La fonction d’ « accompagnant » et ses effets
sur l’apprentissage et la socialisation
de l’adolescent autiste en milieu scolaire
Dans la cour se dresse un prunier,
Mais petit à se récrier.
Tout autour un grillage
Interdit les parages.
Ce petit ne peut pas grandir.
Grand, il voudrait le devenir.
Mais vrai, pour tout conseil,
Il manque de soleil.
Un prunier ? on pourrait le nier :
Où est la prune que l’on cueille ?
Pourtant c'est un prunier,
On le voit à ses feuilles.
1
Bertolt Brecht
« Monsieur, je vous renvoie vos prunes »
2
Degas
Depuis la loi du 11 février 2005 relative à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le handicap est envisagé dans sa dimension sociale, c'est-à-dire en prenant compte la situation du jeune dans son environnement. Yves Michelon précise, bien avant la loi, que lors de cet accompagnement « tout au long de la vie », « (…)
c'est le milieu physique et humain qui s’adresse en premier lieu à l’enfant, à l’adolescent, l’adulte avant de s’adresser à « l’autiste »,
et qu’il s’agit de : «
ne pas réduire la personne à son syndrome
».
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Il s’agit de coordonner les divers lieux de vie et d’accueil de ces personnes en situation de handicap, et de favoriser leur scolarisation dans des classes adaptées ou ordinaires, l’inclusion en milieu scolaire préparant de ce fait, l’insertion sociale et professionnelle. La création de lieux, tels que les ULIS, en lycée depuis 2010, «
proposent aux élèves des modalités de scolarisation plus souples et plus diversifiées sur le plan pédagogique que celles que proposaient les unités pédagogiques d’intégration (UPI) depuis 1995 au collège
»
4
-
De l’intégration à l’inclusion scolaire
En 2015, nous avons un certain recul depuis la mise en place de cette inclusion en milieu scolaire qui montre, parallèlement à l’expérience acquise, ses premiers effets bénéfiques et négatifs qui, loin d’être améliorés ou corrigés, sont accentués, par un nouveau système de régulation des liens entre l’élève et son(ses) accompagnant(s).
Les effets bénéfiques pour ces adolescents sont de tisser des liens sociaux hors des temps familiaux, d’approfondir leur socle de connaissances, de valoriser leurs compétences, de les rassurer sur leur possible entrée en vie active aménagée. Ils sont accompagnés par des AVS, Assistante de Vie Scolaire, travaillant sous la responsabilité d’un enseignant coordinateur,
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en lien lui-même avec une équipe pluridisciplinaire (MDPH) qui met en place un PPS (Projet Personnalisé de Scolarité). Ce PPS indiquent la qualité de la prise en charge de l’élève du point de vue médical et scolaire, les mesures et les adaptations à prendre, à redéfinir selon les besoins pour améliorer l’apprentissage.
«
A partir de l’école maternelle et primaire, [l’intégration scolaire] s’est ensuite prolongée au collège puis au lycée, avec la création des unités pédagogiques d’intégrations (UPI). Dans de nombreux cas, elle fait aujourd’hui la preuve de son efficacité, tant dans le domaine de la socialisation que dans celui des apprentissages proprement scolaires où, à conditions d’utiliser des méthodes adéquates, plus de la moitié des autistes, révèlent d’authentiques compétences et peuvent apprendre à lire, à écrire et à compter
».
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Nous voyons actuellement les effets négatifs de l’inclusion, liés à cette adaptation, qui de façon étonnante, prennent leurs diverses sources depuis l’endroit inattendu de la linguistique et de ses contorsions … L’inclusion comme son nom l’indique, renferme…
§ L’Accompagnant
AVS, AED, AEDM, AVSi, AVSM… ces désignations nomment les personnes, sous différents contrats avec l’Etat qui accompagnent ces élèves sur le terrain de la classe, du cours, de l’étude. Ces termes, comme tout langage, se modifient, s’enrichissent, se dénaturent, au cours des ans, au fil des décrets, des lois…
Ainsi, sur son bulletin de salaire un(e) assistant (e) d’éducation et de scolarisation (AED)
lit, depuis le 1
er
décembre 2014, à côté de « Emploi » : « Accompagnant Elève Handicap » soit AESH, (Accompagnant d’Elève en Situation de Handicap). Nous interrogeons cette nouvelle dénomination en comparant les termes.
