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Bernard Montaclair

dimanche 20 mai 2007

Les tics et stéréotypes langagiers disent beaucoup sur les intentions cachées, les dérives potentielles dangereuses.

Il peut être intéressant de passer en revue quelques uns d’entre eux. A force de les employer quotidiennement, nous risquons d’en perdre le sens.

Le « dire » caché derrière le « dit » mérite toute notre attention.

Le mot classe désigne, à l’école, un groupe que nous voudrions homogène, créatif, dynamique, synergique et d’une solidarité de bon aloi. Le terme vient pourtant du latin « classis » qui désignait chez les romains un mode de recensement des guerriers selon leur aptitude au combat. Le système du classement, censé créer une saine émulation entre les élèves, garde donc cet héritage.

Cible , objectif , trajectoire appartiennent au vocabulaire de l’artillerie avant que d’être employés dans l’éducation, la formation, le travail social.

Le terme de professeu r ne connote pas la même pédagogie que celui d ’instituteur . La chaire , que C.Freinet avait supprimée, a une origine cléricale et universitaire Elle marque dans l’espace la différence de niveau entre le prêcheur et l’endoctriné.

La discipline est à la fois la matière à apprendre, et l’ordre nécessaire à la transmission, la docilité, le silence dans les rangs, l’obéissance.

L’uniforme revient d’ailleurs actuellement dans les propos comme une solution pour effacer les différences.

Apprendre est à double sens. Apprendre quelque chose (pour soi) et apprendre quelque chose à quelqu’un.

Le mot inculquer, pour désigner l’action de faire entrer dans la cervelle une bonne habitude ou un savoir utile, désigne en latin l’action de marquer du talon, d’imprimer, en insistant, une marque dans le sol.

Jules Ferry désignait à l’intention des maîtres de la troisième république les matières au programme :(un récent ministre de l’Education Nationale les a d’ailleurs reprises à son compte) :

« Tout ce qu’il n’est pas permis d’ignorer ».

C’est, au pied de la lettre, interdire l’ignorance, l’assimiler à la délinquance.

Certes, la lecture, l’écriture, le calcul sont indispensables à tout citoyen pour communiquer avec ses semblables. Remplir sa feuille d’impôts ou de sécurité sociale, lire le journal et calculer les dépenses du ménage. Les plus progressistes parleront de la culture, de la citoyenneté, de l’ouverture sur le monde permise par le « socle » indispensable à l’homo sapiens. Des cliniciens justifieront même cette nécessité de maîtriser la langue pour éviter les passages à l’acte barbares.

Les « sauvageons » sont réputés avoir transgressé l’obligation de marcher dans les clous du passage protégé. Ils ne lisent pas, ne parlent pas le bon français du lycée. Ils brûlent des voitures volent, violent, et voilent les filles. L’école de la république civilisée doit donc interdire le voile, les barbarismes et la barbarie.

Il découle de ces intentions implicites une ignorance par les bien-sachants de la possibilité d’une culture qui ne soit pas celle qu’ils partagent. Comme les peintres académiques du 19ème siècle refusaient les cimaises des salons aux impressionnistes, et les mozartiens disaient que le jazz était une musique de sauvages. L’Ecole de la République attend des enseignants qu’ils soient les gardiens du bon savoir. En quelque sorte, un Conservatoire, ou une Académie.

Marcel Proust relativisait pourtant le barbarisme lorsqu’il faisait ce commentaire autocritique à propos des fautes de français de sa servante Françoise.:

« Bien prononcer les mots et ne pas faire de ‘cuirs’, ce reproche était particulièrement stupide, car ces mots français que nous sommes si fiers de prononcer exactement ne sont eux-mêmes que des ‘cuirs’ faits par des bouches gauloises qui prononçaient de travers le latin et le saxon, notre langue n’étant que la prononciation défectueuse de quelques autres. Le génie linguistique à l’état vivant, l’avenir et le passé du français, voilà ce qui eût dû m’intéresser dans les fautes de Françoise. »

M.Proust: Sodome et Gomorrhe I

La question de la dissymétrie instaurée obligatoirement entre un sachant et un ignorant demeure difficile. Comment faire en sorte qu’elle ne soit pas une humiliation pour l’un, une plus-value de pouvoir pour l’autre ?

