La relation bénévole
–
professionnel en travail social
: sur quoi portent les tensions ?
SIMONET François
Docteur en Sciences de l’éducation et de la formation
Chargé de cours à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA)
Formateur dans le secteur social
Résumé
Si le discours habituel exprimé concernant le bénévolat dans le domaine du travail social est lisse, dans les faits et à l’usage, ce sont des aspérités qui apparaissent dues à des tensions d’origine d’après l’opposition militantisme-professionnalisme.
Cependant, ces deux caractéristiques, historiques, semblent aujourd’hui dépassées et servent plutôt de prétexte à occulter le fait que toutes nos pratiques sociales sont pleinement entrées dans la logique uniformisante du modèle de l’entreprise : depuis les années 1990, et pour répondre à des impératifs d’efficacité, de performance et de rentabilité, la valeur des acteurs est conditionnée à ses compétences. Le
distingo
bénévolat-professionnalisme devenant moins marqué.
La présente réflexion s’appuie sur des discours entendus et des postures rencontrées à propos du bénévolat, tant de la part de professionnels que de bénévoles, générant un ensemble de questionnements quant à cette opposition entre les termes bénévole et professionnel.
Le champ du travail social, majoritairement associatif, bénéficie, et de manière soutenue, de l’intervention des bénévoles. Pour autant, la considération des professionnels interroge cette présence : en termes de soutien ? de collaboration ? de coopération ?
Le professionnel ne manquant pas d’exprimer ses doutes quant à la « réelle » motivation de l’engagement des bénévoles.
Le constat qui peut être établi est celui de relations plutôt basées sur des mises à distance, soulignant l’existence de véritables enjeux.
Faisons alors l’hypothèse que les tensions entre bénévoles d’une part et professionnels d’autre part relèvent de la mise en opposition par le type d’engagement : contractualisé certes, mais avec l’aspect économique pour les seuls professionnels. Ces derniers pouvant reprocher aux bénévoles leur réelle liberté à pouvoir se désengager pour des raisons d’éthique et ce, sans conséquences économiques.
1- LE BÉNÉVOLAT : UN « POIDS » SOCIAL RÉEL
Pour Lionel PROUTEAU [1], les différentes méthodologies utilisées par les instituts et organismes dans le cadre d’enquêtes relatives au bénévolat peuvent être interrogées ; pour comparer des résultats, les manières de procéder font apparaître des divergences difficilement interprétables. Pour autant, et tout en tenant compte des biais possibles entre les enquêtes, les études sur le sujet [2] apportent des informations rendant lisible la situation.
Les chiffres établis donnent un « poids » très clair, en termes d’importance, de la réalité du bénévolat en France, notamment sur le plan économique, faisant également apparaître les profils des différents acteurs : leurs caractéristiques ainsi que les termes identifiant les motivations de l’engagement dans le bénévolat.
Les récents chiffres de 2019 (Mai 2019 pour Recherches et Solidarités (R&S) ; Mars 2019 pour France bénévolat) sont de 19 millions de bénévoles pour R&S (37% de la population) à 20 millions pour France bénévolat (38% de la population). Ils sont entre 12,5 millions de bénévoles dans l’associatif pour R&S (23,7%) et 13 millions selon France bénévolat (24%).
Qu’il y ait un léger repli du bénévolat depuis 2016 (39% en 2016, 40% en 2013 pour R&S) ne modifient pas son intérêt dans le tissu social.
A qui en douterait, il suffirait que tous les bénévoles cessent leurs activités pendant une journée pour se rendre compte de leur existence et de leur nécessité.
Cette activité sociale n’est d’ailleurs pas l’exclusivité de la France : la « Journée mondiale (ou internationale) du bénévolat » atteste de sa présence majeure sur l’ensemble de la planète. Même si cette journée, créée en décembre 1985 à l’initiative de l’ONU, avait pour but de promouvoir la dimension associative et de valoriser l’aspect économique et social relatif au volontariat. Au regard des critères qui identifient le volontariat et le bénévolat (comme engagement volontaire), vouloir les distinguer semble relever d’une position franco-française.
Revenons à l’enquête de Recherches et Solidarité de 2019. Elle fait état de la nature et des raisons de l'engagement des bénévoles depuis 2010. Au-delà des chiffres, ce qu’il est intéressant de noter, ce sont les critères qui font sens dans l’engagement du bénévolat (p. 31 de l’enquête) :
- Le bénévole est « un citoyen engagé » (55%), « donnant simplement de son temps » (48%), avec « le souci d’être utile » (45%) ; « dévoué qui a bon cœur » (41%) ; « quelqu’un qui se veut acteur » (36%) ; « une personne passionnée » (31%), « enthousiaste et positive » (29%) ; « qui cherche à agir en équipe » (27%) ; « un militant » (10%).
