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La supervision d’équipes en question 1/4

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Collectif d'auteurs

mardi 05 janvier 2010

La supervision d’équipes en question

Premières journées européennes de réflexion, recherche et formation

Montpellier les 24 et 25 octobre 2009

Sommaire

  • Joseph Rouzel, Ouverture : le supervision ne donne pas une vision super !

  • Marie-Claude Lacroix, La supervision dans des équipes de travail social : d'un guide de bonnes pratiques à l'interrogation d'une pratique singulière.

  • Françoise Tschopp, Isabelle Kolly-Ottiger, Sylvie Monnier, Sylvie Tissot, Supervision et intervention : des démarches réflexives au service des professionnels.

  • Isabelle Pignolet de Fresnes, Le professionnel dans tous ses états: la supervision comme espace d'accueil des éprouvés individuels au service d'une "pensée" collective.
  • Xavier Gallut, L'analyse des pratiques: inscrire, muser, interpréter.
  • Claude Sibony, Du sujet, de l’individu et du collectif.
  • Patricia Vallet, L’analyse des pratiques dans les formations initiales en travail social.

  • Marie Allione, L’effet mosaïque. A propos de la supervision et de la régulation d’équipe.

  • Claude Allione, Les rois de l’incertitude ou Les supervisions sont-elles les sucres lents de la psychothérapie institutionnelle ?

  • Jacques Cabassut, Supervision et institution. Politique et clinique institutionnelles sont dans un bateau …

  • Joseph Mornet, La supervision d’équipes en question à l’éclairage des apports de la psychothérapie institutionnelle.

  • Joseph Rouzel, Ceci n’est pas une conclusion…

La supervision ne donne pas une vision super !

« Circulez, y’a rien à voir » pourrait-on s’écrier à propos de la supervision. Mais s’il n’y a rien à voir, y’a à causer.

A quoi ça sert de causer dans un groupe de professionnels, avec un extérieur au groupe ? Ce +1 qui est aussi un – 1, ce qui donne une somme nulle : +1 -1 = 0. Cet « au moins 1 », comme le nomme Lacan, j’en ai souvent illustré la posture à partir d’un petit apologue qui met en scène 3 fils dont le père vient de mourir et qui leur lègue 17 chameaux en demandant dans son testament la répartition suivante :

  • à son fils ainé reviendra la moitié des chameaux

  • au second, 1/3

  • au 3ème : 1/9e

Evidemment la solution du problème est impossible, sauf à rajouter un chameau, ce qui donne 18 chameaux.

- Le premier en reçoit donc la moitié = 9 ;

- le second 1/3 = 6 ;

- et le 3ème 1/9= 2.

Mais lorsque l’on fait la somme : 9+6+2= 17. En fait le chameau supplémentaire n’a servi qu’à produire la division. Ensuite on peut le retirer.
Ainsi en va-t-il du superviseur, extérieur au groupe de professionnels, extérieur à l’institution, qui agit comme opérateur de division à partir d’une place d’exception. Division entre les membres du groupe, pour que la parole et la place de chacun soient assurées. Car il s’agit d’éviter la « colle » affective ou les fausses divisions par clivage, factions et groupe perclus de rivalités imaginaires. Division aussi et surtout au sein de chaque parleur, car la parole nous divise, puisque le sujet n’est jamais que représenté. Division enfin dans le transfert engagé avec les usagers : on attend de ce travail un effet de coupure et de séparation, là où le transfert nous embrouille. Autrement dit la place de superviseur (+1-1= 0) produit du « pastout » à tous les étages. C’est un peu comme l’eau et l’électricité dans les immeubles du début du siècle précédent. Ce « pastout » marque la supervision comme mode de traitement de la jouissance. Comme l’énonce Guy Le Gaufey, cela implique à cette place une consistance logique et des conséquences cliniques. (Guy Le Gaufey, Le Pastout de Jacques Lacan , EPEL, 2006)

Ce que j’attendais de ces journées, et ce pour quoi je les ai organisées, c’était, si j’ose dire, que chacun se mette à table.
Jai donc invité intervenants, mais aussi participants, à exposer leurs pratiques, donc à s’exposer. Non dans un quelconque but de niveler ces pratiques où finalement chacun y va de son style, mais pour laisser jouer la diversité. Dans ces deux jours j’ai souhaité que nous réalisions collectivement, c’est à dire en y mettant chacun du sien, que nous réalisions un patchwork, une composition impressionniste. Nous pouvons voir ici, à travers cette publication des différentes interventions sur le site de Psychasoc, comment se dégagent des motifs mais aussi des reliefs et des contrastes.

Nous n’avons pas fait une séance de supervision à 200, ça n’aurait pas été sérieux, mais il s’agissait bien cependant, dans la parole, de produire une rencontre qui fasse lien social. En effet, comme l’énonce le juriste Loiseul au XVII e : « On attache les bœufs avec un joug, les hommes avec la parole ».

Il s’agissait donc au cours de ces deux jours de vérifier comment nous pouvions nous rassembler, sans nous confondre, autour de ce point d’arrimage que constitue le signifiant « supervision », dans toutes ses composantes et déclinaisons : analyse de la pratique, régulation d’équipe, analyse institutionnelle etc D’ailleurs il y avait sûrement à entendre comment diverses dialectes tentent de cerner la chose en question. Comprenons qu’en la matière il n’y a pas de sens unique, mais à entendre comment ça circule.

