Comme à chaque fois, je reprends le fil de mon histoire ou bien j’en croise d’autres entremêlées, dans ces espaces de vie qui se ravaudent et se tissent aussi dans le silence et souvent dans l’oubli. C’est pour enraciner dans la mémoire que j’écris et sortir de l’ombre ces milliers de petites mains qui dans l’isolement et la solitude tissent la toile du vieux monde.
Je vous parlais de ces gens chez qui j’interviens tous les jours, depuis de longs mois. Certains d’entre eux s’apprêtent à partir, je ne peux les accompagner, là où ils vont, il n’y a pas de place pour moi, ce n’est pas mon heure. Je me souviens d’un monsieur, le soir au pied du lit, je m’asseyais pour ce moment privilégié où l’on parle. J’aimais avec quelle sérénité il abordait la mort et quelle sagesse aussi. C’était une finalité raisonnable à laquelle selon lui la vie l’avait préparé, au long cour. Son inquiétude ne le concernait pas, mais était plutôt axée sur mon avenir « qu’est-ce que tu te deviendras, toi mon aide ? Et en riant il disait « ben ! T’auras qu’à me suivre » Holà, moi je n’ai pas fait le cheminement, et s’il me reste encore de beaux jours, je ne veux pas partir la peur au ventre, pas prête, sans mes beaux atours que m’auront procurés sagesse et sérénité.
Chez les personnes âgées, l’état de santé est souvent en dent de scie : un jour tout va bien et un autre c’est un grain de sable qui enraye leur machine, un vilain caillot qui bouche les artères et c’est l’AVC (accident vasculaire cérébral), la maladie d’Alzheimer qui s’accélère et bouffe les neurones. Ils s’en vont, pas de retour par la case départ. Leurs mots partent en lambeaux, le corps en décrépitude. Aujourd’hui, je ne peux plus reconstituer leur puzzle et comme me le disait si bien 1 collègue tout à l’heure, à chaque fois, c’est un petit peu de nous-mêmes qui s’en va.
Je dis à chaque fois que l’on ne m’y prendrait plus et pourtant, mon cœur saigne dans cet espace d’oubli en stand-by qu’est l’hôpital. Je me sens si démunie et j’ai peur pour ceux qui voulaient mourir dans leur coquille, leur chez-eux. Je suis impuissante à expliquer les faits à l’entourage, entamer la bataille, dire que là-bas au pied du lit ils disaient qu’ils voulaient rester accroché à leur havre de paix, leur maison, c’est le ventre de leur vie. On leur cherche une place dans une institution, parce que garder les gens à domicile, quand il faut casser toutes les tirelires ou décrocher les placements, ici, dans cette société on fait souvent le choix de garder les sous pour des lendemains pas toujours roses, j’en conviens.
Et puis, la mort traine elle fait de brusques apparitions, pour rappeler à l’ordre « ne m’oublie pas, je suis là » Elle repart, c’est un moment de rémission. Ils se requinquent. Elle en remet une couche et on l’attend à nouveau. Dans l’entre deux, on ne sait plus trop bien quoi faire. C’est souvent par petits bouts qu’elle les enlève.
Elle leur ôte leur identité, et ils deviennent séniles. Il y a un moment où tu as beau faire mine, tu ne peux plus dissimuler ta vieillesse sous ton paletot de bonne figure.
C’est fait de petites choses, t’oublie et puis t’es lent et de plus en plus lent, tellement que la machine a des ratés : le gaz qui reste allumé, même si tu n’as pas foutu le feu, c’est grave pour les autres des fois que tu ferais peter l’immeuble. La clé que tu perds et c’est dramatique des fois qu’on te cambriolerait. La cervelle ramollit, tu ne peux plus faire pipi tout seul. Un chèque que tu as fait pour acheter n’importe quoi et ça c’est ultra grave, des fois que tu dilapiderais le patrimoine. A qui il est le patrimoine : au nom du père ou du moine. ?
