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Educateur spécialisé, entre le dire et le faire, une identité en faillite

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Laurent Cambon

lundi 23 janvier 2006

« Educateur aujourd’hui : un métier impossible » 1 : la formule est brutale certes, mais elle révèle immédiatement la difficulté pour ce métier de se constituer en une profession autonome, stable, pérenne, dont les champs d’exercice seraient parfaitement délimités. Les ouvrages ou les articles pour dénoncer cette difficile construction de l’identité professionnelle des éducateurs ne manquent d’ailleurs pas. Je me suis enquis à mon tour, d’effectuer un travail de recherche qui vienne rajouter de l’eau au moulin déjà bien rempli de l’identité professionnelle des éducateurs spécialisés. Néanmoins, l’entrée par laquelle j’ai cherché à traiter cette question paraît originale à bien des points de vue. En effet, le propos de cette thèse ne se veut en aucun cas prescriptif. Il n’a pas l’ambition de définir en lieu et place des praticiens eux-mêmes les contenus de leur identité professionnelle mais il offre à cette question une analyse sociolinguistique de ce que les éducateurs sondés ont bien voulu dire de leur identité professionnelle.

L’approche ethno-sociolinguistique du discours des éducateurs spécialisés

Les regards ethnologiques et sociologiques permettent une appréhension des matériaux verbaux à la fois de l’intérieur et de l’extérieur. Ayant en effet exercé comme formateur en IRTS et exerçant aujourd’hui comme cadre socio-éducatif, j’ai eu la possibilité de recueillir relativement naturellement un grand nombre de discours, bénéficiant ainsi d’une certaine légitimité et d’un certain crédit des professionnels interrogés pour se livrer à moi. De même, faire partie de la communauté éducative spécialisée facilite l’émergence de questionnements très spécifiques à la profession, questionnements qui m’auraient été d’accès plus difficile si j’avais été totalement étranger au secteur. Néanmoins, une posture externe s’impose pour appréhender les discours afin d’éviter la confirmation d’a priori pré-existant au travail de thèse.

Dans un métier où la parole et la relation à l’autre sont si souvent affirmées comme les moteurs essentiels de l’action éducative, le point de vue soiolinguistique, pourtant si peu présent dans les centres de formation, occupe une place tout à fait primordiale. La sociolinguistique n’envisage pas le langage comme un objet sclérosé, figé, qui s’étudie dans les dictionnaires ; bien au contraire, le langage qui intéresse le sociolinguiste est celui de la rue, tel qu’il est parlé véritablement par les locuteurs dans des contextes d’énonciation donnés. En ce sens, les discours des éducateurs spécialisés recueillis n’ont de validité scientifique que méthodologique, ils n’ont pas valeur d’universalité. Ce sont des discours qui sont la démonstration de la relativité du langage et de son caractère éminemment variable. Autrement dit, la méthode d’analyse s’inscrit dans une perspective ethno-sociolinguistique, c’est-à-dire une méthode qui va chercher les discours là où ils s’exécutent, et qui assume de manière définitive que les matériaux langagiers recueillis ne constituent pas une vérité générale applicable à tous les éducateurs spécialisés, mais ne sont en réalité que la manifestation de discours professionnels relatifs, dans un espace précis et à un moment déterminé. La méthode de traitement des discours se veut empirique. Les catégories d’analyse ont ainsi émané de l’enregistrement et de la transcription des entretiens, et n’ont pas été conçues a priori. A une analyse de contenu succède une analyse du discours à entrée lexicale, le tout portant à la fois sur des écrits professionnels en situation, des entretiens et des enquêtes explicites. L’ensemble est situé dans le contexte historique et institutionnel de développement et d’exercice de la profession.