Comme tout le monde à pu le constater ce jour-là, la place qui devait être occupée par Jean-Pierre Lebrun est restée vide. Jean-Pierre venait de subir une attaque de grippe. Je n’en connais pas la marque, ni les lettres, ni les chiffres qui la caractérisent - car aujourd’hui on a très peur des chiffres et des lettres notamment lorsque le 1 affecte le H et la N ! Il avait dû rentrer précipitamment la veille au soir de Bordeaux vers ses pénates, à Namur, pour se soigner. Il n’était donc pas parmi nous. Je l’ai regretté et plusieurs participants qui étaient venus, certains de loin, pour l’entendre, aussi. Et en même temps cela nous a forcé à réfléchir sur la place de « au moins 1 » que je lui avais demandé d’assumer. Jean-Pierre Lebrun, dont on connaît l’engagement dans les pratiques de supervision, ce dont il témoigne dans son dernier ouvrage intitulé Clinique de l’institution , m’avait fait l’amitié d’assurer le fil rouge de ces journées. Comment faire fonctionner la fonction « au moins 1 », fonction d’exception, alors que son fonctionnaire attitré ne fonctionne pas? Entendez que j’appuie lourdement sur la fonction... Voilà bien une question commune à la supervision et à ce que nous avons eu à faire ensemble durant ces deux jours. J’ai tourné ça dans tous les sens en me disant que puisque c’est avant tout une fonction, elle peut être incarnée dans plusieurs corps, qu’elle peut être tournante. Assimiler la fonction à celui qui l’occupe ou qu’on a désigné pour l’occuper relève finalement d’un imaginaire très réducteur. Que plusieurs corps puissent occuper la fonction, qu’elle soit tournante, qu’est-ce que ça veut dire ? J’ai pensé que la fonction pouvait fonctionner à partir des formateurs de Psychasoc présents au cours de ces deux jours. Donc sans leur en avoir parlé, comme ça, par surprise, au débotté, j’ai demandé aux collègues d’assurer, chacun selon son style, la fonction de relancer les questions et de commenter les interventions, que Jean-Pierre Lebrun avait accepté d’occuper. Ils étaient cinq dans la salle. Dans l’ordre d’apparition sur le programme, Thierry Goguel d’Allondans, Loïc Andrien, Isabelle Pignolet de Fresnes, Jean-François Gomez et Jacques Cabassut. Il ne s’agissait pas tant de faire, comme on dit, contre mauvaise fortune, bon cœur, mais d’en profiter, confronté à un point de réel, pour se faire inventif.

Je dois dire, pour ponctuer cette introduction, la joie que j’ai éprouvé d’accueillir pas loin de 200 participants, au nom de Psychasoc, PSF et Asies, qui réunit ce qu’un présent durant ces journées, Jean-François Gomez, a nommé : « L’école de Montpellier ».

Joseph ROUZEL, Responsable de PSYCHASOC

La supervision dans des équipes de travail social :

d'un guide de bonnes pratiques à l'interrogation d'une pratique singulière

Je travaille dans une asbl (association sans but lucratif) nommée « Synergie asbl »; j'y développe une pratique de supervision tout en y occupant la fonction de responsable pédagogique. Invitée par Joseph Rouzel à venir remplacer Isabelle Streydio, - qui se proposait de venir exposer son travail, orienté par la psychanalyse,- mais aussi invitée à intervenir sous l'intitulé : « Pratiques européennes et pratiques de supervision », je me sentais tenue de pouvoir aborder dans cet exposé, tant des éléments concernant la supervision en Belgique, qu'un possible rapport supervision-psychanalyse.

C'est donc avec trois points de tension que j'ai découpé ma présentation, l'unité étant assuré par la dimension partielle de chaque point développé : parce que de la Belgique, je dirai surtout des préoccupations qui relèvent des francophones, parce que de la pratique de Synergie en matière de supervision, je dois préciser qu'elle représente seulement une des orientations possible de supervision en Belgique, et parce qu'enfin la psychanalyse n'est qu'un des référents présents à Synergie.

En première partie, je fais état d'un essai de formalisation de bonnes pratiques de supervision dans le secteur non-marchand, à l'initiative de l'APEF (Association Paritaire pour l'Emploi et la Formation, qui regroupe les organisations d'employeurs et de travailleurs siégeant dans les fonds de sécurité d'existence (16) du secteur non marchand francophone et germanophone, afin de coordonner et d'amplifier leurs actions, notamment dans le domaine de la formation et/ou de la création d'emplois), et j'indique les interrogations et craintes de Synergie sur la place laissée à des pratiques différentes.

En seconde partie, je détaille les pratiques de Synergie et ce qui les fonde. En dernière partie, j'ébauche ce qui permettrait de comprendre que la psychanalyse soit un référent, parmi d'autres, au travail de supervision à Synergie.

Partie 1. Guide de bonnes pratiques en matière de supervision

Précaution : Il s'agit pour le lecteur de bien prendre en compte et de différencier d'une part, un certain nombre d'actions menées par la structure APEF 1 et d'autre part, les interrogations et les réflexions prospectives proposées par Synergie (exercice intellectuel, action de l'esprit au sens où Hannah Arendt invite à ne pas céder sur l'activité de penser, comme étant une nécessaire activité 2 ).

Il existe en Belgique, au niveau fédéral (l'ensemble des régions linguistiques) un système d'imposition qui prévoit qu'un pourcentage des cotisations sociales patronales est prélevé pour constituer un fonds qui servira à la formation continuée 3 du personnel relevant des secteurs professionnels où sont prélevés ces sommes.

Au niveau francophone, il y a ainsi 5 grands Fonds correspondant aux Commissions paritaires de travail. (par exemple : Aide Familiale à Domicile, Service d'Éducation et d'Hébergement, Secteur Socio-Culturel, ...) Chaque fond est géré paritairement par des représentants des employeurs et des représentants des travailleurs (syndicats : CSC Confédération des Syndicats Chrétiens de Belgique - FGTB Fédération Générale du Travail de Belgique – Syndicat Libéral).

Dans un objectif annoncé de réaliser des économies d'échelle, certains fonds (la majorité) se sont réunis dans un Fonds plus global appelé APEF (association paritaire pour l'emploi et la formation).

Chaque fonds fait des offres annuelles de soutien financier pour la formation continuée des travailleurs des établissements. A deux ou trois dates annuelles, les établissements appartenant à la Commission paritaire concernée par ce fonds sont invités à rentrer des demandes de formation continuée (pour l'instant il s'agit surtout d'un cahier des charges – contenus, pédagogie et budget – pour organiser une formation collective pour le personnel). Le comité de gestion du fonds composé des représentants des syndicats et des représentants patronaux, donne son avis, sur base des données préparées par des permanents. Les orientations annoncées des Comité de gestion sont de favoriser la mobilité intra et intersectorielle des travailleurs et d'accorder le plus grand intérêts aux travailleurs les plus fragilisés (ayant une courte formation de base, ou âgés, etc...).

En tant que fonds global, l'APEF est notamment à l'origine

a- d'un programme de formation appelé Qualiditas, (40 formations annuelles, sur des sujets assez généraux) accessible gratuitement à tous les travailleurs dont les commissions paritaires sont membres de l' APEF

b- du Plan de formation.

C'est une méthodologie qui permet aux établissements qui le souhaitent (ou pour lesquels les financements structurels de fonctionnement par les pouvoirs publics l'imposent ou pourraient l'imposer) d'analyser les ressources internes et de construire, en ayant fait participer l'ensemble du personnel à cette construction, un plan de formation qui est une programmation, sur 1 à 5 ans, pour que les travailleurs acquièrent des compétences nécessaires à l'établissement. L'APEF fournit des bourses pour que ces établissements bénéficient d'accompagnateurs pour construire ces plans de formation.