Alors, on les met sous haute surveillance ou on fait à leur place les placements et déplacements, sans rien dire, comme s’ils n’existaient plus.
Dans cet entre-deux, c’est dur aussi de se situer nous les aides. Pour l’entourage, la page se tourne. La mort ne nous revêt pas de ses accoutrements, elle nous visite et nous salue au passage, jusqu’à la prochaine fois.
Pourtant, les vieux, c’est nous, les aides à domicile, qu’ils attendent tous les jours, c’est nous les aides à vieillir. 10 fois ils ont relevé le rideau, elle est peut-être malade ou sa voiture a des ratés, 20 fois ils ont crû entendre la clé dans la serrure, 50 fois ils ont tendu l’oreille celle qui marche encore, 100 fois ils auraient bien voulu téléphoner mais les portables se portent et ils n’en portent pas. C’est à nous qu’ils confient leurs chagrins, leurs bobos de l’âme, leurs petits riens qui font des grandes rivières, c’est sur nous qu’ils s’épanchent et des fois ça ruisselle à sortir 3 serpillières pour éponger. Alors, des fois et pour rien, on va là-bas juste pour tendre la main, pour faire plaisir et dire bonjour.
L’hôpital
Parce que voici, peut-être, le temps de l’au revoir je veux croire que tout reste et demeure dans un perpétuel recommencement. Ca c’est des grands sentiments.
Alors juste après l’hospitalisation, je ne sais plus quoi faire. C’est bizarre et inévitable en soi, une personne toute entière que tu as prise en charge toute entière et qui te laisse toute entière, t’es toute disloquée. Fallait trouver la bonne distance, c’est bien fait pour moi.
Moi j’aurais allumé la cuisinière en plein été et fait le feu de joie tous les jours. J’aurais poussé les meubles pour installer le fauteuil coquille, ôté l’armoire pour caser le lit médicalisé. J’aurais cassé ma pipe à la place de celle des autres sauf celle d’écume de mers. J’aurais pris la place s’il y en avait une, dans le placard des certitudes. Juste pour qu’ils restent, qu’ils meurent, comme les escargots.
Et tout cela me fait penser que des certitudes, je n’en ai pas. Je reviens au point de mon départ, être seule au monde et y rester.
Je vais les voir tous les jours dans l’hôpital, même que là-bas c’est un peu comme chez eux, juste un peu, car le silence recouvre le silence et l’asepsie des murs placardés de peinture blafarde et triste.
Dans leur tête y’a plus de sens, le haut est en bas et le devant par derrière. C’est le jeu du culbuto. Marrant parfois. Mais c’est très important pour leur dossier qu’ils retrouvent un bon repère s’ils veulent reconquérir leur territoire.
Y’en a un petit bonhomme genre chtroufme, avec un bonnet pointu, il dit bonjour Monsieur le directeur quand il me voit, un autre tout de guingois qui dit qu’on lui a piqué sa chambre et son endroit pour faire pipi si on veut bien lui prêter le notre. Maison de vieux, de séniles, maison où les histoires sont suspendues. Hôpital silence, là t’es gâté, il n’y a pas un pet de travers. Pas de rires qui s’égrènent, point non plus de musiques qui se déversent, la télé marche toute seule dans la salle à manger désertée des abonnés absents.
J’aimerais dire que c’est mon job de tenter avec eux de remettre les trucs brinquebalants dans un semblant d’équerre, le haut est en haut et la maison du bas est par-dessous celle du dessus. Personne n’écoute. T’as 2 vieux coincés entre la porte des chiotes et le placard, tu pousses dessus, rien ne tombe. Faut pas toucher aux vieux des fois qu’ils se vaporisent, se liquéfient se poussiérisent : Pschitt et ça fait de grands pscht’its. Chut !!!! Silence hôpital.
