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La loi n’est pas le projet

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Jean-Michel Zejgman

mercredi 05 avril 2006

La loi c’est la loi, la loi n’est pas le projet… J’ai récemment entendu une avocate exprimer cette assertion qu’elle éclairait de la manière suivante :

  • On ne peut laisser croire qu’une loi suffit pour créer un projet,
  • La profusion et la surenchère actuelles du nombre de lois ne permettent pas de repérer un projet de société précis,
  • L’Etat pense modifier la société par la loi ; il en fait un outil privilégié de transformation sociale ; de même, la société, par ses évolutions, fait évoluer la loi.
  • La fin des utopies, la disparition apparente des idéologies renforcent ce phénomène et la loi se substitue peu à peu au projet…

Nous connaissons actuellement une floraison de propositions de lois, dont chacune touche à la composition même et au fonctionnement de notre société : projet de loi sur l’immigration, proposition de loi sur la prévention de la délinquance, proposition de réforme de la protection de l’enfance … sans parler du CPE !

Pourtant, dans la médiatisation qui est faite de ces textes, il n’est fait nulle part mention d’un projet de société dont ces lois seraient l’expression ; il y a même un déni de l’idéologie ; la situation globale de notre société « nécessiterait » évidemment ces évolutions législatives. Interrogeons-nous tout de même sur cette articulation entre loi et projet, et sur l’absence de lecture symbolique des idéologies qui sous-tendent ces textes de loi.

Mon propos n’est pas ici d’analyser un fonctionnement politique (encore faudrait-il que j’en aie les compétences, quoique je sois, comme beaucoup d’entre nous, citoyen de ce pays), mais d’éclairer, sur un plan professionnel, cette problématique de l’articulation entre loi et projet.

Il y aurait bien sûr à définir la notion de loi ; s’agit-il de la LOI, de textes de loi, de décrets, d’ordonnance, de règlement ? Disons pour résumer que les lois font la LOI, qu’elles ont une valeur symbolique, et que dans leur pratique courante, les travailleurs sociaux y font constamment référence ; elles constituent un cadre essentiel à leurs missions et à leurs pratiques.

La notion de projet est devenue également un paradigme du travail social : projet d’établissement, projet personnalisé, pédagogie par projet, le terme est omni présent et recouvre une réalité quotidienne largement renforcée par les dispositions de la loi du 2 janvier 2002.

Dans ce contexte, ce qui nous intéresse, c’est comment chacun d’entre nous, dans son action éducative, articule ces deux notions.

  1. Dans l’action éducative, notamment auprès de jeunes en difficulté, la notion de loi est souvent mise en avant, bien avant celle du projet. À l’instar de ce que nous évoquions au début de cet écrit, ce qui est souvent lu dans le comportement d’un jeune, c’est ce qui fonctionne ou dysfonctionne au regard des règles institutionnelles, (la plupart des établissements ou services ayant établi un règlement de fonctionnement), et des lois.
  2. Plus rarement, notre regard porte sur la question de son projet et de sa continuité à travers son comportement, or ce questionnement est tout autant essentiel. Comment accompagner un projet personnalisé d’un jeune en difficulté, comment lui permettre de se l’approprier ?
  3. Enfin, dans nos réponses, il serait également fondamental de lui proposer une lecture symbolique de notre engagement, de notre projet éducatif, faisant ainsi écho à la notion d’utopie, à la part de rêve « social », d’humanisme que chaque travailleur social porte en lui.

La réponse éducative se situerait ainsi à 3 niveaux :

  1. Une explicitation ou un rappel de la norme, des règles, de la loi, de sa valeur symbolique dans une démarche de socialisation,
  2. Une formulation ou une médiation du projet personnalisé du jeune, dans une démarche d’accompagnement de son épanouissement personnel,
  3. Une explicitation de l’action éducative qui lui est proposée, c’est-à-dire du projet que l’on conçoit pour lui en tant qu’éducateur, dans une dimension symbolique de transmission, d’inscription dans le monde.

Prenons l’exemple de Jason, 10 ans, qui refuse régulièrement de faire ses devoirs, le soir après l’école.

  1. Ce qui va être lu en premier lieu dans son comportement, c’est son refus de la règle, et de ce que lui demande l’éducateur.

Ce qui lui sera également signifié, c’est que son attitude apparaît comme un refus de ce que ses enseignants lui ont demandé et de la règle scolaire.

Ces rappels à la règle sont certes indispensables et constituent une première réponse, souvent considérée comme un axe éducatif prépondérant ; ils font référence à la norme sociale et à son intégration.

Ils désignent cet enfant comme « coupable » (je force volontairement le trait) d’une transgression et de ce fait, passible d’une sanction qui aurait comme valeur symbolique de permettre l’intégration de la Loi (notons que cette intégration concerne le jeune comme elle nous a bien évidemment concerné).

  1. Pourtant, il me semblerait important de formuler à ce jeune ce qui constitue l’essence même de son projet. Pourquoi doit-il s’investir dans le travail scolaire ? Quels sont les buts qu’il s’était fixés ? En quoi son attitude récurrente de refus compromet-elle son projet ? Dans cet exemple, la question n’est-elle pas surtout celle de sa difficulté face aux apprentissages ? A-t-il besoin d’un soutien plus important ?

Cette forme de réponse ne situe plus le jeune dans une transgression de la norme, mais dans une difficulté, une perte de continuité vis-à-vis de lui-même et de son projet personnalisé. La réponse éducative se situe alors dans un accompagnement permettant à ce jeune de se réapproprier son projet initial.

  1. Enfin, souvenons-nous du fait que la relation éducative n’est pas une relation symétrique et qu’en tant qu’éducateur, notre finalité serait avant tout de permettre à chacun d’évoluer, d’apporter une ouverture au monde, de donner un accès à la connaissance, une culture, une éducation.

Notre réponse ne situe plus le jeune dans une problématique individualisée, mais plutôt comme l’interlocuteur d’un don symbolique, au cœur d’un projet de société, où chacun a le droit et se doit de découvrir ce qui constitue le socle des connaissances humaines. Ne pas laisser l’enfant ou l’adolescent dans l’ignorance, leur donner l’envie d’apprendre, leur permettre de sortir des déterminismes sociologiques et des caricatures dans lesquelles ils sont enfermés, c’est une réponse éducative qui se situe du côté du désir, de l’engagement et du projet social.

La prise en compte de ces dimensions nous permet de décaler notre regard, nos habitudes, et de la tendance actuelle à ne considérer que ce qui dysfonctionne : le symptôme, le trouble du comportement, le refus, etc.

Comme nous avions vu précédemment que l’action éducative peut se décliner dans ses dimensions éducative, pédagogique et thérapeutique, nous postulons ici qu’elle ne fait pas uniquement référence à l’intégration de la loi, elle s’articule aussi avec la notion de projet, dans une dimension symbolique d’accompagnement et de transmission.

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