J’ai interprété le rôle de discutant au sein de l’atelier intitulé « formation ou formatage » à l’occasion de ce 2ème congrès « psychanalyse et travail social » sous le magnifique soleil d’automne de Montpellier.
En principe un discutant n’a pas à rédiger de texte, précieux avantage pour les hédonistes, mais un moment particulier est venu rendre tellement plus joyeux mon point de vue sur les mutations en cours dans le champ de la formation et de l’intervention sociale que cela m’a donné l’envie d’écrire. Voici pourquoi.
Logiquement, ce sont essentiellement des formateurs qui ont fait tribune dans cet atelier (moi inclus). La composition du groupe de participants était plus métissée : professionnels du travail social, formateurs, quelques étudiants engagés (on verra en quoi plus loin), quelques analystes et un groupe d’étudiants en formation préparatoire présents le matin. 60 personnes environ composait le groupe le matin et une trentaine l’après midi. Une quinzaine de personnes ont suivis l’atelier toute la journée.
Si cette journée avait été une miniature de formation, je dirai, selon le vocabulaire consacré :), que la formation était constituée de temps d’interventions pédagogiques (ou d’enseignements) et de temps d’analyse de situation constituant sa colonne vertébrale à partir d’un collectif de 15 participants poursuivant l’ensemble du cursus, collectif animé par un binome composé d’un animateur et d’un discutant. Ceux là seraient censés avoir effectué une « vraie formation », à l’ancienne, avec l’éthique au coeur du processus formatif et tout et tout. Ils auraient fait tout le cursus et auraient réussis leur stage long (qui implique de tenir toute le journée et de faire un mémoire synthétisant les interventions du jour à partir d’une question de la pratique liée à ce long stage). Ils pourraient avoir été gravement perturbés en tant que collectif et en tant que sujet par le passage de certains selon leur parcours de formation individualisé ou à la carte, n’effectuant que certain module et compromettant la formation qui comme chacun sait constitue un processus impliquant la durée, le temps long, la prise en compte de mécanisme d’aller et retour impliquant des moments de résistances voire de régression, toutes choses gravement compromise par la mauvaise famille société à travers le nouveau formatage des formations professionnelles à la carte, capitalisable (quelle horreur) dont certains élements seraient même validables d’un métier et d’un diplôme à l’autre (aïe en plein dans mon identité professionnelle. Ca va pas non ?)
Pourtant une partie des participants n’étaient inscrits ( ne se sont inscrits ?) semble-t-il qu’au module 1 (le matin). Comment pourraient-ils être formé voire même certifiés ? Rassurons nous ils ne le seront pas à la fin de l’histoire.
Cependant ils ont apporté au groupe la fraîcheur de leur question claires et de leur désir d’engagement, non encore encombrée de jargon professionnel. Ils se sont montrés surpris de l’affliction montré par leur anciens, un peu déconcerté par le degré de complexité dans certains aspect des apports et des échanges. Ces évaluations teintées d’auto-évaluation ne se sont révélées que grâce à la pause cigarette du matin imposée de haute lutte par mes soins.
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Cette pause m’a permis de discuter le coup au soleil avec eux quelques minutes, d’apprendre que ce groupe de jeunes garçons et filles installés au fond de la salle bien sûr et qui ne s’exprimaient pas étaient tous en prépa, qu’ils voulaient savoir si on faisait plus de stage dans les autres prépas, si c’étaient aussi noir que ça l’avenir et le métier. Questionnés sur leur silence inquiétant pour moi au regard de leur nombre significatif dans l’assistance (1/6) ils m’ont dit qu’ils pensaient que leur questions étaient trop naïves ou béotienne pour pouvoir être adressées publiquement à la salle ou aux intervenants en séance. Ils se sont montré intéressés lorsque je leur ai dit
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qu’une prépa gagne à se concevoir comme un moyen de vérifier par l’expérience si on s’y retrouve dans l’exercice du métier visé et donc qu’il était de loin préférable d’en choisir une avec beaucoup de stage
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que d’autre part aucune préparation ne pouvait garantir l’obtention de la sélection, ticket d’entrée dans les centres de formation en travail social, quels que soient les résultats affichés par leurs promoteurs à des fins publicitaires plus que d’information.
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Qu’évidemment leur question valaient autant que celle de tout autre et seraient utiles à tous les autres en tant que
leur
question.
