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Marie-Odile Caurel

vendredi 11 novembre 2005

J’ai accepté cette année de participer au titre de formatrice à quatre sessions d’examen (ES (éducateur spécialisé) AMP (aide médico pédagogique), TIFS (technicien d’intervention familiale et sociale) en juin. La lecture des productions a été un moment très difficile pour moi, colère, rage, tristesse, ennui, rarement plaisir, intérêt, curiosité. Désolation au sens d’être à un moment donné privée de sol. Alors interrogations sur l’enjeu de tels produits où se lisent souvent : la disparition du présent et de la parole, le faire réduit à l’instrumentation, la réduction de la personne aidée à quelques signes cibles, l’exposition de projets d’accompagnement, méthodologies d’intervention où professionnel et aidé ont perdu ce qui caractérise la rencontre humaine, c'est-à-dire l’a peu prés, l’embarras, l’imprévu, l’inouï, au profit de programmes cognitivo comportementalistes. Un premier souci : ne pas identifier les élèves à leurs écrits et utiliser chaque fois que possible le temps de la rencontre (l’examen oral) pour inviter chacun(e) à pouvoir justement parler du vivant de son travail, de ce qui le singularise dans son attention à ceux qu’il a un peu choisis d’accompagner, de leur énigme derrière cette certitude affichée des attributs qui les nomment. Donner l’occasion à chaque élève, ce quelqu’un pas quelconque de dire ce qui le fait être là, décidé à faire ce métier dans ce temps contemporain. Ils ont répondu à cette demande faisant entendre dans leurs dires ce qui de ces autres (pris en charge ….) et d’eux avaient fait formation, avec des tiers participant de ce processus.

Alors pourquoi ces productions écrites (de la simple page de la dissertation, au document de 30 pages de la monographie ou du cahier de stage) formatées à l’identique, donnant le sentiment de réciter des mots vides ou trop pleins, fétiches obligés pour faire professionnel, pour attester du sérieux de la pratique. Le bréviaire de la formation. Pourquoi aussi cette répétition : mon projet d’accompagnement de l’IRTS ? la méthodologie d’intervention de l’IRTS ? En quoi et comment sommes nous cause de ce nivellement dans le moins mauvais des cas, mais aussi promoteurs d’outils qui sous apparence scientifique (je les désignerais plutôt comme scientiste) éradiquent les sujets, parent à l’angoisse du que me veut-il ? ou que dire ? ou que faire ? par des procédures, modes d’emploi, valables pour tous, mettant en évidence l’absence de travail clinique (au un par un) derrière les mots passe partout de bien être, épanouissement, autonomie.

L’insupportable rencontré là m’a obligé à écrire, pour dépasser la colère, pour regarder aussi comment les impératifs du temps contemporain peuvent se lire dans ces écritures qui rendent compte et des pratiques de formation et des pratiques éducatives et sociales.

J’ai essayé d’en extraire les points principaux, sans ordre, et d’y articuler les repères à partir desquels je fais cette lecture. Cette réflexion s’appuie sur 26 examens oraux et 40 copies écrites, c’est peu au regard de tous les examens qui se passent chaque année à l’IRTS, cela ne dit pas la vérité de ceux-ci mais éclaire ce qui de mon point de vue pose problème quant à la centration pour une qualification de professionnels des métiers de l’autre dans un temps où le travail social intervient de plus en plus largement auprès de personnes en souffrance pour des raisons diverses. On me dit que ce sont des écrits d’examens, que c’est cette adresse qui les formate, mais au nom de quoi l’examen requiert cette forme qui fait disparaître les fondements éthiques de ces métiers ? Victor Hugo écrivait « la forme c’est du fond qui remonte à la surface », à la surface du temps présent où l’efficacité, la transparence, la rapidité sont requises et invitent à une prolifération de signes et de sigles, en oubliant qu’ils réalisent la réalité dont on parle.

Mes interventions dans la formation essaient de soutenir la lecture que je fais ici. Nous assistons à un empilement de contenus tous azimuts dont les limites et les articulations ne sont pas posées et qui souvent bouchent le questionnement.

Disparition de la parole au sens ordinaire du terme .

Ce qui apparaît massivement c’est qu’on ne parle pas aux personnes accueillies, par contre on leur donne des informations, on leur explique, on leur donne des consignes, des conseils, on leur fait des rappels, on leur fait passer des tests …

  • à propos d’une personne autiste , « je lui donne les consignes….il s’exécute, une fois, deux fois, trois fois ». Rassurez vous, il n’est pas mort, « il ne sait pas détailler les consignes ». Pas de détail…

Quant à la parole de celui que le professionnel accompagne, elle brûle….il faut pour l’entendre un professionnel de la parole, un psy…..comme si entendre ce que l’autre tente de dire relevait d’une qualification et non pas du désir de celui qui y consent, quel qu’il soit. Ce qui ne veut pas dire que les psy n’ont pas un travail spécifique à faire.

