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Exclusion, travail social, productivité, comment tenir le cap ?

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Claude Pasqualini

mardi 13 mars 2007

Nous voulons aborder la question du devenir des personnes en situation de grande précarité et d’exclusion au regard de l’évolution du dispositif du revenu minimum d’insertion.

Notre équipe est composée de 14 professionnels intervenants sur un lieu d’accueil RMI : travailleurs sociaux, accompagnatrices à l’emploi, agents d’accueil, agent d’entretien. Cette structure fait partie d’une association, le SARA (service d’accompagnement à la réinsertion des adultes) qui a fêtée ses 20 ans cette année. Comme de nombreuses autres associations en France engagées dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion bien avant la loi de 1998, elle est conventionnée au titre de divers dispositifs qui lui ont permis de développer et de professionnaliser son action.

Dans un contexte de massification et d’aggravation des problématiques sociales, nous constatons qu’il est de plus en plus difficile d’intervenir auprès des publics les plus précarisés. Quelles en sont les raisons ? Pourquoi la représentation du travail d’un référent social est-elle limitée au « placement » des allocataires vers une poignée de prestations de services ? qu’en est-il des ambitions d’un dispositif précurseur des lois de lutte contre les exclusions ?

Le RMI a été institué en décembre 1988 et s’est montré « un formidable révélateur de l’état de pauvreté en France ». 500 000 allocataires ont fait valoir leur droit et leur nombre a à peu près doublé sur la première décennie, la création de l’allocation unique dégressive en 1992 contribuant largement à faire basculer de nombreux chômeurs dans ce dispositif.

Sa décentralisation en janvier 2004 a postulé un constant d’échec, lessorties vers l’emploi étant jugées très insuffisantes ! Elle a été d’ailleurs été accompagnée de rumeurs déplorables véhiculant l’image de l’allocataire profiteur et du travailleur social qui, trop éloigné de la culture de l’entreprise, n’aurait pas bien compris ce qu’est l’insertion…

Ce constat ne risque t-il pas de faire oublier que le « dernier filet de la protection sociale » a pour corollaire une société en pleine mutation où la question même de la cohésion sociale ne « va plus de soi » ? Les phénomènes de pauvreté et d’exclusion convergent vers ce dispositif dans un faisceau de problématiques sociales et individuelles complexes.

Ainsi, la survalorisation de ce prétendu échec dévalorise une loi qui n’est pas dénuée d’efficience.

Elle a permis au moins à bon nombre de personnes privées de ressources de ne pas sombrer dans une misère totale. Son « montage » original qui prévoit d’assortir un minimum de ressource à un contrat d’insertion, en fait un dispositif de droit commun permettant à toute personne, quel que soit son niveau de difficulté, de s’inscrire dans un parcours soutenu par les notions de droits et de devoirs. Soulignons ici que les publics les plus précaires, traditionnellement « secourus » par des initiatives privées, voient enfin leurs situations traitées sur la base du droit. Des pratiques innovantes de relation d’aide ont ainsi pu voir le jour.

Enfin, cette loi qui fait de l’insertion un « impératif national » a favorisé également un travail de maillage du lien social, en valorisant l’action des associations qui ont toujours été impliquées auprès des publics précaires.

Un manque de lisibilité très net en ce qui concerne le travail social dans ce dispositif porte également préjudice à son évaluation. Cela devrait questionner les professionnels que nous sommes : le « faire savoir » est tout aussi important que le « savoir faire », c’est en tout cas un leitmotiv dans nos formations ! Mais dans les faits, sommes nous convaincus de la nécessité de faire connaître les fondements de notre travail, sa richesse, sa complexité ?

Force est de constater que la parole des professionnels rencontre de nombreux obstacles : le secret professionnel, le devoir de réserve, l’isolement des intervenants cantonnés sur leur dispositifs et des « files actives » vertigineuses. Ilspeuvent ainsi avoir le sentiment que la dimension du sujet et de la réflexion sont insoutenables devant le rouleau compresseur d’une approche productiviste. Ne voit on pas d’ailleurs de plus en plus d’institutions abandonner les procédures d’élaboration collective telles que les supervisions ou l’analyse de pratique ?

