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LA SUPERVISION, HISTOIRE D’UNE RENCONTRE

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Catherine Berchel

lundi 31 août 2009

Monographie pour l’obtention du certificat de superviseur d’équipes en travail social

Institut Européen « Psychanalyse et travail social »

Educatrice spécialisée

Service de Pédopsychiatrie

Année 2008

REMERCIEMENTS

Remerciements aux enfants de l’atelier contes qui m’ont tant appris de leurs souffrances sur le chemin des mots, et qui, en trouvant appui sur la structure du conte sont pour la plupart sortis de cette inhibition massive dans laquelle ils étaient enfermés, et pour d’autres, s’appuyant sur le contenu, pouvoir dire leurs souffrances et surtout leurs désirs.

Merci à mes collègues avec qui j’ai partagé cette nourriture jugée « bonne » avant de la présenter aux enfants, dans un « hors cadre institutionnel », forme de résistance à la routine, à l’assujettissement.

Merci à notre collègue psychologue qui a soutenu ce travail de création et a accepté notre demande de supervision clinique.

Merci à ceux qui de près ou de loin, par leur action ou leur silence, m’ont aidé à faire aboutir cette demande.

L’éducateur est confronté dans sa pratique aux questions de société qui affectent à différents niveaux les populations dont il a la mission de prendre en charge. Pour ce faire il a besoin outre des connaissances à caractère social ou sociologique, mais aussi des connaissances dans la clinique du sujet qui lui permet d’assurer des rencontres singulières. Le métier d’éducateur, classé par Freud parmi les métiers de l’impossible 1 , a fort à faire pour exister dans le secteur social, médico-social, et plus particulièrement dans les institutions psychiatriques malgré une demande croissante. Dans le service de pédopsychiatrie où j’exerce, où le « mythe fondateur » pourrait être le clivage, il m’a fallu une vigilance de tous les instants pour éviter l’assimilation, la confusion, tout en participant à un travail d’équipe pluridisciplinaire. Dans ce contexte, l’action éducative est prise dans un maillage institutionnel où souvent il est demandé à l’éducateur d’intervenir là où d’autres catégories professionnelles sont tenues en échec, et d’avoir une action directe sur les symptômes. Mais ce n’est pas chose aisée dans un climat institutionnel où règne le désordre, ce que Claude Allione appelle l’entropie 2 . Ainsi, la parole de chacun, mais aussi la parole de l’institution sont prises dans un brouhaha, où aucune des deux n’est entendue. Chacun n’ayant rien, ni personne pour appui, ne peut qu’essayer de se maintenir par ses propres moyens. C’est dans ce contexte que se situe ma demande de formation.

Parmi les nombreuses questions surgies et mises en travail dans le cadre de la formation en supervision, celle traitée dans cette monographie s’est imposée comme signifiante. Elle porte sur la Vérité du Sujet. Quelle est cette vérité apparue dans le cadre de la formation, en lien avec ce désir « creusé dans l’en-de-çà » 3 de la demande de supervision et mis en lumière par la définition de l’énigme de Jacques Lacan 4 ?

Dans un premier temps je vais tirer le fil pour la mise en récit de cette histoire en empruntant les chemins de traverse et accrocher les articulations qui se sont imposées au passage, pour ensuite tenter des hypothèses de mise en sens.

MISE EN RECIT

Yékrik, Yékrak !

Est-ce que la cour dort ?

Non, la cour ne dort pas

C’est Isidore qui dort sur son oreiller en or !

Figure 1 - dessin d'enfant de l'atelier conte

Avant le début de chaque séance d’atelier conte à l’atelier conte, le soignant conteur interroge les enfants (la cour) sur leur état d’âme (est-ce que la cour dort ?) pour lui permettre de dérouler le conte. En général ils répondent « la cour ne dort pas ». Si les enfants ne dorment pas, qui peut bien être ce « Isidore qui dort » ?

Se pourrait-il quelque chose, qui sommeille en nous, alors que nous sommes occupés à autre chose ? Cela me fait penser à une division, d’un côté une attention soutenue, de l’autre, quelque chose à l’intérieur qui apparemment ne s’intéresse pas à ce qui se passe. C’est peut-être de ce côté-là qu’il faut aller, pour voir ce quelque chose qu’il y a dessous, « simplement un en-dessous, un sujet » 5 .

Cette histoire pourrait s’apparenter à un conte mais ce n’en est pas un. Il y ressemble de par sa structure. La situation initiale pourrait se résumer à un manque qui justifie une quête. Une quête de savoir. Un Savoir supposé combler un manque, un vide. Vide ouvert devant moi, mais parfois en moi, génératrice de frustration, qui, mis en travail a abouti à une demande de formation en supervision. Une demande de formation vécue non pas comme une solution, un bouchon, mais comme un chemin ouvert à des questionnements. Une frustration liée à un dysfonctionnement institutionnel et créant un sentiment d’impuissance. Ainsi la supervision serait-elle venue border ce vide constitutif de l’humain, ce manque cause du désir que j’ai découvert, et mettre au grand jour la vérité du sujet dans sa singularité ? C’est de là que je vais tirer le fil, c’est là que ça s’articule. C’est de là que ça me parle. Encore faut-il pouvoir l’écrire ?

Cet écrit n’est pas facile. Ecrire, nous dit Marguerite Duras c’est « l’inconnu qu’on porte en soi » ou encore « tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait ». Pour moi c’est accepter de perdre, et quand on a plus rien à perdre, alors, on écrit. Cet écrit, doit rendre compte d’une question énigmatique surgie au cours de la formation en supervision. Certes de nombreuses questions n’ont pas cessé de me tarauder depuis le début. Mais celle que je présenterai dans le cadre de cette monographie n’est pas issue du raisonnement ou de l’intellect. Elle s’est imposée à moi, et ce, depuis la fin de la deuxième session de formation.

