation et non respect du temps différencié dans les apprentissages des enfants, etc.
La psychanalyse démodée, décriée, dogmatique, inefficace, en crise, concurrencée, à mettre au placard de l’histoire, et interdire toutes méthodes éducatives et de soins s’en inspirant … : Pourquoi tant de haine ? mais aussi ,pourquoi tant d’amour ?
Depuis des dizaines d’années, sur le terrain, le travail pluridisciplinaire et multidimensionnel est à l’œuvre dans l’abord et le traitement des troubles psychiques et des handicaps divers. La psychanalyse n’y participe plus avec les excès et la toute puissance d’il y a 40 ans.
Elle continue son autocritique pour dépoussiérer encore certains dogmatismes. Mais cela n’altère surtout pas la poursuite de son travail indispensable et irremplaçable sur le terrain !
En même temps, la psychanalyse est d’autant plus mise à mal, rabrouée, vilipendée, proposée à l’autodafé (« faut-il brûler la psychanalyse » ?) que le libéralisme pénètre en force dans les champs du soin et de l’éducation, imposant sans vergogne son idéologie, ses logiques, ses méthodes et sa brutalité.
Le libéralisme a besoin pour agir, de cerveaux vides, assujettis et silencieux. De ce fait :
-L’être souffrant n’est plus un sujet, mais un usager (bientôt usagé d’ailleurs).
-L’enfant et sa famille ne sont plus dans leur histoire, juste dans une situation.
-L’éducation devient une prestation de service (de réparation et d’occupation).
-La relation humaine, superflue, subversive, est une perte de temps.
-Le soin se résume à une prescription, une chambre d’isolement, une cellule, une camisole chimique, un dressage et dans tous les cas, un silence.
-La liberté et la créativité éducatives se déploient dans des guides de bonnes pratiques « vitrines » et autres formatages « bientraitants » et bien pensants.
-La pensée est combattue, anéantie, désubjectivée, mise aux pas des oies de Konrad LORENZ comme attachement novateur à la modernité, au scientisme, au culte de l’efficacité et de l’action.
-Le temps est réduit à l’ immédiateté ,à l’urgence futile.
-Le présent est déraciné du passé.
-La confidentialité professionnelle est battue en brèche.
-Les échanges humains transformés en « communication / information » dans l’intranet par exemple (cela existe aussi dans le médico-social).
-La déshumanisation et la déconsidération professionnelle « récupérées » dans des grandes manifestations familialistes et associatives.
-L’utilisation d’une nov-langue managériale détachée de tout ancrage humain : dirigeance, nouvelle gouvernance ,suivance, c’est-à-dire, hiérarchie, ordre, obéissance.
-La multiplication des chefs, sous-chefs, petits chefs et autres chefaillons incapables d’entraîner vers un chef d’œuvre individuel et d’équipe.
-Le remplacement de pédopsychiatres par des médecins généralistes (pour réduire les « soins de l’âme » aux seuls soins du corps), la prolifération des AVS multifonctions peu formées, comme signe d’une déqualification active.
Et les éducateurs, par qui seront-ils remplacés ?
Dans le médico-social, certaines associations de parents livrent un combat acharné dans les établissements et services qu’elles gèrent, contre tout ce qui touche à un soin et une prise en charge éducative intégrant la psychanalyse et la psychiatrie, dans son corpus théorique.
Ce combat, dont la motivation officielle est ,sous couvert de modernité, la remise en cause de la psychanalyse et de la psychiatrie, cache très souvent d’autres raisons beaucoup plus floues : prise de pouvoir, remise aux ordres des équipes, réassurance dans le scientisme moderne, uniformisation de la pensée, instrumentalisation des professionnels, mélange volontaire entre le professionnel, l’associatif et le privé, fragilités narcissiques et ressentiments variés…
Ce combat fait de réels dégâts dans les équipes : nombreux arrêts maladie (parfois de longue durée), stress, dévalorisation du travail (rabotage du contenu des postes), isolement, burn-out, démissions, prud’hommes, dénigrement, voire délation, pressions diverses, déconsidération des professionnels, casse du collectif, infantilisation, atteintes des prérogatives des instances représentatives du personnel, licenciements, pesanteur de l’incommunicabilité, management agressif, autoritaire, ne tolérant aucune discussion, remarque et encore moins critique, et d’une bienpensance très équivoque etc.
Tout ceci se passe de nos jours dans le médico-social.
Dans le collectif des 39, des indignés sparnaciens ont publié deux textes :
« Humeur : le médico-social en manque d’utopie »
et
« Où est passé l’avenir du médico-social ? »
Je propose d’y ajouter la question suivante :
« Que fait-on aujourd’hui dans le médico-social ? »
-« et FREUD,dans tout cela ? »
-« à vous de voir et de penser ! »
le travail d'éducateur
MR carré
dimanche 11 décembre 2016