Il faut voir comme on nous parle
Il faut voir comme on nous parle dit la chanson d’Alain Souchon.
Il faut voir comme on nous parle de l’immigration.
Il faut, nous dit on, aller vers une immigration choisie : cela veut dire, choisir selon nos besoins, juger globalement, au niveau d’une état voire d’une nation de ce qui est bon pour nous. Nous aurons à recevoir des personnes dont nous serons juges de leur projet. Les mineurs isolés que nous accueillons se doivent d’avoir un projet. Un projet qui nous agrée, c'est-à-dire qui soit le notre.
Parce que il y a Eux et il y a Nous. Ce n’est évidemment pas à confondre.
En consultation, nombre de réfugiés me disent : « Ce n’est pas parce que je viens d’un pays sans liberté que je n’ai pas de liberté en moi » Ils me disent, en désarroi, dans la peur de ne pas être cru, qu’ils pensent aussi, qu’ils ont des projets, qu’ils pourraient aussi « nous » apprendre des choses. Dernièrement, un intervenant m’expliquait la fierté d’un jeune réfugié qui pouvait montrer l’étendue de ce qu’il savait, placé d’un coup et comme par accident à la place de l’expert.
Dans la réalité de l’expérience quotidienne, accueillant, nous sommes toujours à la place du juge, de celui qui juge, qui lève ou baisse le pouce, qui donne le verdict de citoyenneté, et, il n’y a qu’un pas, d’humanité. Et ceci, même si la place occupée est celle d’un psychologue, nous relevons d’abord de cet « Autre » là, pour le sujet accueilli.
Derrière la rhétorique lisse du technocrate, derrière les mots dont on nous dit que nous glissons trop à les interpréter selon leur histoire, il y a un projet du vivre ensemble et avec qui, selon quelles valeurs, il y a en somme une conception de notre humanité. Comme le dit Régis Debray dans les interview autour de son livre « Le moment de fraternité », NRF, Gallimard, le Nous suppose un Eux. Derrida nous parle aussi de cet assentiment premier qui fait adhérer une communauté humaine à un Nous, qu’il articule comme étant une source de la foi, du croire. Citons encore Lacan et son aphorisme « la fraternité c’est l’exclusion ». Ceci pour que nous ne soyons pas dupe.
C’est la loi du 26 Novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité qui détermine les modalités d’entrée et d’installation des étrangers dans le pays.
Quels sont donc les mots des technocrates, c'est-à-dire les réponses à ces questions qui donnent la mesure de notre humanité ? Les voici : camps de rétention, expulsion, création d’une police de l’immigration, faire la preuve de la vérité de son parcours, quota professionnels, proposition de dénoncer les passeurs, garde à vue pour ceux qui aident un sans papier…et il s’agirait de ne pas retenir les mots camps, dénonciation, procès. Il s’agirait de faire fi même des études qui nous montrent que ceux qui n’ont pas été « choisis » travaillent autant que ceux qui viennent répondre à la question des flux tendus dont la production a besoin. Il s’agirait de traiter notre vivre ensemble selon les logiques des besoins de grands groupes qui sont aujourd’hui dans la faillite la plus totale de leurs prévisions.
Il faudra ne pas voir ce paravent politicien qui désigne l’étranger comme cause de la faillite économique.
La question de l’humain est pour beaucoup de nos contemporains affaire de discours et n’a que peu à faire avec le nécessaire pragmatisme politique. Je soutiens que, même dans cette optique, nous faisons fausse route. Les mesures prises ne sont qu’imaginaire (dans leur volonté résolutive et non dans leurs destructivité) et ouvre la boîte à réminiscence d’un passé tragique. Jean Oury parlait lors de la Nuit Sécuritaire des puces qui amènent la peste mais qui ont le mérite de nous réveiller par leurs piqures. Ces multiples piques ne sont pas insignifiantes, c’est bien des effets réels mais aussi de signification qu’il faut prendre acte. La question est bien de savoir dans quel train nous sommes aujourd’hui.
Parce que si il y a Eux (ceux qui viennent) et Nous, nous ne sommes pas les seuls, si tant est que nous le sommes, les seuls civils et humains. Si un regard trop lucide relevait les faits d’actualité qui disent non à l’humanité des hommes, nous serions parfois enclin à dire avec le cynique que l’on se fait bien des films sur cette question humaniste ; on se fait du cinéma, ce ne sont que des mots.
Je répondrai peut-être oui : un film, une pellicule, un vernis d’humanité qui, s’il saute, lui fait la peau illico. Pas d’humanité sans cette pellicule de la langue qui la questionne et la façonne dans le même temps.
En conclusion et pour rendre à l’opératoire ce qui lui revient, parce qu’il s’agit aussi de faire, je poserai comme indicateur de nos « bonnes » pratiques, la question à renouveler jusqu’à la tyrannie de l’obsession : « mon travail est il un travail où un sujet peut prendre place ? », quitte à comparer notre accueil et nos techniques, à l’observer et à connaître ce qui vient faire loupe, comme le disait Elise Pic, psychologue, dans notre posture professionnelle, du traitement des personnes au travers de l’accueil des migrants.
Il faut voir comme on nous traite.
Patrice Bosc
Psychologue Clinicien
Le 08.03.09