Autant de termes sollicités qui ont leur importance comme nous le verrons concernant la tension entre bénévolat et professionnalisme.
Pour conclure cette partie, apportons une précision à cette enquête de R&S. Elle qualifie les bénévoles concernés de « français ». Or, des étudiants étrangers, ainsi que des personnes réfugiées et demandeuses d’asile sont engagés dans le bénévolat. Celui-ci n’est donc pas conditionné à la seule caractéristique de la nationalité française.
2- SUR QUOI SE FONDE LA DISTINCTION ENTRE BÉNÉVOLE ET PROFESSIONNEL ?
En écrivant que : « depuis près d’un demi-siècle, cet improbable couple ne cesse en fait de perdurer, en dépit des transformations de l’un et l’autre et des ruptures successives annoncées »[3], l’auteur indique les rapports particuliers d’une relation qui a pourtant su s’établir. Ce n’est peut-être pas tant la relation en tant que telle qui est problématique mais plutôt que le travail social est de fait confronté à des d’aspects humains qui posent d’emblée des tensions, des rapports de forces, des relations de pouvoir.
Un autre propos éclairant : « Elle (présidente d’une association) recrute secrétaire, cuisinière, veilleuse de nuit : “ça ne posait pas de problème”, dit-elle ; mais elle doit aussi engager une “éducatrice et psychologue” et découvre bientôt l’horreur d’une collaboration impossible, d’une opposition absolue entre deux visions du monde : celle de la militante qui obéit d’abord aux impulsions du cœur, à la révolte et à la compassion, agissant le plus souvent dans l’urgence et dans l’improvisation généreuse et créatrice ; celle de la “professionnelle”, dont les actes impersonnels et réglés par avance obéissent à une logique purement bureaucratique. » [4]
Apparaissent deux visions du monde, deux conceptions qui semblent diamétralement opposées, et l’on peut se demander comment la coexistence peut cependant avoir lieu.
- D’un côté des professionnels : qui revendiquent une qualification, un diplôme (et donc une formation) ; une contractualisation avec une rémunération ; des capacités d’expertise et de distanciation ; une éthique ;
- De l’autre des bénévoles : sans contractualisation conditionnée à une rémunération (éventuellement des dédommagements, des frais remboursés) mais établie sur d’autres bases : convention par exemple. Ce qui n’exclut nullement des capacités, de l’expérience, un sens des responsabilités.
La mise en opposition entre l’action bénévole et l’action professionnelle, à l’origine, est réelle, notamment du fait du militantisme, de l’« utopie » militante des bénévoles. Faisant référence à une situation de 1976, Dominique LEBLEUX parle « des conceptions éthiques fortement antagonistes – l’une s’appuyant sur une rationalité institutionnelle, l’autre sur les qualités individuelles – s’opposent » [5] L’auteure met en regard d’une part les éducateurs et d’autre part les bénévoles avec des caractéristiques les identifiant spécifiquement.
Tableau 1 : caractéristiques distinguant les éducateurs des bénévoles d’après Dominique LEBLEUX.
ÉDUCATEURS :
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BÉNÉVOLES :
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Compétence
Définition des rôles
Hiérarchie fonctionnelle
Division du travail
Pédagogie
Salaires
Horaires
Concertation
Revendications
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Bonne volonté
Convivialité
Rassemblement
Partage
Initiative individuelle
Don de soi
Disponibilité
Responsabilité individuelle
Problèmes personnels
|
Sources : Dominique LEBLEUX : « Bénévoles et professionnels de la réinsertion sociale : conflits éthiques et conflits pratiques. Note de recherche », 1991, p. 107
|
Il serait cependant trompeur de considérer que cette dichotomie est aussi marquée. Voyons plutôt certains de ces traits distinctement associés comme pouvant être aussi attribués, mais à des degrés moindres, et autrement, à l’autre partie. Ainsi, la convivialité : le travailleur social fait des tentatives en ce sens (temps convivial pour un anniversaire, un évènement particulier). Les caractéristiques respectives apparaissent jouer le rôle de marques identitaires fortement revendiquées sur lesquelles chacun vient s’arc-bouter.