Ce n’est pas un écrit professionnel comme j’ai pu l’expérimenter à trois reprises, avec toutes les difficultés qu’implique l’écriture. Là au moins, on sait d’où l’on part. Il s’agissait dans les situations précitées de rendre compte d’une réflexion en partant d’une pratique. Dans le cas d’un écrit lié à la supervision, le lieu d’où ça part, où d’où ça parle, n’est pas toujours là où l’on croit.

a) La demande

Ma demande de formation en Supervision d’Equipes en Travail Social date de 2006. Passée en conseil de service de la même année, elle fut acceptée, budgétisée et mise au plan de formation pour l’année 2007 par la Direction de la formation continue, actuellement Direction de la Formation et des Conditions de Travail. La décision intervenant tardivement, l’effectif étant atteint, elle fut simplement différée, et prévue pour l’année 2008. Deux mois avant le début de la formation et pour rappel, j’adressai un courrier à la Direction de la Formation et des Conditions de Travail, sous couvert de tous les responsables dont je dépends. Ce courrier atteindra son destinataire mais, restera lettre morte, jusqu’à ce que je me décide, voyant le temps s’écouler, à chercher le lieu où il a été « enterré ». Consulté sur l’absence de réponse et de communication, le Directeur avoue son embarras voire son impuissance. Il est face à sa propre parole, sa propre décision, prise une année plus tôt qui a consisté à donner un avis favorable pour la formation. Comme par magie, car au moment où il me reçoit il avoue ne pas savoir qui de mes nombreux « sous-couverts » a donné un avis défavorable » sur une demande déjà traitée.

Si dans l’instant il ne prévoit pas de se dé-dire, au risque de se contredire, en tout cas il ne peut maintenir sa position qu’au prix d’un renoncement du cadre qui aurait donné un avis défavorable. Ainsi, le chef en lieu et place du roi ou du Bondieu ne savait pas qui de ses sujets ou de ses saints avait eu ou non des motifs, qui l’empêchait de soutenir sa décision. Qui de la fée ou de la sorcière, avait usé de sa baguette et prononcé les mots magiques pour transformer en « Avis défavorable », un Avis favorable. En apparence on pourrait penser à un souci de cohérence de la part du Directeur de la Formation Continue et des Conditions de Travail. Mais il m’apparut très vite que ce n’était pas le souci majeur. Ça ne collait pas. Je fus donc renvoyée à moi-même. Aller chercher le fautif, faites lui changer d’avis, et revenez me voir. C’est comme cela que je traduisis ce renvoi à moi-même. L’idée d’un renoncement m’a traversé l’esprit. Mais Pourquoi ? Pourquoi moi ?

La remise en cause de la décision du directeur me semblait entre autre, renvoyer à une question de place, d’autorité et de décision. Si quelqu’un d’autre occupe la place du directeur, je peux tout à fait me demander où est le directeur ? Si le chef lui-même ne peut soutenir sa parole, comment pourrait-il soutenir la mienne malgré une rencontre au cours de laquelle, il reconnaissait le bien fondé de ma demande comme un désir d’évolution personnelle mais aussi une manière de faire face aux conditions difficiles dans lesquelles on exerçait au CHU. Si ce n’est une injustice, que serait-ce d’autre ? En tout cas je fis là mon angle d’attaque. Il me semblait que je devais me battre pour faire valoir le droit. Le droit à la formation, le droit au respect des autres, le droit à la singularité dans la pratique professionnelle dans ce qu’elle a à voir avec le refus de se laisser « dissoudre dans l’AUTRE 6 . J’ai pris instantanément la décision de ne pas lâcher sur mon désir. Aller jusqu’au bout pour comprendre les enjeux de ce changement de décision sans motifs avoués. Ainsi, des deux côtés la question de la décision était centrale. La décision qui, nous dit JP Lebrun dans un article intitulé « Autorité, pouvoir, et Décision dans l’Institution » pourrait être référée au registre du Réel 7 selon l’enseignement de Lacan. Des paroles entendues dans l’enfance que je crois positives et en tout cas qui me poussent à l’action me reviennent en boucle. « Qui ne demande rien, n’a rien », « On n’a rien sans peine » mais ce Rien qui n’est pas Rien et la peine qui doit aller avec, suis-je en mesure d’aller le chercher ? Est-ce l’objet « a » de Lacan, dont la perte nous propulse dans le désir ? Très rapidement j’évacue le doute qui semble vouloir s’emparer de moi. Quelques idées rencontrées ça et là au cours de mes lectures me servent d’appui également « Se maintenir contre vents et marées » Goethe. Le désir ne se commande pas. La vie c’est une lutte, un combat. Sur le chemin de la connaissance de soi, peut-être un passage obligé.

b) Les Auxiliaires

Compter sur moi-même en premier lieu. Ce que je fis. Etre sûr que cette demande n’était pas simplement une demande mais l’expression d’un désir. Le mien. Ce ne fut pas très difficile. La pratique des contes en atelier thérapeutique m’a permis de découvrir l’existence des auxiliaires, ceux-ci ont pour rôle d’aider le héros dans sa quête. Outre les pensées, les idées, les concepts, je fis appel aux représentants syndicaux comme accompagnateurs à un entretien négocié avec un de mes responsables en qualité de Directeur de la Communication, chargée des Affaires Juridiques et des Assistants sociaux éducatifs. Ce Directeur accepta de me recevoir après m’avoir demandé préalablement un argumentaire par l’intermédiaire de mes représentants syndicaux. Par déduction, j’ai conclu qu’elle détenait la clé du problème, car les deux autres (cadre de santé de proximité et cadre socio-éducatif avaient « Vu » pour l’une, et « Transmis » pour l’autre), interrogés sur la question, n’avaient aucune autre réponse que celle d’avoir Vu et Transmis. L’accompagnement syndical me permettait de poser la question du droit et l’argumentaire la question de la demande sous-tendue par la question du désir singulier. A l’approche de cet entretien, une dualité au niveau des sentiments me traverse. Force et faiblesse, justice et injustice, succès et échec etc. Une intuition que je n’ose pas imaginer me guette, me laisse sans voix, me presse sans me laisser le temps de comprendre, comprendre quoi ? Car en effet le temps presse. Nous sommes à cinq jours du début de la formation.

