Joseph Rouzel, dans un article dans Rebonds, a raison de citer le N° 753 de Lien Social consacré au théâtre en prison comme moyen de réinsertion…,mais aussi, précédemment, le N° 702 sur les ateliers d’écriture, le N° 747 sur les clubs thérapeutiques, le N° 751 sur les journaux…un panorama des expériences qui transmettent l’expression de l’usager, comme on dit maintenant, du plus faible, du plus exclu, du plus souffrant, certainement. Et je rajouterai, pour ce que j’en connais, les tentatives d’être ensemble autour des ateliers d’expression de l’Agora, l’accueil de jour Emmaüs à Paris, ou ceux encore des Boutiques Solidarité. Dans toutes ces expériences, c’est la rencontre qui domine et qui vient témoigner que l’importance de l’activité du travail social ou éducatif c’est avant tout la présence et la pédagogie actives avec l’autre, dans un « créer ensemble », autour d’une parole de dignité et de responsabilité éthique. Je posais dernièrement la question à Joseph Rouzel sur son site internet : « le transfert, n’est-ce pas de mettre de l’éthique dans le vécu ? ». C’est notre question essentielle au Coral. Nous avons créé, avec des bouts de ficelle et le soutien d’amis fidèles, un atelier d’arts plastiques, un atelier d’écriture et édité un journal ; nous poursuivons l’atelier de poterie en partenariat avec le Service Jeunesse de la ville d’Aimargues…et ceci dans un bel engagement des uns et des autres, des accueillants et des accueillis,…et je souhaiterais qu’on joue de la musique, qu’on chante, qu’on fasse du Coral une fête foraine. Oui, nous bricolons, du lundi au dimanche, et dans ce « vivre ensemble » qui nous tient tous, nous lie et nous relie, notre responsabilité est maintenant d’arriver à pouvoir créer du lien entre les activités de créativité et celles du quotidien, mettre de la pensée, une pensée quasi-égalitaire autour du bien-être et du dépassement de soi. C’est l’imaginaire qui vient au plus intime de l’humain, de son énigme.
Le risque de broyer, nous dit Joseph Rouzel. Il s’agit bien de la prise de risque : créer des espaces d’expression, qui nous permettront de repenser, avec les accueillis, la question de l’organisation, du fonctionnement, de la place et du rapport des uns aux autres : une relation naît. Qui s’invite réellement dans la relation ?. C’est la seule chance qui nous reste pour instaurer la confiance et briser les cloisonnements. Car toute parole appelle une réponse. Je pense, pour ma part, qu’il faut maintenant broyer tous les mots (maux) d’insertion, de réinsertion, d’inclusion, d’autonomie, tous ces mots qui créent d’abord la séparation entre les autres et nous ; et nous qui sommes-nous ? La séparation met en place l’imposture. Cette culture institutionnelle de la séparation, de la reproduction des rôles, est impuissante à produire un objet et un projet propres. Elle n’engendre que des événements toujours attendus, consommés puis oubliés, et incapables de marquer profondément des transformations. Une boucle se boucle. Le travail social doit-il cimenter la société dans une forme d’obéissance et d’abêtissante contrainte, ou doit-il la remettre en cause ? Nous sommes dans un monde arbitraire. C’est un rétrécissement du monde, de la disparition de l’inconnu, qui provoque une insoutenable amertume, une solitude absolue et une peur de tous les instants. Solitude du prisonnier, du naufragé de la rue, du migrant, du malade mental, du sans-droits, du travailleur pauvre.
Nous sommes obligés d’innover et d’expérimenter, d’inventer de nouvelles pratiques, plus proches, en les confrontant à la réalité, et en gardant intacte une respiration créatrice qui nous implique. C’est la routine qui nous dévore. Remettre sans cesse la balle en jeu, parce que rien ne devrait jamais être joué, pas même sa propre tranquillité. Toutes les expériences alternent des excès d’attention et des maladresses qui se révèlent en définitive profondément touchantes. Dans l’article sur les clubs thérapeutiques, j’ai bien noté que l’une des conditions d’adhésion au club est de « donner signe de vie «. C’est ce signe, clairement identifié, qui permet une démarche en tant que sujet ; une démarche de liberté et de confiance. Urgente en tout cas nous paraît la tâche de dégager le sens que ces activités retrouvent d’une réflexion sur leurs fondements subjectifs, d’une action qui ne tient ses effets que du sens qu’il prend avec sa forme. Si non, ce ne sont que ruines alentour…comme dans la chanson « les maisons » de La Rue Kétanou : « et les ruines qui restent là et pourrissent à côté de nos têtes d’enfant ».