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Halte aux méthodes du néomanagement ! L'invasion des petits chefs gestionnaires.

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Miguel Benasayag

dimanche 06 novembre 2011

Halte aux méthodes du néomanagement !

L'invasion des petits chefs gestionnaires

Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste

Dans cette époque rude et désenchantée, si la vie quotidienne de beaucoup d'entre nous se révèle de plus en plus sombre, il faut avoir conscience qu'il ne s'agit pas là d'un fait du hasard, d'une fatalité tombée du ciel.

La dureté des temps (souffrance au travail, isolement, fatalisme, dépression) est chaque jour renforcée par l'action de personnages dont la médiocrité et la terne banalité contrastent avec l'intensité du mal qu'ils font. Petits hommes gris à la Simenon, ils représentent la matérialisation finale du cauchemar imaginé par Robert Musil dans L'Homme sans qualités (Seuil, 1979). Ces agents de la tristesse opèrent dans des domaines de plus en plus étendus, mais il en est certains où leurs méfaits sont assez récents et particulièrement choquants : l'éducation et la santé en font partie.

Ils se présentent en général comme des "managers", des gestionnaires d'un nouveau genre et viennent prendre la place des "anciens" dans des établissements scolaires, des hôpitaux, des centres médico-psycho-pédagogiques, des instituts médicaux-éducatif (IME), etc.

Ordinateur et pointeuse en poche, ils ont pour mission d'apurer les comptes et de "remettre au travail" le personnel. Avec eux, plus de "feignants", d'"assistés", de "privilégiés" (certains ont dû télécharger récemment le portrait de Laurent Wauquiez en fond d'écran...). Ils appliquent le règlement, tout le règlement, rien que le règlement.

Or dans ces endroits singuliers où l'on soigne et où l'on apprend, l'essentiel se passe justement à côté du règlement. Pas contre, mais en dehors. Dans un hôpital, dans un centre psy, la qualité des soins dépend avant tout de la relation avec le patient. Elle passe par l'écoute, le dialogue, le regard, l'attention, et le pari partagé. Une minute peut valoir une heure, une heure une journée, une journée une vie. Aucun logiciel ne peut traiter ce genre de données.

Dans les centres médico-psychopédagogiques, les écoles, collèges et lycées, les objectifs chiffrés, les fichiers, les classements et catégories administratives ne peuvent cadrer avec des parcours d'élèves et patients multiples, complexes et singuliers. Ici, le travail a à voir avec le désir et le lien. Qui peut prétendre quantifier et rationaliser cela ? Nos petits soldats du management se méfient, eux, du vivant, de la complexité, de l'insaisissable. Ils haïssent cela même, car ces notions les empêchent de compter en rond. Ils n'ont qu'un mot à la bouche qu'ils répètent tel un mantra : "la loi, la loi, la loi."

Et l'on soupçonne, derrière ce formalisme, derrière leur apparente froideur, quelque chose de sombre et malsain. On connaît en psychanalyse et en psychopathologie ce phénomène d'obéissance stricte à la loi qui passe par l'effacement du sujet, définition même de la jouissance. Ces personnages, Lacan les appelait des "jouis-la-loi".

Ils ne se réfèrent qu'aux représentations réglementaires et légales du vivant ; mais la complexité du vivant, qui est la matière même de ces lieux de soins et d'éducation, n'est pas toute représentable. Par ailleurs, la loi dont ils parlent n'est pas la loi comme champ conflictuel. Ce qu'ils nomment respect de la loi n'est autre qu'une obéissance qu'ils exigent comme une simple compétence, au même titre que savoir lire ou écrire.

Plus d'espace, du même coup, pour la pensée critique et l'autonomie. Dans leur esprit, l'autonomie doit se transformer en pure autodiscipline, ce qui fait d'eux de petits soldats de la mise en place d'un pouvoir arbitraire. Dans leurs tableaux et leurs contrats d'objectif, l'essentiel leur échappe. Au point de susciter des effets "contre-productifs" - pour utiliser leurs termes.

A force de vouloir imposer de la rationalité, en contrôlant les horaires, en voulant rentabiliser chaque minute (chaque euro d'argent public dépensé...), en quadrillant les services, en instituant des rôles de petits chefs et sous-chefs, c'est la contrainte qui devient la règle, épuisant le désir et l'initiative des salariés.

Obligés de travailler dans un univers panoptique où tout est mesurable et transparent, ils perdent le goût de leur métier, s'impliquent logiquement moins, et souffrent au quotidien.

Ces méthodes de management sous la pression sont suffisamment élaborées (en provenance des Etats-Unis pour la plupart) pour savoir jusqu'où ne pas aller trop loin, éviter des dérives qui se retourneraient contre leurs auteurs. Ils savent harceler sans dépasser la limite légale.

