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La supervision d’équipes en question 3/4

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Collectif d'auteurs

mardi 05 janvier 2010

Une équipe de Placement Familial à l’épreuve de la supervision.

Arlette Pellé1

Les équipes de Travailleurs Sociaux qui formulent une demande de supervision à une association de Supervision et Psychanalyse, savent intuitivement que ce n’est pas de leur position de sujet de la science2, que les difficultés qu’ils rencontrent se dénoueront. Ils ont déjà essayé…La demande de supervision d’équipe se forme la plupart du temps à partir d’un sentiment de malaise, d’impuissance, de la reconnaissance d’une impasse. Les professionnels en attendent « autre chose » : entendre et s’entendre autrement, s’ouvrir à un espace autre. En quoi la psychanalyse pourrait-elle apporter un « savoir » qui ouvre un questionnement dans un champ qui n’est pas le sien, compte tenu que cet « autre chose » ne relève pas des formations de l’inconscient ?

* Le contexte socio-culturel dans lequel s’inscrit la clinique psycho-sociale.

Dans les pays riches émerge dit-on un nouveau type d’humain « festivus, festivus » comme le nomme Philipe Muray, ou « une nouvelle économie psychique » comme l’affirme Ch. Melman. La demande égalitaire qui s’agite du « soyons tous pareils et égaux» jusqu’à la revendication de l’indifférenciation sexuelle, renvoie chacun à l’amour du vraiment semblable et au mépris de la différence, de l’altérité, de l’étranger. Comment un travailleur social pourrait-il s’abstraire de ce contexte, lui qui est aux prises avec le vraiment dissemblable ?

Les sociétés modernes abandonnent les individus aux jouissances généralisées, l’objet de jouissance est aux commandes alors que la fonction symbolique qui structurait jusqu’alors la société3 n’est plus lisible ; ces sociétés autorisent la normalité de la perversion polymorphe infantile pour les adultes, sans refoulement des jouissances, en particulier via internet, les sites porno, la webcam …et mettent sur le marché les objets de satisfaction oraux, visuels, auditifs. Comment un travailleur social pourrait-il être garant de la Loi symbolique alors que la société y a renoncé ?

Ces sociétés convient chacun à une jouissance de satisfaction immédiate et sont prêtes à faire sauter le dernier verrou civilisateur, l’interdit de l’inceste4, il n’est pas obligatoire de passer à l’acte pour que l’état incestueux s’installe. En témoignent les enfants voués au champ maternel, l’autorisation de porter le nom de la lignée maternelle, les décalages de génération possible avec les techniques de Procréation Médicalement Assistée…. Comment un travailleur social pourrait t-il entendre les parents ou les enfants, ceux qui habitent le versant d’accomplissement de toutes les jouissances sans exception ?

Car l’exception à cette règle du « tout est permis » concerne l’enfant, à qui on ne reconnaît quand même pas d’égalité sur le plan sexuel, au point de dénier la sexualité infantile. Le crime majeur se lit en lettres capitales dans le premier des nouveaux commandements : « tu ne toucheras pas aux enfants », ce qui indique avec éclat que la loi symbolique d’interdit du meurtre et de l’inceste, celle qui ordonne le désir dans les limites de la loi, s’efface au profit d’un interdit concernant non plus le désir mais les jouissances perverses commises en direction de l’enfant.

Les familles dites en grande précarité matériellement mais aussi psychiquement, les familles à risque comme on dit, et aussi les autres, immergées dans ce monde des jouissances, survivent sans pouvoir ménager l’exception et il arrive qu’elles maltraitent, attouchent, violentent, infanticident ou abandonnent leur progéniture. Comment ne pas penser que leurs actes surmédiatisés projettent dans la lumière un lieu où l’exigence d’une soi-disant morale rigoureuse, morale de consensus « ne pas toucher aux enfants », serait maintenue, pour légitimer tous les possibles ? Alors que la loi symbolique pointe le désir de meurtre ou celui de l’inceste, désir refoulé de tout un chacun, le nouveau commandement « ne touchez pas les enfants » pointe la jouissance possible à l’égard de l’enfant en phase avec la normalisation de la perversion polymorphe infantile pour tous.

Ce sont ces familles, leurs enfants, qui représentent la population que se coltinent les travailleurs sociaux, familles qui reflètent avec force la liquidation du garant de la Loi symbolique, la défaillance de l’Autre. Les travailleurs sociaux vont-ils se satisfaire d’une place de gardien de cette soi-disant morale en appliquant les yeux fermés, la pensée déterministe, la panoplie du bon utilisateur du droit ou le credo du discours psycho-social , signalement, plainte, rupture, séparation, exclusion… ou vont-ils chercher à inventer « autre chose ». Leur demande de supervision s’appuie sur la reconnaissance d’une impasse, celle de rester englués dans des actions inopérantes et la nécessité d’en sortir pour que s’en sortent les enfants et les jeunes dont ils ont la responsabilité.

De quoi auront-ils à se déprendre eux-mêmes ces professionnels pour que cette « autre chose » pour laquelle ils font le déplacement dans un cabinet d’analyste (au SAPP l’équipe se déplace) transforme leur faire ou leur agir en acte éclairé, pour que cet « autre chose » aide à penser autrement qu’en identifiant le Mal absolu - les maltraitances multiples des parents ou parfois celle des jeunes -, dans le but de garantir le Bien suprême, la protection de l’enfant.

Ces enfants ou ces jeunes placés en foyer ou chez l’assitante familiale, se seront coltinés ce qu’on appelle des traumatismes réels ou objectifs, les maltraitances qui produisent des ruptures de sens dans la chaîne symbolique. Ils rencontrent dans leur propre famille à la fois la cassure propre à l’époque postmoderne, c’est-à-dire l’effacement de l’Autre et le franchissement du dernier bastion violemment défendu, l’atteinte au corps de l’enfant.

Ce franchissement viendra s'inscrire dans le psychisme comme un bout de réel non symbolisé, du fait qu’il répond d’une réalisation de fantasmes fondamentaux de séduction ou de l’enfant battu. Au moment où l’enfant aura à faire appel psychiquement à la loi symbolique, lorsque le pulsionnel pourrait se déchaîner, par exemple lorsqu’il rencontre ou va à la rencontre d’un élément déclencheur, il pourra être happé, engouffré dans les débordements pulsionnels, les conduites addictives ou les comportements délinquants.

Une équipe de travailleurs sociaux vient en supervision pour dénouer leur question de savoir y faire avec un enfant de 11 ans, Paul qui a frappé gravement la fille aînée de l’assistante familiale. (la même question s’est posée avec une autre équipe à propos d’un jeune qui avait exhiber et fait toucher son sexe à un enfant de l’assistante familiale).

Paul vit dans une famille d’accueil depuis la petite enfance, il a été placé suite à des violences graves du père et à une incapacité de la mère à l’élever.

  • Le premier temps de la supervision, un temps de la déconstruction du savoir : la pensée déterministe, le recours au juridique ou à l’exclusion

Ce passage à l'acte sans prévenir, choque la famille d’accueil et l’équipe. Comment est-ce possible, cet enfant si sympa et qui travaille bien à l'école, personne ne comprend.... Il regardait un film à la T.V avec deux autres enfants; une scène de violence dans ce film lui arrache un cri, la grande fille de l’assistante familiale arrive et se plante devant l’écran pour le soustraire à la scène. Dans cette situation, hors de lui, il la frappe très violemment.

Face à cet acte incompréhensible, une sorte de panique s’empare de la famille d’accueil qui n’en veut plus et de l’équipe qui cherche à comprendre et se penche sur son dossier. On retrouve dans ce dossier et dans la mémoire d’entretiens antérieurs avec la famille de l’enfant, une scène de violence dans laquelle « le père aurait voulu étrangler avec un couteau sa mère. » Paul était petit et ne s'en souvient plus, mais il était présent quand sa mère a évoqué cet événement dans un entretien avec l’éducatrice et la psychologue du service. Le rapprochement de cette scène --- le père aurait voulu étrangler sa mère --- et la scène vue à la télévision, juste avant le passage à l’acte « il y avait un cow-boy avec un couteau qui peut être voulait étrangler quelqu’un.. » jaillit comme une illumination.

Les professionnels persuadés de l’efficacité de cette explication la suggèrent à Paul qui acquiesce. Ce sont les professionnels qui font cette association et non pas Paul pour qui cet événement peut avoir subi le refoulement. Sans le savoir, au nom de la vérité que l’on doit aux enfants, lui sont rappelés ses traumatismes réels d’enfance, frappant le refoulement et son efficacité d’interdit. Le langage n'appartenant à personne, on peut lui faire tout dire et on dira que c’est ça l’histoire de Paul : la violence de Paul a pour origine celle de son père à l’égard de sa mère ; c’est le trajet dit, on pourrait dire la tragédie.

Cette pensée déterministe – c’est parce que - c’est à cause de …un événement du passé, un traumatisme que l’enfant aurait subi, vient souvent au premier temps du travail, elle reflète une démarche classique qui concerne tout un chacun, « c’est à cause de mes parents que ma vie n’est pas rose… », façon de se relier imaginairement à sa filiation et d’entériner une transmission négative, attestant une reconnaissance de dette côté parents et laissant l’enfant à son innocence. Mais si on en restait là, chacun revendiquerait dans les moments douloureux de sa vie cette place de victime des défaillances parentales. Paul n’y serait pour rien, d’autant plus qu’il a l’habitude de poser des questions très importantes sur ses parents, sa naissance, la violence, ou même le viol juste au moment où il pourrait être puni. Il a bien compris comme beaucoup d’enfants placés que ça le protégeait cette place de victime, que ça l’innocentait.

La pensée déterministe vient du savoir physico-mathématique qui à notre époque est la référence de tous les savoirs. (Évaluation, mesure, tests, dépistages…) Chaque fois qu’une pomme tombe, elle se dirige vers la terre et non vers le ciel. Elle ne le fait pas exprès ! Elle est guidée par les lois de la pesanteur et de la gravitation. C’est le déterminisme physique. Vous pouvez répéter cette expérience ça se passera toujours de la même façon. La pomme n’ira jamais au ciel, où on ne trouve même plus Dieu. Le déterminisme physique appliqué aux être parlants, met celui-ci en équation : telle cause x produit tel effet y, autrement dit un traumatisme sexuel sera la cause de la perversité de l’enfant ou de la perversion de l’enfant devenu adulte, la violence des parents sera la cause de la violence de l’enfant.

Les déterminismes renforcent la position de victime qui donne le pouvoir de se dérober à toute implication ultérieure dans les actes de la vie. L'être parlant devient dans cette logique un passager clandestin, il n'y est pour rien dans ce qui lui arrive, pauvre enfant, avec tout ce qu'il a subi, pauvre victime de parents maltraitants, démunis, malades mentaux, fragiles...Jusqu'au jour où il en fait trop comme Paul et bien d’autres, il en fait trop, dans l’excès ou dans l’extrême, ce trop, réveille. Et s'il en faisait trop, aussi du fait d'avoir pendant si longtemps été épinglé à cette place de victime qui le renvoie à un lieu mortifère et sans sujet, où il subit un destin qui ne lui appartient plus depuis longtemps ? Qui ne lui appartient plus d’être déjà écrit.

Par ailleurs, si on associe directement un événement actuel le passage à l’acte de Paul à un événement du passé, la violence du père, tous deux hors symbolique, celà conduit à redoubler le hors sens et à fixer le réel. Si on en restait là, la jouissance perverse du père serait validée, il serait donc coupable par procuration de l’acte de son fils, du coup innocenté.

  • Le recours à la loi juridique ou à l’exclusion

Jusqu’alors Paul était considéré comme un enfant à protéger, victime d’un père dangereux et violent, du même côté que la mère, mais avec le passage à l’acte il deviendra un jeune potentiellemnt délinquant, du même côté que le père. Il a 11 ans, pas loin de l'adolescence ; s'il a fait ça aujourd'hui, que fera t-il demain ; tel père, tel fils ? Dans cette position subjective différente, il n’est plus perçu comme un enfant victime de la violence du père, mais victime d’un déterminisme qui n’est plus explicatif, mais génétique, un déterminisme qui programme sa délinquance, c’est-à-dire sa jouissance. Cette logique condamnerait Paul à reproduire toute sa vie cette violence.

Il faut au moins faire entendre à Paul dit l’équipe, qu’il a commis un acte répréhensible et donc le sanctionner, l’appel au juridique ou à l’exclusion sont évoqués.

La fille de l’assistante familiale pourrait porter plainte ou bien on fait un signalement… L’appel au juridique témoigne pour l’effacement de l’Autre symbolique, l’impuissance à garantir la Loi. Cette démarche est conforme à ce que la société met en place, une judiciarisation extrême des actes des plus banaux ou plus délictueux. Dans le cas de Paul, cette proposition qui s’énonce à partir d’une peur de l’équipe s’avère dramatique, elle le propulse sur un chemin tracé à l’avance, identique à celui de « son père violent qui a fait de la prison ».

Un séjour de rupture ou un placement dans un autre foyer pourrait calmer les choses. Juger, rompre, exclure, déplacé ! La rupture des registres psychiques s’entend, lorsque un jeune passe à l’acte, il n’est en effet plus relié ni à lui-même, ni aux autres, il franchit la scène –hors de lui-, mais la réponse apportée relançe une rupture de liens, déniant les liens affectifs tissés avec cette famille, déniant l’ancrage et le port d’attache indispensables à tout enfant quoiqu’il dise ou même quoiqu’’il fasse, lieu à partir duquel il acquiert la certitude qu’il a un « chez lui ». Lorsque ce chez lui, ne se construit pas dans sa propre famille, ni dans la famille d’accueil, le résultat n’est-il pas à plus ou moins long terme, l’errance, seul recours à l’absence de liens, de lieu.

