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Je suis l’homme qui a vu l’homme...

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Eric JACQUOT

mardi 20 décembre 2011

Je suis l’homme qui a vu l’homme, qui a vu Joseph !

Ainsi parlait Zarathoustra.

J'ai hésité à passer ce texte d'hommage, vibrant à mon endroit, c'est le moins que l'on puisse dire. Un hommage généralement c'est soit adressé à un mort, soit « ça » sent le sapin, on n'est pas loin de la sortie de piste. Puis je me suis dit: je joue le jeu d'une personne publique de part mon travail de formateur éclairé par la psychanalyse et qui se déploie dans des espaces multiples de transmission (formations thématiques, en intra, supervisions et régulations d'équipes, conférences, voire séquences filmées et interviews...). Je me risque donc à donner de ma personne, ou plus exactement à la prêter à qui veut l'emprunter. Cela permet à d'aucuns d'y accrocher, comme au sapin de Noël, leurs propres boules: boulettes ou boules puantes pour certains, boule de suif ou boule de neige pour d'autres... Après tout que dans ce mouvement émouvant que l'on nomme transfert, certains de mes interlocuteurs se servent de ma personne, de mon personnage, donc de mon masque (en latin persona), pour rejoindre la figure emblématique de leur idéal du moi, qu'ils m'attribuent, voilà qui ne laisse d'étonner, mais aussi de toucher. Car le transfert se présente un peu à la façon des auberges espagnoles: on y apporte son manger!

Joseph Rouzel

1 er  temps, le temps pour voir.

Joseph, c’est du 80% de matière « grâce » clinique. Chez lui, il n’y a pratiquement pas

de déchets, tout est consommable, tu peux y aller tranquille : la date limite de vente est de

l’ordre du transcendantal et le tout est recyclable. Il fait dans le bio, l’organique, l’humain. Il

composte les mots, il nous fait oublier la notion du tout à l’égo ! Septiques s’abstenir…

Fausses septiques encore plus !

Dans sa petite épicerie du social, le crayon sur l’oreille, il fait commerce avec les

mots. Il ne brade rien mais fait parfois des promos : le signifiant à 4.50 ; la citation de Lacan à

11.99. Mais ce n’est pas un soldeur à l’arrache : il pèse, il soupèse et ne vend pas au plus

offrant… Les mots, il en a plein son stock. Il les recycle, les dépoussière, leur donne une autre

vie, un autre sens.

Dans son atelier clinique, petit atelier installé dans le lieu des autres, aux frontières du

symbolique et au pays de la métaphore, il compose, il fait du bricolage, des essais, du « barge

otage » lacanien. Il plie parfois le sens jusqu’à son point de rupture mais même s’il ne croit

guère au concept de résilience, tel que l’exprime le spectaculaire Boris, il n’est jamais

cassant ! Son petit bois, il le fait ailleurs…

2 ème  temps, le temps pour comprendre.

Joseph, c’est le charpentier de l’impossible qui construit son toit avec ton moi. Par

respect, je n’ai pas pris la métaphore du castor qui construit sa maison avec sa … Comme lui,

je m’adapte à mon entourage !

Car, il a le mot juste Joseph, qu’il plonge dans une éprouvette analytique puis quand se

fait le mélange de cette étrange mixture pleine d’étrangeté, il la porte à ébullition jusqu’à ce

qu’elle soit en résistance. C’est là que se situe le secret de son alchimie clinique ! Il ne lâche

rien. Son discours, c’est de la matière brute à manier avec précautions. Il peut vous faire

exploser un mot à la gueule ou pour vous surprendre, faire siffler une mésange du parler.

Méfiance… Il est capable d’entrer en vous par la porte dérobée d’un lapsus et y faire son nid.

C’est le passager clandestin de votre inconscient, une sorte de coucou terre à peu tique,

à l’insu de votre plein gré aurait pu dire Richard V avant son cancer aux testicules ! Les

testicules, des fois cela peut vous monter à la tête !

Ce type, c’est un contre serial killer clinique qui ne s’inscrit pas en contre et qui

finalement ne vous tue pas mais vous autorise !

Quand il semble tourner en rond ou ruminer, pas d’inquiétude à avoir, c’est qu’il

caresse un cercle de mots et de concepts pour répondre à Eugène Ionesco et ne rend jamais le

cercle vicieux !

Par précautions ou par finesse, il fait toujours mieux que les miroirs de Cocteau car il

réfléchit à deux fois avant de vous renvoyer votre image.

