Qu’importe si c’est par le chemin des mots que nous avons cru pouvoir revenir à l’innocence première »
André Breton
L’histoire commença à sept ans, il était enfant et dessinait à l’encre des pages de «e ». C’était étonnant, il avait mis longtemps pour accéder à l’envol du
«l
». Il écrivait des pages et des pages de «e » et quand on lui demandait d’écrire «
l
», il faisait des «e » de plus en plus gros. Puis un jour, le mur de l’incompréhension se fissurant, miracle, il voit un «
l
» se dessiner, ce n’est rien, comme cela, mais dans cette extension était pour lui contenue la notion de grand, il passait du petit «e » au grand «
l
» qui était aussi la première lettre d’accès à son nom. Bien plus tard, il garda beaucoup d’estime pour cette lettre qui peut dessiner sur la page des contours lancinants et sensuels. Qui était ce «
l
» miraculeux ? Et bien, c’était celle qui nous fait parler, c’était la muse du poète, il venait de découvrir le «
l
» de la féminité.
Ce n’est que beaucoup plus tard que le «
l
» prendra son envol. Y aurait-il un poème qui puisse s’écrire dans le ciel, sous le soleil ? L’écriture chimérique de l’oiseau depuis la mer gardant la phrase originelle, la respiration brûlante de la mer qui aurait pu se déployer dans le ciel reliant le bleu, le bleu de l’azur et celui de la mer quand l’œuvre en bout de course accède enfin à la grande ourse.
Son scribe du soleil, dans l’océan des métaphores, il jouait les sémaphores, il revenait de l’uni-vers avec Gullivert et Flaubert dans la prison de ses flots verts qui dictent la bêtise et le bonheur bourgeois. Il était l’homme au cœur d’argent, à la parole de sang, le déséquilibre avait droit de vérité. La roue de l’être, l’éternel retour, la boue et puis l’or, porter la parole de vie et puis le nombre d’or. Renverse les paupières de l’âme petit, je te le dis, le bonheur est un mythe pour nous désespérer. Il voyait telles des comètes venir vers lui ces astres qui se levaient, c’était la fin du désastre, il était solitaire et pluriel, la parole de vie, le destin unique, singulier.
Il se rappelle, il faisait soleil, l’été exhalait ses senteurs de miel. Puis il s’en est allé, seul au bord de la rivière, là où le torrent séparé en fines lamelles se cache pour mourir. Il y avait ce poème qui frappait à sa tête qui jamais ne venait. C’était l’été, son corps brûlait du désir d’écrire, tel un boxeur, le soleil cognait. Un chagrin qui lui venait de rien. Et toujours ce poème qui frappait à sa tête. Cet oiseau qui s’envolait vers des idées nouvelles, cette encre de sang noir qui coulait dans ses veines et ses pensées de chien qui cachaient l’infini. Il marchait, il marchait, il traversait la forêt, ses arbres malheureux lorsqu’ils vous font signe. Il aperçut un chevreuil et sa petite tache blanche sur les fesses. Pourquoi cet animal lui rappela-t-il l’enfance ? Il tournait, il virait autour de l’écriture, tel un sculpteur tournant autour de l’œuvre, épousant les contours pour épouser le vide. Enfin, fatigué, il rentra et c’est là qu’elle est arrivée l’écriture. C’est dans cette maison, la sienne, ça venait de si loin… une page blanche ou il s’était glissé, les yeux à peine ouverts dans un petit matin clair. L’écriture comme un formidable moyen d’emprise sur une idée, il pensait à Maurice Blanchard… il se rappelle, il y a souvent pensé depuis :
«
Il y a eu une grande et instantanée rupture, la montagne s’ouvrit comme le ventre d’une immense araignée et m’apparut délicatement ornée et pleine de dragées multicolores. C’est ainsi que naquit la couleur en poésie
».
Ce jour là en pleine nuit, il sût que quelque chose allait céder, il fallait qu’il y arrive, il ne suffisait plus de s’en approcher. Il vit que le soleil était là à l’intérieur de sa main. Il se dit que non, qu’il en mourrait, que ses yeux verts l’emportent parfois vers des contrées lointaines, vers le vert montagneux des feuillus, des forêts, mais aussi vers celui de la mer, des rouleaux de l’écume et du gris aussi.