De la même façon que l’on a séparé l’enfant de sa famille maltraitante, on voudrait déplacer maintenant l’enfant devenu maltraitant de sa famille d’accueil. Mais ce faisant ne reconduit-on pas les ruptures précédentes ? Mais alors que faire ? On ne peut pas demander aux travailleurs sociaux de faire fonction d’inscrire la loi symbolique et la castration dans le psychisme de l’enfant alors que la société elle-même y a renoncé.

L’effacement de l’Autre symbolique, ce qui cimente les liens sociaux autour d’une Loi qui interdit et d’un désir permis, a ouvert côté parents une brèche dans laquelle se sont engouffrées les jouissances perverses. Comment éviter que les scènes subies ou vues de violence ou d’attouchement ne se fassent répétition, destin ou fatalité pour les enfants, comment éviter que le social ne participe à cette répétition ?

* Le temps pour comprendre

Ce premier temps de la supervision suspend les certitudes et laisse une place vide pour penser autrement. Il faut un certain courage psychique, pour que chacun puisse rompre avec la pensée déterministe, avec le recours banalisé au juridique ou à l’exclusion. Tout s’y oppose et notre monde contemporain, qui nous prend pour « des pommes », et la soi-disant demande de l’Autre, qui nous prend à la gorge… ou que nous prenons à la lettre, qui contraindrait chaque professionnel à se plier sans penser, aux ordres venus d’en haut, alors que bien souvent une marge de manœuvre leur est laissée. Comme quoi nous recréons de l’Autre duquel nous voudrions dépendre, qui nous dirait quoi faire, quoi dire, quoi penser… Comment pourrait-on permettre à ce jeune de faire suppléance au réel du passage à l’acte, à la sortie de la scène et à l’écroulement qui s’ensuivit ?

Le cheminement antérieur ayant aidé l’équipe à se détacher des scènes réelles qui fascinent, à se détacher de la peur, à partir de laquelle il n’y a plus ni aide, ni soutien, ni écoute possible, une autre démarche se précise. Au lieu d’aller chercher directement des éléments passés de l’histoire familiale et de les fourguer comme tenant lieu de vérité à Paul, une tendance à situer dans l’idéal de transparence et dans l’idéal des jouissances comblantes de l’époque, les professionnels vont aller à la rencontre de Paul.

  • Le contexte du passage à l’acte

L’assistante familiale avait remarqué que depuis six mois environ Paul devenait agressif parfois et mutique souvent..., alors qu'avant c'était un enfant tranquille, joueur et bavard. On y avait pas prété vraiment attention.

Il y a 6 mois l’éducatrice référente se souvient que pour la première fois, la famille d’accueil est partie en vacances avec ses propres enfants, laissant à d’autres le soin de s’occuper des enfants placés. Paul a commencé à devenir agressif avec ses camarades et même avec le mari de l’assistante familiale, dès que celui-ci lui proposait comme avant, de participer à des activités entre hommes. Il ne le supportait plus et a même levé la main sur lui.

Ca paraissait pas grave, pas très important, on l’a remarqué c’est tout, on le trouvait bizarre. Il n’était plus pareil, il disait à l’éducatrice référente « ils ne veulent plus de moi, c’est pas ma famille ». Les liens avec les personnes avec lesquels il vit au quotidien et depuis son enfance sont pris en compte, le registre de l’imaginaire s’ouvre.

Paul perd avec ce départ en vacances –sans lui - une place identitaire, celle qu’il s’était construite, au fil des mois et des années passées dans cette famille, il s’était imaginé le fils de la famille, qui n’avait pas de garçon.

Il pensait maintenant que personne ne pouvait le comprendre, ni l’aider. "Ne savons-nous pas qu’aux confins où la parole se démet, commence le domaine de la violence, et qu’elle y règne déjà, même sans qu’on l’y provoque5". Déchoir de l’Amour supposé de l’Autre, fait chuter Paul de sa position et il s’identifie à l’objet, rejeté, abandonné, évacué, « c’est le pire qu’il pouvait m’arriver » dira t-il. Il en perd ses repères. Le mutisme, le lever de main sur la mari de l’assistante familiale, la période qui précède le passage à l’acte pourrait se nommer acting out, appel adressé à quelqu’un.

Ce n’est pas parce que la famille d’accueil part en vacances sans lui, que s’ensuivent acting out et passage à l’acte. C’est parce que quelque chose n’a pas été symbolisé qu’un événement ou un autre provoque des somatisations graves, acting out, passage à l’acte. Le non symbolisé psychique reparaît dans le réel, et demande à être noué avec le registre imaginaire.

Lorsqu’on repère la ronde qui se déplace autour de lui, ses liens affectifs, l’amour ou la haine, le narcissisme, sa place identificatoire…, en remontant pas à pas le chemin jusqu’au temps qui précède le passage à l’acte, le juste avant, quand Paul-sujet y était encore, il devient possible de l’entendre, il devient possible qu’il entende en quoi sa position subjective, l’a poussé à couper les ponts, les liens avec ceux qu’il aime. Ainsi pourrait se nouer le réel du passage à l’acte avec l’imaginaire de l’amour ou de la haine, avec l’idéal de la place et sa déchéance pour subjectiver l’événement.

Le passage à l’acte c’est bien entendu de l’insupportable pour l’équipe, mais ça peut être une chance pour l’enfant. A condition de savoir dépasser l’insupportable pour le mettre au travail.

Nouer l’imaginaire au réel, tisser des fils en rapport avec la vie actuelle de l’enfant ou de l’adolescent, entendre ses relations avec l’assistante familiale, sa famille et l’équipe sont autant de pas vers la subjectivation.

Ce travail aura permis à l’équipe d’entendre « autre chose » et permis à Paul de rester chez son assistante familiale et de poursuivre son chemin, en l’aidant à se détacher de la position identificatoire de victime comme sa mère ou de celle de délinquant comme son père.

Qu’une analyse ou une thérapie, si ces jeunes le souhaitent puisse leur permettre d’associer sur les événements traumatiques de leur histoire familiale et d’en construire leur fantasme est une autre question qui ne relève pas d’une supervision des professionnels d’une équipe et qui ne relève pas du travail social.

Les professionnels quant à eux, auront à continuer leur réflexion qui nécessite de se poursuivre pour que le chemin ouvert par la supervision ne se referme pas.

1 Arlette Pellé Psychanalyste, co-directrice du SAPP Supervision et Analyse Psychanalytique des Pratiques

2 Accumulation des connaissances sur l’histoire familiale, augmentation d’un savoir, pensée déterministe, appliquation du droit ou soumission au discours psycho-social …

3 Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun, L’homme sans gravité , Ed. Denoël 2002 et La nouvelle économie psychique Ed. Erès 2009

4Isabelle Floc’h et Arlette Pellé, L’inconscient est-il politiquement incorrect ? Ed. Erès Avril 2008 Chapitre 4

5 Jacques Lacan, Ecrits , Ed.Seuil 1966, « Introduction au commentaire de Jean Hyppolite sur la "Verneinung" », 10 février 1954

Inter contextualité et travail social

(Evolution de la supervision d’équipe depuis la loi 2002)1

Lin GRIMAUD2

Résumé

Les évolutions du travail social dues aux nouvelles législations et aux premiers effets de la crise globale déterminent des transformations de la pratique de la supervision d’équipe. Ces transformations sont ici éclairées selon trois axes :

- les enjeux de la formalisation,

- un regard anthropologique sur l’inscription du travail social dans le mythe de la modernité,

- penser l’hétérogénéité entre clinique et management.

Mots-clé s : Travail social ; Mythe de la modernité ; Formalisation ; Clinique pluridisciplinaire ; Organisation ; Supervision ; Identité narrative ; Groupalité psychique.

Ce texte a reçu différents titres au cours de son élaboration. Je l’avais au départ intitulé « Comment naissent les théories de la pratique ? ». Le cheminement de l’écriture m’a finalement amené à l’idée que les théories de la pratique naissent de la mise en rapport d’éléments perçus à priori comme très hétérogènes au point que leur corrélation apparaît inconvenante. Je pense que la théorie pratique naît d’un acte de résistance au préjugé qui concerne non seulement le milieu du praticien chercheur mais le praticien chercheur lui-même.

C’est ainsi qu’avec la loi 2002 les travailleurs sociaux - pourtant habitués à concevoir l’hétérogénéité de l’appareil et du processus psychiques, selon l’hypothèse freudienne - ont pour la plupart manifesté leur désapprobation devant l’hétérogénéité épistémologique introduite dans leur champ par la notion de contrat entre l’usager et l’établissement spécialisé, ainsi que par la notion d’évaluation interne et externe des pratiques et des fonctionnements.

De nouveaux objets conceptuels radicalement étrangers à la tradition du travail social sont ainsi apparus comme la notion de « projet individualisé » qui recèle un caractère à la fois clinique et juridique.

Dans le même registre d’un métissage ressenti comme contre nature, la distance qui sépare le mot « clinique » du mot « management » a semblé d’abord infranchissable.

Pourtant, les tendances lourdes de l’évolution contextuelle rendent indispensable de faire des ponts entre ces termes si on veut à la fois rester dans la réalité et transmettre nos valeurs professionnelles. Comme le disait l’anthropologue Grégory BATESON3, une valeur est transmissible dés lors qu’elle est ré encodée, pour autant que le système de représentations sociales évolue continûment et avec lui le contexte sémantique.

Aujourd’hui, s’il s’agit de résister à quelque chose c’est bien d’abord à la tentation de traiter le qualitatif par la quantification, ce qui revient effectivement à le nier. Encore faudrait-il créer et discuter les modèles qui permettent de rendre compte de ce qualitatif propre au travail de la relation. Il faut donc résister à une deuxième chose qui est la tentation d’éviter l’effort de formaliser la pratique. Sans quoi effectivement nous n’aurons qu’un slogan à faire valoir devant le risque représenté par l’extension de la mono pensée comptable. La perspective du débat n’est pas de nier la préoccupation gestionnaire, mais de concevoir la modalité de gestion adéquate au qualitatif essentiel à l’accueil et au soin en travail social.

Car en travail social il s’agit de modéliser des processus qui paraissent se refuser à toute stabilisation dans la pensée et à toute anticipation quant à leur évolution.

Théoriser à partir de ces formes mouvantes, dispersées dans le bruit de fond du quotidien, apparaît d’emblée comme un défi.

C’est en acceptant d’élaborer à partir d’éléments hétérogènes, fragmentés, sans liens apparents entre eux, qu’on se donne le plus souvent la possibilité d’accéder aux logiques du symptôme et aux souffrances identitaires qu’il recouvre.

Pour repérer cet objet « dissipatif » - reflet des paradoxes entre besoin développemental, défense psychique et désadaptation sociale - les travailleurs sociaux sont amenés à prendre conscience de leur propre système de défense afin d’adopter les positions psychodynamiques qui seront favorables à l’évolution des usagers.

On ne saurait aider autrui à faire des liens si on est soi enfermé dans un discours à fonction défensive, dans une organisation non élaborée, dans une posture professionnelle ni analysée ni critiquée.

Le travailleur social ne se doute pas au départ que son choix de métier le met désormais en quête de sa propre identité professionnelle. Or ce sont les angoisses identitaires qui génèrent les défenses psychiques les plus invalidantes en termes de capacité de penser.

La période actuelle met en crise les représentations sur lesquelles les travailleurs sociaux se sont longtemps appuyés. La vacillation identitaire peut être un moment fécond, elle peut aussi à contrario entrainer un mode de pensée systématique recourant à des oppositions artificielles défavorisant la démarche clinique qui exige elle-même de faire des liens entre des termes perçus comme étrangers entre eux.

La pensée clinique, si elle est essentielle, n’est pas suffisante au travail social dont le sens est déterminé par plusieurs points de vue complémentaires comme ceux de l’anthropologie, de l’épistémologie, de la méthodologie. Particulièrement le point de la méthode est investi dans la loi 2002 ; ce qui a pu apparaître à beaucoup en opposition radicale avec la clinique du sujet et du transfert.

Je soutiens ici l’hypothèse que le recours à ces perspectives hétérogènes permettrait notamment d’élaborer l’articulation entre clinique et management dont dépend aujourd’hui le sens du travail social.

Mon exposé est construit en trois points :

- les enjeux de la formalisation,

- un regard anthropologique sur l’inscription du travail social dans le mythe de la modernité,

- penser l’hétérogénéité entre clinique et management.

Enjeux de la formalisation

Dans ces rencontres entre équipe et superviseur sont sollicités des mouvements psychiques, des savoirs pratiques et des systèmes de représentations organisant et réduisant la part d’angoisse induite par la pratique.

Chaque fois que la tension psychique inconsciente est prise en charge par la pensée il y a relance des investissements professionnels sur un mode moins défensif et plus créatif, donc plus efficient sur le plan thérapeutique.

De même qu’on a pu dire que la psychanalyse se réinvente à chaque cure, le travail social se réinvente dans le processus d’analyse de ses pratiques4.

Et on ne saurait travailler utilement dans notre champ sur la base d’une pensée fermée qui ne tarde pas à se traduire en une phobie de penser. La phobie de penser est un des plus gros problèmes des équipes de soin. Elle correspond au système de défense répondant au fait que le symptôme psychopathologique est saturé d’angoisse.

De ce point de vue, le passage par l’élaboration puis par la formalisation des pratiques produit des effets psycho organisateurs pour les professionnels.

Pour mettre en forme les cadres et étapes d’une démarche pratique, il faut en effet avoir suffisamment observé son propre fonctionnement individuel et d’équipe, c’est à dire concrètement s’être suffisamment vu fonctionner.

Du fait d’entraîner une fonction réflexive, l’analyse des pratiques produit des effets de professionnalisation individuelle et collective.