La diversité des compétences et fonctions requises par le secteur social n’en facilite pas non plus la lisibilité. Les acteurs du dispositif RMI s’organisent autour de logiques et de cultures spécifiques sans savoir nécessairement établir des modalités de communication judicieuses. Je pense par exemple à un problème très actuel ; la décentralisation du dispositif a occasionné des choix drastiques : de nombreuses actions à visée sociale (travail corporel, activité artistique, culturelle) ont disparu du « catalogue » de l’insertion pour valoriser l’accès à l’emploi. Si elles ont été considérées comme des « trappes à chômage » ou une incitation à la paresse, l’ensemble des acteurs peut sérieusement questionner ses stratégies de communication et d’évaluation.

Plus que jamais, nous rencontrons des publics dont les difficultés sociales et personnelles sont difficiles à traiter. La raison est très simple : pour « alléger » le dispositif, il est proposé aux allocataires qui paraissent proches de l’emploi de donner à leur PAE (projet d’accompagnement à l’emploi) établit par l’ANPE, valeur de contrat d’insertion. Cela s’appelle un « contrat délégué ». Cette alternative s’étend à d’autres actions d’accompagnement à l’emploi et constitue pour le département une adaptation au regard de ses moyens financiers. Personne n’ignore en effet que le transfert de compétence de l’état ne couvre pas totalement la charge financière du dispositif RMI.

En conséquence, les personnes qui sont orientées vers les lieux d’accueil sont confrontées à ce qu’on appelle élégamment des « problématiques périphériques » ; il faut entendre : périphérique à l’emploi et comprendre qu’il s’agit de toutes les problématiques sociales existantes ! Nous sommes sensés les résoudre sur la base précitée d’un diagnostic assorti d’une prescription de prestation de service…

Quelles que soient les limites qu’impose une réalité économique ou budgétaire, elles ne devraient pas nous infliger une économie de la pensée ; celle-ci est d’ailleurs la première étape d’un processus d’insertion, voir d’humanisation !

Je suis frappé de constater quotidiennement l’écrasement de la réflexion. Le profond malaise qui traverse le secteur social aujourd’hui est caractérisé par « l’agir ». Tenter de faire « un pas de côté » est très vite considéré comme un signe de naïveté ou de subversion (il n’est pas forcément bienvenu d’être critique quand on a des subventions). Je repense à une expression de Patrick DECLERCK qui parle de « collusion névrotique » quand une forme de déni se généralise…

La notion de complexité est inhérente au travail social dans la mesure où il se déroule sur deux champs distincts : l’un touche au social et l’autre à l’individu ; chacun est balisé par de nombreuses disciplines et dans cette interface, l’intervention est porté par une rencontre. (ROUZEL, Le travail de l’éducateur spécialisé).

De plus son sens est porteur de paradoxe: la réunion de ces deux mots forme un oxymore : Travail est un terme « dur » qui fait référence de prime abord à la productivité alors que Social est un terme « flou » qui renvoi à la collectivité humaine. Si le travail social s’origine dans une socialité primaire portée par des idéaux charitables ou philanthropiques, il obéit aujourd’hui aux règles qui gèrent les organisations économiques. Or, cette dimension tend de plus en plus à obérer la première comme en témoigne certains glissements sémantiques qui s’introduisent dans notre secteur: porte feuille, clientèle…

La sphère économique introduit un idéal de maîtrise et une logique de simplification des problèmes qui vise à rationaliser l’intervention. (FUSTIER, Le lien d’accompagnement)

La simplification postule l’existence d’une réalité unique. Or, il n’existe pas une réalité mais des réalités subjectives qui sont en mouvement (ROUZEL). L’appropriation de l’espace psychique et social d’un individu est le propre de l’éducation. Le travail social peut constituer un étayage lorsqu’il y a des entraves à ce développement. Il repose sur la dimension langagière et des « médiations relationnelles » appropriées, on parlera dans notre secteur de dispositifs.

Pour sa part, la rationalisation de l’intervention consiste à sérier des problématiques sociales qui se déclinent en prestations de service portées par des intervenants « spécialistes » de mesures. Nous observons d’ailleurs depuis quelques années l’apparition de nouveaux métiers du social ciblés par des technicités spécifiques (agents de développement, accompagnateur à l’emploi…).

Paul FUSTIER décrit ce mouvement sous l’angle de la « purification » du travail social ; elle survalorise la dimension technique au détriment de la relation aux personnes qui devient « inutile ». Les problématiques sociales sont ainsi considérées comme des « isolats », c'est-à-dire qu’elles seraient conjoncturelles, extérieures aux personnes. Une fois le problème résolu, la situation d’un individu est susceptible d’être rétablie.

On comprend aisément qu’une telle logique induise dans le conventionnement d’un lieu d’accueil RMI une fille active de 160 personnes pour un équivalent temps plein. La personne prise en charge est positionnée sur le premier maillon d’une chaîne où le traitement est quasiment identique pour tous.