Soit dans les premiers cas une parole instrumentalisée, utilitaire, soit dans les seconds une parole dangereuse dont on se protège.

Mais la parole dans son surgissement insu a un pouvoir de création, elle subvertit la volonté de normalisation.

La disparition de ce mot dans les écrits n’est pas anodine, elle traduit ou trahit l’espoir de se passer de la parole car celle-ci est toujours mal fichue et ouvre au malentendu.

A l’attention à chaque un se substitue un discours médico (ou sanitaire)-psycho-éducatif rationnel (?) auquel s’ajoute une dose de compassion et de bonté.

Dans les institutions accueillant des personnes en difficultés sociales le contrat est devenu massivement présent, l’accueilli est invité, sommé de s’engager par écrit à…… et pourtant si c’était tenable il ne serait pas là. Est-ce une façon d’unilatéraliser la culpabilité ? Les lois de la parole semblent disqualifiées, et pourtant le langage, notre demeure, est ce qui rend le monde hospitalier. Je travaille en milieu hospitalier… peut se réduire à des murs.

Sous l’habillage de l’éducation développement de conditionnements et cela avec l’évitement total de la question de la structure psychique comme si le seul enjeu dans l’accueil de personnes dépendantes, autistes, ou présentant des troubles de la personnalité était de bien les élever et cela par n’importe quel moyen. A plusieurs reprises ont été évoquées dans l’IRTS où je travaille deux champs : les filières éducatives et les filières sociales, les AMP étant déclarées appartenir à la filière éducative. Comment s’entend cette appellation, au nom de quoi faudrait-il par exemple éduquer les personnes âgées ? Sauf à faire sienne la visée de Jean-Luc Nancy : « Etre éduqué c’est ne pas cesser de l’être à nouveau, de sortir de ce qui a pu s’établir comme acquis ». S’y marque l’actualité pour chacun de cette exigence, alors pourquoi cette séparation et le rabattement de l’éducation à ceux qui sont « infans » -c'est-à-dire sans parole, et par conséquent privé d’accès à la connaissance et à la communication- les enfants mais aussi tous ceux qu’on confond avec eux les personnes handicapées, les personnes âgées, etc. Si cette question concerne chacun, on voit à quel point cela requiert invention et non pas injonction. L’accueil de la personne aidée fait souvent entendre l’envers du verbe accueillir, c'est-à-dire lui faire entendre toutes les choses attendues ici, dans l’institution, dés son arrivée indépendamment de sa connaissance en chair et en os, l’accueillir se transforme alors en l’assaillir de demandes. L’éducation se trouve alors réduite à un comportementalisme orthopédique, il s’agit simplement d’appeler des comportements normalisés attendus dans le vivre ensemble, voire d’user de la morale pour les obtenir. Que l’accueilli fonctionne , qu’il s’adapte aux règles, qu’il devienne couleur muraille dans le collectif. Mais le sujet c’est justement ce qui du singulier n’est pas collectivisable. L’enjeu n’est pas mince, permettre la vie ensemble sans éradiquer le particulier, sans produire de l’automatisme qui fait fi du temps de la subjectivation et des possibles de celle-ci. Il en va de l’existence du sujet.

Réduction de la vie psychique d’un sujet à des dysfonctionnements, déficits, soit des manques à avoir.

Déjà ce qui se lit c’est l’oubli des coordonnées subjectives de toute activité, le sujet y actualise toujours un lien particulier. La normalisation du projet d’accompagnement, sa standardisation, puisque n’importe quel autre collègue est invité, voire sommé de faire pareil, (tous pareils pour la cohérence) annule cela et les ratages, balbutiements sont alors à mettre au compte d’un disfonctionnement.

Mise à la trappe de l’altérité.

Pour chacun de nous la rencontre avec l’autre, si on ne vise pas le même est toujours un peu inquiétante.

Ce qui apparaît dans les écrits c’est la peur de cette rencontre, rarement dite mais masquée par une suite de procédures pour faire.

Par exemple une jeune femme stagiaire trouve les chambres d’adolescents « vides », visiblement ils ont du mal à s’approprier les lieux, elle décide de faire une activité ramassage de pommes de pin pour faire des mobiles pour décorer celles-ci….alors s’impose pour elle « la nécessité de connaître par leurs dossiers, par des interviews de collègues l’anamnèse de ces adolescents, leurs antécédents » pour leur proposer l’activité, et plusieurs pages seront écrites sur le pré-projet. Je n’invente rien. Qu’est ce qu’ils disent eux ? Pas le problème ou en tout cas si cela le devient c’est au terme d’une longue enquête, il faut des preuves de quoi ? Pour échapper à l’épreuve de quoi ?ou au malentendu ce qui pourtant caractérise l’échange humain ?