Dans ce contexte d’analyse, il faut s’attarder un instant sur la définition du concept de « discours ». Cette acception revêt des pluralités de définitions. Dans le cas précis des éducateurs spécialisés, l’analyse des discours envisage l’acte de parole comme une pratique sociale constitutive de l’activité professionnelle. Les entretiens et les différents matériaux recueillis (enquêtes de terrain, protocoles de stage, évaluations de stagiaires etc.) sont abordés ainsi comme des énoncés à propos de l’identité professionnelle formant à chaque fois un tout, une unité cohérente dans un contexte d’énonciation précis. Le discours ne se comprend pas indépendamment du contexte d’énonciation et du contenu général qui constituent l’unité textuelle de l’objet d’analyse. En tous les cas, mon étude n’a pas porté sur les discours en interaction des éducateurs spécialisés dans les lieux de travail, mais des discours à propos de leur identité professionnelle que ce soit en situation d’entretien ou dans des écrits spécifiques.

L’identité et la culture professionnelles dans et par le discours :

L’une des questions que pose cette recherche est la suivante : y a-t-il une corrélation entre le discours des professionnels, la culture qu’ils composent et l’identité qu’ils s’affublent et qui leur permet d’être reconnus par autrui comme appartenant à un groupe professionnel spécifique ? De même, l’analyse du matériel langagier des professionnels interroge sur la capacité qu’ils ont ou la possibilité que le langage leur laisse pour dire leur activité professionnelle et l’ensemble des savoirs qui la structurent. Concernant ce dernier point, les linguistes du Réseau Langage et Travail 2 affirment la difficulté pour tout professionnel, de quelque métier qu’il soit, de faire correspondre avec exactitude de qui est de l’ordre de l’activité professionnelle en elle-même et de ce qu’ils en disent dans l’après-coup. Chez les éducateurs spécialisés, le phénomène est d’autant plus criant que, s’ils ne sont pas toujours en mesure de formaliser leur activité et leurs savoirs propres, il existe toujours quelque chose du mystère de la relation entre un éducateur et un usager qui ne parvient pas à se dire totalement.

Toujours est-il que l’incertitude de la profession d’éducateur spécialisé se manifeste de manière tout à fait symptomatique dans la façon dont les éducateurs tentent d’encoder dans les discours ce qui constitue leur métier ; symptomatique au sens d’un métier qui a fondamentalement des difficultés pour se structurer sur des bases conceptuelles et pratiques univoques, solides et légitimes. Toute l’analyse des discours des éducateurs spécialisés n’a cessé de renvoyer pendant les enquêtes à la question douloureuse de la légitimité à exercer et à exister en tant que profession indépendante et reconnue. Plus largement, les discours révèlent une crise grave du manque de reconnaissance, induite par l’ensemble des professionnels annexes à l’éducation spécialisée (magistrats, psychologues, médecins etc.) dont les éducateurs empruntent un grand nombre de vocables sans toujours en maîtriser le contenu et l’origine.

Les liens entre identité professionnelle, langage, discours à propos de l’identité professionnelle et l’activité elle-même de travail sont complexes et ténus. La complexité est d’autant plus grande que les éducateurs travaillent avec des êtres humains en difficulté, qu’une majeure partie de leur activité professionnelle s’effectue dans l’immatérialité de la relation éducative usager/éducateur et que les représentations à l’œuvre dans le métier d’éducateur sont traversées de valeurs plurielles et antagonistes qui tentent de faire la synthèse entre leur besoin de professionnalité et les aspirations humanistes et solidaires inhérentes à leur activité. Il faut rajouter que la mise en mots de l’activité professionnelle relève d’un véritable paradoxe, « l’activité de travail [étant] un processus intra-psychique et inter-individuel en tant que tel, non observable directement. Ce qui est observable, enregistrable, ce sont les traces matérielles de cette activité ; traces qui ont pour nom, selon les théories et les points de vue des auteurs : phrases, énoncés, discours, textes, dialogues, conversations, interactions verbales, pratiques langagières » 3 . Parler de son travail constitue un processus de remémorisation, de verbalisation ; il s’agit d’un véritable procédé de reconstruction de l’action (un replay selon Goffman). L’action éducative se heurte dans la mise en mots à, d’une part, les résistances des professionnels à évaluer leur activité, et d’autre part, la magie guère verbalisable de la relation empathique. Tout le problème est, pour les professionnels, de trouver un juste équilibre entre ce qu’ils ne peuvent pas dire et ce qu’ils ne veulent pas dire de leur activité professionnelle.