De fait, une équipe qui n’analyse plus ses pratiques est une équipe qui se dé professionnalise.

De la capacité de formalisation dans l’équipe dépendent donc son efficience thérapeutique, sa santé psychique et la reconnaissance de sa compétence par les usagers et par le milieu.

L’enjeu est de taille, mais que veut dire formaliser en travail social ?

Je me réfèrerai à une formule empruntée au psychanalyste Christophe DEJOURS : l’élaboration permet de passer du problème à la problématique.

De mon point de vue, formaliser veut dire relier la conception de l’action avec la conception du cadre de l’action. Il s’agit de pouvoir référer l’action à un principe susceptible d’être saisi pour arbitrage. C’est là toute la question de la fonction du tiers dans l’institution qui concerne chaque étape de la pratique : depuis l’engagement de sa présence par le professionnel sur le terrain, en passant par l’élaboration de ses hypothèses cliniques, jusqu’à leur élaboration dans le cadre pluridisciplinaire.

Afin de réaliser les étapes permettant la cohérence de l’action, il faut bien qu’existe un modèle explicite de fonctionnement.

Concrètement, il s’agit de définir, de garantir et d’ évaluer - par exemple - la forme d’une réunion clinique en équipe pluridisciplinaire, ou d’une réunion avec les responsables légaux et l’usager pour discuter son projet individualisé, ou tout autre type de dispositif plus ou moins pérenne ou bien répondant à une nécessité ponctuelle.

La logique de la prise en charge d’un usager, devra trouver dans l’organisation institutionnelle une grammaire concrète.

Formaliser, a pour raison dernière de rendre explicite ce qu’on pourrait appeler le « mode d’emploi évolutif » de la prise en charge ainsi que « l’appareil » à travers lequel elle se réalise.

Ce qui revient à définir la raison pratique de l’outil de soin chaque fois qu’on élabore une position technique puis un projet.

On pourrait dire que pour créer les conditions de la subjectivation - ce qui est l’horizon clinique du dispositif soignant - il faut nécessairement s’appuyer sur un dispositif soigneusement objectivé. Le processus d’objectivation de ce dispositif et de sa raison technique, c’est ce que j’appelle formalisation.

Pour y parvenir, il faut passer en revue ce qui s’est réellement passé, ce qu’on a fait, ce qu’il y aurait à faire ; une telle démarche implique de passer par l’analyse de nos représentations subjectives et de les transformer.

Souvent les professionnels produisent de bonnes observations, les formulent avec justesse, les élaborent finement ; mais, si n’est pas engagée et franchie l’étape de l’écrit, chacun garde la frustration d’une démonstration de compétences qui n’aboutit pas à sa réalisation.

A force de ne pas atteindre à cette réalisation les équipes cessent d’investir la démarche clinique qui finit par apparaître comme un effort inutile.

L’écriture de ce qu’on fait dans la pratique et de pourquoi on le fait, représente la trace de notre effort pour rendre l’action cohérente et pertinente.

Fonctionnant avec des fonds publics, nous sommes redevables non seulement à nous – mêmes et à l’usager, mais aussi au « tiers payant », de cette mise en forme dont les modalités sont à élaborer par le collectif professionnel en collaboration avec les partenaires ; car un mode de transmission ne se construit pas unilatéralement.

Il est fondamental que les travailleurs sociaux conçoivent qu’ils sont eux-mêmes redevables de la production d’une inscription symbolique en contrepartie de l’effort de solidarité sociale dont dépend concrètement leur institution.

Sans cette conscience clarifiée d’avoir à assumer symboliquement les étapes du recevoir et du rendre – pour reprendre le modèle du Don établi par Marcel MAUSS – les travailleurs sociaux se mettrait dans la posture de s’extraire de la logique des échanges sociaux. Ce qui serait de leur part un paradoxe maximal et, concrètement, une manière radicale de se faire disparaître.

La formalisation a donc, en tant qu’objet textuel5 élaboré dans le collectif, une valeur symbolique d’objet d’échange, pouvant être mis en circulation, repris, proposé à la négociation. Il peut recevoir la critique, refléter les transformations du symptôme ainsi que l’évolution du mode de soin.

Une formalisation joue un rôle de témoin : elle fait référence et, à ce titre, participe de la fonction du tiers dans l’institution.

La formalisation, objet certes transitoire car évolutif, assume une fonction référentielle à l’instant « t », permettant le lien entre le dedans et le dehors institutionnels.

Cet objet fonde par conséquent l’identité du cadre qui le produit.

A contrario, il arrive que la formalisation soit un faux-semblant, un donné à voir qui tente de masquer l’incurie d’un fonctionnement ou sa logique totalitaire.

Dans de tels cas déviants la formalisation participe de la dynamique non régulée d’un fantasme de toute-puissance dans l’institution.

Car la formalisation aboutissant au projet individualisé, de service, d’établissement ou d’association, ne saurait être mise en position de fétiche sans perdre du même coup sa fonction dynamique de signe d’un choix « politique » d’engager un type de pratique plutôt qu’un autre.

Le non choix politique est l’indice d’une perte d’investissement, d’un abandon éthique et technique, dont l’institution est en train de faire l’objet et qui se répercute à tous les niveaux de la pratique.

Les motifs d’un tel abandon « qualitatif » varient, mais on peut supposer qu’il correspond au passage dans la réalité d’un fantasme de toute puissance.

Il s’agit là d’un effondrement de la fonction du « tiers institutionnel » qui engendre une décontextualisation des pratiques qui fonctionnent alors en « bulles autonomes », sans idée adéquate de leur genèse et de leur développement, sans corrélation entre elles ni avec les partenaires externes.

Le processus de formalisation est la façon de tenter de se comprendre entre soi dans le but de l’être ensuite du tiers : usagers, tutelles, partenaires. A ce titre le sens de l’action professionnelle est d’emblée concerné par une imbrication contextuelle dont la structure doit intégrer le tiers selon le modèle freudien de l’œdipe.

A contrario, la bi dimensionnalité de la rencontre entre l’usager et le travailleur social est un songe narcissique qui pourrait se traduire par la formule : toi et moi nous allons nous comprendre.

Car de fait, comme le rappelle TOSQUELLES, cette rencontre ne se réalise jamais dans le vide ou dans l’absolu, mais toujours sur l’arrière-plan des mythes individuels et collectifs qui ordonnent nos pensées, désirs et hantises.

En ce qui concerne nos propres grilles d’interprétation adossées à ce qu’on appelle la culture professionnelle, elles sont intriquées au mythe de la modernité.

Travail social et mythe de la modernité

Le travail social laïque s’origine dans l’invention du concept de solidarité.

Cette invention détermine une composante essentielle du mythe de la modernité.

A savoir que les structures humaines les plus profondes, tant individuelles que collectives, sont intentionnellement transformables. Il s’agit là d’une version politique du mythe de Pygmalion à l’échelle des masses humaines que représentent les grands Etats modernes.

Cette vision s’est traduite par deux prototypes : « l’Homme Nouveau » à l’Est, le « Self Made Man » à l’Ouest, qui représentent deux versions concurrentes du même mythe.

L’Homme Nouveau s’est écroulé avec le mur de Berlin ; peut – être le Self Made MAN est – il en train d’éclater sous nos yeux en même temps que le système financier mondialisé.

Quoi qu’il en soit, l’actuelle accélération de la transformation globale entraîne des bouleversements qui touchent à tous les aspects de notre secteur.

Comme par une intuition anticipative, les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005 font rappel de l’idée que la fonction du travail social est d’accompagner les transformations de la société.

Certains observateurs ont bien senti que ces lois tentaient de réanimer un lien à la fois organique et dynamique entre le travail social et le contexte global.

Ce repositionnement, introduisant l’évaluation des pratiques ainsi que le contrat avec l’usager, a provoqué beaucoup de mécontentement et d’opposition parmi les travailleurs sociaux, pourquoi ?

De mon point de vue, l’esprit de ces lois a contredit deux croyances qui seraient les suivantes :

- le travail social a été inventé par les travailleurs sociaux,

- le travail social a vocation de transformer la société.

Ces deux croyances encadrent un fantasme : nous nous sommes conçus nous mêmes. Fantasme qui débouche sur une inversion de positions : nous sommes les parents de la société, en la soignant nous lui donnons vie.

En poussant la logique de ce fantasme on obtient : « le travail social a pour mission d’agir sur la société, de la transformer et de la former. »

Il est aujourd’hui indispensable de repérer la composante mégalomaniaque contenue dans cette représentation inconsciente. De son analyse dépend la qualité de la transmission des savoirs et des pratiques cliniques et, par conséquent, le repositionnement épistémologique du travail social rendu nécessaire par les transformations du contexte.

Rappelons la fonction psychique de la défense intervenant dans tout fantasme mégalomaniaque.

Dans la théorie freudienne de la néoténie (1926) 6 se fondant sur l’état de pré maturation du nouveau-né humain à la naissance et du sentiment de détresse psychique qui en découle - théorie qui sera reprise par Mélanie KLEIN puis par WINNICOTT et par MELTZER - la défense mégalomaniaque est celle qui permet à l’enfant de se défendre de l’angoisse dépressive entraînée par la confrontation à la réalité7, et ce d’autant que cette réalité est inadéquate à ses besoins primaires.

En somme, l’être humain n’a véritablement que le recours à la fabrication par l’esprit pour supporter les traces de son vécu primaire d’inorganisation, de dépendance et de passivité. Lorsque cette fabrication par l’esprit, cette construction symbolique, ne parvient plus à contenir les affects premiers de persécution, de haine et de dépression corporelle, l’environnement social doit à nouveau faire des propositions adaptées d’étayages et d’élaboration du problème au niveau même où il est vécu. D’où les réponses en termes de contenance et d’organisation du cadre qui fondent les prises en charge à visée thérapeutique.

Ces éléments de théorie winnicottienne nous aide à comprendre pourquoi et comment les travailleurs sociaux, dont la fonction est précisément de fournir ce type de réponse, sont eux –mêmes exposés à la mise en place de défense psychiques massives. Il existe plusieurs raisons à cet état de fait : d’abord parce qu’ils sont humains et qu’à ce titre ils sont eux aussi affectés par un vécu primaire de détresse sans objet ; ensuite parce que leur mission les confronte à s’identifier à des personnes en grandes difficultés ; enfin parce qu’ils sont porteurs comme nous tous du mythe moderne du progrès et de la réparation. De ce point de vue le fabuleux destin du pseudo concept de « résilience » transposé à la psychologie, est édifiant.

Cette cristallisation du fantasme d’auto réparation est éminemment représentative du texte mythologique des sociétés modernes et concerne particulièrement l’invention et le positionnement symbolique du travail social.

Ce dernier point conduit à s’intéresser à son anthropologie historique.

Comme l’a montré Jacques DONZELOT 8, la logique première du travail social laïque est ancrée dans la conscience au XIX° siècle que le développement industriel est porteur à la fois d’une création inédite de richesses et d’une destruction sociale chronique.

En tant qu’effet institutionnel de cette prise de conscience, le travail social a fait partie de la réponse politique en termes d’auto réparation sociale. « On peut détruire sans dommage, puisqu’on se donne les moyens de réparer » ; telle serait la formule permettant d’écarter par dénégation l’angoisse suscitée par le constat de l’envers du Progrès.

C’est aujourd’hui la même aporie que l’on trouve dans l’utilisation politique du discours écologique lorsque, par exemple, un droit à polluer est envisagé en contrepartie d’une taxe réservée au financement de la recherche sur le développement durable. On voit bien là comment le problème lui - même (les industries polluantes) se retrouve soudain magiquement mis en position de solution (grâce aux revenus du droit à polluer, on va financer la dépollution).

Ce type de raisonnement est structurellement lié au mythe de nos sociétés qualifiées par Claude LEVI – STRAUSS de « sociétés chaudes »9 qu’il oppose aux sociétés traditionnelles qu’il appelle « froides », en tant qu’elles s’organisent pour lutter contre les transformations de leurs structures.

A l’inverse, la société chaude met tout en œuvre pour s’affranchir des structures qui pourraient la circonscrire, et donc la limiter à l’intérieur d’une identité symbolique rigoureusement maintenue.

Ce faisant, le mythe de la modernité prend appui sur le désir inconscient du retour à l’indifférencié et du jeu illimité des substitutions que W.R. BION10, puis Didier ANZIEU11, repèrent aussi bien chez le psychotique que dans la pensée groupale.

Le rêve de la modernité est celui de la subordination des structures sociales à l’accélération continue des échanges. Il contredit la logique immémoriale d’une société conçue «… comme un monde de rapports symboliques. », selon la formule de Marcel MAUSS12.

Monde symbolique qui a été interprété par la modernité comme instrument du développement de l’individu alors qu’il a d’abord eu pour fonction la protection de l’intégrité du collectif avant la protection de l’intégrité de l’individu (logique exprimée par les rites de passage dans les sociétés traditionnelles.)

Il ne s’agit pas ici de porter un jugement moral sur les structures anthropologiques, mais de tenter de comprendre les implications d’une transformation qui s’effectue sous l’emblème de la liberté individuelle assignant l’individu à la tâche de réaliser sa propre autonomie.

L’idéal de liberté individuelle vient des Lumières, il découle du droit subjectif dont la constitution commence à la charnière du XIII° et du XIV° siècle avec Guillaume d’OCKHAM.

Celui – ci noue, du triple point de vue philosophique, théologique et politique13, la thématique de « sujet du droit » dont procède la notion de sujet qui deviendra l’axe principal du mythe de la Modernité.

La difficulté est maintenant de toucher au mythe fondateur en instaurant les mécanismes régulateurs de la vie collective qui forcément limitent la notion de liberté individuelle sur de multiples registres.