Les fonds particuliers (qui sont regroupés dans l'APEF) finançant les demandes de formation sur site (ce sont des formations ou supervisions collectives organisées sur les lieux de travail) demandent désormais que ces projets figurent dans un plan de formation.

c- d'activité de réflexion sur la supervision et la formation des superviseurs

Voici 5 ans, le Fonds ISAJH (suivi ensuite par l'APEF en 2006-07) avait aussi lancé des travaux de réflexion sur la définition de la supervision et sur la formation des superviseurs.

Synergie a fait partie des acteurs réfléchissant sur le balisage de la supervision d'équipe. Des tensions ont été présentes tout au long de ce séminaire : rapport entre supervision et militance sociale (avec le risque d'instrumentalisation de la supervision), boite à outils et supervision (avec le risque de manquer l'interrogation centrale de la place de la supervision dans l'institution), rapport supervision/coaching (avec le risque de l'expertise).... pour ne citer que quelques questions.

Un guide de bonnes pratiques, document balisant la supervision collective dans le non-marchand a été produit et diffusé auprès des établissements relevant de ces Commissions paritaires 4 .

A propos de ces quelques faits, nos empêchements d'arrêter de penser.

Dans ce qui peut sembler la jungle des offres de formation continuée, l'APEF offre un support rationnel et méthodologique. Face à des excès (propositions de formations continuées aux coûts démesurés et à la pédagogie incertaine), on ne peut certainement que se réjouir de la démarche.

1. Là où nous restons sensible, c'est face au risque de monopole de l'APEF.

L'APEF (et les fonds qu'elle rassemble) constitue une grosse structure qui rassemble en un même lieu un poids financier décisionnel et un travail sur les orientations pédagogiques de la formation continuée. Jusqu'à ce jour, lorsqu'un établissement demande à être financé pour une formation continuée avec un opérateur de formation, il reçoit en général son financement pour autant que cet opérateur soit repris dans la liste des opérateurs connus du Fonds. Actuellement, 22 opérateurs (dont fait partie Synergie asbl) sont repris dans la liste de l'APEF. Pour faire partie du ROF (répertoire des organismes de formation, il convient d'envoyer sa candidature, attestant d'actions de formation professionnelle continue dans le non-marchand privé. On ne peut que craindre la dérive qui lierait – c'est un conditionnel – l'attribution de financement pour mettre en place un dispositif de formation continuée à la compatibilité de la pédagogie de l'opérateur de formation continuée, avec les orientations pédagogiques prônées par les Fonds.

2. Les modes de travail proposés ou soutenus par L'APEF et les Fonds relèvent, par certains aspects, d'une modalité «technoscientifique». Ce n'est pas une critique de la façon rationnelle et mesurée d'envisager une action de formation. Mais sous le qualificatif, se rassemblent des pratiques qui visent l'efficacité, le résultat, l'outil, et pour ce faire tendent au découpage de la pratique sociale en petites unités, aboutissant ainsi souvent à mettre de côté, voire à négliger le sens, le cadre du travail social, le processus et les résultats annexes, voire acquits « de surcroit ».

Cette dimension, nous la retrouvons très présente dans

  • la demande de curriculum vitae des superviseurs

Antérieurement, lorsqu'un établissement demandait un financement pour une supervision assurée par l'opérateur de formation Synergie, Synergie y répondait en mentionnant sa méthodologie et le nom du superviseur de son équipe. Désormais, indépendamment de l'engagement de Synergie, le curriculum vitae de ce superviseur nous est demandé. Nous ne pouvons nous empêcher de le lire comme si notre position d'opérateur de formation continuée ne suffisait plus, aux yeux des permanents du Fonds, à garantir le sérieux de l'entreprise et que le regard posé sur le superviseur ou formateur, individuellement, donnait plus de garantie. La supervision ou la formation semblent pensées comme des actes techniques, faits d'un seul individu. Notre méthodologie (expliquée dans la partie 2.) est exactement, à l'opposé, centrée sur le positionnement d'un superviseur qui s'appuie structurellement sur un opérateur de formation pour tenir ce positionnement.

  • Les formations du catalogue Qualiditas (proposition annuelle de l'APEF) sont des formations présentant la fonction sociale découpée en tranche : « Manager votre équipe au quotidien », « gestion du stress », « gérer les conflits »....

  • la mise en oeuvre de la construction d'un plan de formation, tel que proposé par l'APEF ont, nous l'expérimentons, un double effet sur les établissements (et leurs directeurs) qui le construisent : 1) ils croient (ou risquent de croire si nous omettons de le travailler avec eux) qu'élaborer rationnellement, en débat avec les travailleurs de l'établissement, un plan de formation leur garantit qu'ils trouveront, parce qu'elle existe, la formation nécessaire pour aplanir les difficultés; 2) ils pensent que les difficultés qu'ils rencontrent pourront enfin trouver solution, par des formations au cahier des charges adéquats et aux formateurs experts.

On se dira que c'est méconnaître la dimension subjective des travailleurs et la dimension d'incertitude et d'impossible du travail social. Et nous travaillons à ce que les établissements puissent construire un travail rationnel sans croire que cette rationalité puisse faire disparaître toute difficulté.

  • De manière plus globale, les méthodes de travail prônées par l'APEF et les Fonds, notamment dans le Plan de formation, se présentent comme planifiées, réfléchies, incluant la participation de tous, voire consensuelles, et par ces caractéristiques laissent planer l'ombre de la neutralité de la science, la difficulté à critiquer les méthodes puisque issues d'un modèle hautement rationnel. C'est comme si les méthodes étaient neutres par essence, alors qu'elles sont toujours animées par un référent, tacite le plus souvent, qu'elles mettent en oeuvre.

  • Enfin, les constructions de bonnes pratiques se font, sur le mode du débat participatif et démocratique. La validation et la légitimité du résultat tient pour beaucoup au fait que de nombreux partenaires ont été conviés, par réunion directe ou par mail. Mais la production finale, qui tente d'intégrer une majorité de point de vue risque fort de se muer en point de références, excluant ou minimisant les différences parfois très importantes des acteurs du débat. Cela mène à interroger la pertinence qu'il y aurait, en matière de pratiques formatives, ou sociales, à subsumer la différence sous une pratique générale. La diversité des pratiques- même minoritaires-, les nuances des référents ne sont-elles pas riches pour les bénéficiaires de ces pratiques ?