En fait, cette « frontière » entre les deux semble une question de philosophie, de définition de l’engagement, des places, des rôles, des missions, des zones d’interventions et des limites respectives. Il serait trompeur de considérer que le cercle des professionnels est organisé, compréhensible – parce que ce sont des professionnels -, et que la présence des bénévoles rendrait incohérente ce fonctionnement. Il y aurait là utilisation d’un alibi pour ne pas analyser un fonctionnement.
Pour le professionnel, technicien habilité et autorisé en son domaine, qu’est-il prêt à laisser d’espace dans son pré carré à qui n’est pas professionnel ? N’y aurait-il pas une certaine crainte à perdre du terrain (disons-le aussi : du pouvoir) sur son domaine de connaissance et d’intervention ?
De son côté, le bénévole ne considère-t-il pas venir empiéter sur une « chasse-gardée » ?
2-1 SÉMANTIQUE SOLLICITÉE POUR DÉFINIR ET NOMMER
Bénévolat/bénévole
Le
bénévolat
est entendu comme étant une activité non rétribuée, exercée généralement au sein d’une organisation sans but lucratif : association, ONG, syndicat, structure publique.
Le
bénévole
est considéré comme individu « bienveillant » (issu du latin
benevolus
« bienveillant » ; de
bene
« bien » et
volo
« je veux »). Le terme indique
de facto
que les acteurs ainsi identifiés agissent de manière « gratuite », « désintéressée » et « sans obligation » vis-à-vis de l’organisation qui fait appel à eux. Ils font volontairement « quelque chose de bonne grâce ».
Ils considèrent « rendre service », faire don de soi et de son temps, en s’engageant dans une « bonne cause ».
Ne nous perdons cependant pas dans le discours souvent exprimé au sujet de l’engagement du bénévole que rien n’est désintéressé. Tout individu, y compris dans l’exercice d’une activité professionnelle, ne peut exclure être concerné.
Professionnalisme/professionnel
Le
professionnalisme
quant à lui est la faculté d’assurer un engagement vis-à-vis d’une organisation, répondant à des obligations et des attentes. La notion de travail entre en jeu, où la personne fera état de sa qualification, de ses capacités, de son expérience.
Le
professionnel
est une personne spécialisée dans un métier, une profession, un secteur d’activité donné, qui a les qualités et l’habileté requises pour les exercer.
Qu’il soit rémunéré ou non.
Dans le cadre institué du travail social, il est censé avoir une posture non-militante. En tous cas, pas à titre personnel – mais qu’il peut avoir en dehors du cadre professionnel.
2-2 DES AMBIGUITÉS A NOTER
Globalement, le bénévolat procèderait d’une volonté alors que le salariat procèderait d’une nécessité.
Cependant, cette distinction n’est pas aussi marquée par rapport à ces deux critères car quel professionnel agirait en dehors d’une volonté, et quel bénévole ne verrait pas de nécessité à agir dans le cadre qui lui est accordé ?
Les différences sont établies d’après des aspects idéologiques qui font apparaître des modes de relations hiérarchisées : d’un côté ceux qui se considèrent légitimes à intervenir et de l’autre, ceux qui sont « tolérés » dans le champ des premiers. D’un côté ceux qui savent, du fait de leur formation et de leur qualification (avec des savoirs et des connaissances), et de l’autre, ceux qui ont leur « bonne volonté », leur générosité, voire leur foi pour s’engager.
Or, notons deux choses :
- Que la plupart des associations et des fondations au sein desquelles interviennent les professionnels du travail social ont été créées par des militants. Pour des raisons philosophiques, confessionnelles, et du fait du contexte politique, social de l’époque. Généralement contexte d’après-guerre (la première et le seconde), avec des fondateurs/fondatrices résistant-e-s.
- Que le domaine social a pris forme avec le militantisme pour des raisons de charité, de morale, d’hygiénisme.
3- LA NOTION DE COMPÉTENCE : UNE PROFESSIONNALISATION DU BÉNÉVOLAT ?
Dans la préface de l’enquête déjà évoquée de mai 2019, Roger SUE note que : « On remarquera enfin que le bénévolat associatif [6] est maintenant principalement défini comme un véritable engagement citoyen, compte tenu de l’importance des actions menées,
notamment dans le domaine social
, et de l’expertise, voire de
la
professionnalité
demandée
aux bénévoles
(…) D’une manière générale, plus il sera demandé en
compétences
, en temps et parfois en argent à ceux qui s’engagent, plus il faudra trouver les formes de reconnaissance (…). » (page 3 de l’enquête)
Si la professionnalisation du travailleur social est acquise, et ce depuis plusieurs décennies, elle s’étend également dans le champ du bénévolat – plus largement à tout l’espace social.
