Je vous adresse cet « au revoir… »
à vous mes jeunes collègues en formation
Depuis quelques mois, je suis aux abonnés absents… il m’aura fallu tout ce temps pour réfléchir à mon avenir. La décision est prise, je pars… il y a encore beaucoup de chemins à emprunter et des rencontres à faire. Je ne sais pas bien encore ce que me réserve demain mais comme pour nous tous, je n’ai qu’une vie alors essayons d’en vivre plusieurs…
Je quitte une école avec laquelle j’ai trente années d’histoire. La jeune étudiante en philosophie errait déjà dans cet espace d’échanges, de fêtes, de musiques et de pédagogies éducatives, c’était en 1986. Puis, un jour, ces déambulations m’ont amenée à me former au « métier de l’impossible »… éducateur. J’y ai été savamment déformée. Les formateurs de l’époque ont marqué à jamais mon parcours, ma pensée et mon éthique. Je n’ai eu de cesse de rendre hommage à leur humilité, eux qui avaient opté pour la maïeutique chère à Socrate, ils ont su me laisser accoucher de l’éducatrice que je suis devenue, définitivement inachevée… les années de pratiques professionnelles qui ont suivi m’ont demandé de demeurer attentive à la formation perpétuelle, laisser l’enfant, la personne adulte, l’adolescent m’apprendre à les accompagner. Vous savez mon attachement à la pédagogie de Paulo Freire, il ne s’est jamais agi pour moi de déclamer des discours mais de les incarner, alors j’ai autant que possible tenu le cap, du côté de cet éternelle énigme… « l’alter égo ».
Je suis revenue à l’IRFFE, comme vacataire, rappelée par ces formateurs qui m’ont marquée pour toujours. Ce fut un grand honneur et intimidant. En 2007, j’ai pris un poste permanent de cadre pédagogique avec une joie immense. J’étais aussi intimidée par la responsabilité de vous rencontrer et faire un bout de chemin avec vous tous. La formatrice que je suis aujourd’hui, je vous la dois, sans aucune démagogie mais toujours dans l’esprit de Freire, je vous ai accompagnés à partir de vos paroles, de vos hésitations, de vos écritures, de vos créations… J’ai voyagé avec vous, le Maroc auprès des enfants des rues, les cafés sociaux, les ateliers d’écriture… J’ai eu beaucoup d’honneur à vous (dé)former… Certains d’entre vous sont revenus travailler avec moi, les élèves dépassant le maître, il n’y a pas plus grande satisfaction…
Alors, je souhaite à chacun et chacune d’entre vous de continuer à inventer notre métier, notre beau métier, de connaître les bonheurs qui furent les miens d’aller à la rencontre de l’humanité avec sa beauté, ses ombres, ses doutes… d’aller vers tous ceux-là que l’on désigne par le stigmate, la catégorie, le handicap… Ils sont comme vous et moi des êtres imparfaits qu’il est heureux de rencontrer… sans vous, je ne serai pas, sans eux (les publics que vous rencontrerez) vous ne serez pas. N’oubliez jamais cette évidence, loin d’être évidente.
Lisez, écrivez… faites savoir qui vous êtes. A l’instar de Joseph Rouzel (et oui… je ne pouvais pas m’en empêcher !), faites savoir ce que vous faites, qui vous êtes.
Je vous adresse à chacun ma reconnaissance et mon amitié… et comme la Terre est ronde, gageons que nous nous croiserons et vous me raconterez vos histoires d’éducs…
Laurence Lutton