Certains courants de la pensée contemporaine comme la psychanalyse et l’écologie produisent les bases d’une analyse critique du mythe de la modernité en rappelant la surdétermination essentielle du sujet humain, par les structures symboliques inconscientes pour l’une, et par l’interdépendance systémique de l’individu avec le milieu pour l’autre.

La reproduction des formes symboliques au travers de l’organisation collective ne saurait être éradiquée du fonctionnement humain. Simplement, la modernité a tenté l’astuce de les déplacer de leur site originel qui est l’articulation entre individu et collectif, vers le champ privé de l’individu en débat avec lui – même.

Car dans le mythe de la modernité l’individu est à l’origine du sens.

Cette délocalisation modifie les termes des échanges sociaux qui ne portent plus sur les biens, les services et les femmes comme l’avait indiqué LEVI-STRAUSS pour les sociétés traditionnelles, mais vont porter sur les biens, les services et le sens. Il s’agit désormais pour l’individu moderne de placer son salut dans le sens de soi.

Du même coup le sens devient un véritable matériau de construction, à la poursuite duquel se lance l’individu. Avec l’individualisme, dit le sociologue Richard SENNETT, le moi de l’individu est devenu son principal fardeau14, et, faut – il ajouter, sa principale source d’espérance.

Du coup, l’homme moderne est toujours en cours d’inscription dans une communauté en cours de transformation ; alors que l’homme traditionnel était soit inscrit dans la communauté, soit en était exclu.

L’inscription sociale de l’Homme Moderne reste contingente, mais en revanche son exclusion n’est jamais absolue, sa réhabilitation par la reconstruction du sens de sa vie étant théoriquement toujours possible.

Ainsi, sa position fluctue et reste assignée à une zone limite entre consistance symbolique et dé symbolisation.

Cet imaginaire de l’aventure du développement individuel, reposant sur le vieux fonds chrétien du Rachat et de la Rédemption, porte les savoirs, techniques et services relevant du développement personnel, de l’aide spécialisée ou du soin psychosocial. Ces divers objets-services à fonction symboligène déterminent dans nos sociétés un véritable marché qui s’ordonne sous les thématiques fusionnées de la quête d’autonomie et de la quête de sens comme s’il s’agissait de problématique synonymes.

L’insistance mise par le législateur sur la notion de Projet prolonge cette même logique de la modernité qui, à la Renaissance, invente à la fois la représentation géométrique de la perspective et le droit du sujet à se déterminer.

A son revers, la notion de projet justifie que les individus s’ordonnent dans la perspective du spectacle : en dégradé. Depuis les hyper compétents hyper visibles au premier plan, jusqu’aux individus de moins en moins compétents dont l’image va en rapetissant suivant une ligne de fuite, jusqu’aux derniers dont on sait qu’ils existent peut – être, mais qu’ils ont perdu toute visibilité sociale et n’apparaissent plus dans aucun répertoire.

En échappant à la catégorie du projet, ceux – là échappent à la zone d’influence du mythe social, et donc du nommable.

La notion de compensation du désavantage social dû au handicap, apparaissant dans la loi du 11 février 2005, manifeste cette même logique. Là aussi il s’agit de l’expression du mythe d’auto réparation sociale qui projette de faire revenir les personnes porteuses de handicap sur un plan de visibilité sociale ; voire au premier plan lorsqu’elles acquièrent un statut de champion de haut niveau ou de personnage politique.

Le sens se réduisant à l’espace individuel et les individus se disposant sur une ligne de perspective, on comprend alors comment la demande grandissante d’étayage identitaire est la conséquence directe de la volatilité des structures symboliques faisant arrimage entre individu et collectif.

Les dispositifs connexes au champ social, tels que - supervision, analyse des pratiques, coaching, conseil, accompagnement en tous genres - prennent sens à l’intérieur de cette demande généralisée d’acquérir une « identité visible ». Les deux termes de la formule se rapprochant jusqu’à une quasi tautologie.

Au travers de quelles théories, ou plutôt de quel type de rapport à la théorie, lesdits intervenants auprès des équipes en travail social vont – ils interpréter ces demandes et y répondre ?

Penser l’hétérogénéité entre clinique et management

Dans son ouvrage « De la personne au groupe»15 François Tosquelles dit que chaque soignant doit nécessairement faire sa propre théorie.

Théorie, entendue ici non comme système conceptuel entièrement articulé, mais plutôt comme élaboration ouverte, pensée maintenue au travail autour de quelques repères dont les positions vont bouger au fur et à mesure de leur usage.

Le point essentiel est que cette élaboration articule au quotidien la clinique avec l’organisation, l’expérience quotidienne et le concept.

L’observation clinique est soumise à la garantie de pouvoir être restituée puis élaborée collectivement. En tant qu’opération objectivante et subjectivante l’observation clinique développe du sens à partir du moment où elle est élaborée dans le collectif. Là apparaissent les convergences et divergences entre les observations qui vont en faire un matériel servant l’hypothèse interprétante.

Mais le processus clinique exige un dispositif adéquat à son développement.

Si l’observation n’est attendue nulle part, s’il est entendu qu’il n’en sera rien fait, elle n’a progressivement plus lieu d’être. Quelle que soit par ailleurs la compétence des professionnels, il n’y a pas de clinique possible sans dispositif institué qui la soutienne et l’organise.

Le fait qu’il existe un cadre formel pour le processus d’élaboration détermine une structure d’attention par laquelle le quotidien, au-delà d’une surface événementielle, devient surface d’inscription du signe16.

En faisant de l’articulation entre clinique et organisation le moteur du soin, la psychothérapie institutionnelle avait introduit une préoccupation qui fait aujourd’hui retour par la législation.

On trouve en effet dans l’esprit de la loi du 2 janvier 2002 cette idée que l’organisation du soin fait partie intégrante du soin et qu’en élaborant et en évaluant l’organisation, on élabore et on évalue le soin lui - même.

L’idée est formulée mais pas ses conditions de réalisation. La loi peut décréter le projet individualisé de l’usager, mais ne peut décréter la méthode de sa construction. Chaque établissement, service, équipe, est amené à formaliser l’organisation qui va encadrer le processus d’élaboration.

Ainsi, l’enjeu pour l’équipe n’est-il plus d’adopter une théorie référente, comme on a pu le croire souvent dans les dernières décennies, mais de construire et de soutenir un rapport à la théorie. Il s’agit de partir de la pratique pour aller vers le concept et faire retour sur la pratique avec un point de vue modifié et enrichi par ce détour. Cette boucle de la formalisation est, de mon point de vue, ce à quoi supervision et analyse des pratiques entraînent les équipes à partir de la question: « Avec quoi pourrait-on penser ce dont on est témoin et acteur ? ». C’est à la condition de cette question que le concept devient un outil psychodynamique pour l’équipe.

Inversement, l’usage du concept est susceptible de distordre la pratique.

C’est le cas lorsqu’une théorie est utilisée de façon normative, qu’elle assimile mais n’accommode pas - au sens de PIAGET - et demeure comme un langage convenu auquel doit se soumettre la pratique.

Lorsque l’usage de la théorie connaît un tel destin ce dont on ne peut pas parler est en réalité ce dont on ne doit pas parler.

Dans ces équipes au fonctionnement d’abord coutumier17, puis endogamique et enfin pathologique, on sent vite la présence d’une puissante loi informelle ayant fonction d’une véritable police de la parole.

Dans certaines de ces équipes dont les membres, parfois « fondateurs », ont vieilli ensemble, en circuit fermé, loin d’un regard tiers, on découvre que les méthodes de travail énoncées ne sont que de maigres paravents dissimulant système informel d’influence, hiérarchie implicite et privatisation progressive du fonctionnement institutionnel.

Pour redémarrer sur autre chose, il faut aider l’équipe à faire la théorie du symptôme qui l’incarcère ; à partir de quoi l’analyse critique du fonctionnement implicite devient possible.

On découvre alors les aménagements par clivage, les éléments de compensation perverse et l’énorme souffrance au travail qui peut alors commencer de se symboliser pour déboucher sur une organisation et un fonctionnement plus explicites et formalisés.

Parfois, la crise institutionnelle met en évidence le fait qu’un professionnel ou une partie de l’équipe18 est en position d’incarner la loi implicite dans le fantasme groupal.

Ce type de situation renvoie à un travail de régulation. Il s’agit d’abord de comprendre, au niveau de la responsabilité institutionnelle, selon quelle succession de glissements on en est arrivé là.

Il arrive que l’analyse des pratiques ou la supervision mette ainsi à jour une problématique hors de sa compétence. Elle reste alors à analyser, ailleurs et par d’autres.

Mon point de vue est que s’il y a proximité fonctionnelle entre analyse des pratiques et supervision, en revanche la fonction de régulation s’attache directement au traitement de la crise et s’apparenterait plutôt à l’analyse institutionnelle.

Je ne pense pas souhaitable qu’une supervision se commue en analyse institutionnelle. Elle peut seulement en repérer la nécessité et lui céder la place, car je ne pense pas non plus qu’une équipe puisse utilement mener en parallèle un travail de supervision et un travail d’analyse institutionnelle. La règle d’asepsie s’impose, comme le rappelait TOSQUELLES, dans le but de dé confusionner les différents niveaux de problématique.

D’une manière générale les problématiques institutionnelles les plus enchevêtrées sont le signe de pratiques qui n’obéissent plus depuis longtemps à des règles explicitées.

Dans ces cas, la fonction du tiers institutionnel - ensemble des principes de conception et de mise en œuvre de l’action - n’articule plus depuis longtemps le lien entre clinique et organisation. La règle d’or informelle est devenue celle du « on s’arrange entre nous… ».

Cette constatation m’a conduit à spécifier l’idée de « management technique » afin d’attirer l’attention des cadres de Direction sur l’organisation spécifique indispensable au déploiement de l’action clinique.

Il n’est pas sain que les responsables se fixent exclusivement sur les managements financiers et administratifs avec le pré supposé que l’action de terrain dépend des capacités d’improvisation de ceux qui en ont la charge.

La notion de « management » est à élargir à son sens français d’ « aménagement » et représente les choix d’orientation de l’action institutionnelle en fonction d’une gestion de ses ressources, autrement dit son économie politique qui ne saurait se limiter à l’application d’un modèle comptable19.

Le fait de participer à l’élaboration du cadre du quotidien et de garantir les décisions qui s’y rapportent indique que les décideurs reconnaissent sa valeur de dispositif soignant à ce quotidien, à cet accueil, et au travail de l’intersubjectivité qu’il met en œuvre.

D’où le fait que le sous investissement de l’organisation du quotidien par les cadres induit chez les professionnels de terrain, et finalement chez les usagers, un vécu d’abandon.

La notion de management technique voudrait mettre l’accent sur le lien à trouver entre des cadres formés au management et les équipes pluridisciplinaires soumises aux contraintes d’élaboration cliniques afin de dégager le sens de la pratique.

Entre clinique et management une tension existe. Il est essentiel que cette tension soit assumée comme créative et ne s’installe pas sur la modalité d’un rapport destructeur.

De mauvaises solutions sont parfois investies pour pallier les effets catastrophiques d’un tel affrontement pérennisé. L’intervenant en supervision est, par exemple, utilisé dans le même temps par la Direction pour se défausser de son engagement technique et, par l’équipe, comme d’un complice magique permettant la réalisation d’un fantasme d’omnipotence groupale.

L’intervenant a donc des précautions à prendre afin d’éviter ce genre de dérives.

En ce qui me concerne, je recherche à ce que la demande d’intervention soit écrite par les participants et que les termes de départ en soient explicites. A chaque session on pourra mesurer l’écart par rapport à cette formulation et en faire évoluer, toujours explicitement, les termes.

Je n’interviens pas dans plusieurs équipes d’un même établissement ; je ne reçois pas en supervision individuelle un professionnel qui fait partie d’un établissement dans lequel j’interviens déjà.

Autrement dit, je ne m’insinue pas dans la vie des établissements. Je ne donne pas de leçon sur ce qu’il y aurait à faire ou à ne pas faire. Je veille à circonscrire mon action au cadre de la séance de supervision.

Ces précautions, qui peuvent apparaître paradoxales - d’un intervenant qui aurait pour souci de ne pas intervenir dans les « affaires intérieures » - protègent l’institution et me protègent de devenir l’agent, par extension progressive d’influence, d’une double commande de l’action institutionnelle.

L’étymologie du mot Supervision peut ici donner lieu à malentendu. Il ne s’agit en effet pas de surveiller ou de contrôler dans le but de rectifier, mais d’une aide au développement du potentiel d’analyse de l’équipe. Ce que réalisera ce potentiel d’analyse en termes de clarification des fonctionnements et de création de méthodes et de dispositifs innovants appartient, dans l’après-coup, aux instances institutionnelles ordinaires.

Comme nous commençons à le voir, la définition technique de l’intervention - analyse des pratiques20, supervision ou régulation – passe d’abord par la définition de ses limites, souvent de plus en plus difficiles à percevoir lorsque au cours du temps un transfert symbiotique21 s’installe entre l’équipe et l’intervenant.

Les questions de fin de supervisions ou de celles qui se prolongent sur un mode addictif, les destins de ces aventures collectives dont certaines s’avèrent symptomatiques, restent à analyser, mais comment et par qui ?

C’est toute la question de la formation, du suivi et de l’analyse mutuelle des superviseurs.

Question ouverte s’il en est.

En conclusion

Dans cette période que nous vivons depuis la loi du 2 janvier 2002, les équipes sont soumises aux deux contraintes de négocier les prises en charge avec les usagers sur la base du projet individualisé et d’évaluer leurs pratiques et fonctionnements.