Créé en 2007, le « passeport du bénévole » est un objet révélateur à ce sujet. Il se présente en tant que « livret personnel de reconnaissance de l’expérience bénévole et de valorisation des compétences » [7].
Les quatre « fiches passeport bénévole » intérieures sont présentées de la manière suivante :
- Fiche 1 : « Bilan initial »
Fiche invitant à « faire le lien entre votre parcours professionnel et votre expérience bénévole » : formation, expérience professionnelle, motivations ;
- Fiche 2 : « Ma mission bénévole - mes responsabilités »
Un ensemble de descriptions à apporter : « cette fiche formalise la mission bénévole et les responsabilités assurées, et décrit les compétences mises en œuvre » ;
- Fiche 3 : « Aide à l’identification des compétences »
Énumérations d’un ensemble de compétences à identifier : gérer des projets, animer des équipes, communiquer, être force de proposition, être force d’innovation, gérer et travailler dans une équipe interculturelle ou internationale, négocier des moyens d’actions, organiser, constituer et animer un/des réseaux, définir des stratégies, animer une instance dirigeante.
Autant de caractéristiques et de critères relevant du monde professionnel et de l’entreprise.
- Fiche 4 : « Tableaux récapitulatifs »
« Des missions et responsabilités bénévoles » et « Des actions de formation continue et de perfectionnement ».
Un volet du passeport fait référence à la VAE (Validation des acquis de l’expérience) visant à obtenir un diplôme, un certificat ou un titre professionnel
Il y a là une réelle logique de professionnalisation des bénévoles. Et sur ce plan, un parallèle peut être fait avec les livrets personnels de compétences (au nombre de trois) mis en œuvre en Janvier 2011 par l’Education nationale [8], dont l’objectif est de faire passerelle avec le monde de l’entreprise.
Dès les années 1980-1990, le terme compétence prend naissance dans l’entreprise, passant quasi « naturellement » dans le domaine de la formation professionnelle et, comme nous venons de le voir avec le« livret personnel de reconnaissance de l’expérience bénévole et de valorisation des compétences » [9], dans le monde du bénévolat.
Notre intention n’est pas de faire l’analyse du terme compétence – nous pouvons nous y perdre dans la sémantique très large pour le cerner : adresse, aptitude, capacité, connaissances (spécifiques, pratiques, théoriques), disposition, don, facilité, faculté, génie, goût, habileté, prédisposition, propension, qualité, talent… ; ni de traiter son historique ou d’expliciter sons sens, son intérêt ; ni d’analyser son impact dans notre existence.
Ce qui nous intéresse ici, c’est que ce terme s’inscrit dans un projet de société dont les intentions et les buts appartiennent spécifiquement au domaine entrepreneurial et au marché, où « (…) la logique des compétences attribue directement aux personnes humaines une “valeur économique”. » [10] Dans cette conception, il s’agit de la maîtrise du « potentiel » des individus, c’est-à-dire la « gestion », ou le « management », ou encore le « coaching » des ressources humaines
par
les compétences.
Considérons la place majeure que les compétences occupent, représentant un véritable enjeu et renvoyant à un ensemble de valeurs idéologiques :
performance
,
efficacité
,
mobilité
,
transférabilité
, où
l’employabilité
de la personne devient la priorité. C’est d’après cette logique que la frontière devient friable entre bénévoles et professionnels ; chacun étant impliqué dans ce même projet de société.
De plus, les membranes de séparations sont très poreuses entre l’administratif, l’associatif et l’entreprise. Le monde entrepreneurial, qui repose sur le marché économique, imposant ses diktats à l’ensemble. L’associatif se trouve ainsi happé par la dynamique de rationalisation de son action, contrainte par des procédures et des modèles abstraits, encadrée par des normes et des règlementations.
Cette situation s’inscrit totalement dans la logique d’
entreprisation
du monde [11], survalorisant les critères d’
adaptabilité
, de
flexibilité
, de
rentabilité
; induisant la
compétitivité
par une production toujours plus croissante
d’activités concurrentielles
, soumises à d’incessants contrôles, et considérées obsessionnellement sur le plan gestionnaire et comptable.
