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Équilibre entre les cercles du psychiques

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Antoine PASSERAT

vendredi 18 février 2011

Équilibre entre les cercles du psychiques

Aujourd’hui, plus exactement ce soir, j’ai essayé d’expliquer de la manière la plus explicite à quelqu'un qui est extérieur à mon métier, ce que je faisais. Cela est parti d’un concept que nous avons pu aborder au cours de ma formation notamment. L’idée n’est pas novatrice, je ne fais que la reprendre. Mais j’ai réussi à retransmettre quelque chose, et de manière à priori relativement compréhensible.

Ainsi, l’exercice que je m’impose là est d’essayer de le déposer par écrit et de croiser mes propres explications avec ma pratique, afin de le confronter aux regards d’autres professionnels, éducateurs, psychanalystes…

Ce soir, la base de mon explication, c’est les cercles.

Pourquoi les cerces, qu’est ce que ces cercles ?

«  - Ça va bien.

-    D’accord et puis ?

-    Je ne sais pas.

-    Tu n’as rien d’autres à dire ?

-    Ça va bien moi avec les autres. »

La situation, une réunion de résidant, chacun prend la parole tour à tour. Yann n’y est jamais à l’aise, enfin c’est ce qu’il renvoie à travers ses mimiques, sa gestuelle.

Lorsqu’il est sollicité comme aujourd’hui, Yann se replie sur lui-même, un sourire timide, grimaçant apparaît sur son visage, un sourire crispé. Difficile de savoir à ce moment si ce sourire est un rictus incontrôlable ou ce qu’on associera à un sourire gêné, de mon point de vue, je le vois plus comme un rictus.

D’habitude il dit que ça va, et les autres le laissent tranquille. Aujourd’hui une éducatrice insiste, elle ne le laisse pas tranquille.

«  - Je sais que tu ne vas pas bien, tu me l’as dit hier et ici c’est le lieu pour en parler, alors nous écoutons.

-    Ça va bien moi. Sont gentils les autres. »

S’il pouvait, à cet instant, Yann échangeait sa place avec la chaise, ou deviendrait chaise peut-être. Il paraît extrêmement gêné. Cela me fait penser à la sensation que l’on éprouve lorsqu’on rêve que l’on est nu à l‘école, ou ce genre de situations. Le temps, il a du mal à le percevoir sur la longueur mais ce qui est sur c’est que l’espace de quelques instants, il doit avoir énormément ralenti pour lui. L’éducatrice continue d’insister. Il ne comprend pas.

Hier Yann a su se saisir d’un lieu, d’un instant, d’une relation, il a pu exprimer certaines choses à cette éducatrice. Ce n’était pas facile, mais il en avait besoin, ça lui a suffi.

Aujourd’hui il semble qu’il vive ce retour sur leur discussion de la veille comme une agression. Elle revient dessus, on pourrait noter qu’elle revient dessus, sur lui, que revenir sur quelque chose qui le concerne c’est venir sur lui et qu’il peut ressentir cela effectivement comme quelque chose de malveillant (même si ce n’est pas le désir de l’éducateur).

«  - Et toi Julien, de quoi as-tu envie de nous parler aujourd’hui ? »

Ça y est, elle le laisse, elle n’insiste plus. Si elle avait pu porter un peu d’attention sur lui à ce moment, elle aurait pu voir un corps entier soupirer.

Un souffle, un courant d’air. Un simple soupir quand il est entendu peut prendre la dimension d’une tornade pour qui prête l’oreille.

Un soupir c’est des poumons qui se gonflent et bien souvent c’est des choses qui gonflent.

Un soupir c’est l’âme qui s’étire dans une enveloppe où elle se trouve parfois à l’étroit…

 

Ce soupir semble en tout cas avoir fait du bien à Yann. Curieusement on pourrait croire que maintenant qu’on ne le sollicite plus il se sent un peu mieux dans le groupe.

Afin de pouvoir imaginer un peu plus la scène, je me permets une description rapide. La réunion se passe dans le salon d’une unité de vie, il y a disposé plus ou moins en cercle des canapés et des chaises, sur lesquels sont assis les résidants de l’unité, des adultes handicapés mentaux, ainsi que les éducateurs, maîtresse de maison, éventuellement stagiaire…

Yann comme les autres est dans ce cercle. Je le regarde, je ne sais pas ce qu’il ressent, je ne peux alors qu’imaginer. J’essaye alors d’écouter ce que moi je ressens, et ce que je ressentirais à leur place.

Je n’ai pas envie de faire partie de ce grand cercle qui unit tout le monde. Je préférerais de loin que ce temps soit utilisé pour appréhender un peu mieux le cercle de l’autre.