Il s’agit d’une loi d’orientation qui a donné lieu à un train de mesures selon deux axes : celui de formaliser, rendre lisible, rendre compte des pratiques, et celui de prendre en compte l’usager comme partie au contrat plutôt que comme bénéficiaire restant soumis à l’expertise professionnelle.

Le fait que ce nouveau cadre ait comme pivot la notion de projet réactive singulièrement la fonction narrative professionnelle, à chaque niveau – individuel, de l’équipe, de l’établissement, de l’association22.

Dans sa globalité, c'est-à-dire managers compris, l’institution du travail social est désormais contrainte par le procès de mise en récit de ses pratiques.

Car l’objet narratif attendu émane du collectif, de l’équipe pluridisciplinaire et de ses responsables comme le laisse entendre la loi.

La narrativité en travail social présente ainsi deux caractéristiques : elle procède de la mobilisation d’un appareil psychique groupal23 et sa forme correspond au discours théorico pratique.

Cette forme repose sur un « travail de l’intersubjectivité », comme le formule René KAËS. Or, la qualité d’un fonctionnement intersubjectif dépend d’abord des investissements pulsionnels et narcissiques dont le groupe fait l’objet de la part de ses membres. Cet élément de la vie des groupes énoncé par le même KAËS devrait amener à réfléchir sur ce que peut être la conception et la technique d’un management spécifique au champ social et médico-social.

De fait, la plupart des travailleurs sociaux ont éprouvé cette efficience singulière du groupe à former des représentations symboliques et à se constituer comme un appareil à penser les pensées, pour reprendre le concept de BION.

Avec la notion de projet positionnée de façon centrale on peut se saisir dans la loi 2002 d’un argument fort pour défendre la logique corrélative qui donne sens à la clinique de l’équipe pluridisciplinaire.

J’ai ainsi constaté que ma pratique de supervision me conduisait à approfondir une approche transversale :

  • aux expressions du transfert,

  • aux représentations de leur champ par les travailleurs sociaux,

  • à la construction d’une méthodologie de l’action.

1 Intervention au 1° colloque Européen PSF/PSYCHASOC « La supervision d’équipes de travailleurs sociaux en question », Montpellier 24 et 25 Octobre 2009. Ce texte reprend l’article intitulé « Pourquoi formaliser en travail social ? », paru dans la revue EMPAN, N° 75, Nov. 2009.

2 Psychologue Institut d’éducation sensorielle « Centre Lestrade » ; superviseur en travail social. lingrimaud@hotmail.fr

3 Gregory BATESON, « Codage et valeur », in André LEVY, « Psychologie sociale, textes fondamentaux anglais et américains », tome 1, Dunod, 1992.

4 «…les actes de saisie de l’exploration psychologique concrète et les concepts structuraux sont réciproquement articulants-articulés. […] ce va-et- vient […] qui a son parallèle dans l’existence de l’homme s’expliquant avec le monde, avec les autres, avec soi est inséparable historiquement de la naissance de la psychologie à travers l’esprit de la psychanalyse. » Henri MALDINEY, in., « Regard Parole Espace ». L’Age d’Homme, 1999.

5 L’objet textuel est formulé puis formalisé dans le cadre de l’équipe pluridisciplinaire. Le projet en est l’exemple typique. Il peut s’agir du projet individualisé ou projet de service, du règlement intérieur en tant que tel, d’un point fait avec un usager sur un aspect précis de sa prise en charge, un bilan de stage, etc.

6 Sigmund FREUD, « Inhibition, symptôme et angoisse », P.U.F. 1973.

7 Donald WINNICOTT, « La défense maniaque » (1935), in « De la pédiatrie à la psychanalyse », Payot, 1992.

8Jacques DONZELOT, « L’invention du social », Seuil, 1994.

9 Les données actuelles sur les causes humaines du réchauffement climatique font de cette formule plus qu’une métaphore.

10 W.R. BION, « Réflexion faite », P.U.F., 1983.

11 Didier ANZIEU, « Le groupe et l’inconscient », L’imaginaire groupal », Dunod, 1984.

12 Marcel MAUSS, « Sociologie et Anthropologie. » P.U.F., 1950.

13 Voir Pierre-François MOREAU, « Du cœur gravé au corps mystique : naissance d’un ordre juridique. », in : François CHÂTELET (sous la dir. ), « Histoire des idéologies », Hachette, 1978.

14 Richard SENNETT, « La culture du nouveau capitalisme », Albin Michel, 2006.

15 François TOSQUELLES, « De la personne au groupe », (« A propos des équipes de soin »), érès, 1995.

16 Voir Pierre DELION, « Séminaire sur l’autisme et la psychose », érès, 2004.

17 Au sens d’insuffisamment formalisé dans le registre professionnel.

18 Il s’agit classiquement d’un binôme maintenant un réseau d’influence dans l’équipe.

19 Voir le petit ouvrage de Giorgio AGAMBEN, « Qu’est-ce qu’un dispositif ? », Payot, 2007.

20 Voir l’ouvrage de Claudine BLANCHARD-LAVILLE et Dominique FABLET, « Sources théoriques et techniques de l’analyse des pratiques professionnelles. », L’Harmattan, 2001.

21José BLEGER, « Symbiose et ambiguïté », P.U.F., 1981.

22 Pour le philosophe Paul RICOEUR la structure de l’identité est narrative, voir son concept d’identité narrative dans « Temps et récit », tome 3, Seuil 2005 ; ainsi que l’ouvrage de Raphaël BARONI : « La tension narrative. Suspens, curiosité et surprise », Seuil, 2007.

23 René KAËS, « Le groupe et le Sujet du groupe », Dunod, 1993.

L’effet mosaïque

A propos de la supervision et de la régulation d’équipe

Marie Allione*

Je viens ici pour trois raisons, d’une part parce que je suis pédopsychiatre responsable aujourd’hui de l’hôpital de jour la Rose-Verte à Alès après avoir occupé cette fonction pendant plus de dix ans à l’hôpital de jour la Maison-Lune au Vigan ; d’autre part parce que dans toutes les institutions où j’ai travaillé il y a toujours eu des régulations et des supervisions, à mon initiative ; enfin parce que je suis aussi régulateur mais je fais le choix aujourd’hui de vous parler de mon point de vue de « régulée ».

Je vais commencer par vous raconter une histoire qui condense un message que je considère comme étant le point de rupture dans les conceptions actuelles du soin psychique.

Dans l’album « Objectif Lune », le professeur Tournesol perd la mémoire à la suite d’une chute. Il s’est mis dans un état maniaque après que le Capitaine Haddock l’a traité de « zouave ». Il s’énerve, s’agite, finit pas tomber dans un trou et se relève amnésique et mutique.

Or le voyage vers la lune dépend de lui, il faut donc le guérir au plus vite. Chacun y va de sa petite idée : réveiller les souvenirs ou provoquer un choc pourrait lui être salutaire. Tintin prend le symptôme de front en lui rappelant des souvenirs et le capitaine Haddock développe des trésors d’ingéniosité pour tirer Tournesol d’affaire. Il se déguise en fantôme et se prend les pieds dans le drap. Il se travestit en cavalier chargeant sous son bonnet à poils, met un pétard sous le siège du professeur, pétard qui finit par lui péter à la gueule. Puis il se sert d’un diable jaillissant de sa boîte, et finit par s’effrayer lui-même. Enfin, il vise le professeur avec un pistolet à eau pour lui faire peur et Tournesol lui renvoie fort à propos son simulacre en lui recrachant l’eau au visage. Mais rien n’y fait. Tournesol reste de marbre. Il faudra pour en sortir que le Capitaine prononce une parole, une seule parole, une parole qui lui échappe, celle qui renoue avec l’état psychique antérieur du professeur : le mot « zouave ». C’est ce mot qui l’avait mis hors de lui et c’est ce mot qui l’éveille de sa léthargie et le rend sujet à nouveau. C’est de renouer avec le fil du langage qui soigne le professeur et le guérit.

Je vous laisse méditer cette imagerie des stratégies soignantes qui décline deux modèles bien connus : ou bien faire disparaître au plus vite le symptôme ou bien se livrer à des “pitreries”pour aboutir à la seule solution qui vaille à mes yeux, une parole vraie qui échappe par son caractère signifiant. Nous voyons là, condensé dans cette histoire, ce que nous peinons tant à exprimer dans nos théories : un message simple où le symptôme a un sens même s’il reste clos à l’autre ; et l’acte de soin est avant tout un acte de parole.

Dans les institutions, il y a la plupart du temps tous les ingrédients pour faire taire le sujet ou pour le mettre hors-jeu. C’est une question qui depuis toujours me préoccupe : comment faire pour rester centré sur le sujet, c’est-à-dire l’enfant et sa souffrance lorsque nous l’accueillons à l’hôpital de jour ? Comment faire pour ne pas s’égarer dans des diatribes interpersonnelles qui stérilisent la créativité des soignants ? Car ces attaques concernent le patient, il ne faut pas les prendre pour argent comptant comme si elles ne concernaient que les relations entre les soignants. Elles viennent en résonance à la souffrance de l’enfant.

Pour moi il y a trois points autour desquels s’articule le travail thérapeutique en institution :

Comment favoriser la mise en forme narrative ?

Comment laisser aux soignants une grande liberté de dire et d’agir ?

Comment repérer les effets du transfert qui dans le cas de psychose se trouve toujours morcelé, clivé et multi référentiel ?

Peut-être en cultivant une certaine ambiance, une atmosphère désirante qui enveloppe et borde le sujet en respectant son symptôme, symptôme qui reste la dernière solution bricolée à son insu pour survivre.

Ces questions ont été ma préoccupation constante depuis que jeune pédopsychiatre je me suis vu confier la responsabilité d’un hôpital de jour. Et c’est ainsi que je me suis toujours interrogée sur le travail institutionnel. Tout simplement parce que le traitement des enfants psychotiques et des enfants autistes nécessite une institution. Affirmer cela ouvre une nouvelle question : comment faire pour qu’un dispositif institutionnel puisse générer des effets thérapeutiques ?

Le capitaine était seul avec ses angoisses, comme chaque soignant se retrouve seul – je dis souvent en première ligne – pour recevoir les projections archaïques que son petit patient lui bombarde. C’est lui qui soutient le transfert. Et il me semble que cette place de soignant n’a de sens que dans la mesure où elle peut être reliée à d’autres, autrement dit s’il existe une institution, c’est-à-dire un système constitué d’emboîtements où le soignant qui porte l’enfant est lui même porté par les autres soignants dans une sorte de holding du holding pour reprendre une idée chère à Claude Allione.

Et s’il faut une institution, c’est une institution mentale comme le propose Jacques Hochmann, c’est-à-dire un système qui permet au soignant de réalimenter sa rêverie, de constituer une chaîne du sens et de garder un « rapport vivant à un objet théorique en mouvement considéré comme un objet transitionnel avec lequel chacun peut jouer à son aise. On est alors du côté de l’instituant, c’est-à-dire du plaisir trouvé dans l’établissement des liens, c’est-à-dire encore du côté de l’eros et de la vie » 1 .

Entendons bien que la théorie doit être considérée comme une fiction selon l’expression d’Octave Mannoni2 ou encore comme le dit Jacques Hochmann : « j’utilise la théorie Kleinienne comme une sorte d’album de contes qui donne des images vivantes avec lesquelles on peut construire des histoires pour les enfants que l’on soigne » 3. Qui d’autre, mieux que lui, nous incite à ne pas entretenir un rapport fétichisé à la théorie mais à se servir des concepts, comme des nounours, pour jouer avec et se constituer sa petite boîte à outils ?

Partageant donc depuis des années l’expérience de travail des équipes d’hôpital de jour, je participe à la régulation au même titre que chacun des soignants qui constituent le collectif.

Vous aurez compris que ces hôpitaux de jour ont une orientation résolument thérapeutique. Même si cela est une évidence, il vaut mieux le dire en ces temps où l’évaluation et le discours de la soi-disant science prennent le pas sur la clinique. Notre travail institutionnel est référé à la psychothérapie institutionnelle, c’est-à-dire que tous les personnels quels que soient leur rôle et leur statut, infirmier, éducateur, agent de service, secrétaire, orthophoniste, psychomotricien, psychologue, coordinatrice des soins (cadre de santé) ont une fonction soignante. Cette fonction est commune à tous et répond à certaines exigences de démocratie, de responsabilité et à des règles de fonctionnement définies ensemble et approuvées par tous.

Depuis que je fréquente ces lieux de soins, j’ai retenu deux choses. La première, je le disais plus haut, c’est que le mode d’existence au monde des enfants autistes et des enfants psychotiques rend nécessaire cette question de l’institution. Ces enfants n’ont pas un problème de communication. Ils ont un problème de rapport au langage, à la structure du langage. La pensée leur fait horreur et le langage est discrédité, sans doute parce que leur monde intérieur est encore envahi d’angoisses archaïques et qu’il reste clivé ou morcelé avec des défauts de symbolisation. Ce qu’ils transfèrent sur la scène institutionnelle reste donc morcelé, éparpillé. Et ce qui caractérise leur façon d’être, c’est leur tendance à tout confondre pour faire en sorte que tout soit pareil, ou à tout cliver ou morceler. Ils utilisent des mécanismes de défense, si bien décrits par Wilfred Bion et Mélanie Klein : l’attaque envieuse qui défait nos capacités de penser et notre plaisir à inventer, et l’identification projective qui nous fait éprouver pour notre propre compte leurs affects insupportables.

La deuxième, c’est que les sentiments éprouvés par les soignants sont complexes et fonctionnent en miroir de l’enfant. Ce peut-être un sentiment d’intrusion, un sentiment de vidange, un sentiment d’incompétence, d’inanité et parfois un vertige, un malaise, du non sens. Dans notre logique du soin, ces sentiments sont au premier plan et ils s’apparentent plus souvent au cauchemar qu’à la rêverie car le soignant peut être véritablement intoxiqué par la façon d’être de l’enfant par sa tyrannie, par son étrangeté. Il se trouve déboussolé. Tony Lainé disait qu’avec ces enfants nous sommes toujours en danger de collapsus intérieur.

