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Fichage ; jusqu’ou va-t-on aller ?

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Marc Maximin

lundi 06 octobre 2008

« Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires (….) que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? »

Alexis de Tocqueville

Depuis toujours la surveillance politique et la police de manière générale ont essayé par de multiples moyens de contrôler et de surveiller les populations et en priorité les populations « dites à risques….. ».

Le fichier n’est pas le premier ni le moindre de leurs outils pour cet objectif mais leur multiplication et l’étendue de leur champ d’action questionne et inquiète.

Qu’en est-il de ce besoin de tout savoir, d’une transparence totale au dépends de l’intime pour une soi disant meilleure gestion des affaires…..et une protection de l’individu contre une insécurité galopante……

Par ailleurs la banalisation de l’usage de technologies contrôlant les comportements et mouvements des individus et le conditionnement de la population « aux bien faits » de celles -ci ne peut que nous inquiéter.

Mesures habituelles et de « bon sens » qui s’étayent sur un sentiment de crainte exacerbé et une adhésion d’une partie importante de la population.

Mesures qui stigmatisent tous ceux qui n’ont pas pu où pas voulus s’inscrire dans ce schème, en quelque sorte des déviants au système général.

La définition extensive et floue des populations à risque confine à l’amalgame en posant les enfants, jeunes ou familles rencontrant des difficultés matérielles, éducatives ou sociales comme critères.

Le spectre paraît bien large pour repérer et encadrer ceux, nombreux, dont la situation pourrait potentiellement être considéré comme un risque.

Pour maintenir le pouvoir d’apathie et d’adhésion d’une partie importante de la population aux moindres décisions et projets renforçant cette évolution, on renforce l’attrait du toujours plus de consommation et du précaire confort qu’il entraîne.

Le « ne rien vouloir savoir » au dépend du lien social n’est que la logique application pour continuer à jouir tranquille de tous ces « biens » qu’on nous propose.

Quand est-il de cette insécurité où plutôt de ce besoin de sécurité répétée à tout bout de champs, à l’unisson comme si c’était l’élément princeps, le fondement d’une psychopathologie de la vie quotidienne des Français.

Historien, sociologue nous rappellent quand on parle d’insécurité, que la violence a diminué depuis la fin du moyen âge, ils parlent de la violence sociale qui décroît, homicides, agressions, vol à main armée etc….

Toujours est-il qu’on nous assène à longueur de journée une information sans mise en perspective et qui confine à un bourrage de crâne compulsif du fait de sa réitération ; l’insécurité gagne du terrain, elle est partout et il faut remettre de l’ordre…..

Les moindres faits divers, les malheurs de nos contemporains sont montés en exergue et les politiques de tous bords s’inscrivent dans ce système avec un populisme, une compassion et ne nous étonnons pas des dérives de la « peopolisation » qui n’est que la résultante d’un populisme à grand spectacle.

On ne peut être qu’impressionné par l’efficacité du trompe l’œil qui ordonne le débat, tel qu’aucune question de fond ne puisse être posée, mais qui dédouane, comme si « le clinquant » des interventions ne risquait pas grand-chose.

Cette pratique vient ainsi renforcer la sur médiatisation du manque de « sécurité » et permet aux politiques de montrer à leurs électeurs qu’ils sont soucieux de toujours plus de sécurité.

Ce type de fonctionnement est révélateur d’une folie sociale et collective, où l’on est tous un peu pris, fasciné par l’ampleur de ces faits, comme des choses extraordinaires qui nous sortent de notre quotidienneté et au plus on en rajoute au plus on risque d’être attiré si ce n’est séduit.

Sentiment de crainte ravivé avec une population cible mis en avant comme surface projective et responsable de tous les maux.

Tout est fait pour nous faire adhérer, médias, sondages etc…. tout cela inscrit dans un modèle dominant, avec une quête de consensus immédiat qui s’impose avant même de pouvoir poser une vraie problématique, et de se questionner.

On a plus qu’en a rajouter dans ce sens et tous les marchands d’informations rivalisent de propos à ce sujet, sachant que pour mieux faire vendre et adhérer il faut la caution royale, la référence obligatoire : l’expert.

Cette question de l’expertise est devenue centrale dans la construction de la légitimité des discours. Les médias en particulier sont de très grands consommateurs de ces « spécialistes » convoqués pour commenter les événements.

Pour pouvoir paraître et être convoqué dans les médias, les experts en oublient souvent ce qui les spécifie pour s’inscrire de par leurs participations dans la dominante événementielle et cautionner une orientation générale.