Il regarde sa montre, il dit quarante trois ans, se sont déjà écoulés. Il se souvient du bien et du mal, de la joie, de la peine, des nuages dans sa tête et aussi du soleil, il se souvient d’avoir toujours remonté la vie à contre courant. Puis, tout à coup, il pleure, comme un enfant, la buée de ses larmes lui fait les yeux profonds. Ils sait qu’il faut qu’il y arrive, non avec sa tête, mais avec son corps. Il doit être plus fort que le corps. Il se sent comme oiseau, libre, allégé du poids de son passé. Il rit, il crie, il écrit, il pleure, il vit. Il sait qu’il est inapprivoisable, qu’il est inéducable, juste porté par son désir d’être ici, maintenant en ce moment. Il est irréel bien que pourtant ancré sur la terre. Il sait que c’est ça son être au monde, de partir, de devenir oiseau chimérique de l’écriture, plume au vent fou, puis revenir, étincelles mordorées ce sont ses yeux. Il ne sait pas ce qu’il écrit, il s’agit d’un voyage dans le temps, ce cri de l’écrit, un mot s’enchaîne dans une chaîne déchaînée, une chaîne enchantée. Maux d’amour, sa solitude se peuple enfin d’étoiles ramenant avec elle passé, présent, avenir. Le plexus solaire s’ouvre, le stylo va de plus en plus vite, il rit, est-il fou ? Sûrement, l’espace de la vérité de l’instant. Est-il en Afrique ? En Chine ? ou en Amérique ?
Ces mots lumière, ces voix du passé qui sont mortes et qu’il fait revivre, là sur la plage de son enfance, cette plage aux trois couleurs, ces mots qui parlent au cœur des hommes. Il est loin, il a quitté le pays des hommes, bientôt, on le lira, bientôt il saura qu’il porte l’écriture comme on porte un enfant, qu’il est malade d’écriture, il se voit sous un ciel de traîne, devenir enfin autre. Il sait que dans l’écriture il doit être tous les autres…
Depuis ce jour, cet étrange compagnon l’accompagne. Un loup à l’œil jaune et à la pupille d’or qui hurle à la une tous les soirs. Il ne hurle pas à la lune, ni à la mort, ni à la vie, il hurle un hymne à la nuit, le loup, il envoie des messages aux étoiles qui tombent sur les rochers de l’océan, il hurle le loup dans cette espèce d’espace vacant et qui doit le rester et l’océan, il suffit de l’appeler ce vieux libertaire, il nous rappelle l’écriture des vagues.
Alors, l’amour dans l’âme, les hommes cherchent à interpréter cette criture mais ils ne le peuvent. Si un jour ils le pouvaient, l’écriture pourrait supporter l’infini. Elle se lirait à ciel ouvert ou dans le rouleau vert de la mémoire de l’océan notre frère. Au lieu de ça, il reste cette manie, ce défaut, cette maladie qui fait que notre âme s’élève au delà des limites de l’espace et du temps ; l’œuvre en bout de course accède enfin à la grande ourse.
Il avait choisi ce métier, «
guider hors de
», hors deux : être éducateur avec des enfants perdus, exilés avec d’autres exilés. Educateurs dont la mission consistait à faire passer les enfants de l’île à la terre ferme en les ramenant vers le langage, ce lieu intérieur ou la lumière du verbe est si près du soleil. Il fallait refaire le chemin en partant de l’exil vécu à même le corps de ses jeunes là, dans la violence, dans la destruction. Il fallait trouver le filon d’or de la relation et savoir aussi dire : Non. L’exil : une façon pour l’éducateur d’être au monde, d’être un peu poète, je veux dire par là d’être seul. L’île aux enfants, lieu de l’imaginaire, perdu en mer, lieu ou il fallait s’amarrer avec ces enfants et ces adolescents. Il devait faire vivre en même temps tous ces enfants qui dormaient dans sa tête pour qu’une pulsion de vie se propose de faire vivre les vrais enfants, ceux dont la souffrance et la destruction pétaient par tous les pores. Au bout d’un temps, les choses s’apaisaient, ça se mettait à parler, à se raconter, à se distancier, que de verbe, que d’émotion dans le simple partage d’un repas. Parfois, ils partaient en escalade où en spéléo. D’autres fois, c’était l’écriture, face à cette injustice qui avait créé le premier impossible à être comme tout le monde, qui les avait exclus de l’école. Il leur lisait des contes, des poésies, des fragments de romans, puis, tous faisaient valser les mots sous forme de jeux de je et de nous. Merveilleux moments que ces sorties du drame de l’enfance. Puis, ces jeunes revenaient vers le rivage lisse, reprenant la barque qui fait passer de l’île à la terre ferme, c’était entendu, ils étaient séparés, tout neufs, ils savaient… rien ? Autant que l’éducateur.
Ils marchaient auparavant sur des sables mouvants, maintenant ils avaient amarré sur la terre ferme, celle qui abrite le mystère : le langage, la maison des hommes. Il leur resterait juste une trace comme la mer lisse sur la plage. Ils avaient semé des cailloux, la mer les avait effacés, ils pouvaient désormais les possédant en eux relier les fils de leurs histoires chacun d’eux ayant trouvé la petite part qui fait son être propre. Le bateau arrivait au port, sur le quai l’éducateur leur cria «
Bon voyage !
», puis il disparu, dans la douce brume de la nuit qui commençait à poindre.
