La commande qui nous a été faite autour de ce mémoire de recherche de fin de formation de médiateur familial est pour moi l’occasion d’étudier la question des secrets de famille, des non-dits qui traversent plusieurs générations. Je pars de quelques idées préconçues comme celle selon laquelle les secrets et non-dits familiaux habitent chacun de nous, laissant des traces plus ou moins gênantes dans notre fonctionnement au quotidien tout en échappant, pour une grande majorité, à la conscience. Je pense également que les secrets de famille, même s’ils remontent à plusieurs générations, peuvent structurer les individus et influencer leur mode de relation aux autres dont leur relation amoureuse.
De fait, cette question est en lien avec le public concerné par la médiation familiale en présupposant que les couples reçus sont eux aussi porteurs de secrets familiaux. Le thème central de ma recherche concerne la place et l’influence de ces secrets dans la constitution du couple.
J’ai souhaité réfléchir au cours de mon stage professionnel au sein d’un centre de médiation familiale sur le sujet et plus largement tenter de vérifier si le médiateur familial doit prendre en compte dans sa pratique et comment, ce facteur transgénérationnel afin d’accompagner au mieux les couples en crise.
La Médiation Familiale accompagne les couples en questionnement quant à une séparation éventuelle ou déjà séparés. Le cadre de la médiation familiale propose un temps d’écoute, d’échanges et de négociation afin d’aborder les problèmes liés à un conflit familial et de prendre en compte, de manière très concrète, les besoins de chacun, notamment ceux des enfants. Le médiateur familial se positionne en tiers qualifié et impartial afin de rétablir la communication et de créer un climat de confiance propice à la recherche d’accords entre les personnes. Le travail en médiation porte sur la parentalité, leur parentalité et sa réorganisation dans l’intérêt de l’enfant qu’ils ont en commun.
Didier HOUZEL
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en décrit trois axes qu’il nomme:
-
L’exercice
, la parentalité légale, légitime appelée aussi « autorité parentale » qui définit les liens de parenté avec ses droits et devoirs.
-
La pratique
, la parentalité objective, l’exercice concret de chaque jour de l’autorité parentale (l’éducation, le ménage, le nourrissage, le soin…)
-
L’expérience
, la parentalité subjective : les savoir-faire, l’héritage familial transgénérationnel. C’est cette parentalité subjective qui nous intéresse ici dans la mesure où, c’est au travers de ce que les parents en ont décrit, que j’ai d’observé la place que tient l’héritage transgénérationnel, dont les secrets et non-dits familiaux, dans le choix amoureux, la constitution du couple conjugal mais aussi parental et son évolution (vers la crise du couple pour les cas qui nous concernent en médiation familiale).
Didier HOUZEL en définit deux sous rubriques: le désir d’enfant et la transition vers la parentalité ou processus de « parentification »
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. Concernant les raisons qui poussent ou motivent à vouloir un enfant, vouloir être parents ne relève pas simplement d’un instinct spécifique comme on peut l’attribuer à l’espèce animale au sens le plus large. Didier HOUZEL compte, sans nier la part instinctuelle, sur les facteurs acquis de « l’imitation des adultes » et « l’apprentissage des conduites parentales ». Par ailleurs, en ce qui concerne les processus psychiques qui se déroulent chez un individu qui devient père ou mère, «
maternalité
» et «
paternalité
» s’accompagnent de profonds bouleversements identitaires pour la femme et l’homme qui attendent un enfant.
Dans un premier temps de la médiation puis, par des allers-retours tout au long du processus, le sujet met en mots son histoire familiale, son récit de vie, en présence d’un tiers, devant son conjoint ou ex-conjoint :
-
Sur son enfance, les relations à ses parents, sa fratrie, les liens transgénérationnels.
-
Ce qu’il sait, ce qu’on lui a dit de l’histoire de ses parents et grands- parents, le « roman familial » dans lequel il est inscrit.
-
Ce qu’il exprime à demi-mot de ce qu’il pressent, ressent de l’histoire de ses ascendants. Ce que le conjoint ou ex-conjoint pourra à son tour mettre en lien avec ce qu’il a entendu ou pressenti de l’histoire familiale de l’autre… les secrets… les traces… qui auront pris une place plus ou moins adaptée dans leurs relations de couple conjugal et parental.