4- UNE RÉFLEXION PRATIQUE SUR LA RELATION BÉNÉVOLE-PROFESSIONNEL
Partant de la problématique ayant amené un ensemble de questionnements, ce chapitre se veut une réflexion pratique sur cette relation bénévole-professionnel en tension.
ü En termes de réflexions entendues
De la part de professionnels, de manière formelle ou informelle, il n’est pas rare d’entendre les remarques suivantes :
- Les bénévoles ne sont pas des professionnels ;
- Quel intérêt d’être professionnel, l’employeur pouvant utiliser des bénévoles ?
- Les bénévoles vont prendre la place de professionnels ;
- On ne peut pas être aussi exigeant envers l’activité du bénévole sinon, il part ;
- Les motivations des bénévoles sont d’ordre personnel et d’après des critères subjectifs et affectifs.
ü En termes de postures rencontrées
- La condescendance du professionnel envers le bénévole ;
- La crainte du professionnel du fait de l’exposition de ses manques ;
- Le doute quant à la motivation du bénévole ;
- Une défiance qui impacte le rapport au bénévole.
Nombre d’évènements, nationaux comme internationaux, sollicitent régulièrement les organisations et l’altruisme de personnes se portant volontaires pour intervenir.
Dans ce contexte, le bénévole remplace-t-il le professionnel ou, au contraire, lui apporte-t-il son concours ?
Faisant appel à des bénévoles, les professionnels sont-ils prêts à partager avec eux leurs champs d’action ?
Sont-ils prêts à analyser en commun leurs pratiques et, au-delà, à enrichir mutuellement leurs connaissances respectives ? [12]
N’oublions pas que la finalité première est d’aider des personnes (usagers, citoyens, peuples) quant à leur situation.
De ce fait, ne doit-on pas s’appuyer :
- Sur la conception dans la manière de s’engager et de s’impliquer ?
- Sur la volonté dans la manière d’envisager une relation partenariale ?
- Sur les intérêts communs ?
Nombre de bénévoles rencontrés ont exprimé leurs difficultés face aux situations de personnes auprès desquelles ils intervenaient, ainsi que face au fonctionnement de l’organisation qui fait appel à eux. Etant entendu que le bénévole est tributaire du fonctionnement de l’organisation dans laquelle il intervient, corrélée aux dirigeants et encadrants qui organisent et mobilisent les ressources.
Dans ce contexte, peut-on s’engager à aider et accompagner (notamment durablement) avec pertinence les personnes concernées ?
Pour ce faire, les bénévoles ont besoin de :
- Comprendre le fonctionnement structurel et organisationnel de la structure dans laquelle ils interviennent ;
- Connaître exactement leurs missions dans le rapport aux salariés, aux usagers, à l’encadrement ;
- Avoir un soutien face aux aspects relatifs à toute situation relationnelle.
Ce qui dénote la volonté de s’engager dans un cadre explicite et contenant.
4-1 SUR QUOI LA RELATION BÉNÉVOLE-PROFESSIONNEL EST-ELLE OPPOSABLE ?
Considérons les sept domaines suivants, retenus pour analyser cette relation opposable Bénévole-Professionnel.
Tableau 2 : éléments de lecture de l’opposabilité bénévole-professionnel
DOMAINES
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ELEMENTS DE LECTURE DE L’OPPOSABILITÉ
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FINANCIER
|
*
le bénévole :
- ne demande pas de rémunération et n’en profite pas. Éventuellement, il peut avoir des défraiements.
- son engagement et ses convictions n’ont pas de « prix ».
*
le professionnel :
- perçoit une rémunération.
|
TECHNIQUE
|
* le bénévole :
- peut-être expérimenté, spécialisé ou non dans le domaine sur lequel il intervient ou dans d’autres domaines (de par son expérience).
- il est porteur d’un ensemble d’outils et de moyens.
*
le professionnel :
- il est expérimenté, qualifié, diplômé.
|
TEMPOREL
|
*
le bénévole :
- n’est pas avare de son temps.
- ne restreint pas non plus l’énergie qu’il dépense.
*
le professionnel :
- son temps d’activité est contractualisé et encadré par la législation et la règlementation.
|
JURIDIQUE
|
*
le bénévole :
- agit sous couvert d’un professionnel et non de son propre chef.
*
le professionnel :
- par essence, est responsable de sa posture au regard du cadre législatif d’après lequel il opère.
|
ÉTHIQUE
|
*
le bénévole :
- sous l’égide de quelles valeurs morales se fait son engagement ?