3 ème  temps, le temps de conclure.

Joseph, c’est un sage qui te d’hommestique et paradoxalement, il faut lui résister pour

ne pas être trop près afin de ne pas prendre le risque d’être trop contre et finalement le perdre.

On ne sait jamais, c’est sensible ces petites bestioles !

Son humanité résistante dégage une humanitude de profondeur, une sorte de courant

continu propre à te former, éventuellement à te déformer ou à te faire naître ou renaître dans

ce qui te signe, c'est-à-dire le symptôme. Il fait dans le reality bio low cost : avec lui tu

voyages en toi-même à Bakou. Et c’est sans risque pour la planète. Il n’a rien à voir avec le

soma d’Aldous Huxley ! Le prix à payer est de l’ordre de la causerie, c'est-à-dire de passer un

bon moment ensemble…

C’est un passeur de mots, un créateur d’espaces, un designer du social, rien à voir avec

ce Philipe Starck qui doit avoir une rolex.

Joseph, il dessine et insinue les contours de notre action. Il est dans le réel, pas dans

l’illusion de la consommation, il est ancré dans la transmission et il transmet. Il ne fait pas

dans l’économie psychique, il donne…il se donne !

Et quand on évoque avec lui le divin marché qui forclos la castration : il bondit, il

fulmine. Il est en âge, que dis-je, hors d’âge comme un vieil armagnac du meilleur cru. Car

pour lui et il le dit en écho à son ami Lebrun « La condition humaine n’est pas sans

condition ».

Joseph, il ne transige pas, il ne tergiverse pas, c’est un résistant. Il est entré en

résistance aussi naturellement qu’on entre chez son boucher. Il est en bataille contre cette

cassure du collectif, cette brisure, dirait Lemay, qui aliène le lien social. Il est en résistance

contre le rouleau compresseur du néolibéralisme qui transforme les êtres humains en choses,

en objets, en produits de consommation.

Il se bat contre la réification du travail social et la marchandisation des relations

intersubjectives : combien coûte le moi d’un sujet ? Comment évaluer l’insondable question

de l’autre ? Le Grand Autre est-il plus cher parce qu’il est grand ? Comment évaluer ce qui est

de l’ordre de l’indicible, de l’innommable ? Qui sont ces supers évaluateurs qui remplissent

des grilles coûteuses en temps et en sens ?

Le cours de l’expérience chute à la bourse clinique et le soin de qualité n’a plus le

droit à son triple A dans les agences de notations des financeurs boursiers et des boursicoteurs

(zéro+zéro= la tête à Toto, voilà le drame).

Y a-t-il un revirement historique qui nous entraîne vers la dictature du risque zéro et de la

médiocratie ? A quand notre printemps clinique ?

2

A l’instar de Freud, je pense qu’éduquer dans de telles conditions relève maintenant

encore plus de l’impossible ! Sigmund, si tu nous voyais…

Le travail social doit en partie sa naissance au stakhanovisme et au taylorisme. Et

maintenant, il se trouve être la future victime de cette rationalisation. Est-ce le serpent qui se

mord la queue ?

Le marché et ses appels d’offres entraînent les métiers du social vers des lendemains

qui déchantent et vers une massification niant toute singularité. Appelle-t-il finalement, dans

l’inconscient collectif qui le nourrit, à sa propre destruction ?

Il est temps de réagir, chacun à notre niveau et avec nos moyens !

Il nous faut résister à cette machine à broyer l’humanité des sujets que nous

accompagnons. Rester sans rien faire serait de l’ordre de la collaboration et je ne veux pas que

mes enfants soient montrés du doigt à cause de mon inertie et de ma coupable inaction.

Alors moi aussi, je suis entré en résistance ! Et je le fais savoir…

Eric Jacquot

Permanent responsable du lieu de vie La Bergeronnette, Torpes, le 1er décembre 2011.

Commentaires

Je suis l’homme qui a vu l’homme, qui a vu Joseph !

Résiste ! Prouve que tu existe...

je suis l'homme qui a vu ....

Merci d'avoir trouvé les mots, le style, pour remercier Joseph Rouzel de ce qu'il est , et pour ce qu'il permet . A mon niveau, je lis les textes, forums, liens de votre site. Je le conseille aux étudiants, professionnels, aux amis ...

Que l'année nouvelle nous maintiennent éveillés, vigilants, résistants !

Monique Lorber