Finalement, le couple c’est trois histoires. L’histoire de l’un, l’histoire de l’autre et l’histoire que le couple se construit. Le couple s’inscrit de fait progressivement dans l’histoire transgénérationnelle de chacun.
Définition des termes de références :
Dans un premier temps, il me semble nécessaire de définir les termes principaux autour desquels s’articule mon travail afin que chacun sache sur quelles définitions je m’appuie pour étayer ma recherche.
Concernant les termes de «
transgénérationnel
» et d’ «
intergénérationnel
», le préfixe latin
« trans » entre dans la composition de certains mots pour ajouter à leur signification l’idée de « au delà, au travers ». Autre préfixe latin, « inter » signifie «entre».
Ces préfixes seront associés tout au long de mon travail au terme
génération
tiré du latin
generatio
et
generare
dont la première signification est «
l’action d’engendrer
». Le premier sens donné dans le petit Larousse est celui de
« Fonction par laquelle les êtres se reproduisent
». Le grand Robert donne d’autres déclinaisons :
« Ensemble des êtres qui descendent d’une personne à chacun des degrés de filiation, ou se trouvent au même degré d’ascendance », « Espace de temps correspondant à l’intervalle qui sépare chacun des degrés d’une filiation (évalué à une trentaine d’années)», « Ensemble des individus ayant à peu près le même âge ».
Serge TISSERON
décrit ce qu’il entend au sujet des influences transgénérationnelles
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:
« Les liens complexes qui attachent chacun aux générations qui l’ont précédé influencent ses relations avec ses collatéraux et ses proches »
. Il fait par ailleurs référence à Freud
« qui écrivait que tout individu est divisé entre deux nécessités, « être à soi-même sa propre fin » et « être le maillon d’une chaîne auquel il est assujetti sans la participation de sa volonté »
6
.
Vincent de GAULEJAC
complète la notion de transmission par « l’ordre généalogique » en insistant sur le fait qu’il
« inscrit l’individu dans l’humanité (…) Il fixe à chaque homme et à chaque femme des limites et une identité : là où il est né, par qui il a été engendré, dans quelle lignée il est inscrit… autant d’éléments qui le situent comme « simple mortel » qui prend place dans une société qui lui préexiste et qui perdurera après sa disparition »
7
.
Dans un second temps,
« les hommes ont besoin de penser que quelque chose d’eux-mêmes sera conservé après leur mort. Ce besoin est particulièrement à l’œuvre lorsqu’une injustice a été commise et que les circonstances n’ont pas permis de la juger et de la réparer. Les descendants sont alors jugés comme comptables des actions commises par les parents. »
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Sur cela,
S. TISSERON
développe ce qu’il nomme « influences transgénérationnelles », par ailleurs développé par d’autres auteurs en termes de « transmissions transgénérationnelles » soit, les échanges de valeurs, croyances et compétences entre générations, ceux-ci assurant la continuité familiale, groupale et culturelle. Mais
TISSERON
va plus loin et n’accepte pas le terme de « transmission » qui se rapporte tout autant à des biens immobiliers ou mobiliers.
Il développe alors l’idée d’ « influence » sur la base de la pensée suivante :
« si la réalité psychique des parents modèle celle des enfants, celle-ci n’est jamais modelée de façon passive […] La vie psychique de tout nouvel arrivant au monde se construit en effet en interrelation avec la vie psychique de ses proches, et c’est ainsi que, marquée par celle de ses parents, elle l’est aussi, à travers eux, par celle de ses ascendants
». C’est là même, il me semble, la description du lien transgénérationnel agissant au sein de tout groupe familial.
