Un thème secoue le Forum de
Psychasoc
: « Psychanalyse, femme, féminité ? ».
On
ne se prive pas même d’y traiter «
d’idiot
» S. Freud. En gros,
on
reproche à Freud des propos misogynes, phallocrates. Si
on
s’autorise
aujourd’hui
– et pas hier ! - à le traiter ainsi, c’est que nos
valeurs
ont, depuis l’époque freudienne,
changées
– certains imbéciles diront :
évoluées
. Et à très juste titre,
on
ne peut plus tolérer, dans une civilisation qui prône l’égalité entre « hommes » et « femmes », un quelconque quidam proférant des propos diffamants et infamants à l’endroit des dames.
Si cette conséquence Freud ne l’attendait probablement pas ni l’escomptait, il convient néanmoins de remarquer que son invention de génie (la psychanalyse) a fait vaciller ou, plutôt, pour être plus vrai (Révolution Française oblige), a accentué, radicalisé le vacillement des «
semblants
» familiaux, sociaux, culturels, religieux et politiques. Plus précisément, il a ramené ces
valeurs
anciennement
fétichisées
(famille, société, religion…) - assujettissant les hommes, les maintenant enchaînés, en pécheurs ou en coupables, à des présumées
forces
naturelles
, et justifiant ainsi la domination et l’oppression patriarcales - à de simples «
semblants
» (même si le mot de «
semblant
» est, comme on le sait, de J. Lacan). Il a révélé le secret de ces valeurs : ce ne sont, somme toute, que de simples
traits d’identification
qui varient, changent, fluctuent, choient et, en fonction des saisons et des climats politiques, se font remplacer par de « nouveaux ».
On
adopte, par ailleurs, ces traits pour mériter l’amour de l’Autre : l’Autre me regarde, donc, afin de paraître aimable à ses yeux, j’agis en empruntant le chemin que cet Autre me dicte et m’assigne ; je parle en ayant « le regard de l’Autre en bouche » ; je regarde au travers du « voile » ou du « prisme » de l’Autre ; je sens au travers du filtre de l’Autre ; etc. « Je est un Autre. »
Bien entendu, ces « simples » traits d’identification – bien que symbolico-imaginaires - ne sont pas sans effet dans le Réel. Les grandes barbaries qui ont ensanglantées, par exemple, le 20ième siècle ne l’ont été, en effet, que de par l’attrait mortifère de ces traits mêmes. Ces traits ont donné à croire – donnent à croire – qu’ils
manifestaient
– manifestent - l’Être même de l’Homme. «
Je suis
français.» Être (« Je suis… ») et Signifiant (« …français. ») semblent se confondre, faire
Un
, alors qu’Être et Signifiant forment deux entités distinctes, « étrangères » l’une de l’autre : si l’Être dénote en effet un « parlêtre » - un corps qui « jouit » - fondamentalement « séparé » de l’Autre (comme « trésor des signifiants »), le Signifiant, quant à lui, trahit plutôt la présence d’un « sujet » « aliéné », « représenté ».
Alors, aliénation
vs
séparation ? Être
vs
Signifiant ? En fait, pour les êtres parlant, l’une (l’aliénation) ne va pas sans l’autre (la séparation) : l’Être est certes
représenté
par le signifiant (aliéné), mais il n’est jamais
présenté
par le Signifiant (séparé). Il n’ y a donc de séparation que là où il y a aliénation. (Nous tairons volontairement cette complexification lacanienne : « l’objet petit a » comme « lien » ou « pont » entre l’Être et l’Autre.)
Alors, si le choix du sexe n’est que le choix d’un trait d’identification ou d’aliénation ou de représentation, qu’est-ce dès lors qu’
être
une femme ? Être une femme, pour reprendre Butler, n’est-il donc qu’une aliénation signifiante ou un « masque social » ? Si oui, qu’en est-il des lors de la « jouissance féminine » ou de
l’être-femme
?
Avant de tenter de répondre à cette question, disons d’abord ceci.
Faut-il confondre
la
présence
des traits idéologiques et spectaculaires actuels liés à
ce qu’une femme veut dire
– nous y reviendrons - avec ce qui détermine leur éclosion : la fondamentale déliaison (ou absence) signifiante de l’
être-femme
? Et si ces traits (véhiculés par les magazines, les médias, les politiques, les sexologues…) n’étaient, au fond, que des moyens de dompter, domestiquer, de faire taire ou de
redresser
(comme un phallus)
la jouissance
ou
l’être-femme
, soit de le «
normâliser
» - le rendre mâle ?