Avec une collègue on a rigolé, on ne s’était jamais autant vu depuis 2 ans, qu’on ne se voyait jamais. On a embarqué tout le monde pour faire un loto. Je ne vois pas pourquoi on en laisserait de côté. On a parlé avec eux comme je vous parle. Je ne comprends pas sous prétexte que t’es vieux qu’on te parle débile. On a rigolé et donné de la vie dans ce contexte aseptisé, réglementé. L’infirmière a dit il ne faut pas déranger la tranquillité d’autrui. On a ri encore. Elle cherchait les vieux partout, nous on jouait, on avait embarqué les fauteuils roulants avec les vieux dedans, on n’a pas encore eu le temps de chanter, mais ça va peut-être venir, il suffit d’oser pousser la chansonnette, pour pousser les murs de 9 m2, vers l’éternité. J’aimerais, pardonnez-moi, ma mère, imaginer un autre univers pour eux et le créer. Je ne comprends pas pourquoi on impose des petites boites à tout faire : à naître, à dormir, à mourir. Boites à ranger, à conserver, à jeter aussi, une vie Tuperware.
Je crois que fondamentalement l’être humain est fait pour vivre en groupes, organisés ou non, mais vivre seul, dans sa boite à dépérir, jamais.
Je respecte les horaires de visites, ne fait pas de bruit dans l’hôpital silence et ne comprends rien. Malades, handicapés, cassés, disloqués, ils sont là, encore vivants, momifiés, avec la camisole de sécurité. Il ne faut pas qu’ils tombent, qu’ils marchent temps que le kiné n’a pas dit : marchez ! Qu’ils parlent temps que l’ergothérapeute n’a pas dit : causez, qu’ils boivent une petite goutte d’eau temps que le médecin n’a pas dit : avalez. Alors, comme il fait soif comme dans un désert de Gobi, vu que le chauffage tourne même en plein cagnard, il fait soif. Il faut éviter les fausses routes. Te retrouver à l’hôpital quand tu n’as pas choisi, c’est à mon sens la première des fausses routes.
Moi j’ai donné de l’eau à la mammy et elle a vachement apprécié. J’ai dit à l’interne j’ai donné de l’eau, sans fausse route. La mémère a piqué un verre de jus d’orange et se l’ai enfilé d’une traite. L’infirmière était aux 4 cents coups, et si et si ? la mémé a dit : On s’en fout c’est toujours ça de pris » et moi j’ai ajouté qu’elle avait bien fait, qui ne tente rien n’a rien. C’est super important qu’ils se réapproprient leur vie, même si d’aucun pensera qu’il n’y en n’a plus.
D’aucun n’est pas chacun et moi je ne suis pas quelqu’une et je crois que notre vie est à nous, peut importe la distance où l’on se situe sur son chemin. Elle s’approche, fait des convergences avec les statistiques sur les probabilités et finit par fuir doucettement ou au grand galop, mais quand tu es dedans, c’est la tienne et les statisques tu leur fais des pieds de nez, parce que cette vie, elle t’est propre et c’est ta valeur unique.
Alors dire quand tu es médecin, thérapeute que untel ne vivra plus jamais chez lui parce que son degré d’autonomie est réduit à une peau de chagrin, car la fin n’est plus très loin, moi je n’y crois pas. La vie est la flamme qui maintient le flambeau de l’espoir.
J’aimerais forcément aborder le problème du choix dont on te dépossède dès lors que tu n’es plus en mesure de l’exprimer. Pourtant, ce choix, tu l’as porté en toi, si tu ne l’as pas écrit, tant pis, dommage, il va se perdre dans les méandres de l’oubli. En son temps, nous les aides à domicile, nous sommes souvent dépositaires du choix.
C’est nous, petites fourmis qui maintenons la flamme : votre père a dit qu’il voudrait bien mourir comme ci ou comme cela. Parfois même ils ont pris des dispositions écrites en ce qui concerne leurs funérailles et les enfants l’ignorent, ils n’osaient pas en parler avec eux. On sait qu’il y a un contrat d’obsèques, on le dit. Parfois ça fait mouche. Ca a valeur de réhabilitation identitaire.