Alberto EIGUER
a travaillé sur la question de « l’objet transgénérationnel » concernant la transmission entre générations. Il entend par objet transgénérationnel, un ancêtre, aïeul, grand-parent ou parent direct ou collatéral,
« qui suscite des fantasmes, qui provoque des identifications, qui intervient dans la constitution d’instances psychiques chez un ou plusieurs membres de la famille. »
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Il distingue alors trois sortes d’objets dont, les objets porteurs de secrets honteux qui créent des blancs et des vides dans l’histoire familiale, sources potentiellement d’incapacité à se représenter dans une lignée familiale ou, comme l’énonce S. TISSERON, d’un héritage psychique lourd à porter :
«
ils transmettent ainsi aux enfants la charge de surmonter les questions restées en souffrances dans l’inconscient de leurs géniteurs et de leurs aïeux »
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Une des formes de transmission, ou « influence » transgénérationnelle, nous le verrons, est le secret. Au travers du petit Littré et du petit Larousse, le terme de
secret
est défini comme
« ce qui doit être tenu caché ; ce qui ne doit être dit à personne »
. On entend là, une obligation incontournable. On y parle également d’être
« mis dans le secret
» en prenant en compte le côté agréable de la chose ou angoissante en considérant, comme Serge TISSERON l’énonce, que
« cela peut obliger à partager des choses que l’on aurait préféré ignorer et dont on se trouve fort embarrassé »
.
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Le petit Larousse donne un complément :
« Discrétion, silence qui entoure quelque chose »
et
« Ce qu’il y a de plus caché, de plus intime »
.
Le
non-dit
selon le petit Larousse est
« ce que l’on évite de dire, ce que l’on tait, généralement de manière délibérée.»
Nous avons définit le terme de secret mais, ce autour de quoi je souhaite réfléchir plus précisément est bien le «
secret de famille
». Là encore, Serge TISSERON en donne une définition qui me semble très claire :
« …un secret de famille n’est pas seulement quelque chose que l’on ne dit pas, puisque nous ne disons bien entendu pas tout et à tout moment. Il porte à la fois sur un contenu qui est caché et sur un interdit de dire et même de comprendre qu’il puisse y avoir, dans une famille, quelque chose qui fasse l’objet d’un secret. En outre, dans leur grande majorité, les secrets ne sont pas organisés autour d’événements coupables ou honteux comme on le croit souvent. Les fameuses « fautes de nos ancêtres » ne sont qu’une source très minime de secrets de familles. La plupart d’entre eux sont en fait organisés autour de traumatismes vécus par une génération et incomplètement symbolisés par elle. Il peut s’agir de traumatismes privés, comme un deuil, mais aussi collectifs comme une guerre ou une catastrophe naturelle. »
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Serge TISSERON a fait ressortir trois sources au secret que sont la naissance, la mort et l’exclusion sociale.
Vincent DE GAULEJAC
les a rassemblé dans son étude sur la honte.
« Dans la genèse du sentiment de honte on trouve souvent un secret qui tente de dissimuler une faute, un inceste, un crime, un suicide, une liaison illégitime, une maladie honteuse, une déchéance sociale, un déshonneur…. Il y a donc quelque chose à cacher, quelque chose qu’il ne faut pas voir, pas dire, pas savoir, une infamie ou une tare qui doivent être absolument enfouies dans la mémoire de telle façon qu’elles ne ressortent jamais. »
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Or, si le secret a pour « objectif » de cacher et de taire un fait trop lourd à porter sur la place publique, il est bien souvent difficile d’en préserver les proches, les descendants qui vont, à leur tour, l’emmagasiner et le porter sans en connaître la source, la genèse ou l’existence.
« Le secret ne peut être partagé, ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas transmis. Les histoires de famille sont nourries de secrets dont personne ne parle et que tout le monde connaît. Mais ce savoir est ambigu. On sait qu’il y a quelque chose à savoir sans savoir exactement quoi. Il y a donc une trace, un symptôme de quelque chose, sans que l’origine en soit connue. Le secret est donc paradoxal : il ne fait pas directement partie de l’histoire vécue et pourtant il structure cette histoire, il la surdétermine, il est agissant dans le psychisme, il est « marquant » »
.
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Répercussions de l’évolution du droit de la famille sur la création de secrets:
L’évolution des mœurs sexuelles, de la législation sur la filiation, dont celle concernant l’adoption puis la loi sur l’avortement en 1972 a néanmoins permis de rendre caducs bon nombre de secrets traditionnels relatifs aux conditions de naissance de l’enfant.