La difficile question de la reconnaissance professionnelle :

La question de la reconnaissance professionnelle, du moins du déficit de reconnaissance professionnelle prend une part tout à fait importante dans les discours des éducateurs spécialisés. Le langage technique à l’œuvre assure donc une fonction de revalorisation du métier, et non tant une fonction de « communication optimale, tendant vers une compréhension parfaite, basée sur une transparence que n’entache aucune ombre ». 4 Autrement dit, le langage professionnel doit prétendre à une extrême technicité, technicité qui n’est pas accessible au profane à cause de son caractère précis et pointu, et du langage qui est utilisé pour désigner ces référents particuliers. Or, chez les éducateurs spécialisés, il y a certes l’utilisation d’un technolecte a priori complexe, mais qui ne résulte pas tant d’un contenu professionnel inaccessible aux néophytes que de leur recherche d’une meilleure reconnaissance professionnelle.

Nous connaissons les deux fonctions constitutives de l’argot à savoir la fonction cryptique et la fonction emblématique. Parler de manière herméneutique c’est d’emblée poser un rempart de compréhension entre soi et autrui, c’est d’emblée se mettre dans la position savante du professionnel versus celle du profane. De la même façon, les éducateurs spécialisés se parent d’un argot de métier qui leur permet de se constituer en un groupe professionnel distinct, usant ainsi de vocables ou d’expressions qui les font se reconnaître les uns et les autres et leur donnent l’illusion de partager un univers de références commun. Autrement dit, les discours des éducateurs spécialisés, plus qu’ils ne disent quelque chose d’une activité professionnelle, servent d’emblème à une identité de métier spécifique. Je parle comme un éducateur spécialisé pour être assimilé à mon groupe professionnel, plus que je ne parle pour transmettre des informations et des tâches que seuls les initiés seraient en mesure de comprendre.

Hélas, la recherche a montré que cet univers de référence commun est illusoire dans la mesure où l’unité d’exercice et de populations demeure assez complexe chez les éducateurs, où les référents nommés par les locuteurs sont loin de faire unanimité sémantique d’un éducateur à l’autre. Quand, lors d’une réunion de synthèse, les participants s’accordent autour de l’objectif (si l’on doit parler d’objectif !) « rendre acteur l’adolescent de son projet », il est fort à parier que chacun d’entre eux aura une conception et une définition plurielles des expressions « projet », « rendre acteur » voire même « adolescent ». Une fois de plus, cet univers confus de référents révèle la difficulté pour les éducateurs de se rassembler autour d’un ensemble de représentations, de valeurs, et surtout de référents théoriques unanimes et maîtrisés par l’ensemble des praticiens. La scientificité des interventions éducatives est, dans les discours, une scientificité de la formalisation, mais ne parvient pas à faire état d’un corpus théorique et pragmatique qui fasse unité auprès des intervenants, se réclamant pourtant tous de la même profession. Il ne s’agit pas de voir dans mon propos la tentation de faire des éducateurs spécialisés un seul et même corps, simplement je dénonce là la contradiction entre des discours qui marquent une certaine unité et des contenus qui révèlent un quasi chaos des représentations de la réalité professionnelle.

La quête de la légitimité d’exercice :

En contrepoint du besoin de reconnaissance professionnelle relevé dans les discours des éducateurs, apparaît la question de la légitimité à exercer et à faire valoir des compétences sérieuses et singulières. Si nous avons vu plus haut qu’il y a unification des éducateurs spécialisés autour des usages verbaux et pluralité des univers référés, ces mêmes usages verbaux fonctionnement comme des marqueurs de prestige et de légitimité professionnelle.