C’est légitime et j’en appelle à l’entourage, par pour le démunir de sa filialité, de son attachement aux proches, de son chagrin aussi, mais pour dire qu’il me semble presque normal que pour leurs parents dont nous partageons le quotidien, tous les jours, souvent matin midi et soir, et ce durant des années, nous devenions bien souvent les confidentes. Leur fin de vie les préoccupent, beaucoup de questions, d’angoisses sont exprimées sur ce thème, surtout quand leurs capacités diminuent. Dans 1 précédent texte je me suis exprimée sur la promesse.
Les vieux, ils détricotent le passé, ils ne tissent pas l’avenir, sinon dans cette fin qui se rapproche et ils le disent.
Les enfants sont souvent étonnés quand on dit qu’ils nous ont parlé de leur fin de vie, pour savoir si on serait là encore.
C’est souvent, ne vous en déplaise, un sujet récurent qui arrive rapidement.
Il faut dire que dans les méandres de nos professions à domicile, ils ont du mal à nous situer, entre l’aide-ménagère et l’aide soignante, ils veulent savoir si on sera l’aide à mourir. Si L’on me prête vie, je dis oui.
Laissez-les, je vous en prie, s’accorder le droit de cet espace de médiation, et ça va plus loin, d’écoute active, de privilège. Nous ne volons rien. Matériellement, il y a rarement des dérapages chez les professionnels, affectivement, c’est une route parallèle à celle des enfants, des amis, pas la même. Elle n’est pas tracée à l’avance, c’est eux qui nous emmènent, parfois, sans issue de secours ou garde-fou. Ils ont choisi notre présence ou vous l’avez choisie, pour ce motif : pour veiller à leur bien-être et leur sécurité, mais aussi pour cette écoute bienveillante et désintéressée, même si pour cela ils nous payent, c’est notre métier, laissez vivre tranquilles les aides à vivre et à mourir.
J’entends trop souvent les aides à domicile avoir le sentiment de culpabilité pour l’argent qu’elles reçoivent. Ce confort de vieillir et mourir chez soi a un coût, certes, mais il est in évaluable en retour de l’aide personnalisée, de l’attention, des gestes d’amour. Tout cela n’est pas monnayable. Je le dis en connaissance de cause.
Je me souviens de cette auxiliaire de vie qui avait prise en charge durant 9 ans une grand-mère insupportable pour son entourage et pour elle.
9 ans de bons et loyaux services, l’échine courbée à servir une reine qui se manifestait toujours insatisfaite, méchante, acariâtre.
9 ans sans ménager sa peine, dans ce service de l’autre tous les jours, se succédant les uns aux autres, ils ne suffisaient jamais à la combler.
Quand elle a quitté son logement pour entrer en institution, ses enfants qui avaient désertés durant toutes ces années, ont injurié l’aide à domicile, l’accusant d’avoir dépouillé leur mère au vu du coût des salaires versés. 9 ans sans se manifester, sans se préoccuper, sans s’interroger et juste à la phase finale, savoir ce qu’il restera ou reprocher qu’il ne reste rien. Elle ne dit rien ou laissa dire, ravalant sa peine et ses larmes et continuant son petit bonhomme de chemin chez d’autres personnes, mais secouée, ébranlée, sans autorisation de revoir la mammy.
Elle avait proposé de préparer la valise, les petites choses qu’elle savait précieuses pour la grand-mère et ils l’ont jetée comme une malpropre. Contentez-vous de votre préavis et partez ! Ils ont déposé à la porte de son domicile un carton qui contenait des objets comme des napperons, des fanfreluches en dentelle, au point de croix, des petites peccadilles qu’elle avait confectionnées des heures durant en écoutant son aide. Objets sans valeur aucune à leurs yeux, là où leur mère avait usé les siens. Elle en avait pris un coup et pas un léger.