La relation peut générer de part et d’autre de l’agressivité et de la séduction.

Il peut y avoir de la jouissance à mettre l’autre devant ses difficultés pour se sentir plus savant soi-même. Un plaisir sadique peut en dériver.

Il y a aussi de la jouissance à enseigner, faire connaître, révéler, surprendre.

Le plaisir d’apprendre quelque chose à quelqu’un (« Tu connais pas la dernière ? ») n’a d’égale que la déception lorsque l’autre déclare : « Je le savais depuis longtemps ».

Car parfois, l’étonnement tourne court. Tel est surpris qui voulait surprendre. Et le maître déplore que ses élèves soient indifférents, dépourvus de toute curiosité. Un ressort de sa machine pédagogique est cassé.

Dans les pseudos dialogues de communication à la mode, on trouve toujours deux personnages dans une relation de pouvoir asymétrique. Deux partenaires aussi indissociables que ceux de la dialectique du maître et de l’esclave. Un numéro de duettistes souvent utilisé dans les spots publicitaires. La godiche ne connaît pas la nouvelle lessive utilisée par son amie pour laver plus blanc, le malin paie son téléphone moins cher que son copain, et, (de plus en plus répandu), le parent idiot reçoit de son rejeton de quatre ans une leçon sur l’inutilité des antibiotiques dans les affections virales, ou ignore l’existence des Omega 3.

Je crains que ce duo ne soit aussi modélisé dans les rapports qui régissent l’éducation et singulièrement l’enseignement, le conseil, la transmission.

Si l’ignorant est stigmatisé comme un coupable, son ignorance devient, en plus, intentionnelle. Il ne veut pas savoir. Il manque de volonté. Alors, comment infuser de la volonté à quelqu’un qui n’en a pas ? Injonction paradoxale :Il faudrait qu’il ait de la volonté. Et surtout qu’il n’en mette pas de la mauvaise. Devant l’impuissance de ce conditionnel, il ne reste plus qu’à lui imposer notre propre volonté. La coercition devient alors la seule méthode pédagogique.

J.J. Rousseau stigmatisait déjà cette aberration lorsqu’il écrivait:

« Il est bien étrange que, depuis qu’on se mêle d’élever des enfants, on n’ait imaginé d’autre instrument pour les conduire que l’émulation, la jalousie, la vanité, la vile crainte, toutes les passions les plus dangereuses, les plus promptes à fermenter, et les plus propres à corrompre l’âme, même avant que le corps soit formé. A chaque instruction précoce qu’on veut faire entrer dans leur tête, on plante un vice au fond de leur cœur ; d’insensés instituteurs pensent faire des merveilles en les rendant méchants pour leur apprendre ce que c’est que bonté, et puis ils vous disent gravement : Tel est l’homme. Oui, tel est l’homme que vous avez fait. »

Et dans sa préface d’Emile:

« Les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre »

De telles formulations, à l’époque mais encore aujourd’hui, peuvent sembler choquantes.

Trois expressions, dans ce cas, sont souvent utilisées dans les débats scientifiques et philosophiques, et dans les propos de table :

« C’est impensable… »

« Je ne peux pas te laisser dire que… »

« Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! »

Impensable

L’expression est souvent utilisée pour contredire un adversaire. Elle annule toute discussion. Ce que je viens de formuler peut paraître impensable à certains lecteurs. Pourtant, avant de l’écrire, je l’ai pensé. Il y a dans cette affaire une erreur de logique. Tout ce que mon contradicteur peut dire raisonnablement, c’est qu’il pense autrement que moi sur ce sujet. Et comme son affirmation d’impensabilité a forcément, par lui, été pensée avant d’être dite, je ne peux pas non plus déclarer qu’elle est impensable.

J’aurai bien envie pourtant d’empêcher mon contradicteur de dire des inepties ! J’userai alors pour cela d’une autre expression :

« Je ne peux pas te laisser dire que … ».