L’emprunt aux sciences humaines constitue le terreau principal du discours et des modes de représentation du monde chez les éducateurs spécialisés. Toutefois, ces emprunts subissent des hiérarchisations selon l’importance que les éducateurs accordent à telle ou telle discipline et selon les choix institutionnels qui président aux modalités de prise en charge. La psychologie clinique et la psychanalyse continuent de fasciner un grand nombre de professionnels qui emploient ainsi des tournures verbales proprement issues de ces disciplines, ou reconstruites dans un langage pseudo-scientifique à la manière de la psychanalyse ou de la psychologie. On aimera ainsi les formulations complexes, les diagnostics psychologiques à l’emporte-pièce qui permettent aux éducateurs spécialisés de se désigner comme des professionnels légitimes, beaucoup plus qu’ils ne désignent des réalités complexes.

Ce rapport étroit aux sciences humaines et surtout à d’autres professions prestigieuses, souvent dotées de reconnaissance sociale et de crédibilité scientifique (médecins, psychologues, etc.) s’établit à la fois dans l’admiration et la rivalité. Admiration au sens d’emprunts parfois aveugles de vocables ou de tournures réputés d’emblée valorisants par les éducateurs ; rivalité au sens des conflits de légitimité qui opposent traditionnellement les métiers de l’éducation spécialisée et ceux du soin, les uns cherchant à faire valoir leur singularité contre les autres qui bénéficient largement d’une reconnaissance sociale. L’absence d’ailleurs de représentation corporatiste des éducateurs spécialisés n’améliore pas ce déclassement par rapport au monde des soignants qui sont en organisés en groupes professionnels structurés, et qui font l’usage de véritables sociolectes établis sur des techniques spécifiques et des recours aux sciences médicales.

Un univers d’approximations scientifiques et technologiques :

Nous connaissons le triangle conceptuel de la linguistique (en référence à Saussure) qui met en lien les notions de signifiant signifié et référent. Le signifiant constitue la partie matérielle du langage, qu’elle soit sonore graphique ou gestuelle, à l’œuvre pour la création de mots qui vont désigner un objet conceptuel (signifié). Ce même mot, dès lors qu’il est utilisé en contexte par un locuteur donné renvoie à la représentation que ce dernier a de la réalité de la chose qu’il désigne (référent). L’approximation est révélée dans le langage lorsqu’à la dyade signifié/signifiant correspond une pluralité de référents. Le technolecte au contraire est un acte de parole précis, référé à un usage professionnel, qui tente de mettre en relation une image acoustique avec un objet précis, singulier de la réalité professionnelle du locuteur.

C’est là où le bas blesse chez un grand nombre d’éducateurs spécialisés. Le langage se veut complexe, élaboré, riche mais ne parvient pas à un niveau de précision technique fort. Cette absence de précision technologique et disciplinaire pourrait être assimilée à un refus quasi corporatiste de l’évaluation et de la transparence. Les mots, plus qu’ils ne disent quelque chose de singulier de l’univers de significations des éducateurs, assurent la fonction de cohésion professionnelle. Plus gravement, les éducateurs spécialisés sondés font l’usage de ce que j’ai appelé non sans humour le Syndrome des Schtroumfs : des mots très utilisés par les professionnels se retrouvent parés de significations tout à fait multiples sans que jamais, ou disons rarement, ils n’éprouvent le besoin d’expliciter les référents désignés. Ces mots constituent une sorte de consensus formel faisant véritablement fonction d’identisation professionnelle. Un exemple : le verbe « travailler » revêt des pluralités de significations incroyables (« travailler l’histoire de l’enfant », « travailler le rapport de l’enfant à la loi », « travailler l’entretien », « travailler le rapport de l’enfant à la réalité » etc.) qui, dans l’entre-deux des éducateurs est perçu du seul point de vue formel comme des actions significatives, précises, mais qui en réalité, renvoient à des activités professionnelles tout à fait nombreuses. Et pourtant, les éducateurs restent souvent à ce niveau de consensus formel sans devoir préciser à leurs collègues ce qu’ils entendent plus précisément, comme si le mot « travailler » était d’emblé partagé et compris par tous les éducateurs comme un objet circonscrit et singulier.