La valorisation des aspects « technoscientifiques» ne porte pas préjudice à l'aboutissement de demandes de supervision à Synergie pour l'instant; du côté des modules de formation, nous percevons bien que nos propositions n'ont pas été souvent retenues pour figurer dans le catalogue Qualiditas. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser : au vu des caractéristiques sus-décrites et au vu des options centrales posées par Synergie en matière de formation continuée, qu'en sera-t-il dans le futur?

Partie 2. Les options centrales de Synergie en matière de formation continuée (module de formation et supervision)

Synergie est un service de formation continuée qui existe depuis 1989. Pour faire simple et court, nous travaillons à la formation continuée de professionnels du champ social au moyen de dispositifs qui couvrent module de formation, supervision collectives et individuelles, accompagnements, intervisions, séminaires, journées d'études mais aussi le travail de recherche-action, en passant par l'analyse de pratiques sociales, parfois de politiques publiques, avec propositions et pistes d'actions.

Les acteurs de Synergie se répartissent en deux équipes : une équipe interne et une équipe de collaborateurs occasionnels et externe.

L'équipe interne (8 personnes dont une directrice) est pluridisciplinaire tant dans la formation de base des collaborateurs que dans les références vers lesquelles ils se sont tournés au cours de leurs activités professionnelles. Ainsi ils ont des diplômes d'assistant social, master en communication, en sociologie, en criminologie, en droit, en psychologie, en philosophie... et des références comme la systémique, le constructivisme ou la psychanalyse se côtoient.

L'équipe externe (environ 25 personnes) est composée d'intervenants, pour la plupart ayant une pratique dans le travail socio-éducatif-thérapeutique.... qui collaborent ponctuellement, de façon plus ou moins importante avec nous. Leurs formations sont très variées et leurs référents aussi.

Serait-ce Babel? Sous cette diversité, on peut repérer une ossature commune. J'avancerai que c'est ce qui nous tient, sous le pari de la diversité annoncée.

Référents généraux d'ordre théorique et pédagogique pour la formation.

1) réflexivité sur l'action et référence permanente au cadre professionnel dans lequel évolue les participants.

2) co-construction du savoir avec les participants.

Les formateurs ne centrent pas leur apport sur des acquisitions comportementales, mais sollicitent Sla réflexion des participants sur la place de ces techniques dans leurs institutions et pratiques quotidiennes. Par là toute démarche formative se trouve replacée, pour le participant, dans une interrogation personnelle sur la place de son activité dans l'institution. Et c'est à partir de la démarche que chacun entreprend par rapport à sa propre expérience, que formateur et participants construisent un savoir collectif.

Référents théoriques et la méthodologie de travail pour la supervision – accompagnement

On peut se dire qu'il y a certes diverses façons de faire de la supervision, mais des options ont été prises à Synergie, qui permettent de comprendre ces référents et de voir alors en quoi la méthodologie n'est pas une simple mise en pratique mais est animée par ces référents. :

Il y a tout d'abord une sorte de fondement historique qui, par le biais d’un arrêté (texte légal), a inscrit Synergie comme opérateur de formation continuée. Cela a constitué un cadre avec lequel il fallait compter dans notre façon de construire un service de formation continuée.

Il y a ensuite un positionnement de Synergie par rapport à ce qu’est le travail social et un choix d’une formation continuée qui est cohérent avec cette lecture.

Et enfin, un positionnement de Synergie par rapport à ce qu’est la supervision et le choix d’une méthodologie qui renforce et soutient ce positionnement.

1. La supervision est pensée comme instrument de réflexivité dans le travail social

La supervision a une place particulière dans le travail social. : elle est un instrument privilégié de la réflexion des travailleurs sociaux, contribuant à en faire des praticiens (du côté d'une praxis) et non des techniciens. Cette vision réflexive de la supervision n’exclut évidemment pas de rencontrer des problèmes critiques, à la résolution desquels les superviseurs collaborent, en veillant à ne pas empiéter sur l'espace décisionnel des institutions.

Penser la supervision comme une des garanties d’un travail social qui soit une pratique a pour effet de mettre Synergie en mesure d’entendre la diversité des pratiques. Synergie opérateur de formation continuée a le souci d’accompagner la réflexion sur cette diversité de pratiques.

2. Notion de tiers institutionnel avec la présence permanente de l'opérateur

La supervision à Synergie se fait avec un opérateur qui n’est pas un placeur de superviseurs mais un tiers, pièce essentielle d’un dispositif qui garantit une place équitable à chacun.

L’intervention sociale réunit deux parties, une dite professionnelle, (dans le cas présent, les superviseurs) et une dite bénéficiaire (les équipes). Parce qu'un moteur de la fonction de supervision est l'extériorité du superviseur, pour que la partie professionnelle et la partie bénéficiaire ne soient pas en position duelle, avec le risque d'annihiler la distance, soit par une trop grande proximité et entente ou au contraire une rivalité, une instance qui fait tiers et qui rappelle, autant que nécessaire, le cadre de l’intervention a été mise en place.

Cela a pour conséquences que la méthodologie, dans ses différents aspects d’analyse de demande, d’accompagnement du processus, de suivi et bilan du processus mais également de formation des superviseurs, est en permanence, pensée, orientée, vers ce souci de la position de Synergie comme tiers dans la rencontre équipe-superviseurs.

Pour répondre à cette double exigence de la diversité des pratiques et d’un opérateur en place de tiers, Synergie a constitué une équipe externe et interne de superviseurs en dialogue avec ceux qui occupent la fonction de représentation de l’opérateur (analyseurs, évaluateurs, ...).

3. Ethique du superviseur : un savoir qui n'est pas un pouvoir de décision

Les superviseurs accompagnent des équipes en puisant dans leurs expériences, leurs connaissances. Toutefois les superviseurs ne sont pas des spécialistes appelés en consultation mais des professionnels, ayant une expérience et la capacité d'y faire appel, en dialogue avec d’autres professionnels, mis à une place différente en raison de leur extériorité à l’institution. 5

Donc cela veut dire que le superviseur n’est pas sans savoir (puisque professionnel), mais pas en position d’exception qui serait due au savoir (comme le serait un consultant ou un expert). Le travail permanent du superviseur est de pouvoir faire usage de son savoir sans que celui-ci soit, par lui ou les participants, transformé en outil de pouvoir, d’injonctions. La supervision n'est donc pas un lieu de décision.

