L’AUTORITE, UN ABSOLU DU COUPLE PARENTAL
Résultante d’un processus structural
Jean Pierre LE DUFF (1)
Résumé :
Le juge pour enfants renvoie à l’exercice de l’autorité des parents.
L’autorité parentale partagée, référée aux diverses redéfinitions juridiques qui
se succèdent, est la résultante d’un processus structural qui se nourrit du terreau des ressemblances et des divergences parentales. Nous sommes ainsi au cœur d’un débat contradictoire qui transcende les deux mythologies familiales de chaque parent en favorisant l’accès à une dimension symbolique, ternaire. En dépassement des dualismes contemporains qui nous assaillent, cette troisième voie devient le tremplin pour définir des choix susceptibles de faire Autorité. Elle devient « l’absolu du couple parental » qui permet aux adultes de se prémunir de conflits stériles, de rivalités premières pour l’obtention d’un pouvoir superflu.
Cette troisième dimension qu’incarne l’autorité comme emblème de la parentalité favorise le processus de transmission et garantit à l’enfant sa double référence identitaire nécessaire à la construction de sa subjectivité.
Le travail avec les parents dans un service éducatif d’A.E.M.O. vient illustrer ces postulats.
Summary :
The children’s judge refers to parents’ exercise of authority.
Shared parental rights, are the result of a structural process which feeds on parental similarities and differences. We are in the heart of a debate which transcends both families’ values, favouring therefore access to a symbolical dimension.
By going beyond contemporary dualisms which assail us, this third way becomes the springboard to define choices likely to make Authority. It becomes the “absolute of the parental couple” which enables the parents to avoid fruitless conflicts, basic rivalries in order to obtain a useless power.
This third dimension, incarnated by authority as an emblem of parenthood, favours the process of transmission and guarantees the child’s double identity reference, necessary to build his own subjectivity.
Working with parents in an “A.E.M.O” social work practice illustrates these postulates.
Resumen :
El juez de los niños remite a la autoridad de los padres.
La autoridada compartida entre los padres, que remite a las diversas definiciones jurídicas que se suceden, es el resultado de un proceso estructural que se enriquece de las semejanzas y divergencias de los padres. Así estamos en el centro de un debate contradictorio que sobrepasa ambas mitologías familiares de cada padre o madre al favorecer el acceso a una dimensión simbólica, ternaria. Al sobrepasar los dualismos contemporáneos que nos asaltan, esa tercera vía se vuelve el trampolín para definir opciones que puedan hacer Autoridad. Se vuelve « lo absoluto de la pareja de los padres », lo que les permite a los adultos precaverse de conflictos estériles, de rivalidades primeras para la obtención de un poder superfluo.
Esa tercera dimensión ,que encarna la autoridad como emblema del papel de los padres favorece el proceso de trasmisión y le garantiza al niño su doble identidad, la que viene de
1- psychologue clinicien au service d’A.E.M.O. de l’A.D.S.E.A du Morbihan (56), psychothérapeute de couple et de famille, intervenant à l’IRTS de Rennes (35)
ambos padres, y que es necesaria para que se construya su subjetividad .
El trabajo con los padres en un servicio educativo de A.E.M.O. viene para ilustrar esos postulados.
Mots clefs :
équipe éducative,
autorité partagée, parentalité, tiers symbolique, transmission, dialectique, dualisme, travail avec les parents.
Keywords :
an educative team, shared parental rights, parenthood, third person, transmission, dialectics, dualism, work with parents.
Palabras claves :
equipo educativo, autoridad compartida, relación padre-hijo, tercero, trasmisión, dialéctico , dualismo, trabajo con los padres.
Introduction :
entre laxisme et autoritarisme
1) une structure
2) une définition
un nouveau paradigme
a) dans un champ d’observation réduit
b) dans un champ d’observation élargi
c) l’autorité comme référence à l’Autre
d) l’autorité un processus dynamique structural
3) L’autorité aspirée par une logique dualiste
4) L’autorité parentale partagée : un appel à la parentalité
a) la fonction d’autorité
(au-delà du dualisme, une troisième dimension)
b) l’autorité lie la nouveauté à la tradition par sa fonction de transmission
des doubles références imaginaires
c) le conflit exacerbé peut, au préalable, en appeler au cheminement personnalisé
5) Missionné par le juge des enfants, l’acteur social, en tant que tiers, peut réhabiliter la
Capacité de choisir
Vignettes cliniques :
le travail avec les parents comme processus structurant
Conclusion :
l’autorité comme résultat d’une pensée synthétique des ressemblances et des différences
Dans un article du Nouvel Observateur du mois de septembre 2004, ayant pour titre « le retour du bâton » Philippe Meirieu, directeur de L’IUFM de Lyon souligne que nous oscillons sans cesse entre deux pôles « entre le Loft et le pensionnat de Chavagnes » qui sont « le laxisme débile et l’autoritarisme absolu, les deux faces d’une société qui ne parvient pas à trouver les nouveaux fondements de l’autorité… ».
La liberté absolue insécurise et produit des peurs diverses. Un retour à l’autoritarisme, à une société disciplinaire inquiète tout autant.
A l’instar de l’idée de Philippe Caillé, un compromis entre deux mythologies familiales, celle de la famille néo-traditionnelle et celle de « la constellation familiale » est-elle possible ? (3)
La question de pouvoir concilier les deux pôles dans une autorité susceptible de les transcender et de s’inscrire dans une société basée sur le dialogue et la négociation reste d’actualité.
1) La structure
est l’ensemble qui tient les éléments, les individus qui la composent. C’est ce qui contient le sujet en référence à l’Autre, au contexte, au système dont il fait partie. La structure est composée d’un ensemble d’éléments organisés selon certaines relations bien définies. Nous pouvons nous reporter à la définition qu’en a faite Jean Piaget. « Une structure est un système de transformation qui comporte des lois en tant que système (par opposition aux propriétés des éléments) et qui se conserve et s’enrichit par le jeu même de ses transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fassent appel à des éléments extérieurs ». Les trois caractéristiques d’une structure, que sont la totalité, l’autorégulation et la transformation renvoient à sa capacité d’adaptation aux fluctuations spatiales et temporelles auxquelles elle se confronte inévitablement. (11) (21)
La structure nécessaire à l’individu est tout aussi indispensable au groupe d’appartenance tel qu’un « couple parental ». La nécessité qu’elle prodigue qu’il soit référé à l’Autre, qu’il soit non prédictif, évite les glissements d’autosuffisance, d’anthropogenèse propre aux idées totalitaires. Elle est une garantie contre toute tendance dogmatiste ou fondamentaliste (5). Elle permet le dépassement des contradictions inhérentes aux pôles contradictoires (sentiment de permanence et de flexibilité) qui portent les humains et les sociétés, étant les deux pôles d’une même unité.
Ainsi Platon s’est évertué à concilier les positions d’Héraclite qui s’extasiait devant le changement des choses et les positions de Parménide qui soulignait leur essence, leur permanence. Nous avions déjà là, les bases fondamentales du passage d’un monde binaire à un monde triangulaire.
2) L’autorité
a)dans un champ d’observation réduit,
peut être traditionnellement définie comme étant la capacité à faire respecter les règles, à contenir, au besoin
en levant la voix, en assombrissant le regard. La menace ou toute attitude plutôt coercitive peut être utilisée pour se faire obéir.
Etre susceptible de se faire craindre des enfants reste encore de nos jours ancré dans des valeurs conservatrices.
Mais cette lecture traditionnelle de l’autorité attribuée au père est sujette à l’indispensable regard de la mère pour que celui-ci puisse en être le référent symbolique. En tant que père réel il n’en est que la représentation physique de cette dimension symbolique de l’autorité traditionnelle. L’autorité, sous toutes ses figures, est la voie indispensable pour l’acceptation de la castration, c'est-à-dire de l’accès à nos propres limites. Et comme nous le mentionnons elle ne peut s’autoproclamer. Elle doit obligatoirement être reconnue par un tiers pour exister.
Tenter de restaurer cette idée conservatrice, s’y accrocher ne ferait que glisser vers l’image d’un père tout puissant – image d’un père qui ne relève que de l’idée qu’on s’en fait. Cette dimension qui donne l’essentielle consistance au père, aujourd’hui se trouve amoindrie. Les mères, à l’instar de l’évolution de la société, en appellent légitimement à une redistribution des rôles.
La loi du 4 juin 1970 change le concept d’autorité en substituant l’autorité parentale au pater familias, c'est-à-dire à « la puissance paternelle ». L’article 372.2 stipule : « l’autorité appartient aux père et mère pour protéger l’enfant dans sa sécurité, sa santé, et sa moralité. Ils ont à son égard droit de garde et de surveillance et d’éducation ». Plus clairement, en 1985, le décret sur l’autorité parentale
conjointe
souligne le passage d’une autorité patriarcale vers
une autorité partagée
.