Heidegger ne nous dit-il pas que la modernité se caractérise non seulement par un fondamental «
oubli de l’Être
», mais aussi par une «
volonté de puissance
» qui réduit l’étant ou les « choses » (y compris les hommes) en totalité à de simples «
matières premières
» à déchiffrer, à exploiter, à produire, à reproduire, à cloner, à « euthanasier », etc. ? Mutatis mutandis, et si, au fond, notre actuelle civilisation « nihiliste », « spectaculaire », « hédoniste », « falsificatrice du réel », « pornographique », « perverse », « technique », supposée « émancipée », «libérée » des affres, « limites », « restrictions », « conformismes », « refoulements », « castrations », « surveillances » et « punitions » de la « sexualité » d’antan n’était, somme toute, qu’un foncier « oubli » (un refoulement, un déni, une forclusion ?) de cet l’Être qu’est ce «
trou
» ou «
néant
» contenu dans la « structure langagière» : l’absence du signifiant :
La
femme ?
Notre civilisation techno-scientifique «
veut le rien
» plutôt que ne «
rien vouloir
» ! Suspendre son « vouloir », c’est ce dont elle a horreur ! Plutôt la « mort » - la destruction, une planète « poubelle », polluée, asphyxiée, dévastée … - que l’absence de « vouloir ». C’est une civilisation
phallique
à la pulsion mortifère qui ne se satisfait pas seulement de «
se mordre la queue
» comme le disent gentiment certains, mais qui va jusqu’à
manger sa propre queue
, son
propre corps
jusqu’à en arriver à dévorer
sa propre
tête
! Et cette
tête
, elle l’a déjà et malheureusement entamée ! D’où son absence indéniable de pensée ! Mais qu’on se rassure : la techno-science éprise d’un
toujours plus
, le discours acéphale de la techno-science est en voie de dévorer d’autres
têtes
, d’autres planètes ! Elles sont déjà sur son collimateur cannibalesque ! Voilà l’avenir, l’horreur qui se dessine à nous!
Continuons ! La « sexualité » d’aujourd’hui se réduit à une « conception bouchère » (P. Legendre) de l’amour, du désir et de la jouissance des « êtres parlants ». Cette « sexualité » là est assurément une « euthanasie » de l’amour, du désir et de la jouissance des « parlêtres ». Notre civilisation réduit l’amour à une « marchandise » offerte aux clients sur les comptoirs des sites de rencontre; l’Objet du désir à l’objet de la demande (donc du besoin) et la jouissance à un « grognement animalier ».
Basta
donc la « rencontre » amoureuse et son essentiel « hasard » !
Basta
donc cet absent de tout bouquet : l’Objet du désir ! Et
basta
la jouissance qui affecte le corps du « parlêtre » !
A quoi, par ailleurs, se réduit «
Femmes d’aujourd’hui
» ? Posons (très loin de toute prétention d’exhaustivité) – et que ces femmes nous pardonnent déjà : à une midinette anorexique qui se fait « cause du désir » masculin ; à une « militaire » (d’entreprise politique ou industrielle) qui rivalise sur les plates-bandes des
hommes
; à une hystérique qui « fait l’homme » et/ou qui réclame « un père » sur lequel elle puisse « régner » (ménage, cuisine…) ; à une « féministe » assoiffée de s’aligner sur « Les droits de l’
Homme
» ; à une « mère » qui prend son homme pour une « hommelette» et/ou pour un môme à « éduquer », « allaiter », « choyer », à « cuisiner » et à « tenir en laisse »; à une « mère » qui se « complète » de ses « enfants » et qui en oublie son statut de « femme », « d’épouse »; à une « grande matrice » reproductrice ; aux intérieurs d’un « vagin » à en faire « bander» les caméras; à un « fichu » ; à une « nudité » ; à une « bourgeoise » gérant les « comptes » du ménage ; à des «
trous
» à défoncer par l’instrument phallique… . Chercher donc
l’Autre jouissance, l’Autre sexe
! Bref, le grand Marché de l’Unisexe phallique n’est-il pas en cours de mondialisation?