J’avoue ainsi mon impuissance à t’empêcher de parler. Mais je dévoile mon intention : « Si je pouvais, je t’empêcherai de dire cela ».

Voici naître un projet de censure.

La discipline (qui fait la force des armées), vient au secours de la pédagogie. De par mon statut d’enseignant, j’ai le pouvoir d’interdire. Je peux empêcher l’ignorant de déclarer que deux et deux font cinq ou que le Pirée est un homme. De ma place de sachant, je puis clouer le bec à l’ignorant, lui dire « Tais-toi » conformément à la plaisanterie militaire bien connue : « Quant on parle à un supérieur, on se tait ! .

Je dispose même d’une arme absolue : La correction.

Le terme évoque le châtiment corporel qui autrefois, sanctionnait les fautes. Les coups de règle sur les doigts, le tirage d’oreilles sont une pratique interdite de nos jours. Mais il subsiste souvent une violence verbale, des propos disqualifiants, humiliants, formulés d’ une voix exaspérée, menaçante, méprisante, devant les mauvais résultats apparus lors de la correction. Le terme d’ évaluation serait moins chargé d’une agressivité latente.

Il arrive néanmoins que quelqu’un parvienne à s’exprimer malgré tout, et qu’on ne puisse pas l’empêcher de dire l’impensable.

Notre exaspération est alors à son comble. Il ne nous reste plus qu’à nous boucher les oreilles. Nous employons alors cette autre expression, fréquemment utilisée par l’enseignant quand un élève énonce une énormité du genre : « Charlemagne est mort sur la croix à Sainte Hélène. » :

« Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !!! »

Lors d’un récent débat auquel j’assistais sur la liberté de conscience, un participant avait levé la main et le président de séance lui avait donné la parole. L’expression était maladroite, et le propos s’éternisait. Mon voisin s’agitait sur sa chaise.et s’exclama : « Qu’est-ce qu’il faut pas entendre !!! .

Comme je ne pouvais pas l’empêcher de grommeler je me suis mis à penser.

Penser à la réponse que j’avais envie de faire à la question « qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ? » .

J’aurais pu dire :

« Mais cher Monsieur, tout est à entendre ! C’est cela la liberté de conscience. A moins de vous boucher les oreilles, rien ne doit pas être entendu… Mais vous avez le droit de lever la main, prendre la parole à votre tour, pour dire sans en être empêché ce qui vous assourdit dans les propos que vous avez entendus. »

Et puis, j’ai continué à penser. Je me suis laissé dire que ces expressions nous renseignent sur ce qui fait obstacle à un vrai dialogue. En particulier que le terme n’est pas synonyme de débat.

Le dialogue passe par le préliminaire de l’écoute, et l’appréhension, (et non la répréhension) d’un savoir. Savoir ce que l’Autre me donne à entendre de ce qu’il pense, y compris de l’ignorance ou de l’erreur qu’il cultive. Et surtout, qu(il me renseigne sur l’émotion qui l’habite.

Ce dire, si éloigné qu’il soit de ma propre pensée, et qui m’exaspère, il me faut l’entendre comme une véritable parole, ne pas le censurer.

Ce malentendu sur le dialogue me semble souvent imprégner les rapports au sein de l’école.

A la dissymétrie utile et nécessaire du savoir, s’est substituée une dissymétrie du pouvoir.

Pour avoir, lors de mon service militaire, servi dans les transmissions, j’ai appris qu’entre l’émetteur et le récepteur n’existait aucune problématique de pouvoir, mais seulement des difficultés entre les deux opérateurs. (mauvaise qualité de la ligne ou du canal hertzien).

Le contenu du message n’avait pas non plus d’importance. Envoi de renforts, ordre de repli ou promotion d’un gradé, seule comptait la conformité entre le message envoyé et le message reçu. Pour s’assurer de cette bonne transmission, dans des conditions atmosphériques difficiles, on « collationnait ». Le récepteur devenu émetteur répétait le message. Dans ce type de transmission, l’interactivité était au centre du dispositif. Tout était à entendre, y compris les erreurs. Juger de la qualité de l’émetteur ou du récepteur était une perte de temps et un parasitage …impensables.