Comment faire en sorte que les soignants puissent en détoxiquer la charge anxieuse ? Notre système ou dispositif institutionnel pourrait se représenter comme le montage des poupées russes qui s’emboîtent l’une dans l’autre. Ainsi, il y a le soignant qui porte l’enfant dans sa pensée, puis il y a le groupe d’accompagnement qui porte le soignant qui porte l’enfant, puis le collectif qui porte le groupe d’accompagnement et le soignant. C’est le holding du holding. A tout cela, s’ajoute la régulation et les temps de supervision des ateliers et de supervision clinique ; et l’ensemble constitue un dispositif qui permet aux soignants de continuer à penser et à exister face à cet enfant. Cet ensemble définit un cadre pour pouvoir penser. C'est de cette solidité du cadre que l'enfant psychotique peut s’autoriser à se mettre en mouvement dans sa trajectoire thérapeutique, qui peut aller de la pataugeoire à l'atelier conte en passant par le poney, l'atelier cuisine ou musique. Dans les ateliers, ce n’est pas tant ce qu’on y fait qui compte le plus, c’est l’état psychique dans lequel sont les soignants.

Dans ce dispositif chaque soignant est une voix, chaque voix compte, et c'est l'ensemble des voix, comme dans un ensemble polyphonique, qui constitue un espace psychique pour l’enfant. Lors d’une réunion, il y a quelque chose de l'enfant qui se fabrique hors de lui dans le groupe des soignants. A partir de là, que remarque-t-on dans le décours du processus de soin ? C'est que l'enfant peut, à un certain moment, s'identifier aux articulations entre les soignants, et à la construction globale c'est-à-dire à la globalité du dispositif soignant.

Que se passe-t-il lorsqu’un enfant arrive à l’hôpital de jour ? Très vite il va rejouer ses relations malades. Qu’il s’agisse de retrait comme dans les autismes ou d’agitation sans fin et sans limites comme dans les psychoses, l’enfant va projeter son petit théâtre intérieur dans lequel nous constatons qu’il est à la fois acteur et metteur en scène. Et les soignants, s’ils se laissent aller avec empathie, se retrouvent à « jouer » un rôle dans une comédie ou une tragédie sans en avoir le script. Lorsqu’on est saisi ainsi par la répétition, on peut s’interroger sur ce qui appartient à l’enfant, et on conçoit bien à partir de là combien il est nécessaire d’être plusieurs pour soigner ces enfants, parce que le transfert est clivé ou morcelé. Et il faut que les soignants soient reliés entre eux pour redonner de l’unité à un univers psychique disjoint. Les réunions d’équipe servent d’abord à remettre la parole en circulation, à relier des éléments disparates et à fabriquer du récit.

Maud Mannoni disait que l’institution doit être éclatée,4 et faire comme Pénélope, c’est-à-dire qu’elle doit faire le travail de tissage en permanence, pour que l’enfant s’y reconnaisse, pour que l’enfant s’identifie au mouvement du tissage et de détissage, pas à l’objet tissé – qui est par nature figé, inerte. C’est le mouvement dans l’institution qui importe, la mobilité institutionnelle qui est du côté de la vie, de l’éros.

Dans le trajet thérapeutique, la fonction d'accompagnement que remplit le soignant est tout à fait essentielle. Elle représente la permanence de l'objet. Elle est essentielle pour que l'enfant éprouve dans son corps et dans son appareil psychique, la continuité, les différences, les oppositions, les séparations afin qu'il ne vive plus les ruptures comme des arrachements ni la pensée comme une horreur. Car, ils ont besoin de pensées. Il faut qu’ils soient pensés et incarnés dans un discours pour pouvoir un jour penser et discourir à leur tour. L’atmosphère institutionnelle a pour fonction essentielle de favoriser cette activité de penser, de permettre aux soignants de penser le soin.

Qu’est-ce qu’on attend du régulateur ? Le régulateur n’est pas n’importe qui, je dirais même, n’est pas monsieur ou madame tout le monde. C’est quelqu’un à qui l’on demande d’être psychanalyste, qui est attendu à la place du psychanalyste. Il est convoqué à la place de celui qui écoute et qui peut tenir compte des effets du transfert en lui et pour les autres. Et lorsque je dis psychanalyste, je voudrais préciser que nous n’attendons pas du régulateur qu’il fasse ce que nous appelons le coup de l’analyste , c’est-à-dire qu’il laisse le silence s’installer comme cela peut-être le cas dans une cure, car il s’agit d’un groupe et pas d’un individu et ses participants ne demandent pas à être analysés.

Vous voyez là un point subtil, qui questionne la position du psychanalyste sans divan dont on attend qu’il écoute mais qu’il ne soit pas inerte ou mutique. Nous n'attendons pas non plus qu’il donne des conseils ni des explications psychologiques, encore moins qu’il s’empare du « discours de l’universitaire » mais après tout c’est bien le moins que nous puissions attendre d’un analyste. Jacques Lacan5 rappelle que « la présence de l’analyste est elle-même une manifestation de l’inconscient ». Or tous les soignants n’ont pas la même représentation de l’inconscient ni de la psychanalyse et c’est justement ces représentations là qui vont être mises en travail dans la régulation.

J’appelle régulation le travail du groupe sur sa propre réalité institutionnelle ; et supervision, l’analyse d’une histoire clinique. Pour autant, la régulation comme la supervision ne sont pas des compartiments étanches. Il arrive qu’une supervision mette l’accent sur les impasses institutionnelles et qu’une régulation s’articule autour de l’histoire d’un enfant, mais si je puis dire l’angle de vue n’est pas le même et les soignants ne sont pas dupes. Avec un peu d’expérience, ces deux registres sont mis en perspective l’un par rapport à l’autre ou si l’on veut, se répondent l’un l’autre.

Mais revenons au terme choisi de régulation pour le questionner. Si l’on se réfère au dictionnaire, réguler c’est le « fait d'assurer un fonctionnement correct, un rythme régulier ». Jusque là nous sommes d’accord. Mais si nous ajoutons que la fonction de régulation est une « fonction assurant la constance des caractères du milieu intérieur en dépit des variations incessantes du milieu extérieur » comme en biologie, nous ne sommes plus tout à fait en accord.

Réguler pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de vagues comme certains directeurs le pensent ou le souhaitent lorsqu’ils acceptent de la financer, ne me paraît pas être, en tout cas à la Rose-Verte, la finalité de ce type de travail.

En digressant encore un peu au long du dictionnaire, on trouve des choses étonnantes. Savez vous qu’il y a des œufs qu’on appelle œuf à régulation . Ils sont capables de régénérer de façon parfaite une partie dont on les a amputés. Au contraire, il y a des œufs en mosaïque qui après destruction partielle engendrent un embryon incomplet.

Toute métaphore a ses limites mais retenons l’effet mosaïque qui me paraît si bien correspondre à ce vers quoi devrait tendre la régulation : préserver l’effet mosaïque. Dans un croisement biologique, les caractères mosaïques sont des caractères qui s'expriment côte à côte sans se dominer. Par exemple, les panachures de la robe des animaux représentent des caractères mosaïques. Pour moi ce caractère-là c’est l’acceptation de la perte, comme dans le langage.

Il est très difficile de prendre un exemple de ce qui se met en travail dans une séance de régulation. Mais je vais essayer de le faire à partir du ras le bol qu’exprimait un soignant au cours d’une séance où il semblait m’en vouloir. Disons que je me sentais visée et c’était une erreur de ma part. N’est-ce pas une banalité de dire que l’on se sent sur la sellette chacun notre tour ?

Pourtant, n’avez vous jamais été saisis d’entendre par la bouche d’un d’entre nous une parole qui émane du groupe, comme si celui qui la dit était le porte parole , comme si cette parole pouvait être considérée comme « impersonnelle. Elle émane de cette personne, écrit à ce propos Roger Gentis, mais à la manière de paroles oraculaires dans d’autres cultures, elles ne disent rien de cette personne et ne peuvent qu’abusivement lui être imputées : qu’elle le veuille ou non, elle s’est trouvée pour un instant en position de Pythie et ne peut que l’accepter en toute humilité. Nous ne sommes pas maîtres de tout ce que nous disons et il nous arrive de proférer des choses qui viennent d’on ne sait où : est-ce un daimon qui vient à parler par notre bouche ? » Ce serait, ajoute Roger Gentis « cet inconscient qui se situe entre deux ou entre n qui viendrait parfois parler par la bouche de un ou plusieurs de ces n : avoir l’humilité de s’y prêter, de se laisser aller à cet impersonnalisation, c’est ce qu’on peut demander à ceux et à celles qui s’engagent dans de telles aventures, une régulation analytique d’équipe, toute banale, toute bête par exemple. » 6 A cette place de régulateur, il se définissait comme un jardinier du préconscient 7 .

Jean apporte en régulation un évènement accompagné d’un sentiment de colère. Il semble très remué à l’idée de transmettre ce message à l’équipe, comme s’il « était porteur du malaise de l’enfant » à l’origine de ce message. Il s’agit du comportement de Paul qui s’est pissé dessus à l’école, venant ponctuer ce qu’il exprime clairement depuis longtemps : « je ne veux plus aller à l’école ».

A plusieurs reprises, nos discussions d’équipe avaient débouché sur l’idée de proposer aux parents de diminuer le temps scolaire. La contrainte scolaire exerçant sur Paul une tension parfois insupportable. Mais à chacun des entretiens avec les parents, Jean et moi étions englués dans leur attente, démesurée sans doute, que leur fils aille à l’école le plus possible. C’était comme si nous étions, à plusieurs reprises, en train d’adhérer au discours des parents, même si nous n’en pensions pas moins.

Ainsi nous n’avons pas pu « tenir » les engagements et l’orientation décidés en équipe. Qui plus est, dans l’entretien, Jean se reposait sur moi, le médecin, pour appliquer la ligne « à tenir » définie en équipe. Nous n’avons pas été « cohérents » avec l’instance décisionnelle que représente l’équipe, et nous nous sommes retrouvés en porte à faux, c’est-à-dire littéralement : ce que l’on porte est faux, sonne faux. Jean comme Paul se sont sentis lâchés . Il y a défaillance, incohérence, accroc dans le tissu de parole qui assure le sens de la prise en charge. Jean a éprouvé une amertume et Paul a ressenti ce que l’on peut appeler avec Winnicott une « crainte de l’effondrement ».

Ce court exemple, extrait d’une séance de régulation, a pour mérite de souligner la fonction tierce de l’équipe. Lorsque je me retrouve face à ces parents, je le suis en référence à l’équipe et non pas en tant que détentrice d’un pouvoir médical. La fonction de la régulation serait nous dit Roger Gentis, « de réparer les accrocs du tissu communicationnel dans l’équipe, accrocs non seulement inévitables mais souvent opportuns. Si l’on se reporte au travail de Winnicott sur la crainte de l’effondrement, l’auteur y voit très clairement que ce sont les erreurs et les défaillances de l’analyste qui permettent au patient de vivre enfin métaphoriquement cet effondrement, qui s’est produit sans avoir lieu (la scène transférentielle lui donne lieu) dans la toute petite enfance. Il n’y avait pas alors, dit Winnicott, de sujet pour la vivre. Ces considérations tirées de la scène analytique (mais des analyses de Winnicott) me paraissent pouvoir être transposées, mutatis mutandis, sur la scène institutionnelle » 8.

Comment faire dans une institution pour que les soignants laissent la place à l’émergence de ces choses archaïques et à la vérité que l’enfant porte en lui ?

Au cours d’une réunion de régulation, Claire nous a parlé avec beaucoup d’émotion d’une angoisse très prégnante. Elle a raconté qu’un soir en arrivant chez elle, elle a eu l’impression qu’elle aurait pu oublier Marin dans le service. Marin est un petit garçon autiste. Lorsqu’elle nous raconte cela, son émotion est très forte devant cette peur de le perdre, elle pleure et elle se pose la question : “qu’est-ce qu’il me fait vivre ?” accompagné de la proposition : “je ne sais pas où il est ?” Nous nous sommes demandés si cet effet du transfert ne venait pas répéter un événement de son histoire. Un an avant le début des soins, Marin, alors âgé d’un an et demi, est allé se noyer dans un bassin et il a fait 48 heures de coma profond. Cette reviviscence sur la scène institutionnelle d’un moment où le sujet s’est évanoui, noyé dans le silence, a inauguré la suite.

Cette histoire s’est déroulée dans une ambiance faite de retenue. Nous avons peu parlé de Marin mais nous nous sommes senties portées. Ce qui porte, c’est le collectif et cela montre que le groupe n’est pas constitué autour de celui qui sait, comme c’est l’usage, avec les effets de toute-puissance imaginaire et aliénante, mais dans une dimension de régulation et de contrôle mutuels assurés par des pairs.

Aurait-elle pu se laisser aller à tant d’émotion sans la présence du régulateur ? Il faut que les soignants se sentent soutenus, que leur parole soit prise en compte au niveau où elle arrive. Que le dispositif institutionnel tienne, les tienne. Et cela demande toute une construction subtile qui définisse un cadre pour penser. La régulation fait partie de cette construction.

Je me souviens aussi d’une histoire ancienne, une histoire de supervision clinique que j’ai déjà racontée. J’ai souhaité la reprendre un peu différemment parce qu’elle éclaire une impasse du dispositif institutionnel et qu’elle montre comme je le disais au début qu’une séance de supervision peut avoir un effet régulateur.