c) Un lieu pour dire

Enfin un lieu pour se dire, parler, écouter, être écouté. On procéda à la lecture des motifs exigés par écrit par le Directeur de la Communication, Chargée des Affaires Juridiques et des Assistants socio-éducatifs au Cadre Socio-éducatif. J’appris que cet avis défavorable émis verbalement était l’œuvre inachevée du cadre socio-éducatif. Elle n’avait pu l’écrire et avait sollicité les bons et loyaux services du Directeur de la communication chargée des assistants socio-éducatifs. C’est en toute logique du respect de l’ordre hiérarchique d’un côté, mais remettant en cause l’avis du chef suprême de l’autre que l’avis a été changé, contraignant par là même le Directeur de la Formation et des Conditions de travail à ne pas pouvoir soutenir sa décision. La lecture de cet écrit mit en évidence un désir infantile de toute puissance à mon égard. Les chefs, c’est fait pour se soutenir même dans des circonstances qui peuvent sembler aussi paradoxales. Dans cette litanie de ne ne, et de ni ni j’ai retenu que « Je ne participais pas aux formations organisées par le service social des malades, devenu service social et éducatif, ni aux réunions du dit service auquel je suis sensée faire partie depuis que ce dernier a été crée il y a deux ans, par le cadre socio éducatif, en plus du service de pédopsychiatrie. Elle énonçait aussi le fait que les assistants socio-éducatifs informés de ma démarche de formation s’étaient plaints auprès d’elle et ne voulaient pas être supervisés par moi ». Le cadre de santé de proximité de la pédopsychiatrie tenait un discours du type « Cette formation est « qualifiante », «n’est pas prioritaire », et « ne présente pas d’intérêt pour l’institution » (la pédopsychiatrie). Ceci, ajouté à des dires circulant dans l’établissement (le CHU) provenant de personnel consultant de la formation continue, et participant à l’élaboration du plan de formation qualifiant ma personne « d’Ingouvernable 8 » soutenant là, ceux qui avaient un intérêt à empêcher cette formation. Pourrait-on voir là un effet de projections des difficultés d’assurer un métier « impossible » ? Face à cette pluie de discours, aussi paradoxaux que fantasmatiques, continuer à penser était déterminant. Je fus appelée à répondre. J’ai considéré cette réponse de ma position subjective. Je fis une réponse singulière, exposant surtout ce qui m’a travaillé pendant cette année de différé à propos de cette formation. Puis sans perdre le fil de ma pensée, j’ai fait un tour rapide de mon parcours professionnel et de mon implication dans la vie institutionnelle. Je ne manquai pas de souligner le caractère abusif attaché à cette décision qui pourrait avoir comme but, l’assujettissement, la sanction. Etait-ce là un effet de transfert, de préjugés par rapport à la supervision, ou encore une question de place ? « Contre les préjugés, nous dit Freud, il n’y a rien à faire. Il faut attendre et laisser au temps de les user. Un jour vient où les mêmes hommes pensent sur les mêmes choses autrement que la veille » 9 . Le Directeur de la communication Chargée des Assistants sociaux éducatifs tout en reconnaissant le bien fondé de ma demande, avoua être questionnée elle-même par la supervision et souhaita que je ne pratique ni en intra ni en extra. Un impossible était alors apposé comme un sceau à la fonction de superviseur en intra comme en extra hospitalier. Ma réponse clairement exprimée et reprenant mon parcours professionnel, fut écouté et apprécié. Cependant un décalage fut remarqué entre mon discours, celui du cadre socio-éducatif, et l’impression personnelle que le directeur de la communication et chargée des assistants sociaux éducatifs avait gardé lors de notre rencontre après sa prise de fonction. Ce décalage dénoua la situation en ma faveur. La magie du « blanc » opérait tout de suite et transforma l’Avis défavorable en Avis favorable. Cette transformation s’est accompagnée des signifiants « Bien, vous êtes Bien, vous » ! Je venais d’entendre une appréciation sur ma personne qui, dans ces moments difficiles ne pouvait que faire du bien au plan narcissique. Etait-ce un signe de reconnaissance ? Reconnaitre que derrière une demande il y a une personne, un désir, un sujet. Les choses sont allées très vite.

REPERES HISTORIQUES ET PARCOURS PROFESSIONNEL

a) L’institution

Le Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile compte sept unités fonctionnelles qui sont chacune sous la responsabilité d’un pédopsychiatre sauf l’Accueil Familial Thérapeutique dont la responsabilité était jusque là confiée à un psychologue du service. Quatre CMP (Centre Médico -psychologique), un CAMPS (Centre d’Action Médico - Sociale Précoce, un hôpital de jour. La psychiatrie de liaison rattachée au CMP, consiste en des consultations en pédiatrie, et aux urgences psychiatriques. Un projet de centre de crise pour adolescents est en cours de réalisation. Le service de pédopsychiatrie du CHU est intégré désormais au pôle Mère et Enfant qui comprend les services de Gynécologie Obstétrique, la Néonatologie, la Chirurgie pédiatrique. L’organisation du pôle prévoit un conseil de pôle, dirigé par un chef de service de pôle, un cadre supérieur de pôle, un cadre de santé de pôle, et un représentant de chaque catégorie professionnelle. La gestion du personnel devenu « polaire » se fera en fonction des besoins, avec comme maîtres mots rentabilité, compétition entre les services, gestion, mutualisation des moyens. Chaque service devra ajuster ses dépenses à ses recettes. L’éclatement de ces différents services, les différences fondamentales au niveau de la nature de l’activité, pourrait amplifier les dysfonctionnements existants.