Il faut tout prévenir ….la prévention occupe toute la place, un seul souci : être prévenu. Il faut savoir pour prévoir, il faut prévoir pour pouvoir, on évite ainsi la question du vouloir avec l’autre

Mais l’altérité nous convoque et se convoque toujours de façon inopinée, les procédures, modes d’emploi tentent de la tenir à distance, mais elle fait retour, le réel ne s’en laissant pas compter.

Le faire, construit, mis en tranche est devenu « projet d’accompagnement », réduit aux moyens il évite la question des visées. Dans l’oral de l’examen sa fin est évoquée, non pas sa finalité mais son arrêt. Je m’inquiète alors et demande si la personne a changé d’institution ou si elle est morte. Non. Simplement on envisage un changement de moyens. Ce qui est étrange alors c’est que l’accompagnement ordinaire est ravalé à je ne sais quoi, il n’a plus de poids, seul compte le projet IRTS y compris s’il n’a aucune réalité concrète avec la personne choisie pour sa réalisation (plusieurs fois il n’a pas pu être mis en œuvre faute de temps, peu importe, il reste, massif -vide- avec toute la procédure d’évaluation).

C’est la langue aussi dans son altérité qui est exsangue, plus de style, une norme exigible pour tous, des mots univoques, bureaucratisation des termes pour coller à la réalité, pour effacer les traces de la subjectivité. La subjectivité réduite à l’affectivité ou à l’affect doit être gommée au profit de l’objectivité, mais s’il est possible d’objectiver que tel événement s’est passé le matin avec un tel et un tel présents ….comment dire d’une seule voix (le pluriel disparaît au profit d’une vision unitaire) et en plus la voix du maître du moment (les dénominations officielles faisant poids) le réel en jeu là. Le vrai pro est sommé de faire la distinction entre ce qui relève du travail et l’émotionnel et l’affectif. Des êtres désincarnés, pas affectés par le réel qui pourtant toujours se répète. Bien sûr l’émotion est le ressort de l’identification qui souvent soude un groupe, ou deux individus mais comment inviter à dire dans ses propres mots et interdire l’émotion ? Est-ce parce qu’il n’y a pas de mot pour dire le réel mais que c’est cependant une tâche toujours à faire que de tenter de le border par le symbolique, que des mots standardisés s’imposent. Pourquoi la causalité subjective fait-elle peur à ce point, comment écrire en s’absentant de l’écriture ?

L’utilisation des grilles pour savoir l’autre.

Derrière, dans la grille, entre les barreaux y a t il un sujet ?

La volonté de créer un outil d’évaluation et de communication pratique et simple s’instrumentalise d’un discours univoque niant toute la complexité du psychisme. Le mot d’ordre est simple : cocher…cochons….le standard au détriment du particulier qui requiert ouverture, disponibilité, oreilles pour entendre.

Le sujet est-il objectivable ? Quelques soient le handicap, la possibilité de verbalisation, la maladie, le sujet n’est pas à la différence du moi, handicapé. Dans les désignation des grilles, le sujet n’est plus représenté par un signifiant, non il est ….autiste, handicapé, c’est son essence, il est englouti dans ce signe, distinctif et stigmatisant. Chacune des personnes dépendantes partage avec tous les humains la condition de parlêtre (néologisme de Lacan faisant entendre l’exigence d’être pour exister et la fonction de la parole à cette fin) et l’exigence du jouir qui caractérise tout humain incarné dans un corps. Le risque est grand de mettre à la trappe le sujet en rendant compte de la personne visible (réduite au moi imaginaire). Le sujet est invisible et pas spécularisable.

Travailler avec des personnes souffrant dans leur corps, ou dans le lien social ou affectées de maladies, symptômes qui les isolent des autres ne peut se faire sans points de repère sur ce qui caractérise tel ou tel, mais l’inflation et le recours systématique à des outils standardisés situent la foi qu’on leur accorde pour mettre des signes sur l’énigme de l’autre, signes indispensables pour faire, ou pour éviter des dangers….mais ne sont-ils pas en grande partie imaginaires ?