On perçoit bien ici la fonction identitaire du langage, fonction dont les éducateurs spécialisés doivent apprendre à se méfier s’ils ne veulent partager une identité professionnelle qui ne soit que de surface. Même si J. ION a largement raison en écrivant « s’interroger plutôt que s’évaluer » 5 pour faire face aux réalités complexes et mouvantes du travail social, trop d’incertitudes conceptuelles empêchent la réflexion au-delà d’un rassemblement corporatiste.

Le grand écart des contradictions :

En tout état de cause, l’analyse des discours des éducateurs spécialisés s’inscrit dans la fameuse « anthropologie complexe » 6 d’Edgar MORIN. Les discours révèlent une multidimensionnalité de l’identité de l’éducateur spécialisé qui se fonde dans une savante synthèse entre incertitudes, langage élaboré, emprunts pluridisciplinaires et valeurs humanistes. Tout aussi complexe qu’est la position de l’éducateur spécialisé dans ses fonctions et ses missions, les discours révèlent une construction identitaire professionnelle complexe, tentant de lier le besoin de légitimité, de reconnaissance sociale et celui de se situer dans l’aide et la solidarité vis-à-vis d’autrui.

Les discours des éducateurs spécialisés mettent à jour un métier sans cesse partagé entre une éthique de la conviction tournée vers l’humain, une plus grande justice sociale, le secours bienveillant et une éthique de la responsabilité qui prône un respect inconditionnel de la norme, des lois et du modèle social d’intégration. Si les discours défendent de plus en plus une idéologie de l’intégration, de la dominance du tout social sur l’individu, paradoxalement la prise en charge individuelle est affirmée comme plus efficace que les prises en charge groupales. Les discours, pourtant assurés de la puissance de l’équipe versus la créativité de l’éducateur, de la référence à la loi versus la liberté individuelle, de l’obligation d’intégration versus l’adaptation de l’institution aux difficultés propres de l’enfant, sont porteurs d’une mémoire collective qui rappelle, comme un hypertexte, un ensemble de valeurs religieuses et humanistes structurelles de la profession d’éducateur spécialisé.

C’est donc dans le paradoxe et la complexité que s’élaborent les discours éducatifs spécialisés. Ils sont porteurs de cette « tension entre une finalité sociopolitique et un mode de traitement psycho-relationnel » 7 qui se manifeste dans un incessant tourbillon de contradictions aux niveaux sémantiques, lexicaux, idéologiques et politiques. Il en va d’un nécessaire positionnement éthique des éducateurs spécialisés s’ils ont l’ambition d’affirmer un métier singulier, légitime, capable de faire front à la domination politique ou au contraire à la puissance du sujet contre une société inadaptée.

En conclusion :

Le travail de recherche a montré comment les discours participent à l’affaiblissement de la profession. Cela veut dire que les éducateurs spécialisés ont tout intérêt à travailler leur langage, et donc leurs univers de signification, pour parvenir à une plus grande légitimité et crédibilité professionnelles. Un grand nombre d’efforts des éducateurs se situent autour de leur besoin de reconnaissances, et ce besoin sera satisfait à partir du moment où ils produiront des discours dont la validité scientifique ne sera pas remise en cause. Certes, le résultat de l’activité éducative spécialisée constitue un moteur de reconnaissance, mais nul n’ignore que ce résultat est d’autant plus apprécié qu’il est communiqué dans un discours dont on reconnaît l’autorité et la légitimité.