Pour faire une parenthèse et un parallèle, dans la continuité de cette réflexion où chacun serait représenté par un cercle (chose que j’expliquerai plus en détail par la suite), je vais parler brièvement du quotidien de ce groupe. En dehors, de ce temps « circulaire » qu’est cette réunion, il me semble que la psychose des personnes apparaît dans le quotidien dans les relations qu’ont les personnes entre elles, résidant/résidant, résidant/éducateur mais également éducateur/éducateur.

Il me semble que la difficulté à se représenter soi-même en tant qu’individu  est du coup un frein à l’appréhension de l’autre en tant qu’individu également. On pourrait alors imaginer des cercles qui se rencontrent. Mon métier d’éducateur peut alors être à cet instant de permettre à ces personnes de se rencontrer autrement qu’en se croisant dans une pièce sans s’intéresser à l’autre.

La déviance possible à mon sens, est que dans la mesure où l’on envisage que la pathologie du public accueilli peut atteindre une institution, voir une équipe, alors cette déviance serait que l’éducateur, représenté par un cercle ne serait plus adjacent aux autres. Il peut donc se fermer à l’autre dans la relation, avec l’usager qui effraie parfois par son manque de normalité. Mais il va également se fermer de ses collègues, qui essayent de comprendre les personnes accueillies.

Je vais prendre le temps de revenir sur mon idée des cercles afin que vous puissiez me suivre dans mon raisonnement.

Je me permets une approche un peu plus psychanalytique peut-être qu’habituellement, mais il me semble important de se risquer. C’est aussi ça le quotidien d’éducateur, prendre des risques. À une époque où la prise de risque devient, « risquer », je m’autorise à un prendre un, de risque.

L’individu comme l’explique Freud est constitué du moi, du ça et du surmoi. Je me représente chaque partie de l’individu par des cercles. Soit 3 cercles.

Dans mon imaginaire, ces 3 cercles sont adjacents, ils se touchent, se chevauchent. Nous sommes un être à part entière, constitué de ces trois parties. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres, ni superposées, du moins pour une personne ayant eu un développement normal.

Dans cette représentation de cercles, j’élargis mon observation à ma personnalité. Ma personnalité est un ensemble de cercles. Je suis quelqu'un lorsque je suis à mon travail, un professionnel diplômé titulaire qui intervient légitimement sur un groupe d’individus en difficulté psychique. Je suis également un pompier volontaire, avec une expérience jeune et incomplète, je suis alors, au sein d’une caserne, plus en retrait, dans une phase d’apprentissage et d’observation. Je suis aussi une personne en formation d’éducateur spécialisé, je suis alors un professionnel mais avant tout stagiaire, je suis à la fois en phase d’apprentissage mais également dans le partage de mon expérience et pas seulement dans l’observation.

Chacune de ces personnalités fait partie de moi, pourtant j’arrive à être des personnes différentes. Mes personnalités peuvent se symboliser encore une fois par des cercles. Ces cercles encore une fois se chevauchent, il y a un dénominateur commun entre chacun, le fondement de ma personne, mais pour autant elles ne sont pas confondues. Je sais à la fois être des personnes différentes, mais n’étant pas psychotique voir schizophrène, ces morceaux de moi ne sont pas indépendants les uns des autres. Je sais en effet repérer les différents lieux, les différents groupes et leur fonctionnement et la place que j’ai à occuper dans chacun.

Dans une certaine continuité, je parle ensuite des différents groupes d’individu amené à se rencontrer, notamment dans ma pratique. Quand je dis groupe, je peux aussi parler d’individu en tant que représentant d’un groupe.

Prenons un éducateur et un résidant, chacun des individus va représenter un cercle et un groupe. On pourrait parler du groupe des travailleurs sociaux et du groupe des personnes en difficulté psychique par exemple.

Dans le cas présent, les deux cercles vont être amené à se rencontrer, à se chevaucher  mais pas à se superposé.

Peut-être que ce chevauchement c’est l’empathie. C’est le moment où l’on est prêt à ressentir en partie ce que ressent l’autre. Les cercles ne sont pas confondus. L’autre ne fait donc pas partie de moi et réciproquement, je suis quand même prêt à recevoir un peu de lui pour l’accepter, accepter ses souffrances. Je ne parle volontairement pas de comprendre la souffrance, ça me paraît, trop compliquer. Comprendre la souffrance c’est peut-être lorsque les cercles se superposent dangereusement, pour ma part en tout cas, je ne me sens pas prêt à me laisser manger mon cercle !

J’ai donc pris l’exemple de la réunion de résidant.

Yann comme je le décris plus haut est très réservé, il est difficile pour nous de rentrer en lien avec lui, ce qui est sûrement réciproque. J’en venais à parler d’Hervé.

Hervé a des troubles psychotiques important, où l’on observe rapidement un morcellement, l’incapacité à identifier certaines choses, qui le conduisent à les nommer parfois violemment, notamment par des insultes à répétitions.