Depuis les années 70, l’évolution du droit de la famille et la création des lois autorisant l’avortement et la contraception ont permis de limiter les secrets, de mettre en mots les éléments traumatiques comme les naissances adultérines, les viols, les abandons. Ceci ne vient bien évidemment en atténuer les traumatismes.
La déchéance de la « puissance paternelle » en 1970 au profit de « l’autorité parentale » enclenche une évolution des droits de la mère vis-à-vis de son enfant. En 1972, l’attribution de l’autorité parentale exclusive à la mère en cas de non mariage a abolie la différence entre enfant naturel et enfant légitime d’où la disparition progressive de l’image de l’enfant « bâtard ». A compter de cette date, il est plus facile de contester ou de désavouer une paternité même si elle est légitimée par le mariage.
Depuis les années 60, la femme s’investit dans le monde du travail et développe progressivement son autonomie et indépendance vis-à-vis de son mari ou père de l’enfant. La famille monoparentale apparaît et devient viable, acceptable.
Depuis la loi du 23 août 1958 qui permettait d’établir un état civil fictif pour les enfants nés de mère inconnue ou de mère qui demandait à garder le secret de la naissance, la loi de mai 2001, permet à présent à la femme qui le désire de consigner « sous pli fermé » son identité et celle du père ainsi que d’autres renseignements dans le cas d’accouchements sous X.
L’évolution du droit de la famille depuis les années 60 a permis l’émergence rapide de familles monoparentales, recomposées après divorce, adoptives et homoparentales…. et l’acceptation de ces nouvelles formes de parentalité dans les mentalités. L’enfant n’est plus stigmatisé par le mode de vie de ses parents comme c’était le cas il y a quelques décennies.
Néanmoins, si les lois peuvent limiter la création de secrets de famille sur la filiation, d’autres peuvent, selon
Geneviève DELAISI DE PARSEVAL
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, en créer artificiellement. Elle prend pour exemple
la loi du 29/07/94
qui rattache la filiation des enfants nés avec participation des donneurs de gamètes à la filiation charnelle (légitime ou naturelle) et non à la filiation fondée sur la volonté, à l’instar de la filiation adoptive. Le non-dit qui touche à la question des origines est dangereux.
« Ce qui est inacceptable pour un enfant, c’est moins le fait de ne pas savoir, que le fait de ne pas savoir quelque chose d’essentiel sur son géniteur que d’autres savent, en l’espèce l’état civil. ».
La filiation est établie par l’acte de naissance comme le prévoit le droit commun de la filiation légitime. La présomption de paternité s’applique. Aucun lien de filiation ne pourra être établi entre le tiers donneur et l’enfant né de la procréation. Les parents légitimes et l’état civil détiennent l’information, l’enfant, le premier concerné par ses origines, en est écarté par la loi.
Le travail sur la parentalité est intimement intriqué avec les liens de filiation des personnes. Ils viennent avant tout en Médiation Familiale parce qu’ils sont parents de…. enfants de…..et petits-enfants de…..
Sur la place du secret transgénérationnel dans le choix amoureux :
La honte dont le sujet est porteur est souvent au centre de la problématique du couple : que ce soit la sienne dans son vécu personnel ou en termes d’héritage familial qu’il porte en lui mais qui reste indicible, innommable ou impensable.
Sur la constitution du couple,
Jocelyne DAHAN
et
Evangéline DE SCHONEN-DESARNAUTS
questionnent la liberté de l’individu dans son choix amoureux :
« Mais même averti, l’individu est-il pour autant libre de ce choix, dont les raisons apparentes sont souvent repérées et qualifiées par la spontanéité, le désir, l’attrait et ne peuvent être dissociées de « raisons » inconscientes guidant les pas d’un individu vers un autre, justement celui-ci et pas un autre ? »
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Elles évoquent bien sûr les facteurs transgénérationnels, les histoires familiales, les valeurs transmises en héritage de l’appartenance filiale, les manques et les besoins qui influent sur le choix amoureux.
Pour aider le couple en crise, il s’agit alors d’en comprendre les éléments de constitution et d’évolution.