Ces auteurs eux-mêmes, petits chefs psychorigides, médiocres et sans aucune envergure spirituelle, sont parfaitement fuyants. Il est impossible d'engager une discussion contradictoire avec eux car ils ignorent tout du funeste dessein qu'ils servent jour après jour. Ils sont les aiguilleurs d'un train dont ils ne maîtrisent ni la puissance ni la destination.

Petits hommes méprisables et benêts qui participent à un processus qui les dépasse. Ce néomanagement pour lequel l'homme devient une ressource impersonnelle et interchangeable prépare les fondements d'une société que l'on voit se dessiner chaque jour de plus en plus clairement, où les critères économiques font la loi, et où la loi écrase la vie.

Les grands changements sociaux, ceux qui vont dans le sens de la tristesse et de la restriction des libertés, ne se passent jamais du jour au lendemain, de façon soudaine, comme on franchit le Rubicon. Ces bouleversements se préparent dans la durée, lentement, discrètement. Et c'est bien de cette façon que la petite armée de ces hommes sans qualités est en train de préparer le terrain d'une société brutale et obscure.

Pour continuer notre travail, dans ces lieux vitaux, il nous faut résister. Mais résister au nom de quoi? Comme ce pouvoir s'attaque directement à la vie, c'est la vie elle-même qui devient résistance.

Commentaires

Trop facile!

Désolé mais je n'adhère pas à la démonstration.

Qu'il y ait des imbéciles dans tous les corps de métiers, c'est un fait acquis pour tous. Cela étant, je trouve que ce texte et les commentaires ne laissent aucune place à la nuance. Il y a opposition de blocs un peu à l'image des axes du bien et du mal chers aux américains.
Je ne dis pas que tout égale tout. De l'argent il n'y en a plus pour le fonctionnement des institutions et les salaires (carières) de ceux qui font vivre ces institutions. Il faut le dénoncer c'est sur et résister mais dans un espace militant hors du temps de travail à mon sens. Les cadres ne sont pas comptables du politique!
Ce que je veux dire c'est que la résistance frise parfois le sabotage dans les institutions. Croyons nous que les cadres ne prennent que des décisions avec lesquelles ils sont en accord? Ce serait bien naif de penser cela et de les assimiler aux grands méchants loups aux dents longues. Ceux qui se confondent avec la fonction sont à combattre mais ils s'éliminent d'eux me^me assez vite en fait.
Rendre compte est aujourd'hui aussi essentiel que rendre des comptes et c'est peut être pour avoir parfois négliger le premier sens que le second est aujourdh'hui devenu premier.
Le contexte économique actuel est catastrophique dans nos secteurs et pour les publics que nous cotoyons. les cadres font avec en connaissance de cause. Certainement pas coincés mais un peu marteau et aussi un peu enclume pour se situer à cette place. Pas toujours dans le plaisir, pas là pour être aimés et pas si bien payés que ce que certains voudraient faire croire.

je n'adhère donc pas à la dénonciation des cadres assimilés à de mauvais cadres même si certains faits rapportés dans ce texte interrogent la manière d'habiter la fonction chez certains.

Du vent!

Nous avons subi il y a quelques mois le discours de ce psychologue recyclé démarcheur en qualité. Efficacité, objectifs, pragmatisme, référentiels, enfin tout le discours pré-construit issu du management.
Certains y ont adhéré dans un premier temps et puis évidemment vient la désillusion. Ce vendeur de vent n'est pas venu pour rien.Inacceptable, scandaleux. Alors oui en réunion j'ai prononcé le mot "résister". La direction m'a fait comprendre que ce mot s'il avait une signification pendant la 2ème guerre mondiale n'en avait plus aujourd'hui.

néo-management

En électricité la résistance se mesure en ohm(homme), plus elle est faible plus ça chauffe. Actuellement ça chauffe beaucoup et le processus de "soumission librement consentie" est à l'oeuvre. La peur de perdre son emploi est plus forte et diffusé largement par ces gestionnaires dont le seul projet est uniquement de sauver les murs.

recyclage

le social permet de recycler des gens. dans l'industrie, on débauche, dans le social on embauche, maintenant des cadres intermédiaires comme il disent !!

la difficulté est leur toute puissance
aujourd'hui puissant deain mouton ?

Halte aux méthodes du néomanagement

Actuellement en formation Caferuis, je vois trés bien ce que vous dénoncez et ce vers quoi on nous explique qu'il faut tendre, ça fait froid dans le dos!
Vivre c'est résister et résister c'est vivre, alors vivons et défendons le droit à un travail social humain!

 

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