La posture de superviseur que requiert la pratique de supervision mise en place à Synergie est exigeante pour chacun de ceux qui y participe. Entre intervenants, que ce soit de l'équipe interne ou externe, c'est sur cette posture que se fonde l'essentiel de notre travail, quelles que soient nos références théoriques.

Ce travail permanent de la juste place est soutenu à la fois par la fonction de tiers de Synergie et à la fois par la façon dont Synergie envisage la fonction de superviseur (accès par cooptation, formation continuée des superviseurs avec 5 journées par an de travail collectif, ou travail réflexif des superviseurs sur la posture.). 6

4. Méthodologie

Les 3 points exposés ci-dessus permettent alors de lire au delà d'une simple description de bonnes pratiques, la méthodologie que nous proposons

  • analyse de demande qui aboutit à la proposition d'un superviseur

  • possibilité à tout moment du processus de bilan permettant de suspendre ou clore la supervision.

Les équipes, le superviseur et Synergie ne signent pas de contrat mais s'engagent à parler et discuter de toute difficulté qui surviendrait. L'issue de ce débat peut être une réorientation et poursuite des travaux avec le même superviseur ou bien avec un autre, ou encore arrêt des travaux.

Dans le panorama des bonnes pratiques de supervision, issues du travail de l'APEF, nos pratiques ne dénotent pas vraiment - sauf peut-être cette absence de contrat et le non choix direct du superviseur, par les équipes. Mais c'est le propre du sens : des pratiques identiques en apparences peuvent se référer à des sens multiples et parfois opposés.

Partie 3. Bricolage et quelques bricoles

Le troisième niveau d'interrogation questionne la façon dont, pour l'intervenant de terrain que je suis, les référents que sont philosophie et psychanalyse peuvent soutenir une pratique en lien avec les pratiques de supervision de Synergie, institution qui défend la multiplicité dans les formations de base et les référents des intervenants.

Fondamentalement, je bricole, comme Levi-Strauss nous l'indiquait.... « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâche diversifiées; mais, à la différence de l'ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l'obtention de matières premières et d'outils, conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos et la règle de son enjeu est de toujours s'arranger avec les "moyens du bord", c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures » 7 .

Dans l'objet qui émerge, on peut reconnaitre d'où viennent certains boulons et quelques rondelles.

Je pense qu'on reconnaît dans les options sur le travail social, que Synergie a fait sienne quelque chose de l'impossible freudien de gouverner, éduquer, psychanalyser..

On reconnaît également dans le travail sur la posture, dans la responsabilité de ne pas faire usage d'un poids – décisionnel – que nous pourrions prendre ou que les participants voudraient nous confier, et dans le soutien qu'apporte, à ce propos, le cadre de travail, quelque chose de cette interrogation sans fin sur les dimensions transférentielles.

Mais au delà de ces apports « classiques », je pense aussi que d'autres éléments d'intersection permettent qu'une pratique commune à Synergie puisse se dégager avec des référents multiples, dont entre autres, la psychanalyse. Celle-ci se trouve notamment liée à trois dimensions également poursuivies dans le travail de supervision : dimensions d'autonomisation des acteurs, réflexivité des professionnels et de poursuite de relations démocratiques en établissement.

Et si « la démarche analytique, en tant qu'elle vise a faire advenir un sujet autonome et auto-réflexif » 10 0 est remise en question aujourd'hui, dans les démarches techno-scientifiques ou d'expertise, c'est parce que le sujet qu'elle prône est « dans son essence incompatible avec l'idée de la maîtrise » 11 1

Conclusion

Une voie d'entrée sur le travail de supervision s'est imposée un peu toute seule : j'aurais pu parler de situations, parler des participants aux supervisions, parler des différenciations existantes dans ces activités de type supervision, parler d'un point de vue clinique de la récurrence de certaines situations... et je me suis retrouvée propulsée à parler de notre institution de la supervision, que ce soit le cadre qui s'élabore au niveau politique et financier, ou le cadre pédagogique et méthodologique au niveau de notre propre service, ou encore le cadre référentiel qui est le mien.

C'est certainement parce que je travaille avec cette évidence que la supervision est un travail de parole qui, comme tout travail de parole, n'a de sens et d'effet qu'en fonction du cadre dans lequel il prend place.

Et maintenant? Courageusement nous continuons, avec les participants des supervisions, dont j'ai parlé à la fois beaucoup et très peu, à travailler; mais à travailler au sens où Christophe Dejours l'énonce : « Le réel se fait connaître par sa résistance aux procédures, aux savoir-faire, à la technique, à la connaissance, c'est-à-dire par la mise en échec de la maîtrise. Travailler c'est échouer. » 12 2.

2 « A ces moments cruciaux, la pensée cesse d'être une affaire marginale aux questions politiques. Quand tout le monde se laisse entraîner, sans réfléchir, par ce que les autres font et croient, ceux qui pensent se retrouvent à découvert, car leur refus de se joindre aux autres est patent et devient alors une sorte d'action », Hannah Arendt, Considérations morales, Rivages poche, 1996, [Social Research, 1971], p. 71-72.

3 Par le terme de « formation continuée » est désigné, dans ce texte, le processus de formation pour des travailleurs qui sont engagés dans un cadre professionnel; ce processus peut prendre la forme de différents dispositifs tels que module de formation, supervision, accompagnement d'équipe, séminaire, atelier d'échange de pratiques, intervisions, journée d'étude...

4 Téléchargeable à l'adresse http://www.apefasbl.org/actions-et-projets-specifiques-de-l-apef/supervision/

5 Je profite de l'occasion pour remercier Mr. Grimaud dont la lecture des textes m'a éclairé souvent dans cette question des professionnels intervenant auprès d'autres professionnels.

7 Lévi-Strauss, La Pensée Sauvage, Plon, 1960, p. 27.

8 Yves Cartuyvels. La psychanalyse, entre la science et le sujet : enjeux contemporains d'une lecture critique à partir de Castoriadis, in Psyché. De la monade psychique au sujet autonome, Cahiers Castoriadis 3, Faculté Universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2007, p. 191-226.

9 C. Castoriadis, « Psychanalyse et Politique », Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe, III , Paris, Seuil, 1990, p. 174, cité in Yves Cartuyvels, op. cit. , note 67, p. 212.

10 Ibidem , p. 212.

11 C. Castoriadis, « La crise du processus identificatoire », p. 137, cité in Yves Cartuyvels, op. cit. , note 66, p. 212.

