un vrai mépris envers les personnes dépendantes !
La formation des Aides Médico-Psychologiques (AMP) vient d’être réformée par le Décret du 2 Mars et l’Arrêté du 11 Avril 2006. Ces deux textes semblent bien signer la mort à terme d’un métier.
Si personne ne récuse la pertinence de principe d’introduire la démarche de Validation des Acquis de l’Expérience comme modalité nouvelle d’accès au diplôme, ou la possibilité pour des gens non salariés de pouvoir suivre cette formation (jusque là réservée strictement à des personnes en cours d’emploi), de nombreuses dispositions se révèlent dangereuses. Pire, c’est l’organisation même du nouveau dispositif qui signe une véritable atteinte à un métier qui avait trouvé sa place dans le dispositif d’accompagnement des personnes dépendantes, et au fond une agression de plus contre celles-ci.
L’amplitude de la formation.
Tout d’abord, le métier d’AMP s’est construit autour de l’accompagnement des personnes les plus dépendantes dans les gestes de la vie quotidienne, afin de favoriser le maintien ou le développement de leurs acquis. Cet accompagnement s’est peu à peu envisagé dans la construction d’une relation basée nécessairement sur une confiance qui ne peut se construire que sur un long terme, avec un engagement des professionnels auprès des personnes les plus fragilisées de notre société. La formation d’AMP s’est bâtie à partir d’un ancrage important sur une situation de travail réel dans une institution, sur des amplitudes longues de qualification de 18 à 24 mois. Ce sont les va et vient entre des situations professionnelles au long cours et des temps de formation en école, qui ont permis aux AMP de se constituer une identité professionnelle originale et sans équivalent dans le secteur médico-social.
L’actuelle amplitude longue de qualification de 18 à 24 mois permet aux professionnels en formation d’éprouver réellement la difficulté de « l’apprivoisement » avec des personnes gravement atteintes dans leur intégrité physique et mentale, parfois en fin de vie. Elle leur permet, pendant leur cursus de formation, de mesurer une évolution forcément lente des personnes handicapées et de vivre concrètement l’accompagnement de leurs progrès ou de leurs régressions ; elle leur permet de faire l’expérience d’une inscription dans un projet de vie des usagers, projet qui ne peut en aucun cas se partager réellement sur une période de stage pratique très courte.
Tous les professionnels concernés savent à quel point cette amplitude longue de la formation, sous réserve qu’elle soit articulée à des dispositifs pertinents d’analyse des pratiques professionnelles, reste pour les AMP une condition indispensable à une maturation de questions parfois douloureuses, et toujours très complexes.
Or le nouveau dispositif prévoit une formation en 495H de cours et deux stages pratiques de trois mois pour des personnes qui ne sont pas en cours d’emploi ; soit un processus de qualification de un an (avec néanmoins la possibilité maintenue de conserver des cursus jusqu’à 24 mois pour les personnes en cours d’emploi).
Savent-ils, ceux qui ont imaginé ces nouvelles dispositions, combien de temps il faut parfois à un adulte handicapé moteur pour apprendre à se servir d’une fourchette ? Combien de temps il faut passer, dans un lent travail d’approche, pour parfois arriver à décoder des attitudes de communication non verbale chez des personnes qui n’ont pas accès au langage ? Combien de patience il faut aux professionnels pour parfois obtenir un premier sourire réponse d’une personne morcelée dans son polyhandicap ? Savent-ils ce que signifie accompagner doucement une personne âgée dont les facultés régressent, et que c’est essentiellement dans un lien de proximité bâti sur un accompagnement des gestes du quotidien que peut se faire une approche humaine de cette fin de vie ? Oseront-ils prétendre qu’avec un total de deux stages de trois mois, réalisés dans deux institutions différentes, les AMP en formation pourront faire ce genre d’expérience ?
Quelques soient la qualité des cours qui seront mis en œuvre, en aucun cas des stagiaires qui sortiront de ce type de dispositif de « qualification » accélérée ne pourront être confrontés durant leur formation courte à ce qui fait le cœur même du métier d’AMP, l’établissement d’une relation de confiance nouée dans un quotidien partagé avec des personnes gravement dépendantes. Or c’est exactement cela qui signe la spécificité, le cœur même du métier d’AMP et l’originalité du dispositif de formation actuelle.