Les médias n’ont plus qu’à déployer leurs méthodologies et s’inscrire dans une commande sociale centré sur les thèmes porteurs.

Il y a d’abord une dépolitisation, un glissement qui s’inscrit dans une logique de banalisation et un matraquage médiatique avec moult détails orientés vers des interprétations les plus spectaculaires possible.

Enfin, la déformation de la réalité, qui est une dérive découlant du tri qui participe à la stigmatisation et qui consiste en une manière de découper le réel pour en choisir la signification qui nous intéresse.

C’est le triomphe du paraître au dépend de l’être, de la communication au dépend du langage qui viennent renforcer ce sentiment d’insécurité, ce besoin de protection, de surveillance avec la création de fichiers.

La voie est alors toute tracée pour mettre en place une surveillance pour notre bien être collectif, articulé à une loi du marché qui entretient le leurre de l’individualisme et la mise en place de mesures coercitives pour nous protéger…..

Modèle dominant avec un désir de classification, d’universalité et de transparence qui entretient le règne de la norme et du protocole, toujours pour notre bien être et un plus de progrès.

Nous y voilà à la transparence, aux protocoles et à la classification témoignant depuis quelques années de l’accélération du tempo d’une « mise au pas » généralisé qui n’excepte aucun des domaines propres à l’être.

Mise au pas normative avec une accumulation de lois et de projets de lois, amenant une inflation du droit dans nos sociétés modernes pour toutes les questions dites de société.

Le lien juridique prend le pas sur le lien social car la protection des prérogatives de chacun devient la préoccupation prioritaire et le fonctionnement à dominante collective laisse place à un tout « contractualisme ».

Souveraineté de l’individu, demande permanente de plus de liberté individuelles qui ne peut opérer que par la coexistence procédurale des droits pour assurer la possibilité réglée des indépendances.

Or, plus de droits pour chacun dans un tel cadre, c’est moins de pouvoir pour tous, moins de pouvoir social possible afin d’obtenir le maximum de liberté individuelle……..

Ce système pour régler le moindre des litiges devant des sujets laissés avec leur individualisme, implique le recours systématique à une contractualisation de tout et ainsi à l’établissement d’un ordre juridique prévalent.

Alors on va mettre en place tout un battage de textes, réformes, discours et actions pour montrer qu’on s’en occupe…….

On voit arriver des projets de lois en urgence sur des mesures à prendre pour l’insécurité, sans réel débat et ou le fait d’annoncer un projet de loi, d’en parler, de montrer qu’on agit est l’élément principal car le médiatique l’emporte, il faut que l’illusion produise son effet.

Ces projets reposent sur la transparence qui est justifiée comme une valeur partagée pour le bien collectif et il n’y a qu’à voir comment cette politique se déploie sur le domaine de la santé publique.

On assiste à une déferlante d’interdictions, de lois pour notre santé pour nous rappeler que tout un chacun compte, mais aussi a un coût dans une exigence de santé pour notre bien être mais aussi le bien être collectif.

Ce droit à la santé qui s’impose à tous avec sa démarche d’évaluations, fait disparaître l’individu dans le général, dans un système de contrôles et un discours de maîtrise.

Ainsi tout un chacun est pris dans une société de réseaux avec une politique qui privilégie la forme au fond et ou l’acte se résume à une démarche calibrée en fonction de normes et de stratégie.

Tout le monde est concerné par ce maillage, cette mise à la norme organisé et nos chères petites têtes blondes ou brunes (sans oublier les rousses) ne pouvaient rester à l’écart.

La machine à contrôler déploie alors ses classifications et enquêtes, qui sont en réalité des fichiers et qui ne font que renforcer la fabrique des exclus.

Les adolescents, « nos sauvageons » ne suffisaient plus et pourtant ce n’est pas faute de projeter sur eux tous les maux qui nous concernent…..

Il fallait remonter « plus avant » dans une causalité linéaire de « bon sens » source de toutes les extrapolations et anticipations.

D’ailleurs l’enfant ne répond plus à nos attentes où plutôt l’enfant qui devrait pouvoir répondre à toutes nos attentes, nos projections et nos illusions……..ne nous satisfait plus !

Alors avec la caution de la prévention, de l’efficacité et les grands fétiches que sont la science et l’évaluation, il ne nous reste plus qu’à classifier et nommer tout ce qui concerne l’enfance.

On assiste à l’émergence de nouveaux discours où les problématiques sont remplacées par des énumérations et tout ce qui sera à la marge et qui ne rentrera pas dans les normes va se retrouver en difficulté voire exclue.

