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Janvier 2004 : Commission « conditions d’une bonne pratique»

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Association ANPASE

mardi 24 février 2004

Sous la forme d’un séminaire, « inventer une clinique de la pratique sociale », la commission de l’ANPASE sous la direction de J.C. Benguigui, s’est réunie, chaque mois,

( les lundis 3 mars, 5 mai, 2 juin, 6 octobre, 4 novembre, 1 décembre 2003 et 5 janvier 2004)

Y ont participé régulièrement une quinzaine de personnes, toutes engagées dans une pratique sociale ou médico-sociale.

Les repères que Jacques Lacan donne à la pratique psychanalytique permettent, mutis mutandis, une approche fondée de la pratique sociale. L’essentiel de notre réflexion porte sur la définition de l’acte des pratiques sociales.

La plupart des praticiens pratiquent des actes sans le savoir, comme Monsieur Jourdain de la prose sans le savoir. Cette remarque évidente ne nous dispense pas d’une formalisation cohérente. Au-delà de ses apories logiques, certaines conditions nécessaires à une « bonne pratique » nous semblent généralisables, et nous voulons les dire à nos responsables administratifs et politiques. En effet l’article 15 de la loi dite 2002-2 crée un conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale, placé auprès du ministre chargé des affaires sociales. Ce conseil doit élaborer des « recommandations de bonnes pratiques professionnelles ».

En préambule : que la pratique sociale soit sous le contrôle de l’Etat, à travers tous les méandres de ses administrations tant nationales que régionales, est une nécessité de notre société démocratique. A vrai dire, il est du devoir d’un responsable politique de définir les dispositifs de l’aide sociale. Entraînés par leur propre logique administrative réglée par l’écrit juridique de « droit public », les responsables ont tendance à vouloir codifier tout autant les pratiques. Ont-ils l’illusion de définir des procédures totalement objectives et de transformer le travailleur social en machine ? Au vu des textes de l’état allemand de 1943, Eichman avait une pratique parfaite ! Pour se prémunir de cette dérive totalisante, l’état n’a pas d’autre choix que d’accepter le lieu de la compétence de ses travailleurs sociaux. Mais, pas de définition de notre responsabilité, sans définition de notre compétence. Pas de responsabilité sans choix de notre acte. Ce choix n’est possible que par la garantie d’un espace de liberté pour chaque travailleur social. Un travailleur social n’est pas une machine, il a une mission dont nous réclamons la responsabilité, et que nous allons définir.


Ainsi, nous tenons fortement à faire entendre l’impossibilité de codifier, par écrit, les pratiques et encore moins de formuler les « conditions d’une bonne pratique » autrement que dans l’exigence de respect de cette pratique qui est mue par une logique différente. Dans la confrontation avec des gens, il n’y a pas de « recette ». Chacun des praticiens est confronté, par définition, à des gens qui ne peuvent pas être « généralisables ». Si une situation est vécue par des millions de personnes, il est totalement illusoire de penser que ce malheur serait divisé par le nombre de gens qui le subissent. Ce n’est pas ainsi que la confrontation, privée et individuelle, avec le malheur s’organise. L’aide ne peut être apportée que dans la reconnaissance de la souffrance, à chaque fois totalement hors mesure, parce que subjective. Il reste indispensable aux conditions dans lesquelles peut avoir lieu « une bonne pratique » que soit entendu cette autre logique de la rencontre, qui est nécessaire à n’importe quel réconfort, ou aide.

La logique de la parole, dans l’effroi de chaque rencontre d’un humain en souffrance, impose une vérité de l’acte. Les gens ne peuvent s’approprier l’aide que l’Etat organise que dans un mouvement subjectif qui a sa propre dimension, de vérité tout autant. Cette dimension est nécessaire. L’appropriation d’une Aide n’est pas garantie par l’acte du praticien, mais l’acte libre du praticien en est une condition sine qua non. L’absence d’élaboration de cette appropriation de l’Aide provoque le pire. Les bonnes intentions ne suffisent pas. Depuis longtemps la sagesse populaire sait qu’on en fait l’enfer. Si l’Etat se doit d’avoir des bonnes intentions, l’Etat doit laisser à ses praticiens sociaux la liberté d’exercer leur responsabilité et le risque subjectif de la rencontre, seul garant de l’orientation du désir. Cette limite au contrôle de l’Etat n’est que l’envers de la responsabilité de ses praticiens sociaux. Aujourd’hui encore un SDF a le droit de monter dans le camion de secours d’urgence, mais quand le travailleur social, (protocole à l’appui) sera accusé (si le SDF ne monte pas), le SDF n’aura plus la possibilité de ne pas monter dans le camion. Nier la dimension de la rencontre, nier le lieu de la compétence du travailleur social ne peut qu’amener à une société de plus en plus totalisante. La responsabilité du travailleur social est de faire accepter l’aide, (et au delà les normes d’une société). Ce n’est pas naturel. Ca n’a rien d’automatique. Il est illusoire de croire que la souffrance de l’humain pourrait se régler en dehors de sa liberté. Personne ne veut devoir à un autre son « bien ». Cette liberté est nécessaire à l’appropriation de n’importe quel dispositif, pour qu’il soit pris dans le bon sens. Voilà la compétence du travailleur social : son engagement de parole est indissociable de la liberté de son acte. Il n’y a pas de possibilité de définir une « bonne pratique » en dehors de chaque contexte, et donc de la liberté d’analyse du travailleur social de ce qu’il doit dire, faire, proposer….. donner.

Nous ne pouvons nous engager dans ce travail d’élaboration que si, effectivement, comme conditions à une « bonne pratique », il reste l’espace de liberté de notre acte, loin des protocoles. Chaque praticien ne peut que réclamer cet espace de liberté, garant d’une responsabilité qu’il puisse assumer. Alors quelle modalités pour garantir une liberté de l’acte :

- le délai dans le contrôle. Les directives de l’Etat et des départements devraient prendre au sérieux le délai de 5 ans que la loi énonce. Un contrôle certes, mais tous les cinq ans. Les conséquences d’une directive ne sont pas lisibles dans la foulée de son énonciation, il y faut le temps de l’appropriation.

- L’équipe est un lieu d’élaboration conséquent à la logique de la parole. Elle est le lieu où un travailleur social travaille la justesse de son acte, avec ses collègues. Par conséquent, une équipe s’anime, dans le respect des libertés de chacun, elle ne se dirige pas. L’état contrôle une équipe, et aucun de ses travailleurs sociaux.

- Le Conseil national de l’évaluation sociale et médico-sociale, devrait être composé en majorité, de praticiens sociaux en exercice, et non des responsables ayant autorité. C’est dans l’affrontement quotidien entre la logique administrative (public) et la logique de la rencontre (privé) que se forgent les véritables expériences, ni dans le giron de l’université ni dans le sérail des organismes décisionnaires. Il s’agit de ne pas méconnaître, au nom d’un savoir psychologique ou d’un savoir comptable, la dialectique en acte entre énoncé et énonciation, la différence entre la stratégie et le but. Il existe une clinique de la pratique sociale.

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