Le secteur d’intervention des AMP
Par ailleurs, les AMP ont largement trouvé leur légitimité dans le champ des institutions accueillant des personnes handicapées ou des personnes âgées dépendantes. Ouvrir, comme le fait la nouvelle réglementation, leur secteur d’intervention au domicile d’une part, aux institutions sociales ou éducatives comme les Centres d’Hébergement et de Réadaptation Sociale ou les Maisons d’Enfants à Caractère Social d’autre part, ne peut que brouiller les cartes d’un dispositif de métiers ; ceux-ci vont encore plus empiéter les uns sur les autres, avec de moins en moins de lisibilité. La « mise en concurrence » des métiers d’AMP, d‘Auxiliaire de Vie Sociale, de Moniteurs Educateurs par exemple ne pourra en rien bénéficier aux usagers ; mais elle va fragiliser encore plus des métiers qui le sont déjà.
L’âge minimum.
Ensuite la nouvelle réglementation fait sauter le verrou de l’âge minimum de 18 ans révolus pour entrer en formation. Il s’agit bien sûr d’un parti pris délibéré qui révèle une totale irresponsabilité ministérielle. Des très jeunes gens d’à peine 16 ans pourront donc demain accéder en toute légalité à cette formation et passer en un an ce qui sera désormais le Diplôme d’Etat d’AMP.
On verra ainsi des adolescents mis dans des situations de rencontres avec les personnes les plus fragiles de notre société, enfants ou adultes lourdement handicapés, personnes âgées en fin de vie, dans des accompagnements aux besoins les plus fondamentaux de l’être humain (la toilette, l’aide aux repas, l’ouverture au monde…), dans des corps à corps douloureux et destructeurs pour des gens trop jeunes, mais aussi pour les usagers eux-mêmes. Cela signe un parfait mépris à l’égard de ces futurs professionnels et des personnes dépendantes elles-mêmes !!!
Les allègements de formation.
Enfin, dans un soucis à première vue louable de prendre en compte les connaissances déjà acquises avant leur entrée en formation d’AMP, la nouvelle réglementation prévoit la possibilité de multiplier les allègements de formation au titre d’un diplôme déjà acquis par certains stagiaires. Ainsi une personne de 17 ans, titulaire d’un BEP Sanitaire et Social, pourrait en principe voir alléger son cursus (sans dispense toutefois des épreuves de certification), des deux tiers des cours. Or, si formellement certains connaissances réputées acquises dans une formation BEP Sanitaire et Social se retrouvent dans les contenus des cours d’AMP, ils prennent ici, par leur articulation avec une pratique engagée de terrain, un tout autre sens. Prétendre que quelqu’un qui a découvert quelques notions de développement de l’être humain ou du handicap dans le cadre d’apprentissages scolaires pourra, une ou plusieurs années plus tard, réinvestir telles quelles ces connaissances et leur donner sens dans le cadre d’un accompagnement effectif de personnes dépendantes relève d’une vision parfaitement bureaucratique de l’acte même d’apprendre et constitue un déni profond du modèle de l’alternance.
On aboutit ainsi à une vision totalement morcelée des apprentissages, sans cohérence d’ensemble, et toujours et uniquement dans un souci d’économie, qui fait écho à une vision totalement morcelée de l’accompagnement des personnes dépendantes. Les Auxiliaires de Vie Sociale connaissent déjà largement cette pression du financement à l’acte de leur intervention qui engourdit terriblement leur possibilité de nouer véritablement du lien avec les personnes à domicile. Demain, cette réalité risque fort de gagner le champ d’exercice des AMP et d’atteindre les personnes dépendantes qu’ils accompagnent.
Conclusion.
Qu’on ne s’y trompe pas, ces textes ont leur propre cohérence.
Ils visent d’abord à aller au moins coûtant, tant dans l’accompagnement des personnes dépendantes que dans la formation des professionnels qui les accompagnent. Ils sont une étape de plus vers une véritable déqualification du champ médico-social.
Au-delà, ils participent d’une entreprise généralisée de dérégulation du secteur de l’accompagnement des plus fragiles de notre société. A partir de l’organisation de la formation, ils orientent la prise en charge de ces dernières vers des actes morcelés, prétendument mesurables, au mépris de la construction d’une relation avec ces personnes, seul vrai gage d’un accompagnement global de qualité. Ils constituent un pas de plus vers la folie de la rationalisation et la « marchandisation » de l’humain, vers une commercialisation et une ouverture au marché de l’accompagnement des personnes dépendantes pour les grands groupes à but lucratif …
Et si une large majorité des acteurs de terrain (responsables d’institutions, AMP, formateurs…) expriment leur craintes, pour ne pas dire parfois leur colère par rapport à la nouvelle réglementation, la majorité des organisations nationales censées les représenter (syndicats d’employeurs, de salariés, associations professionnelles, OPCA, organismes regroupant les centres de formation…) se sont fait remarquer par un assourdissant silence dans l’absence de prise de position publique face à ces nouveaux textes… Un hasard ?...
AMP
Clarisse
lundi 30 mai 2011