L’autorité ne se décrète plus, elle s’élabore au quotidien et elle ne procède plus d’une asymétrie acceptée, comme dans la société hiérarchique, mais de la réciprocité et éventuellement de la négociation. Il ne s’agit plus d’un pur rapport de verticalité. Nous passons d’une autorité centrale, voire unique, à une autorité composée. La source de l’autorité parentale résulte d’un
processus
d’autorisation réciproque entre le père et la mère, fruit d’un débat qui s’appuie autant sur leurs différences que sur leurs confluences.
La loi de 1993 érige en véritable principe « l’exercice conjoint de cette autorité parentale, quelque soit le devenir du lien conjugal des deux parents. Ainsi en cas de divorce ce principe (d’autorité partagée) est protégé. Cela vient certes souligner, légitimer la complexité du rôle des parents et en même temps cela vient le clarifier et lui apporter une garantie en différenciant le niveau parental du niveau conjugal. L’effet consiste en la consolidation de la valeur symbolique d’un tel principe en confirmant l’aspect essentiel de cet absolu du couple parental (1 et 1=3), les protégeant de toute unicité (1et1=1) et de tout dualisme (1et1=2).
Le niveau parental, à l’instar de toute relation de réciprocité « ne saurait se réduire à un échange entre deux individus. Un tiers transcendant émerge chaque fois, même si ce tiers n’est rien d’autre que la relation elle-même qui s’impose comme acteur à part entière ». (1)
La finalité de l’ensemble des droits et des devoirs que recouvre la fonction parentale conjointe est clairement nommée comme étant
l’intérêt de l’enfant.
b) Dans un champ d’observation élargi
, Hannah Arendt, qui y porte un regard plus ample, mentionne que l’autorité…a toujours été acceptée comme une nécessité naturelle, manifestement requise autant pour ses besoins naturels, la dépendance de l’enfant, que par une nécessité politique. Elle parle « d’une autorité prépolitique qui présidait aux relations entre adultes et enfants, entre maître et élèves» qui s’appuyait sur des modèles de relations autoritaires généralement reconnus par les uns et les autres.
Selon H. Arendt l’autorité reposerait sur une relation dissymétrique, mais non hiérarchique où chacun reconnaît la justesse de la position de l’autre. Le fondement ultime ne repose pas sur la soumission, il s’agirait plutôt d’une forme d’acceptation, de reconnaissance, d’une préséance. « La source de l’autorité serait la reconnaissance de la légitimité qui tient à l’avance, à l’antériorité temporelle ou autre. » Les fondements de l’autorité porte sur des valeurs naturelles et contextuelles et ne résultait pas d’un quelconque pouvoir. A l’instar de ce que dit JC Rufin dans « Rouge Brésil » l’aspect nature qui qualifie la première rencontre entre des civilisations différentes est « l’instant de découverte qui contient en germe toutes les passions et tout les malentendus à naître. Ce moment éphémère et unique recèle une émotion particulière. » Et à l’image de ce phénomène qui concerne des contacts de sociétés de cultures différentes, ce moment de rencontre de deux êtres (les deux parents) pourvus de deux mythologies d’origine différenciée va être à l’aune d’une construction parentale susceptible de faire autorité.
De ce champ d’observation élargi il nous apparaît essentiel, au regard des traditions susceptibles de s’effriter, de soutenir cet absolu relationnel qui transcende le couple parental en le posant comme une troisième personne située en surplomb. Il est indispensable de préserver cet espace de parole qui pourra faire corps là où se noue le réel impalpable du monde dans lequel nous vivons. Parole en référence à une dimension communicable qui la représente et qui protège l’altérité de toute aliénation. En effet nous devons être vigilant à protéger la parentalité comme dimension ternaire, des idéologies que notre société érige en dogme, telles que les idéologies de la transparence (à l’exemple des téléréalités…) et de l’événementiel (aliénation aux instruments de satisfaction immédiates).
Même si l’identité n’est pas que d’origine comme le mentionne Amin Maalouf dans « les identités meurtrières », le lien à la tradition, à la transmission des deux figures d’origines semble préservé par les actualisations successives des lois et décrets sur l’autorité parentale.
En s’adaptant aux évaluations contextuelles elles n’en protégent pas moins cette dimension fondamentale qu’est la transmission comme voie de passage des héritiers entre eux au fil des générations qui se succèdent.
Ainsi l’enfant au cœur de cette dynamique peut allègrement faire des choix identitaires subjectifs en affirmant paradoxalement son fort besoin d’autorité qui le relie à ses doubles origines et son désir opposé de s’en affranchir, de s’en départir.
Ce processus de l’autorité à l’œuvre dans le fonctionnement familial, doit se nourrir des évolutions sociétales afin de garantir à l’enfant d’aujourd’hui les conditions d’une dynamique subjective susceptible de l’ouvrir dialectiquement à une troisième dimension, à des perspectives.
En référence aux théories fractales B. Mandelbrot nous expose nombre d
’isomorphismes
quelque soit l’échelle, l’amplitude des ensembles que nous observons. Ainsi, à l’échelle internationale nous constatons que l’humanité a été encadré le siècle précédent par deux pôles contradictoires que sont le Marxisme d’une part et le libéralisme d’Adam Smith ou d’Alexis de Tocqueville d’autre part. Ces deux références politiques qui se sont aliénées à une relation binaire, sur fond d’opposition, se sont progressivement égarées dans leurs excès. Si aujourd’hui l’humain par voie des peuples s’est rebellé contre les dérives du communisme stalinien, l’autre pôle qui, dès lors perd son pendant, semble s’emballer vers des extrêmes où prévalent l’actionnariat, les dérives spéculatives, les taux swaps contrôlés par les grandes banques, et au final tout ce qui converge vers un fétichisme consumériste où l’objet prédétermine le besoin qui atomise la place laissée au désir(4). Ces dérives tendent à réduire l’humain, la vie sociale à des échanges marchands comme le mentionne MR Anspach. (1) Si les peuples ne s’en préservent nous pouvons augurer comme cela semble se dessiner déjà, que la Nature chère à J.J.Rousseau reprendra ses droits en y mettant une limite.
Les fondus de la Bible nous diront probablement qu’il s’agit de la décision des forces suprêmes qui réagiront à l’adoration du Veau d’or.
Mais, quelque soit la lecture et l’interprétation qui en est faite nous nous trouvons là face à un macro-système qui rappelle ce qu’on observe à une échelle plus réduite. Ainsi la parentalité, à la suite notamment de séparations conjugales difficiles, se transforme fréquemment en un face à face des deux pôles (paternel et maternel). Chacun peut également se perdre dans des projections réciproques, dé-culpabilisantes et productrices de tension dont l’enfant est l’objet. Mais cette phase si fréquente, en analogie aux troubles des macro- systèmes, en appelle au dépassement de cette relation binaire vers un absolu qui l’érigerait en entité fondamentale dans l’intérêt des enfants. Cette transcendance des contradictions deviendra le terreau d’une parentalité nécessaire à la structure des enfants.
Le relatif s’érigerait en absolu susceptible de transcender la comparaison, le beau et le laid, le bien et le mal et éluder le jugement. L’absolu « est ce qui existe indépendamment de toute condition, de toute relation ou de tout point de vue… » (5)
c) l’autorité comme référée à l’Autre
On attend souvent des pères, des enseignants qu’ils incarnent l’autorité. Mais, cela ne va pas sans risques (comme le précise François Dubet) car on serait susceptible de la concevoir comme un charisme personnel. Elle est personnifiée. Or, de mon point de vue il n’y a d’autorité que légitimée, donc
référée à l’autre
. Elle doit être le fruit d’un travail symbolique, reconnue par le groupe social et ratifiée par « les maîtres de la loi », la tradition, inscrite dans la transmission.
C’est moins dans l’Homme mais dans
un cadre institué, structuré
qu’il faut chercher l’autorité.
Un enseignant, même s’il dégage un certain charisme, ne pourra pas faire l’économie de se référer à des règles, des rituels institutionnels dont les collègues et plus particulièrement l’équipe de direction sont les garants. Sa parole sera d’autant plus écoutée, respectée qu’il appliquera pour lui les mêmes règles qu’il prodigue pour les autres. A défaut, la non congruence de son discours et de sa propre pratique, l’annulera implicitement comme référence potentielle d’autorité.
Un parent quelque soit l’affirmation de son mode de présence, devra également être légitimé par la structure familiale qui l’inscrit comme représentant d’un rôle parental. Il ne peut se suffire à lui-même. A l’instar d’une maman qui accèdera à sa fonction maternelle en se référant au tiers paternel, un papa accédera à sa fonction de père s’il est ainsi reconnu et nommé par la mère. La construction de l’autorité passe par des actes de réciprocité tels que nous les avons définis précédemment. Et à défaut de cela, les enfants risquent d’être instrumentalisés, aliénés à une seule figure de référence adulte, avec toutes les conséquences pathogènes qui peuvent en résulter.
d) l’autorité comme processus dynamique (inscrite dans de la temporalité)
L’autorité n’est pas seulement une donnée instituée qui précède le dispositif, la structure ou l’établissement, il s’agit d’une construction toujours en mouvement et collective. Elle résulte d’un processus dynamique.