Des fois je quitterais bien tout pour faire autre chose et d’autres je ne quitterais rien pour continuer. Ce métier de l’ombre et du silence, je l’aime, je voudrais juste un peu qu’on en parle, que l’on fasse la lumière dans la pénombre.
L’an passé un cinéaste m’a contactée interloqué par mes écrits, intéressé pour les faire valoir et il disait que ce métier il le porterait dans la lumière : Jean-Luc Raynaud, l’auteur de l’Art de Vieillir.
Le documentaire qu’il a réalisé est fabuleux : il filme des vieux qui ignorent ou feignent de l’ignorer qu’ils le sont. Ils discourent sur leur vie de vieux vachement libérée des contraintes du travail, du sexe, de la famille aussi où ils peuvent tout dire et construire des chapelles Sixtine en Corée du Sud. C’est beau, c’est soft, émouvant et méritait bien le prix inestimable du meilleur film documentaire, festival de Montréal.
J’ai dit à Jean-Luc que des vieux comme cela moi, j’en n’avais jamais vu, qu’il devrait me donner l’adresse où on en fait l’élevage. Les miens à moi, sont plus que vieux avec des gros bobos, et c’est toujours en panne du côté du cœur ou du cerveau : avec des machines complètement déraillées, même que souvent il n’y a plus une gare pour assurer la sortie, que c’est souvent sur une voie de garage qu’on les retrouve. Il a dit qu’il voulait y voir de plus près. Il est venu. Il dit qu’il va faire le contrepied de son1er film, l’antithèse de la thèse sur l’art et la manière d’être un vieux convenable. Il a dit que le film nous serait dédié à nous les artisanes de l’ombre et qu’on serait propulsées dans la lumière. Je me voyais déjà transportée dans une autre galaxie. Il est venu, il a filmé une journée avec moi, et 2 autres avec d’autres aides. Il a fait un petit bout de film d’1/4 d’H pour les producteurs. Je crois bien qu’il n’a pas eu encore les sous.
Posons-nous la question de savoir si montrer la vieillesse, dans ce qu’elle a de pas beau, est médiatiquement rentable. Rapport qualité prix, ce n’est pas terrible. La vieillesse fiche la trouille, quand tu en vois tout de guingois, cahin, caha, sur leur trottinette, sans pédale ni moteur, pour faire joli, on appelle cela des rolators (déambulateurs), tu prends tes jambes à ton cou. C’est légitime, car c’est notre avenir qui se trimbale impudiquement devant nos yeux. Alors, il n’y en a pas beaucoup qui courent après.
Moi non plus je ne courais pas derrière, j’ignorais le bien fondé de la cause première, l’amour de ces gens dont souvent on ne veut plus. La société qui entre nous s’effrite sur des valeurs marchandes et instables, veut du beau, du qui se laisse voir ou du sensationnel, comme regarder par le petit bout de la lorgnette. Un film sur le quotidien des vieux et leurs aides à vieillir, qui ça peut bien intéresser. Mais Jean-Luc n’a pas dit son dernier mot et je parierais même sur un placé-gagnant, ou dans le désordre qu’il y parviendra. On ne peut plus à l’heure actuelle, au train où vont les choses, sans oublier que nos politiques à titre personnel sont aussi concernés, jouer la carte de l’ignorance.
Politiquement correct on incite à maintenir les gens le plus longtemps à domicile. Résultat des courses, plus la dépendance augmente, plus le nombre d’heures aussi et plus ça coûte. Pour un maintien 24H/24 comptez 7500 euros, Les institutions sont dans le même train d’enfer. Qui peut à l’heure actuelle débourser 3000e minimum, les vieux riches, certes, mais pas la majorité. La dépendance est lourde pour tout le monde. Quand les vieux sont trop vieux, on n’en veut plus dans les maisons de retraite car la désorientation est difficile à gérer. La solution est où ?