Le réalisme gestionnaire sait bien nommer les choses et les gens ; échec scolaire, caractériel, opposition, refus d’intégration ou d’insertion, etc….

En nommant on classe, on met en place des causalités et des explications justificatives et une réflexion, un débat est clos avant même d’avoir eu lieu.

On ne ramène plus l'enfant qu'aux facteurs de risques qui finissent par le représenter complètement et à devenir finalement son destin.

Mais il faut éradiquer « le mal » à sa source et avec l’aide de caution pseudo scientifiques on met en place des protocoles de préventions et « traitements » dés la toute petite enfance, au cas où…….

Dérives d’un pseudo soin, d ‘une pseudo prévention pour se protéger face à un sentiment d’insécurité avec une caution scientifique, médicale pour tout expliquer dans une idéologie de certitude.

Qu’en est-il de cette tendance actuelle à considérer toute manifestation agressive comme une pathologie, n’oublions pas, comme l’écrit le sociologue Laurent Mucchielli, que « lorsqu’un individu est confronté chez autrui à une agressivité dont il ne comprend pas les ressorts, il lui est commode de désigner cet Autre comme ‘fou’ s’il emploie le langage le plus ordinaire, ou comme ‘psychopathe’, s’il veut employer un mot d’apparence savante ».

Tout est prêt pour mettre en place des mesures que l’on nous décrit comme cohérente, nécessaire et dans une logique de simplification, d’efficacité et toujours de « bon sens…. ».

D’ailleurs, on nous dit que Bases élèves du premier degré n’est que la suite logique de la collecte d’information du second degré et de même EDVIGE n’est que la suite logique du fichier de renseignements des RG, etc…..

Mais ceci est faux, c’est un changement fondamental, de nature qui pose les citoyens à tous âges de la vie comme des menaces potentielles pour l’ordre public et ravale l’humain au rang d’objet.

Les tutelles concernées, les administrations nous rassurent quant à l’éthique et l’adéquation de ces demandes, avec bien sur quelques remarques mais sans réelles inquiétudes……

Le gouvernement espérait-il avoir assez martelé toutes ses thèses sur l’insécurité et les prédispositions qui soi disant s’y référent ou espérait-il qu’une apathie ambiante laisse passer des décisions qui, en d’autre temps, auraient jeté les gens dans la rue ?

Les technocrates se sentant dans une toute puissance (qu’on pourrait qualifier d’infantile…..) ont poussé tellement jusqu’à la démesure ces démarches que l’outrance de la méthodologie et des items ne pouvait qu’impliquer une riposte et un refus.

La tendance est forte à la répression et à la tolérance-zéro, mais on ne peut qu’être inquiet car les lois et décrets mis en place vont dans le sens d’une transformation profonde de la conception de la prévention et par là même de l’humain.

Nous assistons bien à la forte montée en puissance d’une idéologie sécuritaire.

Il n’y a qu’à voir comment le pouvoir des experts associés au pouvoir politique tend à concevoir la délinquance comme une pathologie et à médicaliser son traitement (on parle d’ailleurs, de façon significative, de "dépistage précoce"). Scientifique et rationnel en apparence, ce discours peut séduire.

Tous les ingrédients sont en place pour faire accepter à une partie de la population des projets liberticides qui porte atteinte aux droits à la dignité et à la protection de la vie privée.

Sentiment de crainte qu’on injecte à fortes doses associé à une vision manichéenne de la société, mais jusqu’à quelle servitude va nous entraîner ce système de contrôle et de fichage pour notre bien…….

Trop c’est trop, on ne peut laisser faire car il s’agit d’une atteinte aux droits de l’homme pour une idéologie de la certitude qui considère l’humain comme un objet indifférencié qui doit être mis pour son bien sous surveillance.

Il est nécessaire que la CNIL retrouve une place et une réelle efficacité pour permettre que se respectent les droits élémentaires de l’homme et du citoyen.

Notre défi repose sur notre capacité à une mobilisation politique de tous et la prise en compte des approches des plus défavorisés qui sont les premiers concernés.

On ne peut laisser ce discours dominant et cette idéologie sécuritaire sans fondement avec la surveillance et le fichage qui en découle envahir notre champ sans prendre position.

L'absence laisse les élites technocratiques sans contre-pouvoir susceptible d’endiguer leurs velléités de contrôle des esprits et d’ingérence sociale.

Comme l’a écrit Michel FOUCAULT ; « le pouvoir n'est pas une relation univoque de dominant à dominé », la visibilité est un piége et ce désir de transparence est un leurre mais aussi un assujettissement.

Saint-Affrique Septembre 2008

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