Le Service Social des malades crée en 2007 à l’initiative du cadre socio-éducatif, regroupe tous les assistants socio-éducatifs, les moniteurs éducateurs, les éducatrices de jeunes enfants, et les agents administratifs. Ce service est intégré dans le pôle Ressources Médicales et Affaires générales. Le personnel socio-éducatif est depuis, rattaché administrativement au Directeur de la communication, en plus du service social des malades et de leur service d’affectation d’origine. Il n’y a pas de véritable collaboration entre ces deux services. Le clivage opéré par ce fonctionnement vient majorer les dysfonctionnements existants en multipliant les discours.

b) Parcours Professionnel

1. Hôpital de jour

Diplômée en Juillet 1977 de l’école d’Educateurs de Buc à Versailles, j’ai intégré l’équipe d’ouverture de l’Hôpital de Jour du service de Pédopsychiatrie du CHU en juillet de la même année. A la création de l’Hôpital de Jour en 77, le service recevait encore des enfants très atteints en hospitalisation continue. Avec une équipe jeune, pluridisciplinaire, une création institutionnelle nouvelle , il était permis de rêver de porter notre pierre à la construction d’hypothèses théoriques pour la prise en charge des enfants en grande difficultés psychiques, psychotiques et autistes. L’institution était soignante et éducative, depuis le psychiatre jusqu’à la femme de ménage, et avait pour mission de permettre à ces enfants d’explorer de nouveaux modes de communication dans leurs relations au monde et avec les autres.

Une grande place était faite à l’utilisation de concepts psychanalytiques pour démêler des situations cliniques. L’ouvrage de Bettelheim « l’amour ne suffit pas » nous avait un peu ouvert la voie. L’articulation de l’éducatif, du thérapeutique et du pédagogique était à la base du projet et faisait l’objet de débats vifs. Une expérience qui dura quinze années et au cours desquelles j’ai beaucoup appris de la relation humaine au contact avec les enfants psychotiques, de leur prise en charge. La psychose, nous dit Freud, constitue une des façons qu’un sujet a pour se débrouiller avec sa condition d’être parlant et pour LACAN elle est de structure. Mais le contact avec la souffrance de l’autre dans ce type de pathologie peut devenir usant si un certain nombre de compensations manquent. De façon générale nous dit Claude Allione « l’usure se compense de plaisir, de l’augmentation du plaisir : soit par les finances, soit par le plaisir du travail, c'est-à-dire le plaisir de créer, soit par le plaisir d’être reconnu ». La création de l’hôpital de jour s’était faite dans un climat de clivage. Celui-ci faisant parti du mythe fondateur, s’est accentué entre l’hôpital de jour considéré comme un lieu d’intellectuels, et l’hospitalisation considérée comme un rebus. De nombreux fantasmes vont alimenter en sous-mains les relations entre le personnel et provoquer des dysfonctionnements institutionnels importants. L’hospitalisation petit à petit choisit un mode de fonctionnement type hôpital de jour, ce qui porta à deux hôpitaux de jour dans le même service. En 1992 le chef de service pressé par l’administration et l’équipe de l’hospitalisation décida la réunification. Cela ne se fit pas sans casse.

2. Lieu de vie pour adolescents

Ce fut l’occasion pour moi d’aller voir ailleurs dans le cadre d’une mise à disposition. J’ai pu enrichir ma pratique de cette expérience de prise en charge d’adolescents en rupture sociale dans un lieu de vie. Une institution fortement ancrée dans la culture, avec un esprit communautaire, et où une place importante était faite à la parole. L’institution, un lieu de vie, se donnait pour mission à partir d’une pédagogie prenant en compte tous les aspects culturels guadeloupéens de réinsérer ces jeunes. La confrontation à la loi, aux règles, aux limites, était à la base de la relation éducative. La position des adultes était difficile à tenir du fait des caractéristiques de cette population, du projet institutionnel lui-même. La place faite à la parole, à l’écoute, et à des séances de régulation d’équipe ponctuelle, ont permis à l’institution de tenir pendant une quinzaine d’années. Elle permettait à toute l’équipe de parler de sa pratique et des relations entre ses différents membres. A cause de divergences importantes entre l’équipe à l’origine du projet et les nouvelles recrues dans le cadre d’une convention signée avec le département cinq ans auparavant, la fermeture fut décidée.

3. Centre Médico-Psychologique

De retour dans le service après une escapade de deux ans, et forte de cette expérience de travail avec les adolescents, j’ai eu l’opportunité d’intervenir auprès d’adolescents dits « en crise ». Un groupe était constitué, sous la responsabilité du chef de service, dans le cadre du CMP pour prendre en charge les adolescents « en crise », hospitalisés ou non. Bien que ce soit un même public, je découvris dans le cadre de la psychiatrie de liaison, des adolescents en grande souffrance psychique, hospitalisés en pédiatrie, psychiatrie adulte, ou suivis en ambulatoire. Cette expérience dura trois ans (1992-1995). Un accompagnement éducatif était à recréer à travers un important travail de liaison qui s’imposait pour prendre en charge des adolescents qui d’ailleurs étaient dans la dé-liaison. Cette expérience fut très enrichissante, et s’arrêta en raison de dysfonctionnements institutionnels majeurs. A l’arrêt de ce groupe après trois années de fonctionnement, j’ai été affectée à plein temps au CMP. Actuellement, et cela depuis 2005, je travaille à mi-temps à l’Accueil Familial Thérapeutique et l’autre mi-temps au CMP. Le travail en CMP se fait auprès d’enfants plus jeunes en prise en charge individuelle et en groupe.