La notion de couple a à voir avec la notion de projet commun. Le projet de couple est plus ou moins explicite, parfois non verbalisé et lorsque chacun s’y efforce, il peut y avoir un réel décalage. D’où la crise du couple et la nécessité de réorganisation qu’explicite M. DUPRE LA TOUR dans « Les crises du couples ». Il s’avère nécessaire de mettre à plat avec les personnes les composantes de leur choix amoureux en les éclairant, le cas échéant sur le fait que les liens transgénérationnels chez chacun (dont les secrets, les non-dits familiaux) influencent la constitution de leur couple conjugal puis le fonctionnement de leur couple parental.
Dans le
choix amoureux
, WILLY
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développe la théorie de la
COLLUSION
où se joue le principe de déni réciproque. La définition in extenso qu’il en donne est celle-ci :
« 1. Nous appelons collusion un jeu commun inavoué, gardé mutuellement secret, entre deux ou plusieurs partenaires, sur la base d’un conflit profond de même nature qui n’a pas été résolu.
2. Le conflit fondamental non résolu est exprimé dans des rôles différents qui font naître l’impression que l’un des partenaires est exactement le contraire de l’autre, alors qu’il ne s’agit là que de variantes polarisées du même comportement.
3. Le fait d’être unis par un conflit profond de même nature favorise la recherche de guérison du Moi, chez l’un par un processus progressif (surcompensation), chez l’autre par un processus régressif.
4. Cette attitude de défense progressive et régressive opère, pour une part essentielle, l’attirance et l’accrochage dyadique entre partenaires. Chacun espère être délivré par l’autre de son conflit de base. Tous deux se croient à tel point affermis par le partenaire, dans la défense contre leur angoisse profonde, que l’apaisement du besoin serait permis et possible dans une mesure non atteinte jusqu’alors.
5. Au cours de quelque temps de vie commune, cette tentative collective de guérison est mise en échec par le retour du refoulé. Les aspects déplacés (délégués ou extériorisés) sur le partenaire remontent à nouveau à la surface du Moi de chacun. »
Chacun est porteur de secrets, de non-dits qui sont refoulés par un contrat réciproque et inconscient. Quand ces non-dits reviennent sur le devant de la scène, le risque est que le couple ne puisse perdurer s’il s’est construit uniquement sur un déni réciproque.
Monique DUPRE LA TOUR
estime qu’il n’y a pas meilleure définition que celle de la collusion pour décrire la crise de couple. Des événements extérieurs peuvent venir remettre en question l’organisation première du couple, ce jeu commun inavoué, gardé mutuellement secret,
« Une désorganisation s’ensuit ; la crise se situe à l’articulation de l’événement et de la structure, elle éclate à partir d’un événement et révèle la structure sous-jacente du couple.
Dans toute crise, deux niveaux étroitement mêlés sont à considérer :
- celui de la désillusion : La désillusion est un travail de deuil nécessaire renvoyant à l’élaboration des projections qui ont été faites sur le conjoint et le couple.
- celui du retour du refoulé et du dévoilement de la structure du couple. La crise survient, le plus souvent, par le retour de ce qui avait été mis de côté, par l’échec de la défense par la collusion. »
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Aussi, comment expliquer que les liens transgénérationnels puissent-ils jouer un rôle dans la constitution du couple où les personnes s’unissent autour d’un système de collusion mais aussi de croyances, d’un vide affectif…. sans une sorte de quête inconsciente de se retrouver dans l’autre ?
René KAES
développe le thème de pacte dénégatif qui entre en jeu dans la constitution du couple :
« Dans l’attirance de deux êtres l’un pour l’autre, chacun cherche en l’autre un écho à son propre impensé personnel et familial. Cet écho l’assure d’une complicité inconsciente dans le fait que le déni ou le refoulement ne sera pas levé par le conjoint, qui partage le même intérêt à ne pas questionner en l’autre ce qu’il a fait taire en lui.
»
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Ce que Jürg WILLI inscrit sous le principe de collusion.
Aussi, si le sujet, ou plus largement la famille porte un secret, un non-dit, qui se traduit sous forme de blancs ou de vide, le couple conjugal en construction se formera sur et avec ses composantes. La nature des liens conjugaux puis, parentaux, ne sera-t-elle donc pas structurellement sous-tendue par les secrets de chacun ?