Je me suis attaché à étudier et analyser les discours autant d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Les statistiques ont pu vérifier la validité des analyses exemplaires issues du corpus. Tous ces éléments ont montré un métier qui s’élabore dans la complexité et l’ambivalence où à la fois les éducateurs revendiquent une autonomie et ne cessent de construire des discours dont ils empruntent les vocables et les structures à d’autres corps de métier. L’approximation scientifique, l’ambivalence technique et idéologique dans l’élaboration discursive des savoir-faire qui leur sont propres, participent à la fragilisation de ce métier en véritable quête de reconnaissance et de valorisation. Il s’agit d’un métier où le passage de la vie domestique à la vie professionnelle n’est pas si aisé à distinguer dans la mesure où l’exercice éducatif spécialisé s’établit dans la référence perpétuelle à des valeurs, des idéologies, une morale et une conscience politique qui traversent l’existence de chacun. Dans tous les cas, les besoins de reconnaissance montrent pour cette catégorie de professionnels combien « le travail est loin d’avoir perdu son rôle de repère central pour les individus, comme l’attestent des enquêtes sur l’importance persistante du métier dans le processus identitaire : l’identification au métier reste prépondérante alors même que le contexte conduit à des processus d’abstraction du travail ; le reconnaissance du métier et de la qualification est toujours un enjeu qui oppose salariés et direction dans les entreprises. » 8 En l’occurrence, l’opposition se cristallise pas tant entre salariés que directions, qu’éducateurs contre un pouvoir politique peu soucieux du devenir de ses administrés que de la paix sociale qu’il génère.

1 ROUZEL (Joseph), Le métier d’éducateur spécialisé Ethique et pratique , Dunod, Paris, 2000.

2 Réseau de sociolinguistes et de psycholinguistes dirigé par Josiane BOUTET, Paris VII.

3 BOUTET (Josiane), « La médiation symbolique en questions », Colloque ARTCO, 4-5-6 Juillet 2005, Lyon.

4 MESSAOUDI (Leïla), « Traduction et linguistique. Le cas des technolectes » in Traduction et interprétation des textes , Université de rabat, Colloque et séminaire N° 47, 1995, page 6.

5 ION (Jacques), « Introduction », Le travail social en débat[s] , La découverte, Paris, 2005.

6 MORIN (Edgar), La Méthode 6, Ethique , Seuil, Paris, 2004.

7 CASTEL (Robert), « Devenir de l’Etat providence et travail social », Le travail social en débat[s] sous la direction de Jacques ION, Editions la Découverte, Paris, 2005.

8 FLACHER (B), Travail et intégration sociale , Bréal, Rosny, 2002, page 117.

Commentaires

au delà du langage

J'entends bien ce que vous pouvez décrire ; l'emprunt que les éducateurs ont des sciences dures. Néanmoins, je pose cette question simple, à qui peuvent ils d'autre emprunter leur vocable. Si ce n'est pas aux sciences telles que la psychologie, la sociologie, l'anthropologie, que sais je encore?, à qui vont ils emprunter un lexique dans lequel ranger précieusement sous des items bien répertoriés leurs observatiosn. Là où le chercheur a cette liberté d'entreprendre une recherche empirique, le « travail » social impose ce regard intrinsèquement lié aux relations que l'éducateur entretient chaque jour avec son public.
Derrière ce besoin de reconnaissance et cette vision corporatiste que l'éducateur aurait, il y a une profession qui s'effiloche, des politiques sociales qui vont à contre courant des valeurs qui l'anime. En ce sens , que l'éducateur ne cherche pas sa reconnaissance mais celle de sa fonction. Fonction de régulation , fonction d'extincteur, extincteur de voix qui crient à l'injustice. Il demande surtout les moyens de rendre possible le faire société, le vivre ensemble tant hurler par nos politiques.

 

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