Ce processus est le résultat d’un débat contradictoire institué comme règle du groupe d’appartenance par les protagonistes qui le composent.
Jacques Pain évoque l’idée d’une autorité « à voir comme le processus de construction de la légitimité ». Il y met une teinte dynamique. Il s’agirait d’une instance en mouvement, inscrite dans une temporalité. Cette instance qui, certes s’appuie sur des institués, eux-mêmes contestés par des valeurs instituantes en appellent à un dépassement dialectique susceptible de déboucher sur une nouvelle institutionnalisation et ainsi de suite vers une dynamique circulaire perpétuellement inachevée. « La temporalité se temporalise comme avenir-qui-va-au-passé-en-venant-au-présent »Heidegger, Sein und Zeit.(19)
Ainsi, l’espace décisionnel n’est pas déterminé par une linéarité temporelle mais, il n’est pas non plus aspiré par la successivité des évènements. Il s’installe au creux d’une temporalité résultante d’une dialectique qui se nourrit des deux pôles contradictoires que sont la linéarité et la successivité.
3) L’autorité aspirée par une logique dualiste.
Des logiques dualistes dominantes tendent à rabattre la structure, la triangularité, à un niveau logique dépourvu de troisième dimension, de perspective. Nous, nous retrouvons au cœur de relations horizontales où face à un mal radical s’oppose un bien absolu. Cela se retrouve lors de conflictualités conjugales et parentales mais, aussi sur le plan de la géopolitique où les empires successifs qui se sont échelonnés au cours de l’histoire se sont employés à diaboliser l’adversaire. La logique dualiste facilite la justification de ses actes aux dépens d’un mauvais ainsi désigné, d’un adversaire qui incarne le mal.
Il est donc essentiel de se préserver d’une telle logique, qui se rapproche d’une posture fondamentaliste, afin de protéger la structure. « C’est au non sens qu’il faudrait assimiler le mal afin de faire apparaître que le contraire du mal n’est pas le bien, mais le sens » (4) qui permet l’accès à la pensée. De même, en place du bien, le juste et le raisonnable auraient notre faveur.
Ainsi, pour l’un des plus petits groupes d’appartenance complexe que constituent deux parents, il nous apparaît essentiel de préserver les deux références identitaires que sont le pôle paternel et le pôle maternel. Deux pôles qui s’épanouissent dans leurs différences et leurs congruences, voire dans leurs contradictions comme dans leurs similarités.
La quête de « l’harmonie extrême », de l’unicité parentale (1et1=1) à l’instar du roman « Mars » de Fritz Zorn où la divergence d’opinion est la fin de tout, spatialise la vitalité d’un système en lissant la spontanéité des sentiments. « L’harmonie familiale devient telle qu’il ne devait y avoir qu’une opinion, au point que des divergences de point de vue aient été la fin de tout ». (25)
Les conflits intimes comme de loyautés s’avèrent vitaux, s’ils évitent le glissement vers le clivage en appelant à leur dépassement vers des choix. La construction humaine ne se nourrit pas comme le mentionne T. Todorov « d’une addition de voix semblables, mais d’une intégration des différences ». (24)
Or à l’inverse, de manière extrême, depuis une vingtaine d’année « la domination du dualisme caricatural et de l’injonction binaire » se font nettement sentir. Le retour de cette pensée dualiste (1et1=2) fait émerger une régression de la pensée moderne car elle souligne au cœur des sociétés le retour du « fanatisme du bien ». Ainsi, lors de divorces difficiles, au mal radical chacun choisit d’opposer un bien absolu qui serait réfractaire au doute. Nous, nous trouvons confronté à une forme d’intolérance archaïque.
Exemple de la famille S.
Il s’agit de deux parents séparés, en conflits. La mesure d’A.E.M.O. a pour objet de rétablir la relation des enfants avec leur père. Ce dernier est écarté par la mère de toute décision les concernant. Il revendique donc l’application de ses droits et devoirs à l’endroit de son fils et de sa fille. A un niveau fonctionnel, la mère se montre apparemment compétente pour gérer les affaires des enfants. Elle s’idéalise elle-même en se valorisant excessivement aux dépens de son ex conjoint qu’elle disqualifie à outrance. Celui-ci tend à se faire le pendant des propos de Madame en alignant les maladresses. Après avoir amplement accusé son ex femme de la rupture conjugale, il dit ne pas vouloir régler ses comptes avec elle. Il la laisse se débrouiller seule face aux tâches parentales tout en le lui reprochant. Nous avons affaire à une personne qui cultive ses blessures, se victimise et répète son sentiment d’avoir été exclu de la fonction paternelle par la mère et qui en même temps met toujours en avant la menace de se retirer de sa fonction si ça continue de la sorte. Sous la forme de prophétie auto-accomplissante, il prédit et programme sinon le drame, du moins les difficultés de Madame qui s’aliène dans cette illusion quelque peu mystique, ou plutôt prophétique de tout pouvoir pour ses enfants. Se complaisant dans une position de retrait, en réaction à l’éviction dont il se sent l’objet, il se drape dans ses convictions, ses certitudes d’un devenir déterminé. Il élude bien sûr le fait que sa position (de retrait) soit un mode d’implication qui participe foncièrement au drame qu’il prédit. Au fil des entretiens qui se succèdent les perceptions se redéfinissent. A l’instar des prédictions de Monsieur S., la mère des enfants chancelle et après une crise très déstabilisante, elle reconnait ses faillibilités.
Pendant une très brève période de meilleure relation parentale où les échanges sont corrects les enfants peuvent se détendre, se trouvant moins l’enjeu des conflictualités des adultes. Mais très vite les choses s’inversent car Monsieur S. profitant des difficultés de Madame, la disqualifie totalement en la traitant d’irresponsable, de malade mentale…Et les choses se retournent comme un doigt de gant puisque le père des enfants, arguant des incompétences de la mère demande la résidence des enfants.
L’embellie aura été de courte durée pour les enfants. Nous nous trouvons en présence d’un manichéisme intégral comme loi fondamentale où « la sainte, l’ange » qui faisait front au « démon » vont laisser la place à la « perfection » du père face à la « folie » de la mère. Une alternance d’intolérance réciproque qui fige l’accès à du mouvement. Un chassé croisé qui spatialise la vie en la réduisant à des aliénations à des images totales, impartiales, voire totalitaires. Chacun des adultes en se rigidifiant sur des positions qui ne laissent pas de place à l’autre dans sa relation aux enfants fige l’avenir des enfants dans les blessures passées et constamment réactivées.
En présence des conflictualités entre ces deux mythologies familiales, celle portée par le père et celle portée par la mère, nous nous trouvons relativement impuissant à dénouer les points
de tension
. Chacune s’aliène à ses principes et toutes deux trouvent leur justification en mettant en évidence de manière extrême, les défauts de l’autre. Cela débouche sur des reproches mutuels exacerbés et Monsieur S. qui se réfère à une culture traditionnelle qui se veut rigoureuse, va dénoncer avec avidité « l’exploitation affective et le manque de positionnement maternel ». Il lui reproche d’être permissive et d’être dans une relation équivoque avec ses enfants.
Madame, quant à elle, qui se réfère plutôt à ce que P. Caillé (3) nomme « la constellation familiale » dénonce l’excès de coercition, le manque d’attention et de démonstration affective, ainsi que la non reconnaissance des besoins individuels des enfants.
Seul les traits réactifs de la personnalité des enfants qui poseront des symptômes et des actes manifestant leur malaise, nous aideront à trouver une issue à cette problématique bien enkystée et confortée par les clivages actuels des deux principales valeurs mythiques contemporaines des familles. Ainsi en activant une dynamique le tiers sera de fait posé comme nécessaire à leur inscription dans une temporalité dans un avenir ouvert, désaliéné des conflictualités parentales récursives. Et, à l’instar de cette citation de Todorov, « ce n’est plus l’autorité du passé qui doit orienter les hommes mais leur projet d’avenir », ils vont s’inscrire dans du projet.