Les développements qui précèdent nous amènent à proposer les deux hypothèses suivantes :
1ère Hypothèse : Les secrets de famille et non-dits familiaux, en tant que liens transgénérationnels, interviennent dans le choix amoureux, la constitution du couple conjugal et parental ainsi que dans son évolution. Il s’agit d’un mécanisme qui se met en œuvre en termes de déni et refoulement. La Médiation Familiale peut favoriser la levée du déni ou du refoulement dans l’objectif de permettre la mise en place d’un nouveau système de fonctionnement conjugal et/ou parental entre les personnes.
Il s’agirait de donner l’opportunité aux couples d’accéder à une meilleure compréhension de leur choix amoureux, pour mieux assumer la crise de leur couple conjugal. La dépasser et organiser une parentalité différente en misant sur la rupture ou la maîtrise des influences transgénérationnelles (tyranniques, handicapantes)
2ème Hypothèse : - dans le cas du déni, il s’opère un clivage chez la personne porteuse du secret qui « rejette » l’existence de celui-ci : il n’existe pas, il est impensé. Auquel cas, il ne peut être abordé.
-
dans le cas du refoulement d’un secret: il y a un retour possible de la réalité (du pacte inconscient à la base de la constitution du couple) à la conscience (sous forme de culpabilité, dépression, dépréciation de soi…) qui permet d’éclairer sur l’existence d’un secret ou non-dit (sans pour autant en chercher ou définir la teneur) et d’essayer d’accompagner le sujet vers sa compréhension voire vers une demande de soin si le « partage »de ce secret est trop invalidant, handicapant pour la vie conjugale ou parentale (dans un autre cadre que la médiation, nécessité d’orientation vers la thérapie). C’est dans ce cas que le sujet peut exprimer le conflit intérieur fait de ce qu’il a mis en place avec l’autre et de son insatisfaction, ne permettant plus de faire perdurer, sous la forme qu’a prise le couple à ce moment, la relation conjugale et/ou parentale.
Dans les situations où les personnes sont en mesure de travailler individuellement ou en couple la structure de la constitution de leur couple, la médiation familiale est alors en mesure de reprendre l’accompagnement du travail de réaménagement, de réorganisation sur des bases communes.
1
DUPRE LA TOUR (M.), 2005,
Les crises du couple, leur fonction et leur dépassement,
Erès, p.46
2
HOUZEL (D.), 2006,
Les enjeux de la parentalité
, Erès, p.114
3
Ibid, p.133-149
4
TISSERON (S.), 2004
, Le psychisme à l’épreuve des générations, Clinique du fantôme
, Dunod, p.4
5
Ibid, p.3
6
Ibid, p.4
7
GAULEJAC (V. de), 1999,
« L’histoire en héritage, Rman familial et trajectoire sociale »,
Desclée de Brouwer, p.94
8
Ibid, p.119
9
EIGUER (A. et al.), 1997,
Le générationnel, Approche en thérapie familiale psychanalytique
, Dunod, p.17-18
10
TISSERON (S.) op.cit, p. 3
11
TISSERON (S.), 1999,
Nos secrets de famille, Histoires et mode d’emploi
, Ramsay, p. 16
12
TISSERON (S.),
13
GAULEJAC (V. de), 1996,
Les sources de la HONTE
, Desclée de Brouwer, p. 242
14
GAULEJAC (V. de), op.cit, p. 243
15
DELAISI DE PARSEVAL (G.), p.275
16
DAHAN (J.) et SCHONEN-DESARAUTS (E. de), 2000,
Se séparer sans se déchirer – La médiation familiale : renouer le dialogue, protéger les enfants, dépasser la crise
, Robert Laffont, p. 30-31.
17
DUPRE LA TOUR (M.), 2005,
Les crises du couple, leur fonction et leur dépassement
, Erès, p.
18
WILLY (J.), 1982,
La relation de couple, Le concept de collusion
, Delachaux & Nieslté, p. 69-70
19
DUPRE LA TOUR (M.),
Les crises du couple, Leur fonction et leur dépassement
, Erès, p.47
20
TISSERON (S.), 2004,
Le psychisme à l’épreuve des générations, Clinique du fantôme
, Dunod, p. 18