Dans le cadre du CMP je fus à l’origine avec deux autres collègues de la création d’un atelier conte thérapeutique. Inspirées par le travail de Pierre Lafforgue 10 à Bordeaux sur les ateliers contes thérapeutiques, et formées par ce dernier, nous avons, dans un grand vide institutionnel, décidé de créer l’atelier conte. A cet instant du chemin, je m’autorise à faire un petit détour. L’idée du détour me fait penser à ce petit garçon que j’accompagne dans le cadre de mon travail en accueil familial thérapeutique qui, lorsque je le ramène à sa mère, me dit pendant le trajet si on peut faire un petit détour avant d’arriver, emprunter un autre chemin.

Atelier conte

Après une année d’échanges, de discussion, de rencontre, de lectures de contes de chez nous et de notre environnement géographique, nous avons décidé de créer l’atelier conte thérapeutique pour des enfants reçus en consultations de secteur. S’appuyant sur des concepts analytiques, sur nos souvenirs d’enfance de cette nourriture, sur notre plaisir actualisé de redécouvrir notre corpus avec l’éclairage de ces concepts, nous avons bricolé un atelier conte thérapeutique qui nous allait bien. Ce travail d’atelier a duré 9 ans et s’adressait à des enfants « en panne de pensée », en grande situation d’inhibition intellectuelle. Il fut d’une grande richesse, constituait une source de stimulation pour les enfants comme pour nous soignants, et d’entretien de nos capacités de penser. C’était aussi une invitation à la rêverie, à la création et à la recherche de sens. Les textes des contes devenaient pour nous comme un matériel de rêve sur lequel nous –mêmes nous permettions de rêver, comme le dit Bachelard, essayant de découvrir sous le contenu manifeste du récit son contenu latent. Des résultats très significatifs ont permis à la plupart des enfants de remettre en marche leurs capacités individuelles de pensée, d’accéder à une psychothérapie individuelle, d’investir des activités d’apprentissage.

Dès le démarrage de l’atelier nous avons souhaité bénéficier d’une supervision clinique hebdomadaire. Elle était assurée par un collègue psychologue intervenant dans des unités fonctionnelles autres. Ce travail de supervision était l’occasion pour nous de garder vif nos capacités de penser afin d’éveiller et de soutenir celle des enfants. Nous avons également saisi l’opportunité qui nous était offerte par un groupe de réflexion clinique liée à l’équipe de la revue Dérades 11 , d’échanger sur notre expérience d’atelier conte avec des membres de l’association Réciproques 12 intéressés par la question. Nous leur avions proposé un conte à réflexion. Nous avons fait un compte rendu de ces échanges dans un document interne du G .A.R.E.F.P (Groupe Antillais de Recherche d’Etudes et de Formation) paru en février 2001. L’expérience d’atelier conte a donné lieu à la rédaction d’un article. Le conte ne règle rien en lui-même certes, mais les constructions et les élaborations, les mises en sens faites autour de lui contribuent à le rendre opérant. La psychanalyse, nous dit Freud a permis d’apprendre l’importance que les Contes populaires ont acquis pour la vie psychique des enfants 13 . Nous avons décidé d’arrêter l’atelier conte en 2006 pour éviter, entre autre de s’enfermer dans des routines et aussi parce que le cadre institutionnel ne pouvait plus garantir, soutenir l’aspect thérapeutique.

4. L’accueil familial thérapeutique

Crée en 1998, sous la responsabilité d’un psychologue du service, il offre contrairement au reste du service un espace de travail où la clinique est au centre du travail d’accompagnement et la parole au cœur même du thérapeutique. Cette unité fonctionnelle prévue pour six enfants fonctionnait avec cinq professionnels à temps partiel. C’est une offre de soins qui appartient au service et qui est de moins en moins proposée en l’état actuel du projet.

Actuellement, avec un seul enfant placé et avec la volonté de la direction médicale du service, cette structure est menacée de fermeture. Depuis six mois les locaux ont été récupérés. L’Accueil Familial Thérapeutique est réduit à un bureau au CMP. Le personnel restant à mi-temps est réduit au psychologue et à l’éducatrice. Des interventions ponctuelles sont effectuées par l’assistante sociale, la secrétaire, le médecin psychiatre. La question de la responsabilité est sous-jacente mais pas abordée.

Voilà retracée de façon très synthétique mon expérience de plus de trente années à travers des éléments qui ont apparu comme signifiants dans le cadre de cette formation en supervision. Elle est diversifiée sur le plan des pathologies, des lieux de soins et caractérisée par une volonté constante depuis le début d’entretenir l’outil principal de travail à savoir ma personne afin d’aider au mieux les personnes en difficultés qui m’étaient confiées.

1

Figure 1 La vierge à l'Enfant avec Sainte- Anne est de Léonard de Vinci.

Il donne une représentation très parlante du holding. 14

MALAISE ET VERITE

Malaise

Passé le moment d’avoir le sentiment d’être parvenue à réparer une injustice, d’avoir obtenu l’objet de ma quête de nombreuses questions ont commencé à me tarauder. La question de l’autorité, de la décision, du pouvoir, mais aussi la question de la parole, de son usage dans l’institution et l’établissement hospitalier, le CHU. Pouvoir, autorité et décision, trois mots qui se trouvent dans le titre de l’article de Jean-Pierre Lebrun 15 et qui lui semblent pouvoir être référés aux trois registres dans lesquels Lacan fait se déployer l’être parlant, ceux du Réel, de l’Imaginaire, et du symbolique. J’avais du mal à réaliser les raisons exactes qui avaient motivé cette histoire autour d’une demande on ne peut plus singulière. Est-ce le terme même de la supervision qui, renvoyant du côté de l’imaginaire, a déclenché des réactions sur un plan fantasmatique ?