L’assistant (de l’Assistant d’Education et de Scolarité), est «
celui ou celle qui seconde quelqu’un, qui apporte de l’aide.
»
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L’accompagnant (d’Elève en Situation de Handicap), «
personne qui accompagne un malade à l’hôpital, lui rend visite
».
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Nous nous étonnons à la fois de cet emprunt au registre du médical dur, renforcé par : la « Situation de Handicap » et de la vacuité du terme mis dans le contexte pédagogique, qui tend à effacer les différences entre les élèves…
Hors de ce registre, « Accompagnant » n’existe pas seul dans la langue française. L’Education Nationale crée un nouveau mot lié à une nouvelle fonction. Par contre, « accompagnateur (trice) » existe : «
Personne qui accompagne, guide, ou dirige un groupe
».
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Nous hésitons à comprendre le primat de ce choix comme une erreur ou un manque de connaissances de l’Institution qui les garantit et les dispense. Ceux qui élaborent lois et décrets, maîtrisent parfaitement la langue française et ses subtilités.
Ainsi, utiliser le terme « accompagnant » au lieu d’ « accompagnateur » ou d’« assistant », c'est créer une forme de stigmatisation et de « hors-droit » (G. de Lagasnerie). Cette zone, ainsi définie, spatialement par les murs ulisiens, entretient des attitudes de harcèlement, de manipulations diverses, des consensus non-dits, de contrôle permanents tels que l’enregistrement des élèves et des AVS et leur retranscription écrite, sans leur consentement. Elle ouvre aussi la porte à une contre productivité du fait de la désacralisation du métier.
« Accompagnant », (participe présent), c'est la fonction et non l’être qui s’incarne dans cette participation au présent. C'est la fonction se faisant et non l’être-étant (le
Dasein
, Heidegger). L’accompagnant est la fonction qui accompagne l’élève. Il n’est pas la personne qui aide, qui l’accompagne et le guide. Ce statut, institué par l’Education Nationale, est vidé de son sens premier. Il est désincarné, déshumanisé. L’accompagnant est un outil limité à sa fonction.
Ce qu’il est, homme, femme, la personne dans sa singularité, son historicité, son expérience sociale et professionnelle qui l’ont conduit là, dans sa prise de fonction, tout ce qui fait qu’il est cette personne-là qui assiste, aide et guide le jeune handicapé, sur le terrain, dans ses apprentissages scolaires, celui-là devient isolé, effacé, s’efface jusqu’à disparaître, lorsqu’il est informé et non convoqué aux réunions des PPS…
D’où le trouble, le flottement général, voire le malaise, ressenti par bon nombre d’individus assistants de vie scolaire, devenu accompagnants d’une équipe déconstruite et fantôche sous la responsabilité d’un cadre en ULIS aux manettes de commandes multifonctionnelles. (Gestion des emplois du temps, des présences, coordination entre les acteurs de l’inclusion, etc.)
Le cœur du réacteur d’où les assistants de vie scolaire et d’éducation puisaient leur énergie et la partageaient, s’est déplacé.
-
La méthode de déstructuration
«
La déstructuration, mise en place à l’ULIS du lycée de Canet, fonctionne très bien
».
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La physique de la relativité nous enseigne que tout atome d’énergie se fissure en se déplaçant.
Cette « déstructuration »
,
comme modèle,
cible la diffraction de l’action des accompagnants sur les différents emplois du temps des élèves, aux pathologies et histoires de vie différentes. La mutualisation permet de suivre 4 élèves scolarisés en même temps, sur un temps maximum en terme de présence. Ces élèves autistes Asperger, et/ou polyhandicapés, « bénéficient » depuis cette désorganisation, au jour le jour, et de façon hebdomadaire, souvent «
au pied levé
»
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, d’une modification de l’accompagnement, au gré des fluctuations présence/absence des accompagnants, qui, nous l’avons vu, font fonction de fonction et non de personne.
«
Il en est de même pour le comportement en société qui n’a, chez eux, aucun caractère spontané. D’où la nécessité de leur établir un emploi du temps rigide qui prévoit tout et qui doit être suivi de façon obsessionnelle.