Ainsi on fait passer à une vieille dame de presque 80 ans un test trouvé sur Internet pour l’évaluer ….avant de faire quoi avec elle ? Jouer aux petits chevaux, l’inviter à commenter des images. Le premier test est passé à table, devant les autres et la dame a honte….le second en douce après trois mois de ces jeux pour voir les progrès sur une échelle, elle a 17 sur 20, bravo. On a réinventé les devoirs mais pour les anciens avec note à rendre à qui, leurs parents ne sont plus de ce monde….c’est un projet d’accompagnement, pourquoi faut-il s’accompagner de cet harnachement (les tests) qui fait tenir debout quoi ? La formation est-elle le lieu où cela se construit ou se questionne ?

Paul Fustier dans « repères pour les pratiques », il y a 30 ans déjà, à la naissance des centres d’observation, mettait en évidence la volonté de l’éducateur, dans l’observation des adolescents d’être l’objectif de l’appareil photos, comme si le point de vue, l’angle n’étaient pas décidés par le photographe. Rêve d’être technicien pas affecté et sans effet sur ce qui arrive à l’autre, défense contre quoi ? Observer dans ce sens fait entendre l’obscène, le professionnel est devant, sorti de la scène, qu’il a seulement sous les yeux. Loin d’être avec.

Le sujet est dé-visagé. Levinas dans « totalité et infini » nous fait entendre que le visage de l’autre me rappelle à ma responsabilité et me juge.

Réduction du corps à un assemblage d’organes.

Les activités quotidiennes traitent le corps de l’autre dans des rituels qu’on espère sans surprise où les corps se conformeraient à ce qui est attendu. Mise en évidence de la pulsion d’emprise sur les corps pour en contrôler l’activité pulsionnelle et se tenir à distance de l’inquiétante étrangeté ? Je sais que les AMP ont à aider la personne dépendante à assurer sa toilette ou à lui faire si elle ne peut la faire elle-même mais le seul souci doit-il être le corps …propre, sa santé, sa tenue, son maintien….. au détriment du corps propre.

Dans une monographie pour l’examen de TIFS : Pour les enfants des tapis d’éveil pour renforcer les muscles du cou, des jouets de couleurs pour la coordination oculo-motrice, du bruit au toucher pour stimuler l’ouie…..

Dans la théorie psychanalytique lacanienne le corps est habité et déterminé par la parole, le biologique, l’organique sont venus au monde avec les mots, ils sont faits des effets du désir et de l’inconscient. Dans la réduction du corps à des besoins, c’est son altérité qui tente d’être réduite, il devient produit de soin, et objet à discipliner. Le corps symbolique, cette entité signifiée et signifiante ne peut contenir la question de l’organique du corps, les artistes nous le font entendre, Sarah Kane disait que l’écriture de sa dernière pièce 4.48 Psychose traite de la schize entre son être physique et sa conscience. Le langage, les mots tentent de mettre en forme ce corps qui réclame sans fin jouissance, pas toute symbolisable. Cette artiste fait entendre la barbarie de l’homme et son insondable capacité à aimer et à être aimé, les institutions sont le lieu des mêmes passions en dépit et avec les outils de la modernité.

Le langage du bon, du bien, du mieux.

Il est répété à longueur de pages qu’on vise le bien être quand pourtant, pour chacun de nous c’est être qui nous mobilise et qui ne va pas de soi. Le mal d’ex-ister est pour tous, être c’est sortir de soi, par le langage, maison de l’être à condition de ne pas le réduire à son seul versant de communication.

Pour ceux qui dans leur corps, dans leur pensée, dans leur être vont mal, sont dépendants d’autres pour leur vie ordinaire s’affiche du plus sans cesse, pour éviter quelles rencontres et échapper à quelle évide(a)nce ? N’est ce pas justement parce qu’ils attestent -par leur présence, par leurs symptômes, par les lésions ou stigmates dans leurs corps et par leur (im)possibilité de dire- du vivant mais aussi de son horreur que le plus s’impose pour la masquer.

Ce bon, ce bien, ce mieux n’ont-ils pas fonction de boucher le manque qui surgit justement dans la rencontre avec l’altérité. Il y a un trou dans le savoir et ce que je sais ne m’aide pas à entendre ce qui se passe là pour un sujet donné, c’est dans l’acceptation de ce manque que quelque chose d’inédit peut s’inventer, fragile, sans doute pas reproductible, mais cependant surgissant avec moi.

« Ne pas faillir devant la mort ne relève pas d’une obligation mais du devoir », écrit l’un des élèves, poussant au paroxysme le rêve d’un professionnel, homme de maîtrise… .Chacun de nous a à faire avec la castration en ce qui concerne les trois lieux de l’humain : le langage (nous sommes séparés des choses, nous n’avons accès qu’aux mots qui les nomment) le sexe (nous sommes de l’un ou de l’autre, donc pas tout) et la mort (de la nôtre nous ne pouvons rien dire, elle nous surprendra). Ainsi l’incomplétude et la castration nous signifient le manque à être et les limites de l’impossible qui rendent habitables le monde. Aussi le devoir évoqué plus haut fait-il entendre le déguisement du surmoi féroce qui commande d’être toujours à la hauteur, omni puissant, jusqu’à pourquoi pas arraisonner le réel, de la mort.