12 Christophe Dejours, L'évaluation du travail à l'épreuve du réel , INRA éditions, 2003, p. 14.

Françoise Tschopp

Isabelle Kolly-Ottiger

Sylvie Monnier

Ecrire sur la supervision est l’occasion de parler de diverses pratiques proposées aux professionnels du travail social comme moyen pour prendre de la distance et penser l’action professionnelle. Ces pratiques existent depuis de nombreuses années tant dans le champ du travail social que de celui de la santé. Elles sont au service de différents acteurs professionnels immergés dans des situations de grande complexité. Elles cherchent à répondre à leurs difficultés ou à leurs sentiments d’impuissance des professionnels face aux contradictions auxquelles ils sont confrontés lorsqu’il s’agit de remplir un mandat dans une période de non reconnaissance de la fonction sociale du travail social, et où leurs repères éthiques leur apparaissent difficilement conciliables avec une politique sociale de gestion néolibérale.

Comme l’ont montré de nombreux auteurs et praticiens, le travail social est depuis quelques années en pleine mutation, les champs d’intervention se complexifient, les structures institutionnelles se transforment dans une logique gestionnaire, les procédures se multiplient alors que les travailleurs sociaux rencontrent des personnes, des familles, des populations marginalisées, souvent en situation de grande précarité sociale, psychique et économique.

Depuis les années 90, Michel Autès relève qu’une thématique est très présente chez différents auteurs « celle de la fin du travail social, de l’épuisement du travail pédagogique, du déclin des institutions, de la décomposition des métiers »1. Aujourd’hui, note encore cet auteur, quoi que fassent les travailleurs sociaux, ils le font mal et sont en échec face aux politiques sociales qui ont des attentes d’insertion sociale et professionnelle alors que le tissu social est en dégradation .

Les travailleurs sociaux, comme d’autres professionnels sont en souffrance, éprouvent des sentiments de culpabilité, d’épuisement et de découragement, d’atteinte de la motivation dans le travail où ils doivent appliquer des exigences souvent absurdes et injustes dont ils ne comprennent pas le sens. Lors des assisses du social à Genève en novembre 2005, nous notions « qu’ils sont de plus en plus obligés de travailler dans l’urgence pour parer au plus pressé, pour ne pas être noyés face aux nombreuses sollicitations. Des professionnels qui prennent conscience qu’ils font parfois à la place de l’autre, par facilité, par manque de temps, par nécessité faute d’avoir les moyens et les ressources pour laisser à l’autre le temps d’aller à son rythme ».2

Le champ professionnel du travail social et de la santé est aussi brouillé par l’arrivée de nouvelles fonctions, voire de professions qui bousculent les identités professionnelles ainsi que les modes d’intervention. On se trouve devant une parcellisation du champ d’intervention sociale et une division insidieuse des tâches provoquée par différents types de formation qui se déclinent en trois niveaux ( secondaire II, tertiaire supérieure, tertiaire hautes écoles spécialisées ou universités des métiers) et qui stratifient les profils de compétences des différents acteurs sur les terrains.

1. Définitions et finalités

1.1 Quelques jalons historiques

La supervision4 a fait son apparition en Suisse romande en 1954 dans le domaine du service social. Les premiers superviseurs étaient des assistantes sociales ou des psychiatres qui avaient été formés aux Etats Unis. Une première formation de superviseurs est proposée par l’Ecole de service social de Genève en 1958. En 1970, l’Ecole d’éducateurs spécialisés introduit la supervision obligatoire pour ses étudiants et organise en 1971 une formation de superviseurs. Des formations sont régulièrement proposées conjointement par les écoles de Lausanne et de Genève, et, en 1996, le centre d’études et de formation continue pour travailleurs sociaux (cefoc) de l’Institut d’Etudes sociales à Genève, prend le relais pour que cette formation soit désormais commune aux assistants sociaux, aux éducateurs et aux animateurs socio-culturels.

Dans les formations du travail social inscrites depuis 2002 dans les HES(Hautes Ecoles Spécialisées), la supervision pédagogique individuelle continue d’être obligatoire pour tous les étudiant- es en formation Bachelor. La formation de superviseurs dans le domaine de l’action sociale et psychosociale s’est ouverte à d’autres travailleurs sociaux au sens large puisqu’elle accueille les animateurs socioculturels, les assistants sociaux, les éducateurs sociaux, les ergothérapeutes, les thérapeutes en psychomotricités, les éducatrices de la petite enfance, les maîtres socioprofessionnels. Actuellement le centre de formation continue de la Haute école de travail social (HETS) propose deux cursus de formation5 :

-une formation de superviseurs dans le domaine de l’action sociale et psychosociale forme (CAS 40 ECTS ) qui aborde principalement la supervision individuelle, qu’elle soit d’ordre pédagogique ou professionnel.

-une formation de superviseur-e-s et d’intervenant-e-s dans les équipes et les organisations (CAS 15 ECTS) avec la participation des chercheurs du Laboratoire de changement social de l’université de Paris VII qui aborde spécifiquement les démarches d’intervention collective dans les organisations.

1.2 Les dispositifs individuels

On peut distinguer deux types de processus :

La supervision pédagogique fait partie du cursus de base de la formation en travail social (obligatoire) et accompagne les étudiants lors de leurs stages sur le terrain professionnel. Elle a une fonction clairement pédagogique et permet d’articuler la théorie reçue à l’école et la pratique et accompagne l’approche du métier. Sa durée est de 20 heures.

La supervision professionnelle individuelle fait l’objet d’une demande d’un professionnel qui souhaite réfléchir à ses interventions et son fonctionnement professionnel, dans le but d’augmenter ses compétences professionnelles et élargir sa liberté d’action personnelle ainsi que son confort au travail .

Pour situer la supervision individuelle parmi les différentes définitions qui ont cours, nous retiendrons celle de l’association romande des superviseurs6 : « La supervision stimule le développement professionnel et personnel et amène le supervisé à s’interroger sur ses attitudes, ses paroles, ses perceptions, ses émotions et ses actions. Elle vise à développer la lucidité ; elle aide à prendre de la distance et donc à mieux gérer des situations complexes. Elle favorise l’intégration de l’expérience et l’intégration des apports théoriques ».