C’était un jour où nous avions décidé de parler d’un enfant. Pas de problème pour prendre la parole, c’est la soignante référente de l’enfant qui s’y engage. Elle raconte l’histoire de John ou plus exactement la légende que nous avons construite dans nos têtes, à partir des échanges, des éléments, des mots, des émotions que les parents nous transmettent. A chaque fois que l’on raconte une histoire, de petites transformations se font jour qui modifient sensiblement le cours du récit. Puis on fait des liens entre des éléments qui paraissent disparates en bâtissant des hypothèses. Freud dit quelque part qu’il faut faire des échafaudages mais il ne faut pas confondre l’échafaudage avec l’immeuble.

Nous échafaudons une sorte de légende qui est faite de ce que les parents ont dit, de ce que montre l’enfant et de ce que les soignants se représentent de tout cela. Je ne vais pas vous raconter la légende du petit John car ce serait trop long et puis vous pourrez trouver ça dans un autre texte9. Mais je vais essayer de résumer les points de bascule produits qui permettent de sortir de la répétition et de dire en quoi la place ou la présence du superviseur modifie la structure même de l’échafaudage et par conséquent la production signifiante de l’enfant.

Dans la légende du petit John nous avions retenu qu’il construisait des scénarios dans lesquels sa soignante devait le tenir, le retenir. Quand elle le tient il n’a de cesse de se défaire, et quand elle le lâche il revient pour être tenu. Il rejouera sans cesse ce premier acte avec plusieurs variantes. Qu’il s’agisse des objets qu’il utilise ou de lui même, on retrouvera cette problématique de tenir avec son corollaire de lâcher. Sa soignante a la sensation d’avoir du mal à le tenir, que l’on associera au sentiment éprouvé par sa mère : enceinte celle-ci pensait qu’elle n’allait pas le garder. Lorsque John choisit un second soignant, c’est un homme. Nous pensons que cette venue introduira quelque chose de l’ordre du tiers entre John et sa soignante. Pas du tout. John se sert de l’un comme de l’autre de façon très séparée. Et l’on se retrouve dans un dispositif créé par l’enfant qui consiste à avoir deux soignants en parallèle. Il y en a deux pour n’en avoir toujours qu’un. John les maternalise. Ce qui nous renvoie aux positions interchangeables des parents. Le père de John fait comme sa femme, il ne diverge pas. Et les soignants sont pris dans cette répétition.

Le triangle familial, Père-Mère-John ne fonctionne pas, il est aplati. Il se reproduit avec les soignants une répétition dans laquelle John les met tous les deux à la même place, celle de la mère toute seule . Toutes les tentatives de traduction de cette mise en scène ne permettent pas que quoi que ce soit évolue. Il y a une répétition sans le sens.

Jusqu’au jour où les soignants décident d’en parler en supervision avec Jacques Hochmann. L’un et l’autre soignant se relaient pour raconter l’histoire du petit John. A la fin du récit, l’analyste nous livre l’impression qu’il a ressentie tout au long de ce récit. Il a eu le sentiment que quoi qu’il dise, il couperait la parole. Et il nous demande où est le père car dans toute cette histoire, il n’était question que de la mère.

Cette interrogation a ouvert tout un espace où l’introduction du père dans la mère entraîne une désorganisation. Je ne vais pas détailler cette séance de supervision, mais remarquons que l’éclairage apporté par l’analyste, qui porte essentiellement sur un mot, le signifiant « coupure », a ouvert tout un espace de rêverie, qui prend en compte la place du père. La coupure a donné du sens à la répétition.

La suite n’a pas cessé de nous surprendre. D’abord John demande à son soignant : dessine moi un père. Et dans la foulée, il invente la famille Perin, avec le Perin, la maman Perin et les cochons Perin. John invente-t-il une métaphore paternelle, un des noms du père ? Parvient-il, grâce à ce qui se joue dans le groupe, à s’inventer une métaphore paternelle ?

Que peut-on dire de ce travail thérapeutique ? Si je le résume, il s'agit d'un enfant qui induit chez ses soignants des mouvements émotionnels liés à la position de sa mère. Cette répétition entre en résonance avec la légende qu'ils se sont construite, laissant de côté tout le reste. Lorsque nous pensons que John fait une tentative d'altérité, c'est pour de nouveau tomber dans la répétition et annuler toute position tierceisante, comme le dit Pierce10.

En général, dans une telle conjoncture, c'est la référence à l'équipe qui introduit cette position tierce. Il y a l'enfant, ses soignants et l'équipe. La position du soignant est de ramener en réunion d'équipe ce qu'il vit avec l'enfant, et la fonction de l'équipe est d'accueillir ces sentiments et de les interroger. Or, ce que nous remarquons bien souvent, c'est que l'équipe se trouve à son tour intoxiquée, contaminée et toute tentative d'élaboration, de traduction ne permet pas à l'enfant de sortir véritablement de sa répétition. Elle peut se mettre à fonctionner comme une mère-toute selon l’expression de Jacques Lacan.

Dans ce cas de figure, le triangle familial pose un problème, et ce problème se transfère sur le triangle constitué par John et ses deux soignants. John n'a pas la possibilité de considérer sa mère en fonction du père. Le signifiant du Nom du Père est forclos. Il n'est pas venu se substituer au premier signifiant, celui du désir de la mère. Elle reste une mère-toute, non castrée. Dans le travail thérapeutique, les soignants se sont mis à fonctionner sur ce modèle, et l'équipe s'est trouvée dans une position de toute puissance.

Lorsque nous avons décidé d’en parler en supervision avec Jacques Hochmann, il y a eu dans cette démarche la demande d'être écouté et entendu adressée à un Autre. Cette mise en scène du dispositif institutionnel a pu introduire un déplacement. Le triangle John-ses-deux-soignants s'est déplacé vers le triangle John-équipe-psychanalyste.

Or ce que l'on remarque, c'est que cette introduction fait effraction dans une construction trop claire, ce que j'ai appelé la légende. Le psychanalyste, de sa place de superviseur, a restitué à l'équipe ce qu'il a ressenti. Il intervient, il vient entre l'équipe et John. Cette intervention porte sur la coupure, et ce signifiant coupure ouvre alors tout un espace qui était jusque là forclos. C'est la voix du père et tout ce qui s'y rapporte. Il parle et sa parole compte.

Du côté des soignants, la place du père entre dans leur rêverie. Et les retombées sur l'enfant se traduisent immédiatement par une production signifiante alors qu'aucune interprétation ne lui a été faite directement.

On peut se poser la question suivante : s'il n'y avait pas eu de superviseur occupant une fonction paternelle pour l'équipe, y aurait-il eu la possibilité d'interroger la fonction paternelle pour l'enfant, et donc la possibilité pour l'enfant de se questionner sur sa représentation de la place paternelle, réelle, symbolique et imaginaire ?

Voici la leçon que j’ai retirée de ce travail. En quoi ma position naturelle, si je puis m’exprimer ainsi, comme on dit la pente naturelle, peut-elle laisser pencher le dispositif du côté du moi idéal plutôt que de le faire dériver vers l’idéal du moi ? Il me semble que les dispositifs dans lesquels j’ai travaillé ont toujours interrogé la place du père c’est-à-dire la question de la transmission. In fine, chacun est confronté à son propre rapport à la castration.

L’atmosphère institutionnelle 11 peut être porteuse si elle est faite de soutien, de sens et de vérité. C’est sans doute une position difficile à tenir, car l’institution est sans cesse guettée par la maîtrise, c’est sa tendance naturelle. Notre discours est toujours empreint de savoir et de maîtrise, d’explication, de causalité, d’où l’importance de faire une place à la perte. Cette position institutionnelle n’est donc jamais gagnée, jamais acquise. Il faut toujours la remettre sur le métier et y œuvrer, c’est-à-dire défendre cette position “d’être faillible”, de celui qui ne sait pas et qui est cause du désir, seule issue possible pour soutenir une atmosphère désirante.

* Médecin chef du secteur de l’enfant et de l’adolescent, Centre hospitalier d’Alès ;

Psychanalyste membre de l’Association Espace Analytique

1 Jacques Hochmann, Institution et narration, Conférence donnée à Nîmes le 5 octobre 2001, inédit.

2 Octave Mannoni, Fictions Freudiennes , Paris, Seuil, 1978.

3 Jacques Hochmann, opus cité .

4 Maud Mannoni, Un lieu pour vivre , Paris, Seuil, 1976.

5 Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Séminaire XI , Paris Seuil, 1973.

6 Roger Gentis, communication personnelle.

7 Roger Gentis, Un jardinier du préconscient, La psychanalyse, encore ! Ramonville, éditions Eres, 2006.

8 Roger Gentis, communication personnelle.

9 Marie Allione, Et il inventa le Perin, Où en est la psychanalyse ? Ramonville, Eres, 2000.

10 Charles S. Pierce, Ecrits sur le signe , Paris, Seuil, 1978.

11 Marie Allione, L’atmosphère institutionnelle et ses petits riens, in la psychanalyse encore ! Ramonville, Erès, 2006


LES ROIS DE L’INCERTITUDE

ou Les supervisions sont-elles les sucres lents

de la psychothérapie institutionnelle ?

« Pas des hommes en tant que troupeau, mais des hommes qui parlent,

de cette parole qui introduit dans le monde

quelque chose qui pèse aussi lourd que tout le réel. »

Jacques Lacan 1

« L’acte essentiel (…) est d’employer la duperie consciente

tout en retenant la fermeté d’intention

qui va de pair avec l’honnêteté véritable.

Dire des mensonges délibérés tout en y croyant sincèrement

(…) est d’une indispensable nécessité. »

Georges Orwell 2

Il y a quelques semaines, dans un stage organisé par Joseph Rouzel sur le thème des supervisions, une psychologue m’a demandé : une supervision, comment ça peut bien agir ? qu’est-ce qui leur donne un effet sur la pratique ? Comme en écho, quelques jours plus tard, démarrant avec un nouveau groupe et essayant de préciser les règles et la logique de cette nouvelle supervision dans une M.E.C.S., un éducateur m’a demandé dans un effet de fausse naïveté : « Et vous, quel est votre rôle ? Vous serez notre arbitre ? »

Du coup, je me sens dans la nécessité de préciser ces points pour saisir un peu mieux quelque chose de l’utilité des supervisions, si tant est que ce concept d’utilité soit ici de quelque valeur.

Tout d’abord, il faut s’entendre sur les termes, parce que nous ne les employons pas tous de la même façon. Pour ma part, je préfère dire supervision clinique lorsqu’il s’agit d’une instance où ce qui se travaille part de la situation clinique d’une personne donnée (résident, usager, patient, etc.) ; et régulation d’équipe lorsque ce qui se travaille part des relations mises en jeu dans l’institution entre les différents protagonistes de l’action thérapeutique, médico-sociale ou sociale 3. Il est parfaitement évident que cette distinction peut paraître artificielle dans la mesure où les deux se mêlent dans la pratique. Mais il n’en reste pas moins essentiel à mes yeux de savoir de quoi l’on part, même si l’on admet par la suite que parler d’une personne sans parler de l’institution qui l’accueille et inversement serait une pure absurdité. Je n’emploie jamais le terme très à la mode d’ analyse des pratiques , tout simplement parce que ce serait d’emblée se limiter à une supposée pratique et mettre hors champ toute une série d’éléments transférentiels très précieux pour notre travail. Il faut se demander, à ce propos, pourquoi les administrations semblent tant tenir à cette nomination-là… Je parle encore moins dans cette perspective de groupe de parole puisque ce vocable désigne usuellement une pratique thérapeutique de groupe, tout à fait précise et délimitée, s’adressant à des patients et non à des professionnels.

Cela étant dit, l’extrême diversité des désignations qui règne aujourd’hui n’est pas forcément un mal à combattre. Elle marque sans doute une pratique qui se cherche, et par conséquent elle est le reflet d’une élaboration en cours, loin des acquis définitifs et des certitudes inébranlables. Cette diversité est le contraire de la normalisation qui nous guette, où la supervision serait un objet à consommer parmi d’autres et non le résultat d’une demande dont il conviendrait d’analyser la nature.

Une anecdote rend assez bien compte de ce qui s’y joue : je me suis rendu compte que bien des équipes ne disent pas « nous en parlerons en supervision » mais disent « nous en parlerons chez Allione », bien qu’en réalité ce soit moi qui vienne “chez eux”. Cela dit assez bien l’appropriation en miroir qui se joue dans l’espace de parole, tout au moins tant qu’il n’est pas normalisé, formaté et finalement : banalisé.

*

C’est à propos de ces éléments que je voudrais faire quelques remarques. La réponse que je fais d’habitude à la question de ce qui est actif dans les supervisions consiste à poser que c’est ce qui permet à un groupe, à une équipe, parfois à une institution tout entière, de mettre en travail ce qu’un de ses membres apporte en tant que questionnement, qu’il s’agisse de supervision clinique ou qu’il s’agisse de régulation d’équipe. Il y a là une logique de l’accompagnement de l’accompagnement telle que je l’ai apprise à Solstices dans ce que nous appelions alors le groupe d’accompagnement 4 ; et qui inscrit les choses dans une chaîne de mises en travail, c’est-à-dire d’analyses, et non dans une position de butée sur le savoir, c’est-à-dire d’impératifs plus ou moins éclairés. Il me semble en effet que lorsque le superviseur se pose (ou se laisse poser) dans la position du savoir, qu’il s’agisse d’épouser ce que Lacan a appelé le discours de l’universitaire ou qu’il s’agisse de s’installer du côté du maître, alors il risque fort de n’y avoir tout simplement plus de supervision possible.

Pour quelle(s) raison(s) ?