*
le professionnel :
- agit sous l’éthique de l’organisation à laquelle il appartient.
|
CONTEXTUEL
|
*
le bénévole :
- agit d’après un contexte évènementiel.
*
le professionnel :
- agit dans un contexte permanent.
|
EVALUATIF
|
*
le bénévole :
- un retour de son action est nécessaire pour amélioration.
- le processus étant facultatif.
*
le professionnel :
- un retour de son action est nécessaire pour amélioration.
- le processus est obligatoire au regard de la législation.
|
4-2 COMMENT FAIRE ÉVOLUER LES REPRÉSENTATIONS ENVERS LE BÉNÉVOLE ?
Reprenons les remarques entendues et les postures exposées dans le chapitre 4 et proposons des éléments de réponse.
Tableau 3 : remarques entendues à propos du bénévolat et éléments de réflexion.
REMARQUES ENTENDUES
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ÉLÉMENTS DE REFLEXION
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Les bénévoles ne sont pas des professionnels.
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- Le bénévole n’est pas qualifié de
professionnel
, cependant, ses habiletés sont réelles et mises à disposition.
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Quel intérêt d’être professionnel, puisque l’employeur peut utiliser des bénévoles ?
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- N’est-ce pas pour mutualiser des connaissances, des compétences et du temps, et améliorer la prestation à moyens constants ?
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Les bénévoles vont prendre la place de professionnels.
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- Le bénévole veut-il devenir professionnel ?
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On ne peut pas être aussi exigeant envers l’activité du bénévole sinon, il part.
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- L’engagement du bénévole ne repose-t-il pas sur une satisfaction de son action ?
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Les motivations des bénévoles sont d’ordre personnelles et d’après des critères subjectifs et affectifs.
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- Le professionnel peut-il assurer être sans subjectivité et ne pas faire référence à des aspects personnels ?
Ce point est explicité chapitre 5
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Tableau 4 : postures rencontrées à propos du bénévolat et éléments de réponse
POSTURES RENCONTRÉES
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ÉLÉMENTS DE REFLEXION
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La condescendance du professionnel envers le bénévole.
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- Superfétatoire car le professionnel peut, par ailleurs, avoir des activités de bénévolat hors son cadre professionnel.
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La crainte du professionnel du fait de l’exposition de ses manques.
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- Le bénévole n’a pas vocation à la remise en cause des qualifications du professionnel.
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Le doute quant à la motivation du bénévole.
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- Le bénévole ne choisit-il pas lui-même par plaisir, ou bien être, son domaine d’activité ?
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Une défiance qui impacte le rapport au bénévole.
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- En quoi la responsabilité d’engagement du bénévole peut être suspicieuse ?
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5- LES MOTIFS D’ENGAGEMENT DU BÉNÉVOLE COMME POINT DE RÉFLEXION
Arrêtons-nous en particulier sur un aspect critiqué par les professionnels : la motivation du bénévole. Une notion pour laquelle le technicien exprime des doutes.
Il est fréquemment mis en avant que cette motivation est d’ordre personnel : le bénévole a besoin d’être en relation avec les autres - sous-entendu : pour des raisons subjectives et affectives.
Les acteurs qui interviennent dans le travail social sont confrontés à des situations difficiles, souvent très douloureuses (des blessures, de la souffrance de la part des personnes aidées). Face à cela, le professionnel est supposé être préparé, armé, de par sa formation. Sa qualification l’autorise à agir en expert. Il sait se distancier pour analyser et comprendre.
Le bénévole quant à lui, étant considéré comme n’ayant pas la compétence du professionnel et avec d’autres motivations, est d’autant moins en capacité d’agir de manière appropriée. De fait, les relations sont loin d’être fluides et faciles entre les deux.
Revenons donc à l’enquête de 2019 de Recherches et Solidarité et regardons en particulier certains des critères (ou qualificatifs) de l’engagement auxquels les bénévoles font référence et qui font « sens » pour eux (p. 31 et suivantes de l’enquête) :
- Le «
le souci d’être utile
» (45%), « quelqu’un de
dévoué qui a bon cœur
» (41%), «
une personne passionnée
» (31%), «
enthousiaste et positive
» (29%), « qui cherche à agir en équipe » (27%). L’« épanouissement personnel » (52%), la « reconnaissance sociale » (11%) ; avec aussi la satisfaction vécue dans l’activité menée d’avoir le « sentiment de changer les choses » (41%), de « faire progresser l’association » (28%), « le plaisir d’être efficace et utile » (61%).