La supervision est ainsi, comme le relèvent C. de Jonckheere et S. Monnier « une réflexion approfondie sur le vécu professionnel. Elle porte sur des situations concrètes et actuelles de la vie professionnelle amenées par le supervisé. Son but est de développer chez ce dernier la conscience de ses actes, de ses responsabilités, de son engagement, de sa capacité de créer des liens interpersonnels et de coopérer. Elle requiert un effort de compréhension et d’analyse de son fonctionnement professionnel intégrant les aspects cognitifs, relationnels, émotionnels et corporels. Elle permet de perfectionner les outils de travail ». Elle implique donc une capacité de distanciation permettant d’identifier ce que le professionnel a vécu comme sujet, ce qui l'a animé dans son action ou son inaction, ce qui l'a éclairé ou aveuglé. Elle lui permet de réfléchir à partir de son récit en étant dégagé de l’engagement et de l’enjeu émotionnel d’une relation directe. Cette distanciation est là pour lui permettre la reconnaissance et l'appropriation de son fonctionnement comme instrument de travail professionnel et l’amélioration des prestations aux usagers.

La supervision fait l’objet d’un contrat établi sur la base de la demande et des objectifs (pédagogiques ou professionnel), pour une durée déterminée et à un rythme régulier permettant ainsi un travail de maturation. Se familiariser avec ses compétences professionnelles, les reconnaître sous leurs divers visages, percevoir leurs ressources et leurs limites réclame du temps. Pour qu’un processus d’évolution puisse prendre forme, il est indispensable que les séances soient étalées dans le temps.

1.3 Les dispositifs collectifs

  • le partage de problématiques du même ordre permet à chacun de profiter de l’expérience d’autrui
  • le soutien mutuel par la mise en évidence des ressources de tous
  • un moins grand isolement dans son travail
  • la mise en commun de savoirs et le développement de concepts

Le superviseur a la possibilité de faire des interventions individuelles dans le groupe ou bien, selon les moments du processus groupal, de faire des interventions qui concernent l’ensemble du groupe et qui permettent à chacun, en tout ou en partie, de se reconnaître, et de se mettre dans un mouvement de réflexion. Cela renforce l’affirmation de soi, la confiance aux autres et enrichit les modes d’intervention auprès des usagers.

La supervision d’équipe s’adresse à un groupe de travail qui partage un quotidien professionnel et pour lequel un espace-temps sera dégagé afin que l’ensemble des membres de cette équipe puisse se retrouver régulièrement pour une réflexion qui prendra diverses orientations. La demande pour ce genre de supervision peut soit émaner de la direction, avec dans la mesure du possible l’accord de l’équipe concernée, ou bien provenir de l’équipe elle-même, soutenue dans sa démarche par la direction de l’institution.

  • le fonctionnement de l’équipe : ses valeurs, le traitement des conflits internes, la communication, ses liens avec la direction
  • l’organisation fonctionnelle de l’équipe et de son travail
  • la mission et les tâches : les relations aux usagers, aux familles, au réseau interprofessionnel, le développement de projets

L’intervention dans les institutions permet d’analyser les contradictions que traversent les organisations et de construire des dynamiques de régulation et de management participatif pour accompagner leur changement. L’intervenant porte un regard et analyse l’ensemble des logiques institutionnelles, leurs articulations, et soutient, oriente les réflexions sur le fonctionnement de ces institutions. Cet intervenant a une posture de consultant et de tiers « travaillant avec le système- client, dans un rapport de collaboration égalitaire…en l’aidant à problématiser un danger ».7 Ce consultant peut travailler à partir de différents types d’objets :

  • l’analyse et la compréhension des enjeux institutionnels et ceux des différents acteurs en présence,
  • l’évaluation, que ce soit de projets socio-éducatifs ou de santé, des règles et des procédures régissant l’institution, la réflexion autour des missions et des tâches,
  • la conceptualisation de projets institutionnels,
  • l’accompagnement de changements institutionnels en proposant des dispositifs et des moyens méthodologiques et une aide au management.

L’intervention institutionnelle est une démarche de changement institutionnel proposée aux différents acteurs. « Elle prend en compte l’organisationnel et le politique, les rapports sociaux et de pouvoir à l’œuvre dans le monde du travail , et pas seulement le psychologique. L’intervention aura comme guide méthodologique le dépassement du psychique et de l’émotionnel pour comprendre et saisir les déterminants organisationnels, sociologiques et politiques qui structurent et produisent les conflits et les contradictions vécues »8.

2. Des démarches pour penser l’action professionnelle

    1. Les référentiels théoriques et méthodologiques

A côté des référentiels précités, les concepts issus des théories de l’analyse de l’activité et de la psycho dynamique du travail, développés particulièrement au cours de ces dernières décennies, permettent d’étayer une partie des notions qui sont à la base du travail effectué dans le cadre des processus de supervision. Dans son ouvrage « A quoi sert le travail » ?, P. Zarifian10 avance « que le travail est d’abord exercice concret de la puissance de pensée et d’action des individus, tout à la fois dans leur singularité et dans leur interdépendance » . Dans le cadre de la supervision, il s’agit bien d’inciter et de renforcer cette capacité à porter un regard méta sur ses actions professionnelles et sur les interactions vécues au quotidien. Le superviseur comme l’intervenant en institution devra développer des outils interactifs et dynamiques qui permettent aux participants de représenter, de mettre en forme des réalités institutionnelles en vue de dégager une compréhension permettant de problématiser les difficultés rencontrées.

    1. La supervision comme relation

L’acte de superviser implique la rencontre d’un superviseur formé et d’un ou de plusieurs professionnels. Il demande au superviseur de s’intéresser à autrui dans sa globalité, en considérant ses différents modes d’expression, qu’ils soient d’ordre langagier et/ou corporel comme moyen de communication. Le déroulement de la supervision instaure une co-évolution qui est constitutive du processus de supervision. Il ne peut y avoir supervision s'il existe une relation hiérarchique entre le superviseur et celui ou ceux qui la demandent. La hiérarchie implique des responsabilités concrètes quant aux actions professionnelles posées par les acteurs et des exigences quant à leurs résultats. La supervision n’est pas un acte d'encadrement ou de contrôle, mais une aide visant à améliorer les compétences professionnelles et le confort personnel. Elle implique une relation de complémentarité entre superviseur et supervisé dans une pratique de co-construction, marquée par une asymétrie de positions permettant le décalage et l’instauration d’une pratique réflexive.