Lorsque, dans cette période préélectorale j’entends un homme politique faire une pseudo autocritique en déclarant « je n’ai pas bien communiqué », en confondant communication et persuasion, je me dis que cette erreur de sens est caractéristique aussi du malaise dans l’éducation.

Les relations maître-élève, mais aussi les rapports entre un travailleur social et son « client », « usager », ou « usagé », sont construits sur cette erreur. Le primat du contenu du message sur la qualité de la transmission. L’absence d’interactivité, la substitution d’une relation de pouvoir à la fonctionnalité du passage de témoin.

Les enfants sont disqualifiés par la surqualification du maître. Leur moi est écrasé par le surdimensionnement du surmoi du maître.

La sanction (le diplôme) est pour le maître le résultat de ses études. La sanction (la punition) est pour l’élève le résultat de ses mauvais résultats.

Nous savons que le mot « pouvoir » a deux acceptions. Il y a la possession, l’ascendant d’un homme sur un autre. Il y a la capacité, la compétence, qui ouvre sur un possible.

Le terme de faute d’orthographe est révélateur de cette infiltration judéo-chrétienne dans la pédagogie. On pourrait plutôt parler « d’erreur d’orthographe » comme on parle en mathématiques d’un raisonnement ou d’un calcul erroné.

Car l’erreur n’est pas inhumaine. Dans la démarche scientifique, elle est même considérée comme un tremplin vers un surplus de vérité.

Il faut donc l’entendre, la laisser dire, se dire, et penser.

Les ateliers philosophiques, les groupes de soutien au soutien développés par l’AGSAS, sont des lieux d’échange d’erreurs, le contraire des distributions de recettes.

C’est ce qui fait leur richesse et leur efficacité. Mais peut-être aussi ce qui provoque des réactions sceptiques ou exaspérées des « ignorants » qui n’ont pas encore été formés à ces démarches. Cette ignorance n’est pas, à mes yeux, à stigmatiser. La formation universitaire des enseignants est pour beaucoup dans cette propension au remplissage, à « l’inculcation », qui débouche insidieusement sur une entreprise d’ « inculpation » des réfractaires.

L’absence de référence à la psychanalyse empêche aussi que soit comprise l’oralité de l’entreprise éducative. L’institution Education Nationale se positionne en bonne mère. Son lait est forcément bon. La mère est désemparée lorsque l’enfant le lui recrache à la figure. Le nourrisson est du coup vécu comme méchant. On connaît les avatars de cette problématique: anorexie, boulimie, toxicomanie… et refus scolaire. Comment faire comprendre, (inculquer !) l’idée que ce n’est pas l’enseignant qui est mauvais, ou l’enfant mauvais, ni même la matière, (l’objet à transmettre), qui serait un lait de mauvaise qualité. Comment faire passer ce message qu’il faut considérer la relation de transmission qui, pour des raisons variées, est, à un moment donné, inadéquate, et que c’est sur cette relation et non sur la matière, que les efforts pédagogiques doivent porter ?

Il nous faut dans un premier temps entendre cette manière que la société toute entière, par enseignant et medias interposés, a trouvée pour dévier par des propos banalisés l’impuissance, l’angoisse et la blessure narcissique qui hantent la fonction enseignante. Cette dérobade par rapport à l’importance des enjeux de civilisation est certes inquiétante. En plaisantant ici sur ces mécanismes de défense, je risque de tomber dans le travers que je dénonce.

Mais on sait que l’humour est toujours un moyen détourné pour dire les choses sans les dire, comme Freud nous l’ a révélé à propos du mot d’esprit.

Laissons donc les dires se dire, et continuons de perfectionner nos outils d’écoute. Peut-être n’est-il pas impensable que nous finissions un jour par être entendus.

C’est au poète René-Guy Cadiou que j’emprunterai ce vers en conclusion :

« Ce qu’il dit ? Ce ne sont point propos bons à répandre

Encore un qu’il faudrait aimer avant d’entendre. »

* Texte paru dans la revue « JE EST UN AUTRE » N° 17 La difficulté de la transmission. Association des Groupes de Soutien au Soutien 2 place Général Koenig 75017 Paris

Janvier 2007

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