Eduquer, gouverner, analyser sont des métiers impossibles rappelait Freud non pas parce que cet impossible serait lié à un défaut de performances du coup corrigeable, ou à un progrès pas encore là, mais parce que, métiers de l’autre, ils mettent au cœur de ces œuvres, affaires d’humains, la parole et du coup le manque. Ils se soutiennent de et précipitent l’écart et parfois le gouffre entre ce qui est désiré, attendu, souhaité et ce qui surgit, ce qui advient, ce qui s’élabore. Des injonctions multiples à plus d’efforts, encore un peu de pédagogie ….veulent nous faire oublier ce qui paradoxalement soutient et entrave la condition humaine. S’il est normal que des élèves en formation, au début ou dans le cours de leur métier rêvent d’être pour quelque chose dans ce qui arrive à l’autre avec eux, encore faut-il continuer à travailler sur l’écart entre leur désir ou l’attente de l’institution (déjà pas réductible l’un à l’autre) et le possible. Protéger l’impossible est curieusement ce qui assure la liberté de la condition humaine. Vouloir combler cet écart c’est faire disparaître le sujet. La réduction de celui-ci à une somme de besoins mis en évidence par les études multiples de prévention et formatée par les experts fait entendre cette volonté de le faire mourir en bonne santé. La modernité exigerait la ruine de l’impossible ?

Cette visée est renforcée par le fait qu’on est assuré qu’il y a un sens aux conduites, aux excès de la personne accompagnée, une cause accessible, sûre à ce qui arrive (bien sûr, là on ne parle pas de la causalité psychique, qui fait trou dans la série des déterminants), alors on va la chercher, la cerner et du coup en trouver une. Pas de place pour le pulsionnel, le hors sens qui effracte le sujet et le déborde et invite à tenter simplement de contenir ou de protéger celui qui en est affecté ou ceux qui sont dans sa proximité en danger.

On attribue ainsi aux personnes un savoir sur leurs comportements en oubliant que dans leur désignation on leur a retiré intelligence des situations (des personnes déficientes accueillies en FAS, foyer d’accueil spécialisé). Il est malin, il sait ce qu’il fait ai-je lu plusieurs fois. Pas comme nous d’un savoir qui s’ignore, celui des coordonnées inconscientes qui déterminent une partie de nos actes, non elles savent, surtout quand elles font mal aux professionnels. Réaction viscérale quand on a mal ….l’écrire et le conforter par le savoir est autre chose.

Des temps problématiques.

Dans de très nombreuses productions j’ai été surprise de lire une substitution des temps. En effet la méthodologie d’intervention (en tout cas celle à laquelle massivement se référaient les élèves) s’arrête sur le présent mais pour en faire un recueil de données qui souvent se solde par l’énumération de ce qui fait problème chez la personne aidée et l’évaluation des « besoins ».Sont cités alors un certain nombre de manques ou d’incapacités actuels. Suit la présentation d’un projet d’accompagnement ou d’activités ou/et l’évaluation au futur ….la dame sera, fera …etc….après le passage du professionnel. Magie…magie…mais surtout évitement de l’interrogation sur ce qu’on fait et ce qui arrive là avec ce que je veux à cette dame et ce qu’elle veut, elle. La formation me semble-t-il ce n’est pas apprendre ce qu’on doit faire….demain de préférence, mais ce qu’on fait, et qu’on fait sans savoir . S’arrêter dans l’après coup sur une pratique particulière c’est ouvrir la possibilité d’élaborer un savoir su mais pas connu.

La gestion se porte bien…elle a envahi toutes les modalités du quotidien, il faut les gérer ceux dont on s’occupe, gérer son temps, son stress, ses rapports au collègue ….gérer ses affects et son investissement …..La gestion une valeur qui a la cote mais qui surtout phagocyte sans distinction tout. La langue nous fait lire ou entendre les impératifs du moment.