»
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Le professeur Hochmann précise, plus en avant :
«
Dans cet ordre régulier, de petits changements sont introduits mais en les dosant, en fonction d’évaluations fréquentes, qui permettent de mesurer le développement
»
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Permutable, fragmentée, soumise aux aléas des effectifs, la relation sous l’effet de la mutualisation, n’autorise qu’une faible implication du personnel et inaugure aucun projet à moyen terme. Nous questionnons le bien-fondé de la désaffection du binôme 1 assistant, personne aidante pour 1 ou 2 élèves personnes-handicapées combinée au turn-over des accompagnants selon les apprentissages.
La personnalité de l’accompagnant, s’ajustant au mieux à celle de l’élève dont il a la charge au fil du temps, n’est pas indissociable de la pathologie spécifique et du développement (progrès, régression, stagnation) de ce dernier. L’adaptation réciproque est souvent émaillée, comme toute relation humaine, de défiance, alors que la confiance et le « confort » relationnel semblent s’être engagés. Nos élèves sont des êtres hypersensibles à tout changement.
L’Institution justifie cette déstructuration programmée, visible par les changements répétitifs des emplois du temps des divers accompagnants, par «
le souhait des parents afin de mieux les préparer à la vie professionnelle ».
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Les professionnels du milieu médico-social et éducatif s’accordent, eux, à la notion d’un préalable acquis, basé sur l’autonomie, la capacité à anticiper et à gérer l’angoisse face aux imprévus. Bons nombres d’élèves en situation de handicap, grâce à la proximité d’une personne (ou plusieurs) avec qui ils ont réussi à tisser des liens y parviennent ; notamment par l’accompagnement en stage en entreprise.
Mais avant de projeter « vent debout » ces gamins dans la vie professionnelle, riche en temps désordonnés,
in-situ
, qui peuvent devenir bénéfiques s’ils sont repris et expliqués, il convient de consolider leur développement, hors contrainte. Sur le chemin de l’autonomie et de la pacification d’eux-mêmes avec le monde environnant, ils ont besoin de repères, de sécurité, de limites et de pérennité. Quant au milieu ambiant et aux liens crées, engagés de part et d’autre, c'est par la stabilisation et la régulation tout au long de son parcours qu’une confiance s’installe et que nous pouvons commencer à travailler. C’est de l’influence importante des sensations extra corporelles que peut émergé le sujet, quand les angoisses liées sont minimisées par un halo affectif sans être passionnel.
« L’environnement doit être ordonné, prévisible, calme, avec des aires délimitées en fonction des activités »
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Ce qui devrait être une mesure d’exception, (le remplacement d’une personne par une autre pour absence temporaire) devient la norme sans consensus. Cette mise à la norme, « au pied levé », produit fortement du sens sur des notions d’urgence, de nécessité et de soumission, quand elle s’impose à l’élève, aux professeurs et à la classe, via le changement de l’accompagnant, sans concertation, ni contestation possible. Elle ruine la structure interne de l’Ulis, par un sentiment d’équipe lacunaire et un manque de partages d’expériences puisque tout est toujours fluctuant pour tous. Elle dépossède de plus, les acteurs-accompagnants de toute prise d’initiatives collectives, constructives. L’exception, devenue norme en tant que mode de fonctionnement interne répétitif, justifie des prises de décision arbitraires et la manipulation.
Nous pouvons prouver grâce aux mathématiques, qu’il est plus difficile de remplacer un accompagnant mutualisé, qu’un assistant individualisé. Au gré des situations instables que cela engendre, l’effet Dominos produit
al fine
, épuisement, stress, déconcentration, démotivation, chez chacun des accompagnants désabusés, désavoués, concernés par cette destructuration.
Quelle implication peut-on en attendre ? La destructuration des emplois du temps, l’aide humaine mutualisée, l’impermanence de l’accompagnement qui change de figure comme de chemise, est porteuse de déstabilisation co-latérale et met en péril la relation de confiance lentement élaborée et toujours fragile, avec des élèves.
Elle met à mal, les progrès dont savent faire siens, ceux-ci, dès lors, qu’ils sont reconnus en tant qu’être pensant. C'est faire fi de leur présence au monde.