Ce mode d’organisation est une tentative d’adaptation à la massification des problématiques sociales. Cela rappelle étrangement un modèle d’organisation du travail en entreprise imaginée par l’ingénieur TAYLOR qui visait un accroissement de la productivité…

Il est légitime que les politiques sociales cherchent une efficience tout comme il est normal de considérer que l’autonomie passe par une diversification des pôles d’investissements. C’est en définitive une fonction essentielle des prestations de service que nous ne remettons pas en cause en tant que tel. Il convient de les insérer dans un processus qui suppose un étayage relationnel adapté et le respect du temps, du rythme et des possibilités de chaque personne. Sans cela, la multiplication des prises en charge peut conduire au morcellement du sujet, voir renforcer l’exclusion quand elle devient inaccessible aux publics précaires.

Nous l’appellerons Pierre, jeune homme de 29 ans qui nous a été adressé il y a quelques mois. Il demande du travail. Comme beaucoup de jeunes rencontrés sur ce petit accueil de jour que nous avons ouvert sur le troisième arrondissement de Marseille, Pierre est en déshérence depuis qu’il a quitté le domicile parental.

Mes collègues m’ont prévenu qu’il ne va pas très bien ; il investit leurs locaux tous les matins, entre difficilement en relation et refuse de prendre part à une activité.

Ce qui me frappe, dès le premier entretien, c’est de voir à quel point son expérience des dispositifs lui a fait violence ; il a déjà été positionné par l’ANPE sur diverses actions qu’il n’a pas été en capacité de suivre.

Il craque très vite, alternant colère et pleurs, dit qu’il n’a pas choisi cette société, qu’il n’a pas choisi d’être là, qu’il ne sait pas comment s’en sortir : « qui peut m’aider ? On ne fait que m’envoyer ailleurs : vas là ! On ne me veut pas, retourne là ! C’n’est pas pour moi ; ce que je veux c’est du travail, pas du blabla, je veux parler à personne et que personne ne me parle ; si ça continue, je vais faire quelque chose de grave et on n’entendra plus parler de moi… »

Nous avons évoqué la pertinence du dispositif RMI qui constitue potentiellement un espace de projection et d’élaboration. La situation de Pierre est très explicite sur un point : c’est dans la rencontre et l’établissement d’une relation que cette projection sera possible. C’est cela notre travail, il ne s’improvise pas et requiert, comme toute discipline, des modalités de mise en œuvre qui lui sont propres et doivent être respectées.

Notre intervention s’adosse à une loi sensée combattre toutes les formes de misère dans des adaptations proches de la réalité de chaque territoire. Les problèmes rencontrés sur un arrondissement parsemé de cités n’ont rien à voir avec celui où plusieurs accueils de jour concentrent des populations SDF. Les adaptations attendues devraient être portée par la même ambition de refuser l’abandon, la relégation et le délitement du lien social. Ce travail n’est pas toujours valorisé par des « camemberts » et autres graphiques mais s’évalue par des référentiels adaptés qui ne peuvent faire l’impasse de la dimension langagière.

J’ai reçu récemment un mail rassemblant quelques paroles de l’abbé Pierre ; celle-ci à retenu mon attention : « les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres ».

Il serait temps de reconnaître le travail social pour ce qu’il est et cesser de l’accuser des impasses du libéralisme. Il est pertinent chaque fois qu’une action pacifie les individus et les « humanise », faisant reculer la folie et la jouissance – au sens psychanalytique du terme qui n’a rien à voir avec le plaisir !-

C’est la valorisation de la fonction symbolique qui permet ce processus d’humanisation et de construction psychique. Elle s’étaye sur les bases de la loi, de la parole, de l’activité.

Il est insupportable de constater aujourd’hui que des personnes comme Pierre s’amoncèlentinexorablement dans des accueils dit de bas seuil et accèdent de plus en plus difficilement à des prises en charge adaptées et pertinentes. Comment expliquer ce phénomène qui est dangereux ?

Peut être tout simplement parce que l’idéal de maîtrise dont nous avons parlé est inapproprié au secteur social. Les conventions d’objectifs qui pèsent sur les procédures de prise en charge acculent les intervenants à sélectionner le public. « Un bon entrant est un bon sortant » (DECLERCK). Les financements sont de plus en plus assortis à des conditions de résultats, alors que ce sont les procédures de prise en charge qui devraient être prise en compte.