Autant de termes et de conceptions mises en valeur qui interrogent justement cette tension dans la relation entre bénévole et professionnel.
En effet, n’est-ce pas également ces mêmes valeurs dont le professionnel se revendique dans son action ? N’est-ce pas le manque de reconnaissance et de satisfaction (du « travail bien fait », comme cela est si souvent exprimé), l’absence de sens à ce qu’il fait, l’impression de réaliser mécaniquement et de manière absurde des activités, autant de points qui l’amènent à des situations de décrochage professionnel, de burn out ? [13]
Si certains qualificatifs de l’engagement des bénévoles tels qu’exprimés dans l’enquête relèvent du subjectif : être utile, enthousiaste, positif, dévoué, passionné, avoir bon cœur, alors se pose une question pour le professionnel : sur quoi reposerait son choix du métier ? Qu’est-ce qui le motiverait dans son engagement dans le travail social ?
N’aurait-il pas le souhait – voire même : ne ferait-il pas le rêve - de vouloir changer les choses ? De rendre le monde meilleur ? De « faire progresser » l’institution avec laquelle il s’est engagé ? N’aurait-il pas le souci « d’être utile » ?
Car à l’inverse, se prévaloir de technicité (du fait d’une qualification, d’un diplôme) devient douteux. Quelle « fibre » prévaudrait quant à l’engagement dans le domaine du travail social par le professionnel ?
En quoi la nature de cet engagement répond à un besoin psychologique, humain, social, philosophique ?
La remarque pour distinguer la compétence du professionnel de la motivation du bénévole fait ressortir que le professionnel – et c’est d’autant plus vrai qu’il s’agit de relationnel - est (supposé être) en capacité de se distancier des situations difficiles auxquelles il est quotidiennement confronté. Pouvoir faire preuve d’empathie sans verser dans la fusion avec l’autre. Toute la difficulté du jeu en miroir !
Or, les propos suivants d’une assistante sociale de secteur disent combien des situations sont difficiles pour un professionnel, quand bien même il est formé : « Je ne sais plus quoi faire. J’ai une collègue qui est gravement malade d’un cancer, une qui a fait une décompensation psychiatrique… (…) J’en ai encore une autre, super crevée. C’est difficile le secteur. » [14]
Le professionnel n’est ainsi pas moins concerné -disons même plutôt : touché, impacté- que le bénévole par les questions de subjectivité et d’affectivité. Tout au plus peut-on considérer que sa formation l’aura sensibilisé à ce type de situation. Pour autant, il s’agit d’une introspection que tout professionnel ne fait pas, et ne souhaite pas forcément faire.
Faisons alors l’hypothèse que cette tension dans les rapports entre professionnels et bénévoles dans le travail social repose sur le fait que, confrontés aux mêmes difficultés d’accompagnant, vivant des situations en résonnance avec leur propre affect, les premiers sont contraints de tenir (ou de démissionner) alors que les seconds bénéficient d’une certaine marge de liberté pour rompre tout engagement dès lors que la situation leur paraîtrait insupportable. Et pour les bénévoles, il n’y aura pas de conséquences financières.
RÉFLEXION CONCLUSIVE
Les remarques entendues reposent plutôt sur des représentations, des clichés générateurs de postures comme celles évoquées. Il est communément admis que le bénévole est altruiste, libre et disponible.
L’idée de la générosité, du don bénévole est posée avec intensité dans le domaine du travail social : « Donner, recevoir et rendre sont les constituants d’une générosité qui s’affiche symboliquement. La générosité forme des conditions d’alliance et d’amitié et non pas seulement des conditions d’échanges économique. » [15]
La situation de crise sanitaire du fait du SARS [16] Cov-2, coronavirus responsable de la maladie Covid-19, a généré des élans de solidarité et des actes volontaires très honorables.
Tentons d’exprimer autrement l’engagement bénévole, opérons un déplacement : désintéressé autant qu’intéressé. Il n’y a là rien de contradictoire ni de douteux. N’est-ce d’ailleurs pas le propre de tout engagement ? La question du don dépasse les seuls individus et relève d’une complexité du fonctionnement sociale [17].
C’est dans les esprits qu’il convient de faire évoluer les stéréotypes dont cette relation bénévole-professionnel est tributaire. Les imaginaires confortant les représentations et portant à des malentendus.