Une planète mise-aux-pas du grand Marché, du Capital et de la « Volonté de Puissance de la Technique » est une planète, on le constate, fondamentalement et assurément en souffrance, en défaut - quoi qu’elle dise ! - de tolérance, d
’ouverture
à des
jouissances plurielles ou multiples.
Assurément,
la planète s’Unisexualise, s’Unie contre « l’Autre jouissance » et s’évertue ainsi à s’émasculer, s’exciser de toute possibilité de rencontrer de la « différence sexuelle », de se mettre en « rapport » avec « l’Autre sexe ».
C’est assurément une jouissance « mâle », « machiste », « idiote », en…tichée que de ses instruments technico-phalliques de domination et d’expansion qui déferle. Pour elle, la Nature est à fondamentalement « dénaturer », hachurer, biffer, défoncer, « diffamer », réduire à un simple « fond disponible » à arraisonner, à exploiter, à « baiser », à essorer, à tordre jusqu’au bout pour qu’elle s’épuise, livre ses derniers rudiments de « matières premières » et à « laisser », ensuite, exsangue, ravagée et sans «
Encore
! ». Et le pire c’est que « les » femmes n’y voient que du feu alors que leurs (nos) « petits-enfants » vont en baver et en bavent déjà !
Au fond, autant pour Heidegger, «
on
» passe son temps à fuir « notre » propre être-pour-la-mort dans la mort de l’autre, dans le médiatique, médiocre et divertissant, du «
On
meurt ! » médiatisé, autant «
on
» peut passer son temps, «
on
» passe son temps aujourd’hui – discours de la (techno)science aidant - à ne rien vouloir savoir de ce qui
habite
cette structure langagière : le «
trou
» (l’absence du signifiant
La
femme). En fait, on passe son temps à bouchonner, suturer ce «
trou
». En ce sens, tout peut faire fonction de « bouchon » : du CD au discours « féministe », en passant par les « dieux de pacotille » dont les affidés « terrorisent » la planète.
Moi : Le «
trou
», par exemple, que la petite fille rencontre en « comparant » son sexe anatomique d’avec celui du petit garçon – pourvu, lui, d’un zizi. Elle se dit : « Il a quelque chose en plus ! »
Moi : Comment nomme-t-elle dès lors son sexe, ce « trou » ?
Lui :
Un vagin.
Moi : Il y a de l’invariant structural ! Qu’on le veuille ou pas ! C’est vous qui dites : «
Un vagin.
» A en croire Freud,
toute absence se profile sur fond de présence
et vice-versa. Freud, après avoir entendu des femmes – pour rappel ce sont des femmes, c’est l’écoute des femmes qui est à l’origine de la psychanalyse, de l’invention freudienne -, considérait que le « désir » des femmes était plutôt qu’un « phallus » (qu’une présence) advienne au lieu même du « trou » (de l’absence) : un bébé, un homme, une beauté susceptible de séduire, un métier de « mâle », une parade, bref un « plus » susceptible donc de parer, de faire oublier le « moins ». Lisez «
Les mots pour le dire
» de la regrettée M. Cardinal. Elle dit qu’elle voulait, dans sa tendre enfance, pisser comme un garçon. Elle s’était, du coup, fabriquée un « phallus » en papier afin de précisément uriner debout, comme un garçon !
Lui :
L’homme serait donc nanti d’un « plus » !
Moi : Un « plus » oui, mais plutôt encombrant ! Ne soyez pas « sexiste » ! Ne supposez pas une jouissance « en plus » à l’homme du fait qu’il apparaît, selon votre perspective, détenteur d’un « plus » ! Ce « plus », en fait, il n’en est pas propriétaire ! Oh que non ! C’est un « plus » qui n’en fait qu’à sa tête ! Une devinette connue : Quel est l’objet le plus léger à soulever ? Le pénis. Pourquoi ? Il suffit d’y penser ! Eh bien non ! C’est un pur fantasme.
L’impuissant le démontre effectivement : il y pense, certes, mais n’arrive pas à le soulever ! Pour le fétichiste aussi : la pensée ne suffit pas ! C’est plutôt la présence, bien là, d’un « objet » (un bas, une botte, un slip…) qui permet la tumescence de son organe, de son appendice. Bref, l’homme est un drôle de propriétaire
4
! C’est un propriétaire, structuralement, « expropriée » de son « plus » ! Plutôt que d’habiter son « plus », d’y « disposer » en maître », d’y résider sereinement, c’est plutôt son organe, son « plus » qui (quasiment en « étranger ») l’habite, le chatouille, le guide, manipule…(cf. « Le petit Hans ») ! La « bite » n’est pas maîtresse en son propre habitat ! Plutôt que de réclamer des loyers à son « hôte », de la « jouissance », c’est assurément le locataire qui plutôt réclame au propriétaire des loyers, le respect des « conditions » de sa propre satisfaction ! C’est le monde à « l’envers » ! A l’envers du discours du maître !