L’alternance de reproches réciproques, dans cette situation, nous met en présence de l’exploitation des ingrédients fondamentaux du dualisme qui oppose les limites trop impératives à la permissivité, voire à la transgression trop menaçante. Et, grâce à la médiation du tiers relationnel représenté par le travailleur social, les parents parviendront à inverser la circularité de la rancœur réciproque, « le cercle vicieux qui les domine en cercle vertueux susceptible de permettre à leur relation de se transcender » (1)
Le retour d’une pensée dualiste au cœur même de la modernité est un phénomène de grande ampleur qui encourage « un raidissement de la pensée dans les pays développés ». Celui-ci a ses conséquences à tous les niveaux de l’échelle humaine. En référence aux fractales il en découle un mensonge moral de grande ampleur. « Le fanatisme du bien devient le frère jumeau du fanatisme du mal. Il témoigne, face au mal d’une fascination inavouée qui pousse le « bon » à imiter « le méchant » qu’il prétend combattre. » Par la danse relationnelle qui s’initie de la sorte la démonstration de la boucle récursive est faite.
Les évènements se répètent. Ils sont de l’ordre du semblable voire de l’identique comme c’est l’usage dans les systèmes clos. Nous sommes dans le royaume des antagonistes qui enferme l’opposition de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal dans un affrontement hollywoodien.
Ainsi, les protagonistes, de la mère et du père, préfèrent le simple au complexe, « l’excommunication à l’argumentation, le chipotage au débat de fond, la chamailleries des clans à l’affrontement des idées, la visibilité discoureuse à la réflexion créatrice… » (6)
Ce triomphe du dualisme a des effets pervers et fait la part belle au quantitatif, à l’économique comparable parfois à un obscurantisme moderne. Notre imaginaire social peut être ainsi colonisé par les chiffres, c'est-à-dire « les quantités ». « On n’éprouve plus vraiment la valeur d’une vie ou d’une situation, on la mesure ». On compte. L’arithmétique, le numérique règne sur l’actualité. L’essentiel de notre quotidien tient à des considérations chiffrées et « à présent les causalités univoques, l’expérimentation, le calcul comptable se substitue aux fées et aux légendes ». Le compte se substitue au conte.
Pour exemple, dans le cadre du travail avec les parents des enfants B., lors de la répartition des périodes des congés chez papa et chez maman les enfants se font comptables du temps chez l’un et chez l’autre, à l’heure prêt. A cela le père, professeur d’informatique, convaincu « que tout est numérique » argumente qu’il est normal que « les enfants soient toujours en train de compter, de comparer » car il faut que la répartition soit égalitaire.
Notre étonnement permet à la mère de nous dire que les enfants comptabilisent tout par soucis extrême d’égalité ; jusqu’au prix de leur cadeau qu’ils vont vérifier au magasin, jusqu’à la quantité de nourriture sur le plateau de la cantine…
A l’instar de la croissance et de la récession économique les indicateurs binaires (le plus et le moins-le gain et la perte..) font leur entrée au sein de la vie humaine. Les paramètres plus comptabilisables viendraient porter atteinte au partage, à la parité, à une certaine idée de l’équilibre.
Le « visuel » numérique qui se substitue à l’image traditionnelle n’est plus qu’un « agencement arbitraire d’impulsions électroniques ».Voilà coupé le dernier fil qui rattachait l’image à la concrétude du réel.
Le travailleur social se trouve confronté à être le tiers entre
un autre dualisme
, celui de la protection de l’intimité et de la tyrannie actuelle de la transparence. Si un parent se fait l’écho du « totalitarisme social » de la transparence dont les médias se font largement le porte parole voire l’initiateur (télé réalité), l’autre parent en opposition peut devenir le protecteur de l’intime, de la cellule familiale. Là encore la question du partage de l’autorité parentale est initiée.
De même
le dualisme de l’innocence et de la culpabilité
donne du fil à retordre au travail social sollicité par le juge pour réhabiliter une autorité ternaire. Cela est d’autant plus ardu que les équipes éducatives qui n’échappent pas à leur époque, se trouvent elle-même traversées par les problématiques du public avec le quel elles travaillent. Il n’est pas rare de voir ainsi le débat contradictoire nécessaire à la vie, à la néguentropie des équipes se trouver perverti par ce dualisme mentionné plus haut. Celui-ci rabat la dimension symbolique que représente l’équipe éducative à une dimension relationnelle binaire qui réduit l’attention réciproque, le débat critique à une logique de reproches mutuels. Celle-ci peut se réduire en des conflictualités stériles susceptibles de prendre des tournures variées plus ou moins douloureuses. Au bout du compte c’est la compétence à remplir une fonction de tiers social qui est atteinte. Elle ne fait plus autorité pour exploiter l’entre deux de l’idéologie de l’innocence qui cultive « la folie victimaire » encore appelée « victimomania » et l’acceptation d’une part de culpabilité susceptible d’en appeler à la responsabilité.
Se dire victime est une manière d’en évacuer sa part tout en réactivant la lutte entre les deux parents, en recréant finalement un monde binaire, victime /bourreau. Dans cette dictature de l’émotion valorisée par les médias, l’innocence reconquise enveloppe les tribunaux en rejetant le mal à l’extérieur de soi. En contrepartie le sentiment de culpabilité nécessaire à la vie humaine ne doit pas être rigidifié afin que la compétence de responsabilisation soit préservée. Il nous faut sortir de cette atteinte, où chacun drapé dans sa dignité a le devoir de ne pas diaboliser l’autre pour éviter de regarder sa participation à la problématique émergente. Ainsi les allégations, voire les fausses allégations diminueraient.
Prendre en considération la notion de
« provocateur actif »
et celle de
« provocateur passif »
(23) ne serait-il pas une manière de restaurer un certain équilibre dans le partage des responsabilités. Cela pourrait d’une part, requalifier chacun au regard de l’image qu’il a de lui même et d’autre part, restaurerait ce que la relation a de fondamentalement humain en préservant l’idée que face à ce qui advient si chaque protagoniste y prend sa part chacun y pourra quelque chose.
4) L’autorité comme appel à la parentalité.
La parenté assure l’inscription généalogique du sujet en lui garantissant un lien de filiation. Elle « détermine sa génération, sa place (ascendant ou descendant), son identité ainsi que le statut (droit et obligations) qui en découle ».
La parentalité est à entendre comme la capacité de deux parents à construire une unité parentale, au creux de leurs différences. Il s’agirait de faire des choix communs, en référence à des valeurs partagées tenues par des rituels conséquents, pour prendre des décisions dans l’intérêt de leurs enfants. Il s’agit d’une coparentalité. (14) La notion de parentalité peut être traduite par «l’exercice de la fonction des parents » et en ce sens elle réside dans la compétence appliquée à l’autorité parentale et cela garantit, de manière pérenne un exercice en commun de cette tâche, quelle que soit le devenir du lien entre les parents.
L’autorité n’est que le dépassement de « la mise en coq » comme me dit une mère. C’est le défi lancé aux parents par les enfants pour, qu’à partir de leurs différences ils se rejoignent sur l’essentiel. Certes en poussant parfois le bouchon un peu loin, les enfants en appellent à de la structure. Or celle-ci rejette le principe de non contradiction et protège les différences de niveaux de génération. Chaque difficulté rencontrée est toujours une invitation à trouver une troisième voie quand on est dans l’impasse, quand c’est P.A.T., bloqué comme dans un jeu d’échec.
La fonction
d’autorité
est le reflet, la résultante d’une structure qui se tient en référence à une dimension symbolique qui transcende le niveau de perception de chaque parent. Chacun amène subjectivement dans le pot parental, son point de vue en fonction de l’idée, de l’image qu’il a du monde. L’intérêt individuel de chaque parent peut-être dépassé grâce à leur relation qui émerge de leurs interactions qui la fait vivre en la situant en surplomb. (1) Il y a structure parentale quand les références imaginaires de chacun des parents sont indexées d’un niveau symbolique. Le primat des perceptions qui résultent de l’image que l’on se fait de la réalité en référence à nos origines (22), fait que nous restons ancrés sur des reconnaissances et des préférences susceptibles d’activer des rivalités de lecture, de modèle, sans que cela puisse être indexé d’une dimension qui les transcendent. Dimension symbolique qui, seule permet l’édification d’une structure en désaliénant chacun des protagonistes de la prépondérance de ses perceptions, au dépens de celle de l’alter ego. Le primat de l’horizontalité favoriserait la valorisation de soi aux dépens de l’autre en se référant à un simple niveau linéaire de comparaison. Or, au-delà des dualismes, cette troisième dimension vient favoriser le dépassement des comparaisons perceptives pour accéder à une mise en relief des points de vue différenciés, au-delà des conflictualités névrotiques. Cela ouvre ainsi la voie à l’identité créative, constructive de l’identité parentale.
L’autorité émerge d’une « communion » qui relie les deux parents au-delà de la convergence d’intérêt (qui ne suffirait pas) en les invitant (paradoxalement) « à partager sans diviser ». S’institue dès lors une cohésion qui prend appui sur un absolu qui serait à lire comme « le point de fuite dans un tableau en perspective : le point non figuré et non signifiant par quoi l’ensemble s’organise et prend sens » (5)
Il s’agit de la dimension ternaire, de Loi qui s’édifie subrepticement, implicitement quand le débat contradictoire est opératoire dans un couple parental. Cela émerge à chaque fois que la dialectique parentale permet l’institutionnalisation de décisions communes au-delà des confluences et des divergences potentielles. Il est de nature de l’autorité d’être inévitablement mise en question, du fait de sa position foncièrement transitive.