Dans un premier temps, je recherchais les raisons objectives qui pourraient l’expliquer. Sans vouloir me positionner en victime, je considérais tout de même n’avoir aucune responsabilité dans le déroulement de cette histoire. En vérité, j’ai débuté la formation dans un état confusionnel important ayant du mal à faire la part des choses. La question de la confusion, comme nous dit Joseph Rouzel, pourrait être reliée au transfert. Le transfert, un concept clé de la psychanalyse que Jacques Lacan définit comme étant « de l’amour adressé au savoir ». Il constitue avec l’objet et la pulsion, les trois concepts de base que Joseph Rouzel met en articulation pour arriver à cette pratique de la supervision 16 . Une supervision Justifiée par la mise à mal des relations humaines. La formation m’a permis dans un premier temps de prendre de la distance par rapport à ce vécu, du fait de la mise en mots. Certes il y avait un fonctionnement tant au niveau de l’établissement (CHU) qu’au niveau de l’institution difficilement irréprochable, néanmoins la tentation de leur incomber toute la responsabilité semblait facile et éviterait toute remise en cause. Dans un premier temps cela m’a permis de me dégager pour me positionner. Il n’était plus question seulement de rechercher des liens de cause à effet, d’essayer de comprendre les autres à travers leurs comportements, mais surtout de mettre en travail cette situation pour mon propre compte. Ce fut là les premiers effets de la supervision. Il s’avère que j’étais très affectée par cette situation. Ce positionnement qui dans l’après coup, m’apparut celui du sujet me tenait aussi en partie pour responsable. Responsable de mon désir. D’où l’ardeur, la force, l’opiniâtreté avec lesquelles j’ai défendu cette demande de formation. Cette prise de conscience de ce savoir insu qui m’a pressé d’agir autant que le sentiment d’injustice s’est révélée dans l’approche de la théorie psychanalytique du sujet, au cours de la formation. « La psychanalyse fournit la théorie d’un sujet responsable de sa position, de ce qu’il dit, de ses actes, responsable de ce qu’il fait de son inconscient, capable d’en assurer les conséquences après coup » 17 . Cette liberté de se singulariser, de désirer une formation qui bousculait l’ordre des places avait à voir avec ma responsabilité de vouloir bousculer cet ordre-là.

L’élaboration autour de la question de la formation s’inscrivait ainsi dans des histoires qui se sont imposées comme signifiantes. Quand au fil des lectures, je fus stoppée comme un arrêt sur image, par cette définition de l’énigme de Jacques Lacan « L’énigme c’est quelque chose qui me presse de répondre au titre d’un danger mortel », ce fut comme un état de sidération. Cet arrêt de pensée momentané vécu comme une sidération, nous dit Annie CORDIE « est un acte au même titre que l’arrêt de faire » 18 . Lacan dans son séminaire du 25 juin 1963 inédit déclare « L’acte, lui, relève de l’inconscient : « nous parlons d’acte dit Lacan, quand une action a le caractère d’une manifestation signifiante » 19 . Cet arrêt de pensée avait un sens pour moi. Mais dans l’instant je n’avais pas les mots, je ne comprenais pas trop. Impossible d’avancer. Quelque chose m’échappait. Etait-ce une forme de résistance de ma part qui m’empêchait de la saisir ? Etait-ce une résistance qui cachait un refoulement ? Fermer le livre. Peut-être une manière de céder à ce que produit l’énigme à savoir « un appel d’air et un appel d’être ». 20

Attendre. Ce temps de vide, que l’on sait maintenant qui n’est pas du vide, je continuais à le border avec des lectures en lien avec la formation. Pendant ce temps où cette question du danger mortel avait du mal à trouver des représentations dans la chaine signifiante, j’amassais des petits bouts de papier sur lesquels j’écrivais dans l’instant ce qui me parvenait, tout ce qui me semblait border cette question, ce pouvait- être la nuit, réveillée par une idée pertinente, alors je l’écrivais, me disant « ça pourra toujours servir » comme pour Tichika. Le héros d’un conte guadeloupéen qui porte son nom. Laid, mal foutu, il se mariera avec la fille du roi pour avoir osé, et être le seul à répondre à trois questions en ramassant sur son chemin des objets insolites qu’il gardera dans sa poche avec l’espoir à chaque fois qu’ils lui soient utiles pour parvenir à sa fin. Ainsi, me reviennent des situations professionnelles qui font penser à la mort. Mort symbolique bien sûr. Une sensation d’ambiance mortifère à tendance répétitive. Des arrêts qui s’apparentent à des pertes. L’idée d’abandon me traverse. J’étais déroutée, comme effrayée par ce savoir insu qui me parvenait.

Tout s’emmêlait. Comment trouver un bout. Un état de confusion s’est emparé de moi. Difficile de réaliser que derrière une simple demande de formation, comme un en-dessous de la demande, il y avait ce danger, cette crainte, ces peurs de disparaitre en temps que sujet. Ainsi, Je me déplaçais avec dans ma tête ces associations indigestes sur le coup. Question singulière mise en lumière par la supervision. J’en faisais un point de fixité. Les mécanismes de défenses, les résistances ont subi le poids de la parole et n’ont pu empêcher le langage inconscient d’être perçu. L’inconscient « le refoulé » dit Freud, « travaille tout seul, mais encore faut-il comprendre ce que ça dit ». Pour ma part, je considérais comme vraies les motivations avancées à savoir continuer à réfléchir, à évoluer sur le plan de la clinique, avec en ligne d’horizon de développer des capacités d’écoute, d’aide. C’est une évolution personnelle et professionnelle qui me convenait. Mais comment expliquer cette in -tranquillité, cette angoisse qui me guettait depuis que ces associations étaient parvenues à ma conscience. Certes, la pensée, nous enseigne Hegel ne se déploie que du lieu de l’inquiétude ou de l’in-tranquillité. En acceptant de lever ce voile sur ces associations, je découvrais peut-être là, une part de la vérité de ce qui m’a aussi poussé à agir, voire à poser des actes tels que la demande de formation en supervision jusqu’à son aboutissement.

La Vérité

Ce poème sur la Vérité croisé au cours de mes lectures, a retenu mon attention. Le thème du lien du sujet avec la vérité y semble traité.