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Ils se sont montrés carrément hilares quand j’ai déclaré que, pour ma part, je trouvais toujours que le métier d’éducateur est un métier génial, même si l’un de ses rituels consiste pour les éducateurs (et les formateurs) à se plaindre entre soi dans les congrès où ils se retrouvent, que ça fait partie du plaisir et que ça peut aussi être l’étape utile vers une mobilisation plus collective pour peu que quelqu’un ou quelques uns fournissent le ciment utile à une nouvelle construction collective
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Deux ou trois membres de ce sous groupe ont pris la parole durant la deuxième partie de la matinée, dialogué avec une étudiante AS de troisième année pendant la séance et sans doute mieux compris la question fort pertinente posée par une psychologue, ex éducatrice, ex monitrice éducatrice, qui se demandait si la restructuration des formations et des diplômes à partir des référentiels de compétence, de formation et de certification rendrait encore possible aujourd’hui une trajectoire professionnelle telle que la sienne.
Grâce, en partie au moins, me semble-t-il, à notre bref échange rendu possible par ma dépendance au tabac, le groupe du matin à pu :
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se sentir légitime pour prendre la parole dans l’espace de la formation
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faire évoluer pour chacun et pour le groupe l’estime de soi à un degré suffisant pour qu’émerge une expression tout à fait pertinente dans l’espace de la formation
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s’approprier un part des problématiques abordées.
En conséquence de quoi et conformément (ou presque) au guide pratique de validation des acquis du diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé - version VAE - nous accorderons, si l’ensemble des membres du jury plénier confirme cette analyse
3 points à ce groupe sur la fonction 1 :
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1 point pour la compétence « diagnostic » (ils ont saisi la complexité du débat, la présence d’un jargon de l’entre soi, l’appétence à la plainte),
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1 point pour la compétence « analyse de la commande et des attentes de l’usager »,
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1 point pour le compétence « capacité à entrer en relation » pour avoir su en moins de trois heures transformer un comportement d’observation prudente et trop respectueuse en participation pertinente au débat.
Sur la fonction 2 nous accorderons
Sur la fonction 3 nous accorderons
Sur la fonction 4, nous accorderons un point également sur la capacité à analyser l’environnement, à s’informer sur l’évolution des pratiques et des besoins sociaux concernant le métier. (présence active à un congrès professionnel, mise à niveau et actualisation des connaissances de la politique considérée – la formation)
Nous aurions avec plaisir validé le parcours de formation de chacun des membres sympathiques de ce groupe, malheureusement les textes ne nous permettent pas de valider des acquis partiels dans chacune des fonctions puisque chaque fonction doit être acquise dans son entier et que les notes obtenues dans chacune des fonctions ne peuvent se compenser entre elles.
Ils n’auront donc rien de validé, même pas la sélection. Mais ils s’en fichent parce justement il la préparent. Et ils préparent un bel avenir aux professions sociales dans lesquelles, un peu plus sûrement peut être, ils vont s’engager.
Vous voyez bien que l’évaluation est une chance pour notre secteur ! Elle donne de vraies indications. Il suffit qu’on ne s’en serve jamais pour faire du contrôle et qu’on continue de se parler - aussi - dans les interstices. Merci à Joseph ROUZEL pour ce congrès roboratif. Vous voyez finalement, par rapport au titre de cet atelier « formation ou formatage ? » j’ai l’impression que ça ressemble au passage de la disquette au CD : ça ne dit pas grand chose de ce qui s’écrit dessus et pas grand chose non plus à propos de ceux qui écrivent alors que c’est là que l’essentiel se passe.
Patrick REUNGOAT
Discutant
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J’ai perdu cette bataille l’après midi. Pour tout dire on a pas eu de pause l’après-midi pour cause de manque de temps pour « tout-dire ». Pardon Jean Marie, tu as excellé dans l’art d’animer cet atelier avec simplicité, pertinence et beaucoup d’attention à tous, mais sucrer la pause c’est non seulement soigner de force les fumeurs mais, beaucoup plus grave, c’est cimenter un interstice et détruire un précieux rituel au nom du devoir d’efficacité.
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D’ailleurs la preuve je m’en sers
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Un groupe de 3 étudiants (scandaleusement présent gratuitement sur invitation via l’animateur et donc avec la complicité active, c’est certain de l’organisateur du congrès Joseph ROUZEL lui même) m’ont fait passer à la pause un petit « flyer » qui présente l’ONES (Organisation Nationale des Educateurs Spécialisés).ils construisent ce réseau depuis plusieurs mois (
http://www.ones-fr.org
), alors que moi j’hésite sur cette question depuis 5 ans après débat avec mes collègues du mouvement (inter-professionnel) Education et Société (
http://www.education-et-societe.org
)en me disant que créer une Association Nationale des Educateurs spécialisés ce qui ferait (ANES) c’est vraiment pas possible, eux ils ont trouvés du premier coup et ils la construisent en réseau en plus, c’est à dire naturellement en harmonie avec les formes d’action collectives adaptées aux formes actuelles de la sociabilité.
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d’où l’intérêt de se constituer une vision globale lors de la lecture des livrets 2 VAE et non un point de vue seulement sommatif et pointilliste.