« Le Moi n’est rien que l’ensemble des illusions qu’il se fait sur lui-même .., la vérité est d’un ordre universel » (5) C’est cette capacité de dépassement du niveau perceptif subjectif qui permet l’accès à un niveau de structure. Celle-ci est toujours le résultat d’une éthique de choix en appui sur et en dépassement des diversités d’opinions. Comme le proclame Claude Lévi-Strauss, « toutes les cultures se valent ». Ce niveau de structure ne peut s’opérer que si la réciprocité et la confiance mutuelle sont de mise. Il en résulte une pensée synthétique, issue d’un dépassement de deux pôles contradictoires d’une même unité ; la femme et l’homme, le maternel et le paternel se transcendant dans un couple parental.
L’autorité s’érigerait comme la résultante de ce processus dialectique parental, inscrit dans une temporalité, à savoir toujours en mouvement, comme nous l’avons dit précédemment. L’autorité est l’effet de cette solidarité des parents qui transcendent l’avis de chacun dans l’intérêt de la structure familiale, dans l’intérêt de leurs enfants.
Des images de référence, un imaginaire indexés de symbolique fait structure, donc autorité. Dans « les structures élémentaires de la parenté » (15) Claude Lévi-Strauss démontre les principes universels qui régissent l’individu. L’interdiction de l’inceste conduit l’homme d’où qu’il vienne à quitter sa famille. Et c’est cette désaliénation des projections, des programmations individuelles sur l’enfant qui va en être le levier.
A défaut, nous risquons d’être confrontés à une relance perpétuelle pour sortir d’un registre oedipien qui n’est pas consommé, qui n’est pas traité. C’est la mise en scène des rivalités qui ne peuvent, même si elles en appellent à cela, accéder à leur dépassement.
Par exemple
un garçon, Paul, aîné d’une fratrie toujours en quête d’une proximité à sa mère, en rivalité avec le père, « fait le père » avec ses petites sœurs. Comme le dit la mère « il a l’autorité sur ses sœurs ».
Dès lors le père, confronté aux difficultés qui émergent, se montre castrateur à l’endroit du fils, non pas à l’endroit de la mère ou plutôt de la relation mère/fils. Et la mère ne peut que jouir du face à face père/fils, malgré la souffrance que cela lui procure malgré tout. Elle ne qualifie pas le père au bon endroit en lui demandant de faire l’Autorité, elle l’envoie « au charbon » comme il le fait justement remarquer.
L’autorité ne se fait pas au coup par coup, elle s’institue et résulte tout simplement d’une co-construction parentale. Construction où le fantasme oedipien est lui-même de structure puisqu’il en appelle à l’interdit d’une relation duelle absolue, en référence au troisième. Il en devient fonctionnel, opératoire.
Si cette construction parentale ne s’effectue, nous nous apercevons que les adolescents comme Paul, savent en appeler au traitement de ce qui est resté en suspens pendant toute leur enfance. Ils savent dès lors, rejouer l’enfant de 6 ans qu’ils étaient mais dans un grand corps et avec des aspirations qui s’entremêlent, d’où les turbulences qui en résultent.
A cet âge il est d’autant plus difficile de ce départir des rets de l’imaginaire qui nous tiennent comme objet du désir de l’un des parents contre l’autre.
Le débat contradictoire parental est nécessaire à l’élaboration de la structure parentale qui va tenir les deux sujets en présence.
L’appartenance parentale
ne peut exister qu’à deux conditions fondamentales : d’une part, le respect de la différence nécessite le dépassement des contradictions éventuelles vers un consensus minimum de solidarité ; d’autre part, chacun des protagonistes en présence doit se nourrir du reproche fait par l’autre parent à son endroit, non pas comme une atteinte à son intégrité personnelle mais, comme une
attention susceptible de l’aider dans sa quête de distanciation avec l’enfant
. La capacité de
transformation du
reproche en recommandation
souligne la capacité de chacun à se nourrir du regard de l’autre afin de se garantir de toute tendance de cannibalisme psychologique comme de tout défaut d’attention à l’endroit de l’enfant. L’inquiétude d’un parent verbalisée à l’autre parent devient une ressource commune.
La structure est ce qui s’auto-organise, se transforme à partir de ce qui fait accord éventuel, comme de ce qui peut faire tension, conflictualité en appelant à une dynamique temporelle évoquée antérieurement dans le texte. Le mouvement (dialectique) qui en résulte n’est que le reflet du dépassement des dissensions inhérentes à la paradoxalité de la vie.
Ce qui fait structure dans une famille est le degré de fonctionnement de cette dynamique parentale qui elle même se nourrit des consensus comme des dissensus parentaux.
Tout groupe d’appartenance est structurant dans la mesure où ce débat existe. C’est la dimension structuraliste ou synthétique de l’approche systémique qui est là sollicitée. Les approches systémiques se sont entre autres édifiées à partir du courant sociologique ou trans-individuel en se référant à des principes égalitaires et à l’éthique du partenariat (au fondement des théories systémiques). Il en ressort une horizontalité où la parole de chacun, dans un contexte de circularité est d’égale importance, cela dans le respect des différences de fonction de chacun.
Et c’est justement le respect de ces particularités individuelles qui va orchestrer le débat contradictoire. Celui-ci ainsi institué va apporter sa dimension symbolique qui va introduire de la verticalité au creux de cette horizontalité, au creux des perceptions, des images de référence personnalisées. En transcendant les individus elle fait Autorité. Cette dimension symbolique, ternaire va faire structure dotée à la fois d’horizontalité et de verticalité donc d’identité. Nous parlons d’identité d’appartenance. Ce courant structuraliste, empreint d’appartenance, se réfère essentiellement à l’éthique de choix.
Un choix qui se détermine et se tisse lui-même dans une dialectique entre le respect des traditions et la trahison de certaines références originelles (21). Le propre de cette démarche de parentalité est justement de restaurer
la fonction de
transmission
à partir de sa double origine, de sa double référence identificatoire, afin que l’enfant puisse se l’approprier pour à son tour la transmettre plus tard. Il sera d’autant plus disposé à être un maillon de cette chaîne, d’être médiateur de transmission qu’il se sentira autorisé à se définir personnellement en faisant la part de sa conformité et de ses infidélités aux traditions.
En référence à E. Morin (19), l’enfant édifiera ses choix sur fond de complexité originelle, sur fond « d’antagonismes organisateurs » qui permet de structurer des références, des forces radicalement opposées, en saisissant l’association qu’elles forment de manière sinon dialectique, du moins « dialogique ». Cela revient à se situer à partir de deux propositions éventuellement antagonistes qui se résolvent en un troisième terme, ou qui pourraient tout simplement cohabiter. En effet, la fonction de mère et celle de père sont à différencier sur le plan des transmissions des dettes de vie. « Deux différences, abscisse et ordonnée de toute identité, la différence des sexes et celle des générations » comme des origines. « Cette dissymétrie n’est pas contingente, elle est nécessaire ». (9)
Ainsi, lorsque le conflit conjugal est exacerbé
au point d’encombrer totalement l’espace parental, il nous apparaît fondamental d’être attentif à la demande individualisée de chacun en tant que sujet. Cette attention nous apparaît nécessaire pour différentes raisons. En effet chaque adulte, en réaction aux attitudes de l’autre, se focalise sur des positions rivales pour « avoir l’autorité », « pour avoir ou regagner sa part d’autorité » plutôt que de s’évertuer à
participer à une autorité conjointe.
Dans ces phases de conflictualités, dépourvues de débats contradictoires, la culture de l’avoir prédomine sur celle de
la conduite participative
. Les débats restent ancrés dans une relation horizontale dépourvue de troisième dimension ; axe imaginaire qui fait le lit des perceptions comparatives et par conséquence de la compétition pour obtenir les faveurs des enfants. Souvent les blessures sont telles que cette phase, empreinte de positions réactionnelles, nécessite d’être sérieusement prise en compte dans le cheminement proposé aux deux parents en « guerre ». Il s’agirait d’une phase de combat qui paradoxalement, en appui sur des attitudes purement réactionnelles à l’attachement antérieur, en guise de béquilles, aide les adultes à supporter temporairement les traumatismes éventuels résultant de la séparation conjugale.
Plutôt que d’être combattue, cette phase, ce temps serait à considérer par les intervenants comme une occasion de traiter individuellement les blessures narcissiques dans le champ du particulier et non dans le champ du groupe d’appartenance parentale.