De plus, ce « + » n’est pas tout le temps érigé ! Il ne l’est que de manière très éphémère. Il passe le plus clair de son temps à dormir ! N’est-ce pas ? Et lorsqu’il se réveille, c’est pour se rendormir très rapidement malgré, parfois, la volonté de son détenteur de le maintenir éveillé ! Merci Viagra !
Par ailleurs, Lacan ne nomme-t-il pas cette jouissance « homme », cette jouissance du « plus », de l’organe phallique, de « jouissance de l’idiot » ? Dès qu’il jouit, « tire son coup », l’homme s’endort ! La femme, elle, solitaire, reste avec son « Encore » ou « En-corps »! Du s’endort à l’encore, il n’ y a qu’un pas : l’Autre jouissance.
Moi : La jouissance « mâle » est fondamentalement liée à « l’organe », donc « limitée », « réglée », « balisée », « réglementée », « enrégimentée », «militaire », « organisationnelle », « gestionnaire », « politique », « finie », « autoritaire », alors que « la jouissance féminine », elle, elle ne se limite pas qu’au phallus – (elle n’est « pas-toute phallique »). Celle-ci (la jouissance féminine) Lacan la pose comme « infinie ». D’où son recours aux mystiques : ils nous parlent d’une jouissance « sans savoir » ! Le « trou », Lacan, lui, le prend au sérieux. Il ne le « bouchonne » pas : « (…)
à sa différence
(de Freud)
, répété-je, je ne fais pas aux femmes obligation d’auner au chaussoir de la castration la gaine charmante qu’elles n’élèvent pas au signifiant.
» («L’étourdit », Scilicet 4, Le Seuil, Paris, 1973, p. 21.)
Lacan dit même qu’un psychanalyste qui n’énoncerait pas ses « interprétations » du lieu même de ce « trou » est un « escroc », un « imposteur ». En fait, la position féminine (S de grand A barré) est précisément celle qu’est censé occuper le psychanalyste dans une cure.
En ce sens, aujourd’hui, la psychanalyse est cette seule pratique au monde – et je pèse mes mots - à ne pas « oublier » l’existence de cette autre jouissance que phallique :
l’être
-
femme.
La psychanalyse comme « symptôme » dans la civilisation.
(Tout ceci n’était que l’ébauche de « premières pensées ». Il s’agit maintenant d’approcher les mystiques a « l’autre jouissance que phallique ». A suivre donc.)
D. Vanhoolandt
Travailleur social.
1
. G. Lipovestky,
Le crépuscule du devoir
, folio essais, 1992, p. 65.
2
. Pourquoi « supposé » ? Parce que le refoulement n’est pas fruit de la civilisation ! La civilisation est plutôt fruit du refoulement ! Disons même plus : la civilisation est une formation de l’inconscient ! C’est du moins ainsi que j’entends cet aphorisme de J. Lacan : « le langage est condition de l’inconscient ». Or jusqu’à nouvel ordre, ce n’est pas la civilisation qui a « inventé » le langage, donc l’inconscient ! Bref, au risque de tomber dans une approche évolutionniste, c’est du fait qu’ils
parlent
, qu’ils habitent cet habitat qu’est le langage, que les parlêtres ont « inventé », selon moi, ce « symptôme » qu’est la civilisation afin, peut-être, de réduire, d’atténuer les fonciers ou structuraux malentendus (refoulements) entre parlêtres… déjà là, nés
ex nihilo
.
3
. En croyant se débarrasser du refoulement, libérer l’économie libidinale de ses chaînes civilisationnelles, Reich, par exemple, n’a fait que d’autant plus raviver le pouvoir du surmoi « maternel », obscène et féroce :
Jouis
! L’actualité le démontre !
4
. Cf. J-A Miller, France – Culture, « Le plus et le moins »,
Histoire de la psychanalyse
,
21 juin 2005.
je ne comprends pas toujours, bis
nathalie
mercredi 07 octobre 2009