LA VERITE

Q u’est-ce que la vérité ?

avec un grand

V

Ils nous la placardent

à grands coups de V iolence

De V ictoires, de V iol, de V ertige

de Vi de….

V ide qui nous vide

de T out ?

M ais qui donc es-tu toi

aux paroles étranges ?

J e ne suis rien hélas

Rien de plus que JE

Rien de plus que MOI

Qui chaque jour tente d’être

de plus en plus

JE

De plus en plus MOI

de plus en plus

VRAIE 21

Ainsi comme le soutient FREUD 22 le rapport de chacun à sa vérité est toujours singulier. Au de-là de motivations objectives il y avait bien un danger refoulé qui était la crainte d’une mort symbolique, après ce vide crée par toutes ces pertes, ces arrêts, ces disparitions, les risques d’extinction du désir, de sombrer dans cette organisation massive à venir, écrasant la clinique sur son passage, et par là même ce qu’il y a d’humain dans notre travail. Le cadre de la supervision a permis le surgissement de ce qui était réellement en jeu (en-je) dans cette histoire de la demande. Cette rencontre fut déterminante dans la révélation de cette crainte de mort que je ne pouvais refuser de voir comme étant un élément important de la demande, et en lien avec une part de responsabilité. Cette vérité libératrice, m’a permis de défaire mon texte inconscient et imaginaire pour redécouvrir le vrai point de départ de l’ordre symbolique. « Car la vérité s’y avère complexe par essence, humble en ses offices et étrangères à la réalité, insoumise au choix du sexe, parent de la mort et à tout prendre, plutôt inhumaine » 23 . Le thème de la vérité est ainsi lié aux thèmes de mort et d’inhumanité, car l’ordre du langage s’édifie sur la mort des choses, et la vérité du sujet se conquiert sur les rôles, sur les masques, sur les personnages prétendument humains. La vérité comme on le constate se dévoile si nous acceptons d’aller voir derrière les masques, de ne pas se contenter de l’évidence, ou d’une compréhension trop rapide. La vérité nous dit Lacan « ne saurait s’énoncer que d’un mi-dire » 24 . Outre cette forme du mi-dire à quoi se contraint la vérité, il y a cette division du sujet qui en profite pour se masquer nous dit encore Lacan. Notre position de sujet nous sommes responsables nous dit FREUD. Ce ne sont pas des réponses car si l’on en croit le poète Maurice Blanchot « la réponse à la question c’est le meurtre de la question », mais des hypothèses de sens qui paraissent plausibles

Le terme de supervision 25 remplacée par celui d’instance clinique dans le cadre de la formation dispensée à « l’Institut de Psychanalyse et Travail Social » permet de passer d’une clinique du regard à une clinique de la parole. Ainsi cette formation s’appuyant sur les théories psychanalytiques nous permet de connaître un peu de nous-mêmes, et a permis un effet de parole sur une pratique qui était devenue routinière, presque inaudible. Une parole. Des mots opérant comme par magie, qui, nous dit Freud « sont bien l’outil essentiel du traitement psychique ». Parler répare 26 . « Parler exige un dessaisissement, une dé-sidération, une déprise, un décollement du réel, met en acte un détour, un écart obligé » 27 . La parole telle que pratiquée dans le cadre de la supervision, a permis cette distance nécessaire à l’élaboration. Si c’est en mots ce n’est pas en moi. Cette parole retrouvée a satisfait ce besoin de compréhension, mais surtout besoin d’apprendre. Apprendre d’abord sur moi. Ainsi, la mise en mots dans l’espace de supervision, de situations vécues, pourrait s’apparenter à un traitement psychique qui a eu un rôle libérateur pour moi. La parole telle qu’elle est mise en suspens dans l’instance clinique, premier temps de la séance de supervision que nous avons expérimentée dans le cadre de la formation, oblige à avoir une écoute active de l’autre parlant en étant attentive aussi bien à l’énonciation qu’à l’énoncé et opère un déplacement. Un déplacement qui intervient dans l’après coup et qui permet grâce à la parole de découvrir une part de nous-mêmes masquée par des émotions. Peut-être une part de vérité. Celle qui dans l’occasion a fait surgir ce signifiant, la mort. « La vérité cela s’éprouve » 28 .