Nous postulons que l’élaboration d’un contrat d’insertion est en soi une démarche d’insertion, même si son contenu semble réduit à la portion congrue. La pertinence attendue réside dans des modalités de prise en charge qui permettront à chacun de questionner son rapport au monde et d’engager les remaniements nécessaires à son développement. Cessons de considérer qu’il y a de bons ou de mauvais contrats ; cette logique se répercute sur les intervenants ou sur les allocataires : c’est une violence !

« Aucun progrès n’est à attendre, si ce n’est de la mise à jour régulière des résultats comme des crises du travail » Jacques LACAN.

Lorsque le Petit Prince demande à SAINT EXUPERY de lui dessiner un mouton, toutes les tentatives de l’auteur sont vaines. Excédé, il aurait pu l’envoyer bouler comme il peut nous arriver de le faire envers des personnes pour qui l’on a « tant fait » !

La caisse qu’il dessine au final n’est pas le mouton attendu mais constitue une réponse et un positionnement judicieux ; le Petit Prince trouve là un « dispositif » qui va lui permettre de mobiliser ses ressources propres, son énergie, sa créativité, son imagination et son désir. Ce qui est important dans un dispositif, c’est bien de permettre la « mise en travail » du sujet et de le soutenir dans les remaniements qu’imposent cette confrontation.

Pour Daniel ROQUEFORT, l’acte éducatif n’est pas déterminé par son objet. « La pratique est d’un autre ordre, et qui en fait sa valeur unique : être le lieu, l’instance où se garantit que tout besoin trouve à s’énoncer en une demande ».

Il y a quelques jours, un homme suivi par une de mes collègues s’est violemment retourné contre elle. La prise en charge semblait pourtant bien se passer et ce virement soudain paraissait incompréhensible. Il demandait avec insistance à être suivi par une autre structure. A plusieurs reprises cette personne a fait irruption sur la permanence avec une grande agressivité verbale qui a abouti à des menaces de mort.

J’ai finalement dit à cet homme que j’allais porter plainte contre lui et son attitude a changé brutalement : se montrant complètement abattu, il a présenté des excuses en mettant en avant qu’il allait mal. Il amenait pèle mêle des difficultés d’ordre matérielles et financières (logement insalubre, chômage), familiale (difficulté dans son couple, un enfant handicapé), ainsi que des idées persécutrices liées à sa personne. Il répétait sans cesse que ma collègue ne l’aidait pas (les moyens que celle-ci avait mis enœuvre paraissaient rationnels et cohérents au regard des outils qu’il est possible de mobiliser dans notre dispositif). A la question : que demandez-vous ? Il a été incapable de répondre.

Nous entrevoyons clairement ce que « soutenir », « accompagner » signifie en terme de « projections ». Les intervenants n’ont pas d’autres « outils » qu’eux mêmes, étant investi en tant que bons ou mauvais objets. Notre travail consiste, dans la dialectique du lien et de la séparation, à prendre « posture », position. Nous avons également à nous déprendre de ce qui fait symptôme, à nous interroger, à nous interposer aussi parfois face aux attitudes empreintes de toute puissance ou au déni de la loi. Il n’existe finalement qu’un interdit, il instaure le langage et l’énonciation et impose à chacun de se tenir à la place qui est la sienne….Voilà ce qu’est le travail d’un « référent social », le terme d’interlocuteur me paraîtrait d’ailleurs mieux approprié.

Pierre, pour sa part, est porteur d’une attente « massive » et focalise sa demande sur l’emploi. La loi qui instaure le dispositif RMI l’engage en tout cas à se « mettre en travail », l’accès au travail constituant un aboutissement de ce processus d’autonomisation. C’est comme cela que je lui ai présenté le contrat d’insertion, mettant en avant le soutien qui lui est proposé en ma personne.

Il semble avoir une faible estime de lui-même et parait dépassé par les actes courants de la vie quotidienne, son inadaptation se traduisant généralement par de l’agressivité. Son visage porte souvent des marques de coups qu’il dit consécutifs à ses « pétages de plombs ». Il émane de lui une profonde angoisse et je ressens la nécessité de le rassurer en posant des limites claires.

