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L'épuisement professionnel

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Jean-Luc Viudes

mardi 18 novembre 2003

On ne peut donner que ce que l'on a et parfois cela peut paraître dérisoire face à l'ampleur de la tâche. Etre éducateur ne suffit pas à sauver le monde. Cruelle désillusion. On le sait mais quand même.... peut être que.... avec plus de persévérance, de détermination, de volonté, il y a peut être un espoir. Alors on se prend et surprend à essayer. On rentre plus tard du travail, on va à une audience sur un temps de repos car l'autre référent ou le chef de service ne sont pas disponibles et les heures supplémentaires s'accumulent. On fait un pas de plus et quelques signes apparaissent : l'excitation, l'hyperactivité, le surinvestissement, la fuite en avant, la difficulté de s'arrêter... Quand on a donné le maximum de soi-même difficile d'accepter la baisse de régime. Il y a certainement une question de fierté et d'humilité qui empêche de passer la marche arrière. Il est toujours valorisant d'être celui qui dynamise l'équipe, qui innove dans les projets, qui devient une locomotive pour l'institution.

Mais le sauveur doit parfois être sauvé de son épuisement professionnel qui s'est fait jour après des mois et des mois d'implication et de motivation excessive. La locomotive n'avance plus et elle déraille dans une plainte. Arrive la parole qui dit sa désillusion sur un métier impossible. Une impossibilité à porter et supporter plus lourd que son poids et ses espérances déchues. On accuse le métier qui devient plus difficile, plus contraignant, plus insupportable. Pour tuer son chien on dit qu'il a la rage, dit le proverbe. Cela évite de se remettre en question. Du genre, pourquoi je me suis épuisé ? Il y a de multiples raisons qui amènent peut être à cette question du choix d'éduquer. Un choix complexe. Pourquoi ce choix ? Comment ce choix évolue ? L'épuisement professionnel prend peut être son origine dans ce choix d'éduquer qui n'a pas été assez approfondi, remis en question. Peut être se cache l'espoir d'y trouver une reconnaissance individuelle, sociale, professionnelle, un espoir d'être utile et utilisé, remarqué et remarquable, admiré et admirable. On ne trouve malheureusement rien de tout cela, en tout cas pas à la hauteur de ses espérances. Je dis malheureusement car cela est un malheur de ne pas trouver ce que l'on cherche. Une autre question se fait jour. Qu'est-ce que l'on cherche dans ce métier d'éducateur ? Un besoin de se réparer en réparant l'autre, façonner l'autre à sa propre image, une volonté de domination, l'expression de perversions, un fantasme de toute-puissance.... ? Pour Philippe Meirieu, dire que l'éducateur a un problème avec le pouvoir est aujourd'hui un secret de polichinelle. Que cela s'enracine dans son histoire personnelle ne fait plus mystère pour quiconque. Mais il pense que ces raisons inavouées et inavouables n'empêchent pas de les repérer et de développer une éthique. Avec l'espoir que cette éthique ne soit pas comme le pense Daniel Sibony quelque chose à laquelle tout le monde acquiesce mais que nul n'applique. Il n'y a pas besoin de travailler au sein de l'éducation spécialisée depuis des décennies pour être usé. Il suffit parfois de quelques mois après la formation pour présenter déjà des symptômes. Le docteur Gaubert, psychiatre en I.M.E. parle d'un sujet partant de l'enthousiasme idéaliste du départ pour arriver après quelques années d'exercice à un état de stagnation stérile. Pour résumer, c'est un peu l'histoire du lièvre et de la tortue. Il y a également le fait que l'épuisement professionnel peut provenir de l'institution. Les syndromes d'un épuisement sont souvent présents dans les institutions défaillantes.

Il y a certaines conclusions à tirer : il est urgent de ne pas se presser pour éviter d'être oppressé. Il faut apprendre à se poser. L'institution était là avant que l'on arrive, elle y sera après. Tout ne s'améliore pas, ne se modifie pas du jour au lendemain. Il y a un temps pour tout. Pour réfléchir, pour agir, pour s'engager, pour accompagner, pour écouter, etc.... Il se pose la question de l'autre. Pour que l'autre se pose il faut soi-même se poser. Il faut laisser une place à ce qui n'est pas encore là et qui sera peut être là un jour. IL faut du temps.... un certain temps et un temps certain mais sans ce vide (porteur d'angoisse) qui ne doit pas être occupé rien n'est possible. Cela demande des efforts et des outils pour apprendre à ne pas aller plus vite que la musique. L'équipe, l'analyse de la pratique, les écrits sont autant de moyens qui permettent de mettre à distance et de s'interroger sur ses actes. Etre éducateur, c'est faire un compromis entre ce que l'on a, ce que l'on peut donner et ce que l'on idéalise. Pour parodier une citation de Simone de Beauvoir, on ne naît pas éducateur on le devient. Et cela prend énormément de temps....un certain temps.... sans doute une vie.

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