En effet, un éprouvé difficile entourait cette démarche de formation. Les deux premières sessions, grâce à la parole avaient en grande partie commencé à me libérer de la charge émotionnelle qui y était attachée. Mais cela n’empêchait pas l’inconscient de continuer à faire son travail, en sourdine. Un savoir était là qui m’a poussé à agir. Ce « savoir qui ne se sait pas », dit Lacan. La supervision est intervenue dans le sens de permettre de prendre de la distance, du recul. La supervision permet un déplacement de ce qui nous affecte, en opérant un déplacement de l’affect elle permet au professionnel de se repositionner 29 . L’effet de la parole retrouvée en formation m’a permis de mettre bout à bout ces morceaux de vie professionnelle qui sont en grande partie, le fruit d’associations et m’a permis de ramener à la conscience ce savoir qui, quand il arrive vous déroute, avant de vous libérer. « La plupart de nos actions journalières nous dit Freud sont l’effet de mobiles cachés qui nous échappent. Il rajoute que « Derrière les causes avouées de nos actes, il y a sans doute les causes secrètes que nous n’avouons pas, mais derrière ces causes secrètes il y en a de beaucoup plus secrètes encore, puisque nous-mêmes les ignorons » 30 . C’est en cela que la supervision qui est d’abord un travail sur soi, commence à éclairer dans l’après coup ces mobiles qui nous échappent. Je croyais les intérêts et les enjeux de la formation en supervision tout à fait clairs. Toutes ces craintes, pouvant aller jusqu’à celle de la mort, fut-elle symbolique au lieu de me freiner ont servi à soutenir mon désir. Cette prise de conscience ne s’est pas arrêtée là. Elle m’a renvoyé à des choses plus profondes et personnelles que je ne puis développer ici. En ce sens ce savoir insu avait un lien avec la vérité. La vérité du sujet. Celle dont nous dit encore Freud « En psychanalyse la vérité n’est pas un contenu, un énoncé de savoir, mais la position du sujet par rapport à ce qui cause son désir et qu’aucun savoir ne peut dire » 31 . Cette demande je la comprends maintenant comme un désir de rester en vie, alerte. La supervision serait cette possibilité de s’extraire de cette ambiance vécue comme mortifère. A chercher les causes de ce qui nous arrive dans l’autre nous fait passer à côté de cette connaissance de soi nécessaire si l’on veut aller vers l’autre. Ce travail a été pour moi surtout l’occasion de marquer les transformations et bouleversements qui se sont accomplis au cours de ce chemin, un repositionnement. Les mots, nous dit FREUD sont l’outil essentiel du traitement psychique 32 . Poursuivre serait me répéter. Sachant que tout ne peut être dit j’ai donc décdé (j’ai laissé le lapsus) d’arrêter le fil ici non pas en le nouant, mais en le laissant en attente pour de nouvelles élaborations. Les associations qui se sont tissées entre mon expérience professionnelle, mon vécu des dysfonctionnements institutionnels, mes craintes, mais aussi les désirs, pour venir border cette question du danger associé à cette demande de formation ne sont pas des réponses formelles mais ne sont pas non plus le fruit du hasard. Elles ont constitué des points d’appui pour des tentatives de mises en sens valables singulièrement. Pour leur mise en récit j’ai opté pour cet agencement. Et ça a donné cela. Lorsque quelque chose s’est clarifiée il n’y a plus besoin d’en parler. C’est ce sentiment d’apaisement que j’ai ressenti une fois ce malaise élucidé par la parole et maintenant sublimé par l’écriture. En vérité, l’engagement dans cette aventure relevait sans doute d’une question de vie ou de mort. La vérité est là, encore faut-il créer les conditions de son élaboration.

Cet écrit n’a pas été facile. Il s’est révélé être une véritable introspection. Le désir étant à la base de la construction du sujet, il était important de ne pas y renoncer, en tout cas, pas à n’importe quel prix. Platon dans La République , VII, 537 ne nous disait-il pas déjà que, pour apprendre, le désir devait être libre ? Aussi, le désir ne se commande pas. En temps qu’éducateur qui avons la mission d’accompagner des personnes en difficultés dans l’accès à leur désir, comment pourrions-nous le faire si nous acceptons d’être des moutons de panurge ? Et pour paraphraser Joseph Rouzel « l’éducateur doit se dégager de l’idée d’imposer un savoir à l’enfant pour son bien ».

De même, je pense que l’éducateur doit refuser tout savoir qu’on lui impose sur ce dont il a besoin pour exercer son métier. L’objet de travail mis en avant par la supervision est notre relation avec les usagers. Cette relation éducative est inhérente au transfert. Ainsi le recentrage sur la question du transfert s’avère essentiel dans le cadre de la supervision. La supervision crée cet espace où on est affecté par ses découvertes. Et c’est important dans le champ de l’activité humaine. Mais c’est pour mieux dépasser ce malaise, voire désencombrer l’espace symbolique. Puisse la supervision par le repositionnement qu’elle provoque, nous permette de garder vifs nos capacités de penser, de rêver, de nous révéler à nous-mêmes, découvrant ainsi chacun une part de sa vérité, celle du sujet ?

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Autre : avec une majuscule, « l’Autre » désigne ce que le sujet rencontre de radicalement différent, au-delà de l’imaginaire. L’ « Autre » c’est encore ce lieu où l’on situe ce qui détermine ou cause le sujet tout en lui étant antérieur(le langage) ou hétérogène(le réel), Marie-Jean Sauret, Freud et l’Inconscient , les Essentiels de Milan.

Le Réel se présente comme cet impossible à rejoindre, dans Lacan, le retour à Freud , de Michel Lapeyre et Marie –Jean Sauret.

Sigmund Freud, Jeunes en souffrance (August Aichhorn) énonce qu’il y a trois métiers impossibles : « éduquer, soigner, gouverner ».

Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse , Petite bibliothèque, Payot.

Pierre Lafforgue, Petit Poucet deviendra grand, Mollat Editeur.

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Franck Chaumont, Anne Cornu, Pascale Hassoun, Kathy Saada et Hervé Trolonge, tous psychanalystes travaillant à Paris. Le but de l’Association Réciproques était d’interroger les différents concepts analytiques soutenus dans la direction de la cure à partir d’échanges avec des psychanalystes antillais et magrébins.

Sigmund Freud, Résultats, Idées, Problèmes , Tome 1, page 215.

Claude Allione, La Part du rêve dans les institutions page 104-105. Il nous donne une description de ce tableau et explique le lien avec le terme Holding que Winnicott employait dans l’un de ses premiers articles de psychanalyse de l’enfant en 1945.

Joseph ROUZEL, la supervision d’équipes en travail social , p.XVI, Dunod.

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Cité dans Anny CORDIE, Les Cancres N’existent pas , page 211.

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Le terme de supervision est issu du latin classique et se découpe en super, « au-dessus, par-dessus, d’en haut », et videre qui plonge son origine dans une racine européenne : « weid » : voir, mais aussi être témoin de, constater, voir avec les yeux de l’esprit, voir par la pensée ou l’imagination, juger examiner. La Supervision d’équipes en travail social, page 55 Joseph Rouzel, Dunod.

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Christine Alberti et Marie –Jean Sauret , la Psychanalyse . Les Essentiels Milan.

Sigmund Freud, Résultats, Idées, Problèmes T1, page 2 ;

Commentaires

insistance de la lettre

ce n'est pas Jean-Pierre Labrun, mais Jean-Pierre Lebrun...
D. Pendanx, praticien de la sous-vision.

 

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