L’autonomie est à l’ordre du jour, il faut tout faire pour l’autonomie mais elle est souvent réduite aux capacités physiques et matérielles, parfois mentales. Ce qui est alors laissé dans l’ombre c’est la subjectivation . Dans les Grapp (groupes de réflexion et d’analyses des pratiques professionnelles) les élèves font souvent surgir deux états de pouvoir pour une personne donnée, en raccourci elle peut et elle peut pas. Se découvre alors le gouffre qu’il y a entre avoir les capacités physiques, motrices, etc, et pouvoir. Ce pouvoir là est articulable au désir du sujet ou à ses empêchements psychiques. Inviter la personne aidée à subjectiver ce qui lui arrive dans son corps, dans sa vie, dans ses rapports à l’autre, ce qui fait souffrance et requiert un lieu d’adresse pour se dire et s’entendre dire (comme la lettre en souffrance à la poste) est la seule possibilité d’atténuer ce gouffre.

Les écrits donnent ainsi à lire une triple économie (pour la gestion ça tombe bien !!!…) :

Economie de la demande et du désir 1 , les besoins ont envahi tout le terrain, les usagers ont des besoins et des droits. Des droits qui sont souvent réduits à j’ai le droit, ah bon ! une affaire de propriétaire ! Des droits qui sont rappelés pour ouvrir le parapluie, attention à ce que vous faites, ne prenez pas de risques. Des droits loin du Droit qui articule droit et devoir en référence à la loi symbolique, qui fait entendre l’impossibilité de savoir l’autre, façon de le posséder. L’invitation du sujet à la demande, le passage par une attention fine aux traces de son désir est à soutenir au quotidien, décréter ses besoins va plus vite et fait taire l’angoisse devant le silence ou la violence du désir.

Economie de la croyance et du transfert 2 : il n’y a que l’évidence des faits et des réalités …comme si ceux-ci n’étaient pas construits, mis en mots. Pas de croyance croit-on alors que la fétichisation du savoir qu’on expose sur ce qui vaut pour l’autre n’est pas interrogée : « Les personnes handicapées, il n’y a que les images qui leur parlent, c’est démontré » dit une formatrice en situation d’examens. Caricature sans doute penserez vous, je ne crois pas. Quand la rencontre avec l’autre/différent/voire effrayant fait peur tout peut être bon pour se raccrocher aux branches, surtout quand on doute de ses possibles. L’ordre symbolique du langage permet un détournement de la jouissance du corps propre au verbe, alors de quoi les prive-t-on à partir de cette certitude inquestionnable ?

Le contrat de travail qui se généralise dans les écoles ordinaires, dans sa suite de prescriptions qui doivent donner des résultats si l’élève s’y conforme, souligne comment le temps contemporain en sommant l’individu de réussir appelle aussi tous les moyens de l’absence .La représentation occupe l’espace de la vérité, ce n’est plus le professionnel qui aide c’est la technique, ce sont les moyens du projet d’accompagnement.

C’est dans le lien à quelqu’un qui consent à dire oui à l’être du sujet que du nouveau peut advenir, et pourtant dans tous les écrits il semble que le transfert ne soit plus d’actualité.

Economie du sujet 3 : en « 1970 J Baudrillard analyse les ressorts de la sidération fascinée que nous avons pour ce qui s’impose au nom du réalisme ou d’une rationalité irrécusable, il l’attribue à la passion du code , la fascination pour la systématicité des signes s’organisant en une totalité close , elle relève selon lui d’une réduction sémiologique du symbolique . La parole d’un sujet c’est mal fichu, ça balbutie, ça ne trouve pas ses mots, ça dit une chose et son contraire…c’est contradictoire et ça ne dit pas la Vérité, seulement un tout petit bout de celle de ce sujet là.

La théorie est une construction, une conviction, voire une croyance, ces désignations ne l’invalident pas, les théories sont nécessaires, elles permettent aux partisans (le mot fait entendre la prise de parti) de mêmes appartenances théoriques au-delà des échanges et travaux de nommer le réel insupportable et de le contenir dans des rets, et de se coltiner à partir de là les autres approches du réel. Mais dans la mise en avant de bouts de savoirs le risque est grand de faire de ce qui arrive à l’autre avec nous un phénomène étranger à soi.

Auparavant le terme cognitif signifiait ce qui concerne la connaissance et donc une partie de la métaphysique. Aujourd’hui les sciences cognitives sont conçues comme l’étude des capacités mentales de l’humain, le soin doit alors s’appuyer sur l’explication, et « l’apprentissage de stratégies de réductions des problèmes ». Il s’agit -simplement !!- de changer les comportements en agissant sur les cognitions, défaire ce qui a été mal conditionné. Le champ du symptôme est alors présenté comme celui du comportement, de l’observable (voire le rapport de l’Inserm sur le trouble des conduites, qui dans son titre fait entendre l’alliance de la pathologie et de la morale)