«
Il faudrait commencer par penser ces enfants pensant
»
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Cette disparition progressive de l’être au monde et de sa capacité à créer du lien, préfigurent la mise en place d’autres structures, telle que les écoles ABA, où chaque jeune autiste, est isolé dans un box, étudiant à son bureau, lié à l’Institution par un contrat de travail de rendement individualisé. Quid de sa socialisation par le lien humain ?
L’accompagnement, dans le milieu de l’autisme et de la psychopathie, ne s’improvise pas et n’obéit à aucune logique économique.
Ce n’est pas le souci d’un cahier des charges, lié à la gestion du personnel et à une exigence de résultats qui doit supplanté et sapé notre travail en profondeur, si sensible dans ce milieu du handicap. Nous nous méfions de la mérito-pédagogie qui implique la course à la réussite jusqu’auboutiste et favorise les rivalités au lieu de la concorde. Une Ulis n’est pas une entreprise.
Pour conclure, nous pouvons nous interroger sur l’effet réel de ces nouvelles mesures et «
adaptations pédagogiques
» sur la qualité de notre travail engagé auprès de ces élèves et nous révolter contre ce genre de phrases acides, irrecevables, entendues lors de l’une de nos formations, recommandée mise en œuvre par l’Education Nationale :
« Je suis passée par la psychanalyse et la psychiatrie, mais maintenant je doute que les autistes aient un inconscient ».
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Que répondre à cette dame ?
Que l’inconscient est le domaine du psychisme échappant à la conscience et influant sur les conduites d’un sujet…
Que même les chats rêvent… et qu’il s’agit là d’une réflexion « hors-droit », car irrespectueuse de la personne humaine, ces gamins étant considérés non pour des sujets de droit, mais pour des prunes…
Fabienne Potherat
Docteur en études psychanalytiques
« Accompagnant » Elève Handicap.
Mars 2015
Bertold Brecht,
Poèmes
, trad. M.Regnaut, Paris, L’Arche, t. IV, 1966, p. 29
Lettre de Degas à Manet
, 1867, in
Manet
, Regards sur la peinture, n° 9, Ed. Fabbri , 1988, p. 18.
Yves Michelon est directeur du MAS « Les Hirondelles » de Tarbes et co-directeur de l’ADAPEI 65.
Recommandations pour les bonnes pratiques et guide des procédures
, Sésame Autisme Languedoc, Mas de la Sauvagine, Vauvert, septembre 2008.
C.H.,
Renata Ferreira : tisser du lien avec l’élève
, in Valeurs mutualistes, n° 289, mars/avril 2014, p.15.
“ Le coordinateur de l’ULIS,
(Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire)
est un enseignant titulaire du Capa-SH ou du 2CA-SH. C’est le spécialiste de l’enseignement auprès d’élèves handicapés, donc
de l’adaptation des situations d’apprentissage aux situations de handicap”
[5] (Nous soulignons
), ibid
.
Jacques Hochmann,
Histoire de l’autisme
, éd. Odile Jacob, 2009, p. 386.
Membre honoraire de la Société psychanalytique de Paris, professeur émérite à l’Université Claude-Bernard, médecin honoraire des Hôpitaux de Lyon, Jacques Hochmann a diagnostiqué, orienté et traité des enfants et adolescents autistes ou psychotiques.
(Notice bibliographique).
Dictionnaire Hachette encyclopédique illustré, 1996, p. 123.
Ibid.
Idem
.
Luce Vidal, coordinatrice de l’ULIS, lycée Aristide Maillol, Perpignan.
Ibid.
Jacques Hochmann,
opus cité
, p. 261.
Ibid, à propos de la méthodeTEACH, p.445.
Luce Vidal.
Yves Michelon,
op.cité.
idem.
Armande Perrier, formation des AVS, 2014/2015,
Troubles du spectre autistique et scolarisation
, Lycée Pablo Picasso, Perpignan. Ce module fut présenté pour : “
Mieux connaître les divers troubles et mettre en place les aménagements et adaptations pédagogiques. Etre capable de mettre en œuvre
les aménagements et adaptations pédagogiques pertinents
.
(…)”(Nous soulignons)