De plus, en considérant chacun des parents individuellement, nous contribuons indirectement à l’apaisement des tensions relationnelles qui n’auraient pour objet que d’aviver cette relation de couple. A défaut les intervenants feraient implicitement collusion avec la danse du conjugal aux dépens du parental, devenant malgré eux un instrument susceptible de pérenniser le conflit qui élude le processus de séparation. La tension, de manière inversée, n’a souvent, dan le fond, qu’une fonction de maintien du lien conjugal.
A trop insister à vouloir effectuer ces rencontres parentales lorsque le niveau émotionnel est à vif, l’intervenant se ferait donc l’écho de la problématique conjugale en l’alimentant à son insu.
Et, à l’inverse s’il tente de résister à servir de caution à la tension conjugale, tout en maintenant cette modalité de travail, la rupture d’affiliation avec les deux parents pourrait devenir inéluctable.
Ainsi, le travail analytique auprès de chaque sujet, en préférence au travail parental, devient dès lors un atout indispensable au cheminement engagé. Il permet de faire un pas de côté sans risquer de rompre le lien. De plus, c’est l’occasion de considérer ce que chacun a amené dans le panier du couple, en référence à sa propre histoire avec tous les espoirs illusoires qu’il y a mis, contribuant ainsi à sa propre déception. La réappropriation des reproches projetés sur l’autre peuvent ainsi devenir un atout personnel pour reconsidérer sa propre structure individuelle.
L’accent va ainsi pouvoir être mis, à partir du lien duel que chaque adulte adopte avec les enfants sur la question de la référence identificatoire qu’il est susceptible de représenter pour les enfants. Dimension imaginaire qui va donc en appeler à la ligne de fuite vers une perspective susceptible d’en appeler à une indexation symbolique, préservant les enfants de risque d’aliénation parentale.
Dès lors, le conjugal peut s’estomper au profit de l’intérêt des enfants qui va probablement, de surcroît, contribuer à la restauration progressive d’un relatif niveau parental. Au mieux, chaque parent va peut être prendre conscience de l’intérêt, pour l’enfant, d’une prise en considération de l’importance de la référence identificatoire qu’est l’autre parent pour ses enfants.
Stratégiquement, l’intervenant prend
temporairement une
fonction de médiateur
. Les informations vont transiter par son intermédiaire afin d’éviter le face à face et d’atténuer la concurrence. Il préservera ainsi les enfants soit de l’inconfort de faire le vaguemestre entre leur père et leur mère soit de toute aliénation à une figure parentale au détriment de l’autre. La médiation provisoire en tant que
fonction régulatrice
est à entendre comme moyen de contention, de colmatage et d’apaisement des tensions pour tendre vers l’objectif de responsabilisation parentale qui a pour objet d’introduire cette autorité conjointe. Cette position de médiation, à l’instar d’un médicament, serait un passage provisoire pour tenter d’apaiser le conflit afin d’ouvrir des possibles vers une finalité parentale. L’objet étant bien sûr de se passer de cette assistance pour accéder à un niveau d’autonomie susceptible de favoriser cette transcendance des perceptions des deux parents. Cet axe imaginaire dès lors se verrait indexé d’une dimension symbolique susceptible de réhabiliter la structure nécessaire à l’éducation des enfants. Et comme le mentionnent M.C. et E. Ortigues dans « comment se décide une psychothérapie d’enfant chez Denoël» :« éviter l’angoisse de se perdre, c'est-à-dire de perdre cette structure minima sans laquelle la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue … sans cette double référence au tiers».
5) Missionné par le juge des enfants, le tiers social, peut réhabiliter la capacité de choisir.
Une des missions essentielles du juge pour enfants consiste en la réhabilitation des fonctions parentales lorsqu’elles dysfonctionnent.
Il peut dès lors faire appel aux services sociaux. La dimension ternaire, pour une raison quelconque, n’est plus opératoire et afin de tenter de la réhabiliter le service d’A.E.M.O. est dans un premier temps sollicité pour représenter, métaboliser cette dimension, ce tiers nécessaire au bon fonctionnement de la parentalité. Et, permettre dans un second temps à la famille de s’en approprier afin de se passer de cette représentation. Cette programmation inscrit l’objet du travail non pas vers une aide particulière à apporter à chacun des adultes, mais vers une position de soutien à ce qui les réunit, les structure comme parents dans l’intérêt de leurs enfants. Comme le dit C. Castoriadis « c’est qu’aussi longtemps qu’il n’y a que deux, il n’y a pas de société. Il doit y avoir un troisième pour briser le face à face ».
Cependant, il arrive qu’au-delà de la persistance du conflit conjugal projeté sur le niveau parental, les deux parents se contentent et se limitent à la reconnaissance mutuelle de l’apport complémentaire de chacun dans un lien dual avec les enfants. Non seulement, au nom d’une confiance énoncée, aucun des adultes n’interfère sur la relation de l’autre parent avec les enfants mais un consensus semble établi afin que les décisions soient l’apanage d’un seul ; en général celui qui en a la résidence. Celui qui bénéficie des droits de visite semble se satisfaire de cette situation dont il ne voit que les bénéfices secondaires. Nous parlerons dans ce cas de
parents complémentaires
car la dimension ternaire n’est pas opérante étant donné que la castration à l’endroit de la relation des enfants à chaque parent n’est pas exercée. Il n’y a plus de controverse parentale possible. Nous sommes en présence de deux registres de dualité : père/enfants et mère/enfants. A l’instar de ce que souligne M.R. Anspach, à défaut d’un tiers représenté et actif, « un tiers transcendant émerge à chaque fois, même si ce tiers n’est rien que la relation elle-même qui s’impose comme acteur à part entière »(1). Reste au travailleur social de lui donner corps lorsque la relation s’enlise dans un cercle vicieux pour favoriser l’accès à la temporalité par l’introduction d’un solénoïde, d’une spirale vertueuse.
Par sa présence, l’intervenant social se fait représentation humaine du lieu du tiers relationnel des partenaires parentaux, à un premier niveau où se déroulent les opérations discrètes entre les acteurs. Par le travail engagé avec eux il ouvre la voie à un méta-niveau, c'est-à-dire à du troisième extra humain, processus (1) qui ouvre à un horizon social et familial où s’inscrit le tiers parental dans l’intérêt de l’enfant.
L’objectif essentiel, nous l’avons précédemment introduit, revient à transformer les allégations, les désignations réciproques en attentions réciproques
dans le respect des valeurs mythiques et éducatives que les deux parents partagent fondamentalement.
Ainsi, le travail avec les parents
introduit un
processus
(13) à engager avec chacun des partenaires pour restaurer la valeur de la complexité, de la diversité des lectures du monde. Sortir de cet affrontement en passant du simple au complexe est une de ses perspectives. Evincer « la bêtise contemporaine » qui consiste à dissocier les exigences contradictoires qui cohabitent non seulement dans notre for intérieur mais, au cœur de toute unité de groupe d’appartenance qui se structure paradoxalement par « la danse de la protection de l’intime et de la reconnaissance normative » (16)
Le travail avec les parents est une nécessaire reconnaissance des dissonances en tant que valeurs à débattre. Il est également espace d’ouverture susceptible de favoriser protection et acceptation de l’imprévisible et de l’inattendu. Ainsi posées, les exigences contradictoires se trouvent à tous les niveaux de la vie du couple parental. Notamment lorsque une autorité, des limites trop impératives sont portées par un parent et des transgressions trop menaçantes seraient soutenues par l’autre.
Entre une autonomie outrageusement affranchie de lien et un
lien trop englobant
, la transmission parentale s’insinuera comme vecteur fondamental vers l’ouvert. Pour être sujet autonome chaque enfant doit au moins être récepteur de deux héritages d’origine, d’une culture partagée, et être en même temps, forcément héritier d’une filiation particulière. Sa compétence à faire des choix pour se nourrir et écarter des principes le fera sujet.
S’il y a déliaison, l’individualisme intégral, où chacun se bornerait à suivre son propre intérêt au dépend du collectif familial, ne peut favoriser la transmission. L’holisme intégral où l’individu serait noyé dans le tout n’y serait pas plus favorable. « Le sacrifice des individus serait justifié sur l’intérêt de l’autel collectif » (1)
L’autonomie affranchie du lien serait le tombeau de la subjectivité. (20)
L’autorité se distingue dans ses applications selon des fonctions qui ne sont pas nécessairement situées au même niveau logique mais, se coordonnent en une architecture symbolique. La destruction d’un niveau condamne l’édifice et serait susceptible de porter atteinte aux choix comportementaux qui en découlent (7). En tenant compte de cela, la reconnaissance mutuelle réciproque des partenaires qui portent cette architecture va codifier et soutenir les éléments fondamentaux de cette origine mixte à transmettre à l’enfant.