Ce soir là, il sût que s’en était fini de sa position d’éducateur, l’âge, la brèche de la vie, la fatigue, il fallait prolonger mais sous une autre forme. Pour mémoire, il pensa à l’orpaillage, à son pays, l’Ariège, l’Arac son village qui signifie Or en occitan. Il pensa à ce confluent entre la matière et la spiritualité dont pouvait se dégager une hypothèse quand sonnait midi le juste à Montségur. Ca venait de si loin, cette question de l’essence de l’homme : certains privilégiaient la question matérielle et accumulaient des richesses tandis que d’autres se posaient la question de leur passage terrestre et de ce qui fait la richesse d’une vie humaine.
Il en avait rencontré des orpailleurs qui voyageaient vers leur ailleurs, Katou, Jean-Jacques, Henry, aucun n’oubliait que l’or, l’Oriège, c’est la statut d’Apollon dans le temple de Delphe. Apollon, conducteur du char, porteur de lumière, il aimait l’associer avec Hermès, le Dieu de l’écriture.
Le filon de cette recherche poursuivie lui avait fait toujours apparaître que l’or est un métal immortel, un discours, une métaphore sur l’immortalité de l’âme. Le chercheur d’or peut être un poète, un berger, il est surtout un enfant. Un enfant fait de brisures que l’on nomme éducateur. Tout enfant est un chercheur d’or. Les enfants jouent à la chasse au trésor, ils ont des coins dans le jardin pour enfouir ce qu’ils chérissent, des cabanes pour raconter des histoires, l’enfant en quête fondamentale de l’or.
A quoi sert l’aventure de l’or ? A transcender pour reprendre une expression latine qui signifie « aller au delà de soi même » afin d’atteindre un certain dépassement de soi. Sans aventure y aurait-il la lune ? Même quand un homme se fait dévaliser, le voleur oubli d’emporter la lune. Ecrire serait ce affiner de l’or ?
Ca cognait, ça cognait dans sa tête alors il cocha sur papier.
Se consumer comme un baiser, la mémoire de mon passé et l’avenir teinté de mauve s’offrait à moi comme une pause faisant mentir même les choses. Il couvrait la page d’une robe d’images, il nageait vers cette page où lui appartenait le paysage. Marchand de vie, marchand de vice, marchand d’âge quand si près de soi même on se sent un peu mourir comme un apprenti sage. Dans le champs d’un désert de papier, l’arc-en-ciel a germé avec la peau de l’être qui te firent poète et tous ces mots qui moururent noyés dans une goutte d’encre, les étoiles dans le fond de sa tête. Ces mots qui tantôt tuent et tantôt font l’amour. Ce gouffre douillet un peu comme la mer quand monte l’étincelle liquide et qu’il y allait puisant les océans du vide. Cette foi qui fait les hommes fraternel, cette beauté ornée par la vérité quand l’être humain n’est pas là et que l’orpailleur creuse la divine parole qui ferra émerger son âme et sa lueur. Cette quête gît en sa faveur. Dans cette brume qui se prostitue, le poète s’en va, revient, se bat et invente des musiques qui éloignent les rats.
Un oiseau qui s’envole vers des idées nouvelles, un cheval qui broute des étoiles, une biche qui pleure les hommes du regard, ces hommes au semblant de croyance et celui là en état de voyance.
L’étrange jardinier qui ordonne les saisons, l’orpailleur plus que tous acquiert la transparence, l’or n’est pas spirituel quand il est cher payé.
L’origine du verbe est si près du soleil.
Il s’agit de tourner, de tourner dans le ventre animal, dans le ventre minéral, dans le ventre du temps, pour trouver la sortie, le poème…
C’était bel et bien cette question de l’or qui lui avait fait agir l’éducatif. ; l’or au confluent du poétique, du politique, de l’imaginaire et de la spiritualité. L’âme peut devenir un Grall vivant en marchand dans la voie du perfectionnement. Le Saint Grall, emblème spirituel fut le noble idéal des Cathares et des Troubadours, le germe divin, essence du verbe et de ses origines, était donné par un parfait, il transmettait la vie dont il était le dépositaire. Un baiser était le symbole du don reçu, il circulait entre les croyants comme le signe visible du courant d’amour. N’y avait-il pas dans ce rite le même contenu initiatique que lorsque les murs du labyrinthe qui emprisonnent un enfant s’entrouvrent vers la vie ?
Là était la fonction éducative.
L’or était lié au politique, l’ordre de la Toison d’or permettait à Philippe Le Bon d’unifier ses Etats, fondements de la chevalerie qui est la défense des opprimés et des faibles, le respect d’autrui. L’éducateur aussi avait une mission de protection, comment redonnait-il aux usagers leurs droits de citoyens ?
Viendrait-il donc cet âge d’or ?
Cet or sans rides du savoir qui nous guide dans les ténèbres vers la lumière !
Il s’agit d’aller au plus profond de son abîme jusqu’au fondements de la terre et de trouver le chemin.
Afin que la souffrance devienne connaissance, Oh langue de baptême sur un roc de mémoire, musique du cœur, loi d’éternité.
L’orpailleur refait le chemin du retour. Ce chemin qui fait l’âme arc-en-ciel, l’or est à l’intérieur, il est l’or de l’éducateur.