Les élèves AMP travaillent souvent avec des personnes polyhandicapées, ou avec des personnes privées du langage, aux prises avec des débordements pulsionnels incontrôlables. Dans les grapp se font entendre l’effroi, l’horreur, le dégoût, la peur, l’impuissance à contenir ces excès, le sentiment de maltraitance à exiger le silence du pulsionnel ou sa pacification quand visiblement ce n’est pas d’un défaut de volonté que souffre le sujet en question. Les élèves perçoivent l’effet de violence redoublée que provoquent les injonctions, le rejet. En parler c’est déjà s’arrêter d’une façon particulière sur cette personne accueillie là et signifier que ce qui lui arrive ne laisse pas indifférent, au contraire met au travail. Dans le cours de l’année les élèves peuvent faire entendre leurs minuscules inventions (il ne s’agit pas d’un projet d’accompagnement précis, mais plutôt de l’accompagnement du singulier) pour soutenir ce qui vient limiter une jouissance mortifère dans le corps de la personne accueillie. Jouissance, ce concept a-t-il une place dans la formation ? Quand je l’évoque, il fait sourire,-entendu dans son usage sexuel- comme s’il ne caractérisait pas l’humain en général et donc concernait et les professionnels et les personnes prises en charge.

Un corps humain ça jouit et ça veut jouir par tous les bouts. Cette volonté de jouissance c’est ce qui anime de vie notre organisme animal. L’enjeu de la civilisation et donc de la culture c’est le traitement de cette part pulsionnelle qui ne veut rien savoir de l’autre. Chaque sujet, est introduit, contraint et forcé au traitement de celle-ci par les parents ou les adultes qui soutiennent la structuration du petit humain. A chacun ensuite de consentir, alors en son nom, et non par devoir au traitement de celle-ci. La parole est ce qui traite. En parlant, le langage nous dénature, le mot est le meurtre de la chose dont nous sommes radicalement séparés.

Les personnes gravement atteintes ou les personnes psychotiques ne peuvent seules, faire barrage à cette jouissance qui les submerge. La pulsion ne peut être canalisée, pacifiée par le symbolique propre au signifiant et à la rencontre de l’altérité. Les passages à l’acte et maux du corps actent les mots qui ne peuvent se dire, et exposent l’intraitable. Dans leurs façons de faire, mal fichues les sujets font cependant déjà entendre leur propre traitement du réel. Les névrosés (nous entre autres) arrivent à baliser tant bien que mal le hors sens avec leurs croyances, leurs fantasmes ou leurs constructions imaginaires, cela leur permet de vivre pas trop mal dans leur corps et le lien social, mais cela se révèle impossible pour les personnes psychotiques.

J’ai trouvé à de nombreuses reprises dans les productions des élèves leur conviction que les personnes aux prises avec ces excès savaient ce qu’elles faisaient, alors injonctions pour qu’elles s’arrêtent, demande d’excuses voire même refus des excuses car pardonner c’est nier la gravité des faits. On voit que ce qui est de structure est annihilé pour se voir lu et entendu moralement .

La jouissance ne suit pas les fluctuations de l’âge ou des maladies ou des handicaps, la recherche de jouissance est constante, l’humain se caractérise de ce rapport au jouir, qu’il soit jeune, vieux ou handicapé, quand ça s’arrête il est mort. « Jouissance libérée sur la scène brute du réel du corps chez la personne handicapée, elle provoque alors un caractère insupportable pour celui qui s’en est écarté par l’éducation » 4 , d’où la gêne, la honte, l’angoisse et la haine. Récemment une jeune femme me disait sa honte du dégoût qu’elle a dans sa rencontre avec un enfant qui va chercher au fond de sa gorge ses aliments, s’en couvre, se couvre de ses excréments. Elle met des gants quand elle l’emmène se promener car il enfonce tellement ses ongles dans sa peau qu’elle a peur de la souillure. Ce que cet enfant fait surgir en elle lui fait honte, elle a aussi peur que l’enfant ressente son dégoût. S’autoriser à dire ce qui la divise là demeure le seul possible, inventer des conditions d’accueil de cette parole est notre responsabilité. Dans un autre temps écrire pour élaborer le savoir de cette expérience est une autre tâche.

La mise en place des procédures, avec leurs modes d’emploi rigides vise à se protéger dans l’illusion d’une maîtrise possible de la jouissance insupportable de l’autre. Tentative de corriger ces personnes démunies, « de redoubler l’appel à la pensée et aux apprentissages, de combler le déficit 5 comme on l’entend souvent dans les projets alors que ce dont souffre le sujet c’est de l’en trop 6 ….trop de jouir », qui ne peut se limiter que dans un processus de subjectivation, pas toujours possible ou dans un pas de côté qui consent à ne pas redoubler l’effet mortifère.

