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L’éducation spécialisée est affaire de matriochkas

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Marc Prudhomme

mercredi 01 décembre 2010



L’éducation spécialisée est affaire de matriochkas

 

Le temps, c’est surtout celui que nous passons

avec les autres, dans ce qu’ils nous renvoient

de nous-même.  Claude Olievenstein

 

Les matriochkas, rondelettes, vernies, colorées avec des peintures les habillant d’une tenue folklorique, ont un sourire énigmatique : elles nous interrogent aussi sur notre secteur.

Ces petites poupées russes en bois de tilleul ou de bouleau ont  l’originalité de s’emboîter les unes les autres et en deviennent de fait gigognes et intrigantes. De tailles décroissantes, il est nécessaire d’effectuer un petit mouvement glissant de gauche à droite et de droite à gauche, pour ouvrir horizontalement la première afin de découvrir la suivante. Il en va de même pour la seconde et ainsi de suite. Chacune, excepté la première et la dernière, est à la fois porteuse et portée. Cela indique une place particulière à celles en bout de chaîne, place que nous évoquerons plus tard.

Les matriochkas nous montrent visuellement que tout un chacun a besoin d’un autre pour être contenu et que tout un chacun peut être contenant pour un autre. Le trouble, à les regarder de plus près, provient du fait que ces deux fonctions s’activent dans un même temps. On peut, tout à la fois, contenir et être contenu. Certes dans un même temps, mais à une place différente.

Commençons par le commencement, l’arrivée d’un enfant.

Il ne faut pas faire fi de la fatigue maternelle suite à la grossesse ; fatigue due à un bouleversement physique important et au travail psychique que provoque le fait de porter un enfant. La mère, si elle n’est pas elle-même soutenue par son entourage, c’est une fonction tenue dans la réalité par le père ou celui qui en tient lieu, peut être rapidement débordée, dépassée, épuisée. Il y a comme un emboîtement de la fonction de soutien. La mère soutient son enfant, le père soutient la mère de l’enfant… et de fait l’enfant aussi. C’est une façon de soulager la mère qui, au final, sera plus disponible psychiquement  pour se mettre au diapason  d’un accordage aux besoins du bébé. Cela est essentiel pour que ce dernier trouve  réponse à sa demande  pulsionnelle, mais aussi  un soutien physique et psychique.

Pour étendre la réflexion au secteur de l’éducation spécialisée, j’emploierai le mot de soutien pour la fonction évoquée ci-dessus. L’étymologie du mot renvoie au latin sustenire, « tenir par dessous, maintenir, supporter, conserver en bon état » Ce qui résonne avec l’enseignement de           D. Winnicott au travers du concept de holding. Pour résumer d’un trait, au-delà du soutien physique, il est question d’un soutien psychique qui a pour finalité la simplification de l’environnement. La fonction est pare excitatrice.

La question première qui est posée dans la métaphore des matriochkas est de savoir qui soutient qui ? L’éducateur spécialisé relaie deux grandes fonctions sur lesquelles il s’appuie  dans son métier. Une première visant à indiquer un cadre, un impossible à la toute jouissance, donc des limites. Cette fonction dite paternelle n’est pas celle qui nous intéresse ici. La seconde  de ces fonctions, dite maternelle, consiste justement à contenir et soutenir le sujet en difficulté. Mais qui soutient l’éducateur dans la relation éducative et plus largement qui soutient qui dans une institution, voire qui soutient l’institution et déjà bien en amont qui soutient qui  dans les écoles des éducateurs spécialisés en formation ? Nous percevons toute la complexité proposée par les matriochkas.

Un enfant arrive dans une institution après un épisode compliqué de son histoire. Il a fallu l’orienter vers une structure d’hébergement. Il va de soi, et quoi qu’il en soit, que la séparation d’avec sa famille est vécue douloureusement. L’enfant est accueilli par l’équipe, un éducateur référent est nommé pour ce dernier. Les premiers temps, avant même d’envisager un « projet individualisé », on peut supposer que l’éducateur aura à cœur de recevoir, donc de contenir, toute la détresse et les interrogations « à chaud » du jeune. Pourquoi suis-je là ? Qu’ai-je fait ? Qui sont ces éducateurs qui prétendent faire mieux que mes parents ? Ces questions s’activent sur fond de culpabilité. La relation va s’instaurer sur ce terrain d’incertitudes, d’instabilité, d’affects exacerbés au vu de ce que vit cet enfant. Il va falloir l’apaiser, l’écouter, lui apporter des éléments explicatifs pour que lui-même trouve des réponses à ce qui  bouleverse sa vie.