En pensant différemment la place et le rôle des acteurs bénévoles par rapport aux acteurs professionnels, il apparaît que les deux sont des accompagnateurs, des aidants, des passeurs œuvrant dans l’intérêt de l’accompagné.
Il s’agit alors bien plutôt de mutualiser les connaissances, les habiletés et les ressources nécessaires à cet engagement dans la vie collective.
Par ailleurs, la tendance à professionnaliser le bénévolat atténue, voire efface la frontière avec le professionnel.
D’autant qu’une question se pose : la situation économique sera-t-elle garante du statut de bénévole, tel qu’il existe actuellement, dans les années à venir ?
Les récentes enquêtes de 2019 sur le bénévolat font apparaître un léger recul depuis 2016.
En ce sens, pourra-t-on alors faire un
distinguo
aussi net entre bénévole d’une part et professionnel d’autre part ?
Qui plus est avec l’idée d’un revenu universel…
Octobre 2020
NOTES
[1] PROUTEAU Lionel, « Note sur la mesure de l’évolution du bénévolat », in Laboratoire d’économie et de management de Nantes Atlantique-LEMNA, Mars 2019, pp. 1-12.
[2] Etudes de l’INSEE, de Recherches et Solidarités, du Centre de recherche sur les associations, de France bénévolat ou encore Le paysage associatif français. Informations disponibles sur : associationmodeemploi.fr, parution décembre 2019.
Voir aussi :
France bénévolat, « l’évolution de l’engagement bénévole associatif en France, de 2010 à 2019 », étude France bénévolat/IFOP mars 2019. Disponible sur le site :
https://www.francebenevolat.org/sites/default/files/DOCUMENTATION/ETUDE_Evol%20b%C3%A9n%C3%A9volat%20associatif%20en%202019_DEF.pdf
(document de 24 pages)
La
France bénévole : Evolutions et perspectives
, 16
ème
édition, sous la direction de Cécile BAZIN et Jacques MALET, préface de Roger SUE, Mai 2019,
https://recherches-solidarites.org/2019/05/22/la-france-benevole-2019/
[3] ION Jacques, « Brève chronique des rapports entre travail social et bénévolat », in
Pensée plurielle,
n° 10, 2005/2, p. 149.
[4] BOURDIEU Pierre,
La misère du monde
, sous la direction de Pierre Bourdieu, Paris, Seuil, 1993, p. 689.
[5] LEBLEUX Dominique, « Bénévoles et professionnels de la réinsertion sociale : conflits éthiques et conflits pratiques. Note de recherche », in
Sociétés contemporaines
, « Ethique professionnelle », n°7, septembre 1991, p. 107
[6] Rappelons que le bénévolat associatif est de 23,7% en 2019.
[7] Passeport Bénévole :
www.passeport-benevole.org
[8] Il s’agit des « grilles de références pour l’évaluation et la validation des compétences du socle commun au palier 1, du socle commun au palier 2 et du socle commun au palier 3 (fin de scolarité obligatoire) ».
[9] Ce qui s’inscrit dans l’esprit du « portefeuille de compétences », dit aussi « portfolio » (terme plus spécifique aux Nord-Américains), utilisé dans le cadre du « bilan de compétences ». Démarche appuyée par des référentiels compétences (qui explicite les compétences que l’individu doit maîtriser à un poste -
connaissances, savoir-faire, qualités et aptitudes requises
…).
[10] BOLTANSKI Luc ; CHIAPELLO Eve,
Le nouvel esprit du capitalisme
, Paris, Gallimard, 1999, p. 566.
[11] SOLÉ Andreu, « L’entreprisation du monde », in
Repenser l’entreprise
, sous la direction de Jacques Chaize et Félix Torres, Le cherche midi, 2008, p. 25-54.
[12] SIMONET François, «
In fine
, l’analyse des pratiques est-elle réellement… pratique ? », septembre 2016, pp. 1-14. Site
http://www.psychasoc.com
[13] GAIGNARD Lise,
Chroniques du travail aliéné
, Paris, éditions d’une, 2015.
[14] GAIGNARD Lise,
Chroniques du travail aliéné
, Paris, éditions d’une, 2015, p. 71.
[15] DURANT Estelle, « Le bénévolat, un temps social au service de la solidarité », in
L’économie sociale en mouvement
, n° 302, RECMA revue internationale de l’économie sociale, 2006/4, p. 83.
[16] Acronyme anglais de Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (Syndrôme respiratoire aigu sévère).
[17] GODELIER Maurice,
L’énigme du don
, Paris, Fayard, 1996.