On jouit de l’autre, de soi, de l’objet comme on jouit de l’exercice de la propriété, le terme renvoyant à sa racine juridique. Je peux jouir de l’usage des objets que je possède, mais où se marque la différence entre les choses et les individus ? Dans la relation sexuelle l’autre consent à cette jouissance de son corps…..mais dans les métiers de l’autre si l’autre dont je m’occupe (à entendre au sens littéral du terme) ne parle pas, ou n’est pas invité à dire, on voit bien le risque qu’il y a à en faire nos objets, nos biens (le bien que je te veux, c’est pour ton bien).

Méconnaissance des trois registres: imaginaire, symbolique, réel au profit de la réalité, mais ces trois registres sont-ils encore d’actualité ou passés à la trappe avec l’inconscient. Il est …..

Ces points mis en évidence me questionnent à plusieurs titres :

En juin 2003 un rapport d’une commission d’enquête du Sénat sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissements et services sociaux précise que le conseil de l’Europe a retenu parmi les maltraitances et les abus à l’égard de ces personnes « les programmes à caractère éducatif ou de thérapies comportementales. Les écoles n’y sont pour rien…me dit-on ce qui alors laisse supposer que la formation ne participe pas des pratiques en cours…..

Le travail sur les pratiques (gap, grap, grapp ?) existe à l’IRTS dans quasiment toutes les formations. Des sigles différents qui nomment la réflexion, l’analyse de pratiques…professionnelles mais supposent un dire annulé dans le sigle, dire qui ouvre le possible. Passer par le temps du dire. Ce dire est en pièces détachées, sans le souci d’ordre chronologique, il surgit de ce qui a choqué, arrêté, mis à mal ou précipité loin de ce qui était prévu, attendu. L’élaboration à partir de celui-ci met la personne en présence de sa division subjective, elle rencontre là une part de non connu de ce qu’elle est dans cette rencontre, une part d’ignorance. L’expérience vécue est donc difficile à énoncer sauf si on la réduit à la description des situations dans un ordre chronologique comme si cela était possible. Difficile à énoncer, mais aussi travail pas facile à soutenir car il oblige à faire taire les idéaux pour entendre. Comment passe-t-on du dire à la méthodologie…dans le même espace, dans des espaces séparés, avec quelles priorités ?

La modélisation des contenus de formation et des fonctions professionnelles à évaluer, généralisée à partir de la VAE précipite le mouvement actuel de l’inflation du savoir, le terme est rappelé à chaque item, mais quel savoir ? Savoir observer, savoir écouter, savoir gérer les priorités, savoir respecter l’intégrité globale de la personne, savoir gérer le regard des autres. Je ne vais pas tous les énumérer il y en a une collection….dans les textes en cours sur les validations AMP. Risque de ça voir aurais-je envie de dire, comment lit-on, entend-on par exemple le respect de l’intégrité de la personne.

Le 22 septembre 05 est sorti un rapport de l’Inserm sur « le trouble des conduites de l’enfant ». Il conclut au nécessaire dépistage des enfants dés la maternelle pour repérer les perturbations du comportement, il préconise l’utilisation de questionnaires simples destinés au dépistage, tenant compte des stades de développement de l’enfant. Le trouble de conduite, mais qu’est ce qu’une bonne conduite ? devient un trouble mental (dont on trouverait l’origine dans l’hérédité et la biologie ?). Auparavant on nous avait déjà annoncé qu’un enfant sur huit en France souffrait d’un trouble mental. Le remède : des thérapies individuelles de type comportementaliste pour apprendre aux enfants dépistés des stratégies de réduction de problèmes, et en seconde intention des traitements psychotropes. L’hyperactivité est déjà devenue dans les enseignements de l’IRTS une vraie maladie qui touche 1/100 des enfants, elle se soigne avec la Ritaline….sa nomination comme maladie permet ainsi de ne pas entendre la souffrance psychique de l’enfant qui s’acte dans le corps.

On avait déjà dans les écrits un fourre tout des troubles du comportement….on va voir fleurir le trouble des conduites validé par les experts de l’Inserm.

Nous percevons dans les productions écrites comment il s’agit souvent de réduire, annuler, ce qui fait irruption et vient déranger l’ordre du quotidien, les normes du comportement adapté et de vie sociale. Faire taire l’insupportable, parer à l’angoisse de la rencontre mais au prix de quelle casse pour les personnes «accueillies» et pour ceux qui les «accueillent»?

Le 8 novembre 2005

1 Daniel Weiss, Economies, Che vuoi, Revue de psychanalyse, L’inespoir n°10 l’Harmattan 1998

2 idem

3 idem

4 Jacques Cabassut, Le déficient mental et la psychanalyse, Editions Champ social, 2005

5 idem

6 idem

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