Bien entendu, l’éducateur est affecté par l’histoire de l’enfant. Que peut-il en faire ? Comment ? Pourquoi ? Dans quel but ? Jusqu’où ? Mille questions se posent à lui. L’éducateur, pris dans une relation transférentielle, ne peut y voir un peu plus clair qu’à une seule condition.  Il lui faut trouver une matriochka dans l’institution pour le soutenir dans son accompagnement éducatif.

La matriochka pourra prendre plusieurs aspects. Certaines fréquentent des lieux et des espaces quelques peu informels à l’exemple de la salle de café ou de la pause cigarette. Elles sont importantes. Cependant d’autres matriochkas  doivent être invitées par l’institution : la lisibilité du cadre de travail et des fonctions de chacun, un travail d’équipe institué, des espaces dédiés à l’élaboration des pratiques. On n’insistera jamais assez sur la nécessité de l’existence des Groupes de l’Analyse des Pratiques dans toute institution. Le GAP est tout à la fois un espace individuel et collectif. Pratiques personnelles et effets de groupe s’entremêlent. Le groupe soutient chacun et chacun soutient chacun dans le groupe. C’est une affaire d’engagement.

Ces matriochkas, bien présentes dans l’institution, ont été installées par la hiérarchie institutionnelle. L’éducateur qui soutient l’enfant est lui-même soutenu par sa hiérarchie. Force est  

de constater que dans certaines institutions ce soutien n’est pas efficient. Au bout du compte, c’est l’usager qui en fait les frais. A l’exemple d’un chef de service qui ne va pas relayer le rappel du cadre face à un enfant transgresseur.

Nous pouvons continuer à poser la question du soutien pour la hiérarchie. Par qui est-elle soutenue ? La Direction est à son tour matriochka. Qui soutient cette même direction ? Les textes de loi, les tutelles mais pourquoi pas des espaces de paroles également. Une direction, çà parle.

Nous percevons là l’emboîtement, de l’enfant, la plus petite des matriochkas, jusqu’à la plus grande et plus dodue des matriochkas. Cette dernière soutient tout à la fois la matriochka d’avant mais au bout du compte l’ensemble des matriochkas. C’est peut-être cela la cohérence d’une institution et l’ambiance d’une sécurité attendue par tous les acteurs, aidés et aidants. Encore faut-il que tout professionnel, quel que soit sa place dans l’institution,  accepte d’être une matriochka et élabore sur cette fonction.

Mais que contient la plus petite de nos poupées de bois ? Celle-ci est bien mystérieuse. Elle est regardée souvent avec attendrissement et manipulée du bout des doigts avec délicatesse. Nous pouvons supposer qu’elle nous renvoie à ce qui habite tout un chacun : la part de notre enfance, en l’occurrence l’histoire des aléas de la contenance mise en œuvre par nos premiers objets d’amour, constitutive de notre état d’adulte. C’est parfois, peut-on dire souvent, à cette part de l’infantile que l’intervention éducative s’adresse aussi, quel que soit l’âge du sujet accompagné par l’éducateur spécialisé.

Concernant la plus grande des poupées, celle qui contient toutes les autres, la matriochka des matriochkas, je propose qu’elle soit la représentante de nos valeurs soutenues par la question de l’éthique, donc en bout de course interrogeant notre humanité pour un vivre ensemble et pour un travailler ensemble dans notre secteur.

Et me demanderez-vous, qui soutient la matriochka des matriochkas… ?

Elle est  sur mon bureau. Elle m’interroge du regard. Je réfléchis à l’énigme…

Marc Prudhomme

Formateur IRTS, décembre 2010

 

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