« - Hervé vu que c’est ton tour, peut-être que Yann va vouloir s’exprimer maintenant vu que c’est de toi qu’il m’a parlé hier ! »

Plus tard, après la réunion, j’apprendrai que Yann s’est plaint d’Hervé la veille. Peut-être que de ne pas savoir ce qui s’était passé la veille m’a permis de voir à ce moment dans quel état Yann a été lorsqu’on retentit les mots de l’éducatrice.

Il est surpris, il ne s’y attendait pas, normalement lorsqu’il a parlé c’est fini, il n’a plus a parler avant la prochaine fois et là elle revient lui demander de parler, pourquoi elle fait ça ? peut-être que se recroqueviller est la solution, se faire petit…

Toujours dans l’idée de cercle, il y a plusieurs approches possibles, la première, malheureusement courante, sûrement due à un mécanisme de défense, on ne mélange pas ses cercles, on ne se mélange pas, on ne comprend pas l’autre, on ne le ressent pas, on ne l’accepte pas. Dans le cas que j’expose, il semble que l’éducatrice soit dans un mécanisme de défense qui l’empêche de voir, d’imaginer la souffrance que son insistance peut provoquer chez Yann.

À ce moment, les cercles ne se touchent pas, on est dans un schéma psychotique. La personne psychotique n’a pas ou peu conscience qu’elle existe en tant qu’individu. En agissant ainsi il me semble que nous-même nous provoquons un schéma où nous ne prenons pas la personne morcelée avec ses particularités.

Ce qui me plait dans cette situation, est qu’on parle de Yann mais aussi de Julien qui a agressé Yann la veille, Julien qui insulte tout le monde de manière récurrente. Je peux alors parlé de la rencontre ou non rencontre avec Yann mais aussi avec Julien et la réponse que nous lui apportons parfois au quotidien.

Face aux insultes, la réponse va être puisé dans notre propre cercle, « n’insulte pas sinon tu iras devant la directrice ». Force est de constater que ce schéma n’est pas possible au long terme et cela pour aucun des parties.

Le schéma opposé, plus rare me semble-t-il serait une superposition des cercles, l’éducateur ne serait plus en position alors d’une pensée réfléchie, c’est peut-être le moment où notre émotion prend le dessus, nous sommes submergées par des choses que nous ne comprenons pas, le cercle de l’autre a mangé notre cercle, ou le nôtre le sien. J’aurais alors envie de dire qu’un des interdits fondamentaux, n’a pas été respecté, tu ne pratiqueras pas le cannibalisme, même en mangeant l’autre psychiquement.

Enfin le schéma que je qualifierais d’idéal, idéal dans le sens où il reflète un équilibre difficile au quotidien est celui où les cercles se superposent, on comprend un peu ou ressent un peu  ce que l’autre est. L’autre cette personne c’est une angoisse qui se matérialise sous forme d’insultes. Lorsqu’il dit « sale pute » et qu’on l’interroge calmement sur ce que c’est qu’une pute, il va expliquer puis se sentir gêné, ce n’est pas ce qu’il voulait dire, enfin qu’est ce qu’il voulait dire finalement ? Ce n’est peut-être pas si loin que ça en s’attardant un peu, il insulte une personne de « pute » et cette personne se met souvent à disposition de l’éducateur, en rendant service, à travers la maladie pour monopoliser l’autre à différents endroits. Dans un sens, on pourrait imaginer que c’est un don d’elle-même pour obtenir des faveurs donc l’insulte pourrait s’entendre.

Ce qui est curieux c’est le retrait de la personne qui va insulter lorsqu’on n’est plus dans l’ émotion pour lui répondre, comme si elle se demandait pourquoi on ne réagit pas comme d’habitude. Après tout partager son cercle cela peut-être ressentit comme quelque chose de violent.

Arrêtons nous un instant et rappelons nous, étant petit, au milieu de ses copains d’école, qui n’a pas été gêné par les recommandations de sa mère devant ses amis. À ce moment-là, le cercle de ce que je suis ailleurs, se confond trop avec celui que je suis ici. De la même manière, lorsqu’on prête attention à cette personne différemment son premier réflexe est un mouvement de recul. Curieusement par la suite, elle pourra manifester de l’affection, se rapprocher l’espace d’un instant. Mais pas trop longtemps…

Finalement je me dis qu’Hervé et Yann durant leur conflit sont rentrés en lien, ils ont vécu un peu l’autre l’espace d’un instant. Cette expérience a été semble-t-il douloureuse pour Yann, cependant est-ce à cause de l’insulte, ou de l’instant de partage de leur cercle ?

Pour ma part, pendant l’espace d’une réunion, j’ai été un cercle à part, j’ai observé, chose difficile dans la réalité actuelle, peu de temps, difficulté à se mettre à réfléchir et à se sortir du quotidien…

C’est pourquoi j’espère qu’à la lecture de cet écrit, l’équilibre entre vous et mes explications aura existé.

Antoine PASSERAT, moniteur éducateur au foyer le Reynard en formation d’éducateur spécialisé à l’ARFRIPS.

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