Au mi-temps de ces deux mondes de référence. L’enfant héritier pourra développer son esprit critique susceptible de l’aider à se déterminer sur ses choix identitaires, faisant la part de la transmission qui de la sorte, lui échoit. Alain en France et Hannah Arendt aux Etats-Unis d’Amérique ont bien montré que s’est en transmettant le passé aux enfants qu’on leur permet d’inventer leur avenir (5). Dès lors ils ne découvrent pas nécessairement de nouvelles valeurs mais, plutôt une nouvelle fidélité aux valeurs reçues et à transmettre à leur tour.
II) Pour illustrer nos réflexions nous présenterons deux vignettes cliniques
où « le processus de travail avec les parents » a pour objet de répondre à la difficulté d’autorité parentale partagée.
1) Il s’agit d’un couple parental dont la particularité consiste en une destruction de l’autorité parentale partagée au profit de deux différents points de vue qui n’ont de cesse de se disqualifier réciproquement aux yeux des enfants. Le processus de restauration de cette fonction d’autorité nous amènera à revisiter avec chacun des parents, puis avec eux deux des pans de l’histoire qui les a réunis.
Ils ont construit un couple sur une valeur inaugurale de réhabilitation réciproque. Et, leur construction parentale s’est retrouvée bloquée par défaut d’avoir su exploiter le débat contradictoire qui s’offrait à eux.
Dans un premier temps, Madame, par procuration de son couple et plus particulièrement de son compagnon mène un combat de réhabilitation vis-à-vis d’un père incestueux. Il s’agit d’une blessure intime qu’elle n’a jamais traitée jusque là, de quelque manière que ce soit.
Monsieur par procuration de son couple et plus particulièrement de sa compagne tente de lever le doute existentiel quant à ses origines paternelles. Ce qui l’occupe depuis son enfance.
Chacun se loge pleinement dans cette programmation implicite, jusqu’à agir à la place de l’autre, le dépossédant de sa position subjective. Il en émergera des reproches mutuels implicites au début puis, clairement exprimés par la suite.
Au creux de ces malentendus fondamentaux Monsieur tend à vivre en protention, (selon l’expression d’Henri Maldiney), dans une fuite en avant, privant ainsi sa famille de beaucoup de satisfactions immédiates, réitérant ses promesses d’épanouissement futur ; promesses qui finissent par produire de la lassitude comme tout phénomène de fuite en avant. Si ses bonnes intentions viennent périodiquement justifier les moyens qu’il se donne pour atteindre des objectifs de vie familiale, celles-ci deviennent insaisissables pour Madame comme pour chacun des enfants. Sa parole paternelle est mise en doute, telle une promesse qui n’arrive jamais. Cette parole, ces projets deviennent une forme de nébuleuse arbitraire dont les enfants et Madame ne peuvent que douter compte tenu du défaut de confirmation concrète, de réalisme. C’est toujours inscrit dans un temps complètement différé. Or la temporalité, comme le souligne Maurice Merleau-Ponty est cette dimension qui considère l’avenir comme l’instance temporelle qui va au présent en passant par le passé. Et, ce temps situé dans une fuite en avant perpétuelle n’est plus assez ancré pour être appréhendable par les autres.
Madame, qui n’a pas pu s’affirmer en présence de Monsieur pour nuancer la forme qu’il donnait à leurs objectifs initiaux (le rêve de faire le tour du monde en bateau), s’est logée dans une position compensatrice en satisfaisant plus concrètement, matériellement les enfants qui verbalisaient leurs frustrations avec de plus en plus d’ardeur. Ce défaut de débat contradictoire où chacun des parents s’est progressivement logé dans une place réactive à celle de l’autre, a favorisé une altération de l’autorité parentale, en ce sens où leurs différences n’ont pas pu se transcender au cœur d’un dépassement dialectique pour fortifier cette unité parentale. Pour cela il aurait fallu que chacun ne s’enferme pas dans ses propres justifications qui poussent Madame à reprocher à Monsieur de leur promettre la lune en les faisant vivre trop difficilement et qui aliènent Monsieur dans sa blessure d’avoir été trahi dans un projet initialement partagé par Madame et reproche à cette dernière sa complicité avec ses enfants en adhérant à une satisfaction immédiate des besoins.
Ce qui se dessinait comme une opportunité pour chacun des adultes et pour leur famille s’est progressivement métamorphosé en inconvénient, en problématique. Chacun se détermine dans ses convictions, et encombré de culpabilité projette la faute sur l’autre. Dès lors la
transmission
n’est plus opératoire, sinon que sur un modèle pathogène qui réactualise le vécu en amont de chacun des parents de manière récursive.
En effet, par défaut de structure, les enfants ne sont plus à même de choisir en faisant la part des choses. Traversés par l’histoire qu’ils reçoivent de plein fouet, ils s’aliènent à la parole maternelle qui devient absolue aux dépens de la parole paternelle inaccessible sinon qu’indexée d’une teinte négative voire destructrice.
Au niveau personnel, Madame reproche à Monsieur de l’avoir dépossédée de son trajet, de son combat individuel de réhabilitation. Monsieur quant à lui, doute de la paternité de ses enfants malgré les affirmations maternelles qu’il est le père des trois enfants.
Madame enferme implicitement les enfants dans une aliénation à son discours, à sa lecture du monde. Dès lors, ceux-ci continuent d’alimenter la boucle récursive qui les tient, à savoir, plus particulièrement pour l’aîné des garçons, d’être dans une extrême proximité à leur mère, en étant à l’instar de leur propre père avant eux, dans la place de la réhabiliter contre celui-ci qui l’aurait bafouée.
Le père quant à lui se rigidifie dans ses convictions (de traitrise) et réactive le doute qui le submerge initialement, faisant de ses enfants les héritiers de sa question inaugurale. De plus, comme il a concrètement du mal à rendre sa parole recevable, elle en devient d’autant plus équivoque, ce qui a pour effet de l’annuler comme fonction paternelle. Les doubles messages qu’il affiche ne font qu’en rajouter, puisque ses intentions verbalisées d’aider, d’accueillir ses enfants ne se concrétisent pas de manière confluente.
A partir de ce postulat d’un double lien scindé parental nous observons une mère qui conteste implicitement et concrètement aux yeux des enfants, leur projet initial porté par le père.
Ce dernier, qui n’entend plus les recommandations de sa compagne, s’enferme de plus en plus dans ses convictions d’être trahi par elle et la dénigre ouvertement, allant jusqu’à montrer aux enfants une certaine violence.
A la suite d’une phase d’évaluation, nous faisons dans un premier temps, le choix d’un travail individualisé avec chacun des adultes afin de les aider à traiter la part qui leur appartient plutôt que de la projeter sur l’autre. Chacun peut progressivement prendre conscience que pour une part il est pour quelque chose dans ce dont il se plaint et que cela concerne ses choix identitaires. C’est dans cet espace subjectif que chacun y peut quelque chose et contribue à l’exploration de solutions éventuelles.
Ce processus qui souligne pour chacun la valeur de ses particularités ouvre un regard possible vers l’intérêt de leurs différences susceptibles d’alimenter le débat contradictoire nécessaire à la restauration de
leur autorité parentale.
Ce chemin ainsi réalisé restaure également une
entité parentale
car chacun reconnaît qu’au fond, malgré leurs déboires, leurs malentendus, le cycle de vie partagée n’est non seulement un échec, une erreur mais, il a une fonction structurante dans leurs cheminements individuels.
Ainsi par cette reconnaissance mutuelle, réciproque, la mère qui qualifie du père aux yeux des enfants se qualifie elle-même comme mère (et se désaliène de sa place de « maman toute ») ; le père qui qualifie Madame dans sa fonction maternelle se qualifie implicitement comme père rendant, de surcroît sa parole recevable par les enfants.
L’autorité parentale partagée ainsi restaurée fait structure pour les enfants qui peuvent non seulement se déloger de la place dans laquelle ils étaient programmés mais se nourrir de cette entité parentale valorisante, qualifiante.
Ainsi libérés de toute aliénation implicite et favorablement ancrés, ils sont capable de choisir leur propre destinée en faisant la part des choses d’une histoire transmise par leurs parents, chacun affirmé et reconnu dans sa différence en harmonie avec ses origines.
Le temps suspendu est ainsi levé et laisse ouvert la temporalité. Il y a une mise en mouvement.
Cette vignette clinique décrit toute l’importance de revenir en amont d’une problématique parentale qui émerge, afin que les protagonistes se redéfinissent à partir du mythe inaugural qui les réunit. Cela permet de qualifier et transformer le sentiment d’échec en expérience susceptible de les réhabiliter comme unité parentale aux yeux des enfants. C’est toute la reconnaissance des consensus et des dissensus, de leurs ressemblances et de leurs différences comme valeur unitaire parentale qui peut apporter clairvoyance dans un couple parental afin qu’il se saisisse de ce qui le met en difficulté pour le métaboliser en
atout
fondamental de
transmission
.