Pendant plusieurs mois il se montrera assez menaçant sur l’accueil. Il accepte mal le cadre de nos rencontres et me reproche sans cesse de ne servir à rien ; il manque la plupart des rendez que nous fixons ensemble et je ne cède pas à sa demande d’être reçu en urgence. Je lui repropose inlassablement des rendez-vous, ce qui est difficile à gérer au vue de mon emploi du temps. Cette simple action constitue un « acte éducatif » qui met un frein à sa toute puissance. Le travail autour de l’énonciation commence alors à s’engager ; son discours évolue sans cesse et peu à peu il commence à parler de lui : « je suis seul, vous ne pouvez pas comprendre, je suis tout le temps seul ». Sa haine envers le monde en général, l’ANPE en particulier et tout ce qui fait fonction de travailleur social, a changé progressivement de cible : « je voudrais que mon père soit là, je lui briserai la tête avec une hache ».

Son comportement évolue également: il vient à l’heure aux rendez vous, s’adresse à notre agent d’accueil avec politesse. Lors des entretiens il commence à me regarder et son regard est pacifié.

Sur l’accueil de jour mes collègues m’informent qu’il s’est inscrit à des activités ; il supporte encore mal l’échec ou la frustration et fait mine parfois de s’en aller quand il y est confronté. Il ne s’en prend plus aux personnes et revient après s’être calmé un moment dehors.

Je pense que la signature de son contrat d’insertion constitue le « fond de scène » d’une relation d’aide dans laquelle il engage de profonds remaniements. Pour autant, sa mise en forme paraîtra peut être modeste : suivi social, recherche d’emploi sans prestation…

Peu à peu, ce jeune homme prend acte de ce qui lui arrive, se désolidarisant ainsi du passage à l’acte. C’est un travail de longue haleine qui n’est rien d’autre qu’un processus d’éducation. Il se poursuivra par un étayage où diverses prestations de services trouveront toute leur utilité le moment venu. Je ne sais pas ce que Pierre deviendra. Il a sans doute raison d’affirmer que je ne sers à rien, même si je mobilise moi aussi une grande énergie psychique dans ce travail d’accompagnement : lui seul peut se saisir de « son potentiel d’existence », je lui fais entière confiance et je suis convaincu de la pertinence du cadre de mon intervention.

Cette situation illustre la « pratique ordinaire » d’un travailleur social « référent » sur un lieu d’accueil RMI. Elle atteste pourtant d’un engagement dont la marge de manœuvre est de plus en plus difficile à concilier avec les exigences d’un dispositif qui tend à rabattre les besoins à quelques réponses formelles, anéantissant, du même coup, la disponibilité que la mission des professionnels requiert.

Certains jours nous nous sentons découragés devant le diktat de cette idéologie de maîtrise qui justifie ses limites en posant un regard mortifère sur ceux dont elle s’avère impuissante à circonscrire les problématiques. La lutte contre la pauvreté ne devrait pas être confondue avec la lutte contre les pauvres.

Il existe une richesse que la loi de rénovation du secteur social et médico-social nous invite à réinscrire au cœur de l’action : c’est la notion de projet. Un projet de société puise son sens dans les idéaux fondateurs de la république et s’avère être le moteur de l’engagement. Quel projet de société sous tend actuellement l’orientation du dispositif RMI ? Comment y accueillir les projets de vie de chaque bénéficiaire du RMI ?

« Le projet, c’est la vie », vaste programme. Force est de constater que l’absence de projet est souvent inhérente aux précaires, ce qui sous tend déjà tout un travail de reconstruction : « par la parole et l’échange, convoquer un passé singulier, un présent, en vue d’un avenir qui pointe. C’est dans la dialectique qu’une anticipation se dessine ». On ne fait pas un projet pour quelqu’un, on le fait avec. Cela suppose confiance, écoute, réflexion, respect, implication.

« Cheminant, il n’y a pas de chemin, c’est en marchant que se fait le chemin », Antonio Machado.

Claude PASQUALINI, éducateur spécialisé. Marseille, Mars 2007

Bibliographie :

- FUSTIER Paul : « Corridors du quotidien », la relation d’accompagnement dans les établissements spécialisés pour enfants, DUNOD 1996

« Le lien d’accompagnement », entre don et contrat social, DUNOD, 2000

- ION Jacques : « travail social et souffrance psychique », DUNOD, 2005

- LEROY Pierre : « Tains sociaux », séduction et écueils du travail social, entre sirènes et phantasmes, TERAEDRE, 2002

- ROQUEFORT Daniel : « Le rôle de l’éducateur », L’ HARMATTAN, 1995

- ROUZEL Joseph : « Le travail de l’éducateur spécialisé »1997, DUNOD 1997

« Le transfert dans la relation éducative », psychanalyse et travail social, DUNOD, 2005

- ZERBIB Marc : « L’inconscient, un fait social », ASH, 2003

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