    1. Le questionnement et l’évolution de l’action professionnelle

Sans situations professionnelles questionnées par le supervisé, il n'y a pas de supervision. Ces situations concernent ce qui se passe avec des usagers, des clients, des collègues, et dans le cadre de l'institution ou est inséré le sujet qui vient en supervision. Dans tous les cas, c'est le fonctionnement du supervisé en situation professionnelle qui fait l'objet du travail. La supervision comporte en permanence un travail sur la demande vécue et apportée, plus ou moins formellement, par le supervisé. Un tel travail est progressif et s’'approfondit au cours du déroulement de la supervision. D'une manière ou d'une autre, ce travail amène à examiner les liens existant entre la relation professionnelle apportée, évoquée, et la relation vécue en supervision. Il encourage par là l’adoption d’une position de praticien réflexif dans la mesure où elle est une élucidation, par le supervisé, des raisons d'être et des éléments constitutifs de ses relations professionnelles, et vise l’amélioration de leur pertinence avec sa fonction de professionnel de l'action sociale et psychosociale.

    1. La supervision comme lieu signifiant de la construction de l’identité professionnelle

2.5 Une organisation en changement

Pour que les organisations se transforment, il est nécessaire que les individus acceptent d’être dans une posture de changement. La fonction de l’intervenant pour reprendre une idée d’Eugène Enriquez est de « dévoiler le réel » dans le sens de « mettre à nu les ressorts conscients ou inconscients des conduites humaines et organisationnelles »11. Comprendre les intérêts de chacun des acteurs, leur motivation à être au travail, à croire ou non à ce qui donne sens à leur action, à gérer les contradictions qui traverse et qui est à la source de nombreux conflits et d’importantes inerties, sont au cœur de l’intervention. Par l’analyse, les acteurs doivent pouvoir démêler ce qui vient de leur propre histoire, de leur problématique et ce qui est en interaction avec tout un système.

3. Des espaces d’innovation

3.1 Ouverture d’un espace de jeu

Une démarche de supervision ou d’intervention institutionnelle ne saurait avoir lieu sans que ceux qui la réalisent ne prennent une distance par rapport aux événements professionnels qu'ils apportent. Une des fonctions du superviseur ou de l’intervenant est de permettre que soit possible ce cheminement tout en suivant le rythme des acteurs. Nous nous référons à J. Rouzel interviewé par D. Muger dans le Journal des Psychologues12, au sujet de la formation, propos que nous pouvons appliquer à la supervision : « on peut sans problème assurer qu’il y a dans la formation, une position clinique, à savoir de rencontrer l’autre où il se trouve de ne pouvoir s’y retrouver…si ce mouvement est impulsé chez les professionnels dans les espaces de formation, il se déploiera en direction des usagers de l’action sociale ». Cette étape est nécessaire dans la relation pour créer un espace de jeu au sens où Winnicott l’énonce c’est à dire une aire de rencontre favorable à la créativité et ouvrant de nouveaux champs de découverte dans la manière de penser et de se voir évoluer. La recherche du sens des actions est alors possible et la pratique professionnelle devient moins confuse, car moins engluée dans l’affectif, moins aveuglée par les enjeux émotionnels. Nous décrirons, dans ce cas, la créativité comme la résultante du chevauchement, parfois de la confrontation, entre les mondes intérieurs des protagonistes de cette relation de supervision et le monde extérieur, celui de la réalité des contextes et de la représentation que chacun s’en fait. En introduisant de cette manière un tiers dans la pensée de type opératoire, pensée caractérisée par un discours factuel, rationnel accédant avec difficulté à l’élaboration fantasmatique et à la mobilisation des affects, les professionnels peuvent regarder leur pratique, l’analyser, en osant mettre en lumière des aspects d’eux-mêmes sous un jour différent, original. Ils s’approprient ainsi leur fonctionnement propre comme outil de référence professionnel.

3.2 Un espace collectif de réflexion

La supervision et l’intervention offrent un espace de réflexion qui n’est pas uniquement là pour aider à supporter des difficultés professionnelles et à identifier les causes de la souffrances dans le travail, mais qui peut aider à analyser les structures institutionnelles, les conditions de travail, le contenu du travail et à repérer comment ces conditions peuvent se modifier. Ces approches peuvent favoriser un esprit critique et de résistance, dans la mesure où elles permettent de dépasser la morosité ambiante, de prendre de la distance, de développer un regard critique indispensable pour dynamiser les positions des acteurs et affronter individuellement et collectivement la situation dans laquelle nous vivons.

3.3 Un espace-temps nécessaire au processus

Genève, janvier 2007

1 Cet article a été publié dans la revue des politiques sociales no 1&2/2007, numéro consacré à la supervision.

2 Autès M ., Pour une lecture socio-politique du travail social : une politique des subjectivités, in P. Bélot-Fourcade, J. Bonneau, J.-P. Lebrun, C. Melman et B. Vandermersch , Que serait un travail social qui ne serait ni théologique, ni politique ?, Paris, Association Lacanienne Internationale, 2006, p.98.

3 Tschopp F. Les souffrances des professionnels de l’action sociale exprimées en formation continue , Actes des Assises du Social, Genève, 2005.

4 De Gaulejac V., La société malade de la gestion , Paris, Seuil, 2005

5de Jonckheere C. et S. Monnier, La supervision en travail social : un espace d’élaboration de la pratique , Revue Psychoscope, 8/1997.

6 Ces formations font partie du portefeuille des formations post grade reconnues par les HES.

7 L’Association romande des superviseurs d’assistant sociaux (ARS) est créée en 1975. Elle s’ouvrira par la suite aux superviseurs provenant d’autres professions. Les superviseurs reconnus par l’ARS sont des professionnels au bénéfice d’une formation post-grade de superviseurs reconnue par l’association. Ils suivent les lignes directrices de l’association en matière d’éthique professionnelle. La confidentialité est garantie. Les superviseurs s’engagent à des contrôles réguliers de leur activité en participant à des groupes d’intervision.

8 Ferretti P. et Grau C , L’intervention institutionnelle , Genève,.éditions IES, 2005, p.41

9 Ohayon S., Introduction à P. Ferretti et C. Grau , L’intervention institutionnelle , Genève,.éditions IES, 2005.

10De Jonckheere C. et Monnier S., Miroir sans tain pour une pratique sans phare : la supervision en travail social , Genève, éditions IES, 1999.

11 Zarifian P. A quoi sert le travail ?, La Dispute, Paris, 2003.

12Enriquez E., L’éthique de l’intervenant, in C. Vranken et O. Kurz, La sociologie de l’intervention, enjeux et perspectives, Bruxelles, de Boeck, 2001

13 Rouzel J., Le transfert en formation, Journal des Psychologues, Journal des psychologues, 224, février 2005.

14 Enriquez E., L’organisation en analyse , Paris, PUF, 1992, p. 135.

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