Et comme le professe ce proverbe du Bénin « on sait d’autant mieux où l’on va qu’on sait d’où l’on vient ».
2) Monsieur et Madame D. vivent en famille avec leur fille Laura. Cette dernière est une adolescente qui active périodiquement les tensions parentales en mettant en exergue leurs désaccords. Ils vivent les passages à l’acte de Laura comme une répétition de ceux de sa sœur aînée, et pris par leurs turpitudes, ils ne peuvent rejoindre leur fille dans ses préoccupations.
A chaque fois, Monsieur D., inquiet pour sa fille, intervient avec l’intention de lui mettre un cadre, des limites. Il s’ensuit un face à face père-fille, qui peut aller jusqu’à l’escalade symétrique où les propos de chacun dépasse la pensée. Laura vit les propos de son père qui n’y met plus les formes, emporté par son agacement et sa colère, comme une atteinte personnelle. De toute évidence, elle ne perçoit pas l’intention du père qui souhaite la faire réagir en la blessant au besoin.
Madame n’intervient que lorsque la tension est à son comble. Avec une volonté d’arranger les choses, d’arrondir les angles, elle se drape dans une fonction régulatrice en demandant à son mari de ne pas s’énerver pour un détail, pour des futilités. Au lieu d’apaiser le climat familial, elle attise les braises. Sa bonne intention peut devenir excessive au point de l’entrainer dans des incohérences, jusqu’à dénier des éléments de réalité manifestes où Laura s’enferre dans du mensonge jusqu’à se mettre en danger. Elle disqualifie elle-même sa propre fonction maternelle aux yeux de sa fille qui se moque ouvertement d’elle. De plus, il en ressort que par conséquence le père se sent lui-même disqualifié par la mère ressentant la prise de position maternelle comme un soutien accordé à sa fille. Cette dernière, sort triomphante de chaque altercation intra familiale, tandis que ses parents s’agressent.
Cependant, ses attitudes provocatrices la mettent de plus en plus en difficulté socialement, notamment à l’école par exemple dont elle se fait refuser l’entrée pour raison d’indécence vestimentaire. Sa quête de tiers extérieur se fait d’autant plus pressante que son père, lassé au fond d’être désapprouvé par la mère, baisse les bras, démissionne en se réfugiant dans ses épisodiques prises d’alcool.
Ainsi, à la suite des attitudes provocatrices qui en appellent au fond à du cadre, elle se trouve rabrouée dans sa dynamique qui ne fait que la désigner socialement. Elle en souffre doublement. D’une part, elle échoue dans ses tentatives de restauration parentale et d’autre part, elle se trouve d’autant plus incomprise, indexée d’une image négative. Il s’ensuit des phases de déprime manifeste qui inquiète et rapproche à nouveau les parents et ainsi se déroule la boucle récursive qui les contient, les oppresse et accroît la souffrance de chacun.
Ayant, avec les parents, observés la prégnance de cette boucle circulaire dans et par laquelle la famille est prise, nous avons fait le choix avec les parents en entretien, de travailler sur des faits de vie, pour essayer dans un premier temps de comprendre en quoi de son point de vue chacun a raison. Dans un deuxième temps il s’agit d’envisager ensemble une nouvelle articulation du positionnement de chacun en s’appuyant sur de la reconnaissance réciproque.
Plutôt que de s’emporter et projeter la faute sur l’autre, chaque rencontre devient le lieu où peut être traité l’évènement à un niveau strictement parental.
Toutes les trois séances nous réinvestissons le travail parental auprès de Laura.
Chaque parent prend conscience que chaque reproche mutuel en appelle à une attention, à un soutien réciproque. Ainsi Madame, en s’affranchissant de la forme des interventions de son mari, prend conscience du bien fondé de celles-ci. Elle mesure que son souhait de réguler les tensions père /fille n’a une fonction d’apaisement que si elle reconnaît et appuie
l’attachement de Monsieur D. à mettre des limites à leur fille quand il estime que cela est nécessaire.
De même, Monsieur se rend compte que sa volonté à mettre du cadre à Laura ne peut être acceptable que s’il est attentif aux recommandations de sa femme de ne pas s’emporter, d’être plus mesuré pour être recevable. Cela permet à celle-ci d’être plus sereine, sans éprouver le besoin impératif de soutenir sa fille à n’importe quel prix et notamment au prix de sa propre cohérence maternelle.
La mère reconnait non seulement l’intérêt mais, la nécessité des positionnements paternels. Le père quant à lui reconnait la valeur des conduites d’apaisement maternel au regard du contexte. Ainsi, fort de ces prises de conscience, chaque parent se montre de plus en plus soucieux de concerter le partenaire parental, acceptant ainsi, sur fond de débat contradictoire, le cheminement nécessaire à l’élaboration d’une construction parentale. Comme le dit Laura « il n’y a pas que moi qui doit progresser » reconnaissant elle-même qu’elle sait y faire pour activer ses parents.
Progressivement ce qui se passe dans la gestion de l’intimité familiale, se déplace dans les relations avec l’extérieur, car les tiers sociaux, à l’image des intervenants que nous sommes, ne sont plus vécus comme d’éventuels persécuteurs mais, comme des alliés disponibles dans l’éducation de leur fille.
Cela amène Madame et Monsieur D. à se mobiliser à tour de rôle, en fonction de leur disponibilité, pour rencontrer les enseignants par exemple. Au lieu de se disqualifier, de se faire le pendant l’un de l’autre, ils commencent à se nourrir de leurs différences, de leur complémentarité. Et de manière réflexive chaque parent, non seulement reconnaît la pertinence de l’autre mais, se l’approprie dans une fonction partagée à l’intérieur, dans l’intimité familiale comme dans une représentation à l’extérieur ce qui en retour leur renvoie une reconnaissance normative. Celle-ci a pour effet d’asseoir leurs compétences parentales d’autant plus qu’elles seront légitimées par le juge pour enfants.
Et, enfin Laura, au centre de l’intérêt parental, peut vivre ses tumultes d’adolescentes sans que la contenance, la structure familiale ne vacille à chaque coup de semonce.
En conclusion,
Cette modélisation de l’autorité parentale comme unité structurale nous renvoie à E. Morin qui réactualise les principes de dialectique hégélienne en démontrant sa théorie « d’antagonismes organisateur » qui permet de tirer toute la substance de deux forces radicalement opposées d’une même unité. La structure ne peut exister qu’au travers de la reconnaissance de la différenciation et des interactions variées qui associent les différences.
D’où la nécessité de s’épargner des logiques binaires qui n’acceptent que des termes qui s’excluent. La réalité doit être abordée dans toute sa complexité et de façon dynamique, comme nous l’avons mentionné, dans ses évolutions et ses mouvements. Ainsi, en injectant un peu de dialectique dans nos lectures du monde, la contradiction au lieu d’être un frein devient un moteur essentiel à la construction de nos perceptions, de nos raisonnements.
L’ouverture à l’intérieur de la famille à de la complexité, au creux d’une parentalité ainsi définie, ne peut que favoriser l’accès à la pluralité des lectures du monde des enfants afin qu’ils se définissent comme sujet, donc disposés à choisir en toute sérénité, sans ni trop de luttes intimes sur le plan personnel, ni trop de conflit de loyauté sur le plan des appartenances identitaires. La condition humaine réside justement dans une tension maintenue entre les tendances contradictoires qui nous enveloppent, dans cet entre-deux problématiques qui n’est jamais pure identité, ni pure différence. En cette époque, cette incarnation paradoxale et complexe est à considérer.
Une autorité n’est pas l’apanage ni de l’innocence ni de la culpabilité comme nous l’avons évoqué dans ce texte. Par contre, restaurer une autorité parentale partagée, entamée par les allégations projectives diverses, reviendrait à se préserver, à se dégager des idéologies dualistes qui nous envahissent. L’autorité n’est-elle pas le résultat d’une pensée synthétique qui encouragerait la dialectique des confluences et des divergences d’opinions qui la constitue en tant que structure ? A l’instar de l’idée de Saint Augustin nous considérons que l’être, comme les groupes d’appartenance ne peuvent accéder à l’existant qu’en gérant leurs conflictualités faites de ces deux pôles identitaires teintés de bien et de mal. L’autorité partagée comme « tiers absolu du couple parental » n’en fera pas l’économie. Le Tiers social va donc garantir la nécessité d’assurer le processus qui fait des ressemblances et des différences un terreau pour la prise de décision parentale dans l’intérêt de l’enfant. Il en résultera un absolu sans majuscule, auto-transcendant (1) qui servira de déterminant essentiel pour que ce dernier affine ses propres choix identitaires.
Jean pierre Le Duff
45, rue Blaise Pascal
56000 Vannes
Jp.leduff@hotmail.fr
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