D’aucun a peut-être vu ce film « soleil vert » où dans un monde en 2001 dépourvu de ressources alimentaires, les vieux sont transformés en granulés pour nourrir la planète. Ce film a + de 30 ans, souhaitons qu’il ne fût pas visionnaire !!!!
Pour en revenir à mes vieux qui sont à l’hôpital, nous reprenons notre train-train au cours des visites quotidiennes, chacun a son rythme, je lève certains, nous sortons, on écoute les fleurs qui poussent, l’eau qui ruisselle le long des gargouilles, on rit de bon cœur et j’espère que le leur tient encore. On attend, quoi ? le verdict, celui qui sera un retour à domicile. Celui qui sera un placement en institution, au moyen et au pire des choses : le long séjour et la mort dans la continuité. Mais comme à chaque jour suffit sa peine, on vit tout cela au jour le jour, demain en sera un autre. Je leur dirai peut-être adieu, ou peut-être à demain ou peut-être rien. Le bout de chemin que nous avons fait, main dans la main, nous a conduit jusqu’ici, alors….sur notre drôle de machine qui ne saurait en être une à tuer le temps, continuons notre périple, c’est la vie.
Pour d’autres, c’est la claustration à perpétuité dans un état végétatif, derrière un paravent qui occulte le regard où la mort s’est installée, elle se tient prête, fait durer le suspens, se maintient à force de perfusions, de masque à oxygène, elle joue au jeu du chat et de la souris : un coup je t’enlève le paravent, un coup je te vois, un coup je ne te vois plus. Je te mets la sonde gastrique, un coup je te l’enlève, de régurgitations en fausses routes. Un entre deux qui dure tant que le cœur dure. Toi, t’es là, juste présente et dans l’attente d’un autre jour ou pas.
Ce silence orné d’or et d’argent pèse des tonnes car il met le doigt sur le mystère de la vie et sur le sens que tu donnes à ta présence. Je le redis, accompagner journellement quelqu’un surtout dans la grande dépendance crée des liens d’attachement. Dans cette profession, avec le vieillissement de la population, confrontés de plus en plus au mortifère, les aides à domicile sont souvent démunies, insécurisées, car seules.
Dans cette solitude, là où tout aidant aurait besoin d’appui, de reconnaissance, besoin de croire pour vaincre le désespoir, là où les proches trouvent souvent la situation désespérante, combien seraient bienvenus des lieux pour exprimer les difficultés, pour parler, être soutenues et conseillées. Par expérience, je n’ai rencontré que des fins d’accompagnements difficiles. Je me suis battue bec et ongle pour que l’identité des ces vieux soit maintenue, pour que leur souhait de mourir dans leur lit soit exaucé. J’y ai souvent laissé des plumes et je n’ai rien gagné sinon d’être écartée de leur histoire comme si je n’avais jamais existé et de me recroqueviller dans cet espace d’oubli. Nous ne gravons jamais rien dans la pierre nous les petites fourmis de l’ombre. Notre passage est somme toute si éphémère. Par devoir de discrétion mes écrits restent généralistes et l’histoire intime est dans ma tête et y restera avec cette interrogation de savoir jusqu’à quel âge peut-on encore prétendre mourir dans la dignité ?
Certaines institutions utilisent mes textes dans leurs formations d’AVS, c’est sympa, sans jamais me demander mon avis ou me laisser la possibilité d’intervenir, ça l’est moins. Je n’écris pas pour faire joli ou pour le paraître mais pour vous interpeller sur notre condition d’exercice, recueillir vos réactions, vos témoignages. Je reçois beaucoup de mail de responsables d’institutions, de travailleurs sociaux, de psy de toute sorte, pas chi pette des aides à domicile. Aussi, pour la facilité du dialogue, je laisse aujourd’hui mon adresse internet. A vous lire.
Le 18 avril 2008