1. La première tient à un pari, non pas un pari pascalien parce qu’il n’est pas du côté de la foi, mais un pari freudien parce qu’il est du côté de l’expérience clinique, c’est-à-dire du côté de la parole : un groupe qui met en travail une situation clinique en connaît tous les ressorts même s’ils ne sont pas maîtrisés pour autant, c’est-à-dire : même s’il ignore les connaître. Quels ressorts ? Chacun de sa place dans l’institution détient une parcelle de la vérité du sujet, et le travail de supervision consiste souvent à en faire un ensemble articulé dans l’espace psychique institutionnel dont le dit sujet pourra se saisir dans un mouvement identificatoire glissant ou tangentiel. C’est là un dispositif qui s’approche de ce que le philosophe américain Fredric Jameson nomme : le médiateur évanouissant 5 . C’est une logique qu’éclaire également le concept de constellation transférentielle introduit par Jean Oury. Bien entendu cette connaissance de la vérité du sujet n’a rien à faire ici d’une quelconque connaissance livresque, théorisée ou magistrale. Ce qui est en jeu est au contraire une approche qu’on dirait instinctive dans les milieux qui prennent l’animal pour modèle théorique, oubliant que l’homme est d’abord un animal parlant ; et que pour ma part je préfère qualifier de transférentielle. À partir de là, la position de l’analyste, du superviseur pour cette occasion, consiste à en permettre l’accouchement, ce que j’appelle avec Paul Ricœur 6: la mise en récit, et ici précisément cette mise en récit est permise, accompagnée, voire assistée par l’exercice de la groupalité7 Mon expérience me porte à croire que cette groupalité est essentielle, et que lorsqu’elle ne peut s’établir ou bien lorsqu’elle se délite, c’est souvent le moment où le travail se bloque, où l’analyse se referme. Paradoxalement, c’est aussi très souvent le moment où le groupe peut être tenté de se reconstituer en éjectant le superviseur dans un acting-out quelque peu désespéré, ce qui n’est d’une certaine façon qu’un retour à l’envoyeur puisque dans sa posture de l’ au-moins-un 8 , le superviseur est celui qui imprime et entretient les articulations internes dans le groupe, celui qui les maintient. Il est donc logiquement écarté lorsque le holding fait défaut, même si au fond, il n’en est que la clé symbolique. À lui de savoir mettre le groupe dans cette perspective créée par sa propre parole.

On voit bien à quel point cette groupalité est essentielle lorsqu’une équipe s’interroge sur sa soi-disant cohérence, autre terme à la mode. Au contraire de son étymologie d’être “collés ensemble“, la logique de la supervision réclame une équipe faite de différences que l’on articule. J’y reviendrai. Mais c’est essentiellement cette dimension qui assure la possibilité d’un espace psychique de l’institution, seul à même d’accompagner tout espoir de construction d’un espace psychique du sujet. Nous devons l’invention de cette logique, qui est celle de la psychothérapie institutionnelle, à un certain Dostoïevski9. Rappelez-vous Crime et Châtiment. Comment se fait la rédemption de l’étudiant Raskolnikov, devenu assassin et fou ? Au-delà de la narration, Dostoïevski nous montre comment le groupe des seconds personnages, dans leurs relations ou dans leur absence de relations avec le héros, dans la place même qu’ils tiennent au cours de sa construction psychique, en viennent à se déployer, sans l’avoir véritablement cherché, en tant qu’espace articulé et vivant à l’intérieur duquel Raskolnikov pourra ensuite se situer comme un individu, comme un sujet. Or, dans ce texte, tous les espaces de départ ou presque sont binaires. Ils sont représentés par des duos ou des couples, et ce sont les deux seuls personnages isolés qui, chacun de leur côté, prendront in fine une fonction de thérapeutes en articulant ces personnages pour en faire un groupe, c’est-à-dire un espace psychique potentiel.

J’ai longuement décrit par ailleurs cette logique en m’appuyant sur le très beau et très riche film tiré de la nouvelle de Karen Blixen : « Le festin de Babette »10. Souvenez-vous : on y voit, sur fond de contraste entre amour et devoir – dans lequel il est entendu dès le départ que c’est à l’amour de se ranger sous la bannière du devoir – se développer l’exercice du concept de groupalité dans une petite communauté protestante très isolée, sous l’égide d’une femme venue, pour eux, du bout du monde, c’est-à-dire de nulle part. Et cette venue du néant n’est pas pour rien dans le développement de l’histoire. Quelle place occupe-t-elle pour eux ? Elle leur donne, littéralement, ce qu’elle n’a pas11; ou plutôt, elle leur donne ce qui lui vient de nulle part sans qu’elle ait eu à le désirer. C’est une amie parisienne qui, dit le texte, « vérifiait tous les ans les chances de ce billet », billet de loterie qui, un jour, gagna le gros lot. Voilà Babette à la tête d’une petite fortune. Que va-t-elle en faire ? L’utiliser pour sa jouissance et repartir vers des horizons lointains ? Faire une offrande sous forme de don financier à la communauté ? Non. Ce qu’elle va leur donner c’est ce qu’elle est et non pas ce qu’elle a. Ce qu’elle donne c’est justement ce que la vie a fait d’elle, ou plutôt ce que son expérience a fait d’elle : un chef dirions-nous aujourd’hui, entendez une cuisinière, la plus célèbre de son pays, une « grande artiste ». « Cette femme [a transformé] un dîner (…) en une sorte d’affaire d’amour, (…) qui ne fait pas de distinction entre l’appétit physique et l’appétit spirituel. » Elle offre un repas, un « dîner français » dit le texte. La somme d’argent n’est rien en regard de cela.

Et c’est cela justement qui va réarticuler entre eux les membres de cette communauté. Ce n’est pas le dîner, c’est l’offrande. Notez bien que je dis ici articuler et non pas souder comme on le fait trop souvent dans les équipes. Imaginez un peu à quoi ressemblerait un grossier amalgame de gens soudés entre eux et donc incapables du moindre mouvement… Articuler c’est tout autre chose, ne serrait-ce que dans le rapport à la parole et au rythme12. C’est la liberté de mouvement qui ici est mise en jeu.

Babette donne son savoir donc. Mais elle ne le donne pas en tant que savoir qui se sait. Elle le donne en tant que ce qui la transcende. « Les seules choses que nous pourrons emporter en quittant cette vie terrestre seront celles que nous aurons données aux autres. » À travers Babette, c’est toute la tradition gastronomique qui est en jeu. D’ailleurs, elle ne participe pas à son “ festin ”, elle n’y apparaît jamais. Pourtant, ce groupe de peu de foi, qui avant le repas s’était juré de garder le silence , finit justement par prononcer une parole vraie, une parole pleine. C’est dans cette place de l’ au-moins-un du groupe que cette parole a pu être – c’est le cas de le dire – restaurée.

Au bout du compte, ce qui s’est passé dans cette soirée mémorable est un renversement. Partis de l’amour soumis au devoir, on arrive à un dire vrai soumis à l’amour. Il faut l’entendre aussi de cette façon : ce qui se passe dans les supervisions est une histoire d’amour, et il faudrait prendre le temps de préciser ce que donne vraiment le superviseur. Là encore on aboutira à considérer qu’il donne ce qu’il n’a pas, ou alors cela risque fort d’être du savoir, ce qui abolirait l’espace même de la supervision.

2. Or, ce qui se pose ici ouvre une autre question : si comme on le dit souvent dans nos institutions “pour dépasser ton problème il te faut en parler”, si toute supervision repose sur la parole, qu’est-il en train d’advenir de son exercice ? Que vaut la parole aujourd’hui ?

Tous ceux qui en ont l’expérience ont pu le constater : beaucoup de supervisions commencent en éprouvant la validité du parler ensemble et s’en prennent inauguralement à l’exercice institutionnel du pouvoir : directeurs d’établissements, chefs de service, médecins… Bref, à tous ceux que l’on appelle des cadres. C’est parfois un peu lassant, souvent très répétitif, mais il arrive que ce soit utile. Il est cependant des groupes qui s’y enlisent malgré les efforts du superviseur.

Or, sur quoi porte l’attaque en règle de ces cadres ? Le plus souvent sur la possibilité de leur accorder la confiance nécessaire, c’est-à-dire la fiabilité de leur parole. Il est tentant pour le superviseur de tenter de mettre en perspective la position souvent difficile et acrobatique d’un directeur coincé entre des exigences administratives et/ou politiques de plus en plus ubuesques et les attentes cliniques de l’équipe. Même si certains se complaisent dans ce bourbier qui constitue le fond de leur jouissance, la plupart des directeurs tentent de maintenir le lien entre deux figures devenues antinomiques au prix d’un grand écart qui souvent les clive. Mais le plus souvent, cette mise en perspective du superviseur tombe à plat, tout au moins jusqu’à ce qu’il soit possible de dépasser la figure du chef pour s’intéresser aux représentations que l’équipe a de ce que le dispositif, qui représente le corps social tout entier, attend d’eux. C’est dire que la question posée est d’abord celle de savoir où l’on s’inscrit dans une chaîne de positions désirantes dont le psychotique, par exemple, marque l’échec ; ou dont le toxicomane, autre exemple, inscrit en négatif la vanité de l’impératif (consomme pour être heureux).

Or, pour revenir maintenant à la question de la parole, comment peut-on mettre en avant que toute résolution passe par la parole, ce qui est le crédo institutionnel banal proposé à nos patients, passe par la mise en récit de son échec, de sa souffrance, etc., si par ailleurs chacun a le sentiment que sa parole n’est pas entendue ou que la parole des autorités n’est pas fiable ? Quand je parle des autorités, je remonte bien sûr jusqu’au chef de l’état. Prenons par exemple la question des décisions. Le chef décide, c’est entendu et tous en conviennent. Pour ce faire, il peut consulter. Mais il peut également s’en abstenir. Et l’on entend souvent dire : à quoi bon donner mon avis puisque c’est pipé, puisque la décision était déjà prise. Et si cette plainte remonte jusqu’au directeur, il s’en offusque : oui, il est là pour prendre les décisions, c’est son rôle. Mais c’est un dialogue de sourds. Parce que l’éducateur qui se plaint de n’être pas écouté convient parfaitement de cela. Pire : il revendique ce droit à n’être que consultatif. Et le directeur de son côté affirme qu’il n’a pris sa décision qu’après justement ces consultations qui lui sont indispensables.

Qu’est-ce qui est en jeu finalement ? Ce que l’éducateur interroge, c’est la validité de la parole, ce qui va bien au-delà de tous les dispositifs institutionnels puisque c’est elle qui les fonde. Ce que l’on voit apparaître c’est que l’exercice même de la parole est aujourd’hui profondément mis en péril, que ce soit dans les domaines politique, médiatique ou publicitaire.

« Ce n’est pas la question du mensonge que je pose ici, mais celle de la créance accordée à un discours qui ne se croit pas lui-même, qui se pose comme étant faux mais demande à être considéré comme vrai. Ce qu’il en est au fond, c’est que la parole est alors attaquée dans son fondement même, qui est l’Autre, dans sa référence symbolique. Et si l’on croit Bernard Stiegler 13, cette attaque de l’Autre est en train de se traduire par un discrédit généralisé, entraînant une mécréance et une misère symbolique qui met en péril l’existence du sujet jusque dans sa fondation, faisant de nous des sujets pulsionnels plutôt que des sujets de désir. »14 Voilà toute la question : la misère symbolique dans laquelle nous serions, nous autres psy, travailleurs sociaux, etc., des sortes mohicans en lutte à contre-courant pour tenter de maintenir quelque chose de vivant dans l’exercice de la parole que la société du spectacle 15 a transformé progressivement en un squelette de vent.

Kafka disait à son père : « l’impossibilité d’un rapport serein avec toi eut une autre conséquence (…) : je désappris à parler. »16 Il fut, en effet une époque, pas si lointaine, peut-être les derniers soubresauts d’un monde agonisant, où la parole pouvait se sentir attaquée par l’effet d’une logique autoritaire, mais aujourd’hui nous n’en sommes plus là. Notre monde se caractériserait plutôt par une perversion permanente de la parole, c’est-à-dire du rapport de la parole à la loi. C’est ce que j’appelle la haine de la parole. Disons pour faire vite que l’hypercapitalisme ne peut survivre qu’au prix de cette perversion qui le fonde en tant que lien social. Le roman de Georges Orwell cité en exergue nous a appris de façon prophétique ce qui est en train de se passer entre les humains.

C’est également ce que Slavoj Žižek17 a envisagé pour rendre compte de la dialectique entre la fiction et le réel, citant le film Matrix : Bienvenue dans le désert du réel . « Il nous faut arriver à distinguer, dans ce que nous percevons comme relevant de la fiction, le solide noyau de réel que nous ne pouvons affronter qu’en le fictionnalisant. » Mais, précisait Lacan, « l’animal ne feint pas de feindre. Il ne fait pas de traces dont la tromperie consiste à se faire prendre pour fausses, étant les vraies. »18

3. L’autre question que j’aurais aimé développer, mais que je ne ferai qu’évoquer est celle de la transmission entre les générations. Non pas la transmission de savoirs constitués, mais celle des postures et des approches subjectives dans le soin, celle donc des questions transférentielles. La supervision a-t-elle un rôle de formation ? C’est une question importante au moment où les fonds de financement de la formation en récusent la valeur. Un éducateur disait un jour : « Je ne sais pas si c’est de la formation, mais je sais que c’est formateur. » Tout est dit. Nous sommes là à une croisée des chemins où deux logiques contradictoires s’affrontent. C’est technique contre parole. La technique c’est l’arme dont se sert le capitalisme qui, comme le dit Stiegler19, a perdu l’esprit , pour museler la parole. Comme dans Philoctète, la pièce d’Heiner Müller20 le jeune guerrier Néoptolème (c’est le sens littéral de son nom) se trouve pris entre trois pères : le père mort, Achille ; le père de la parole et donc du mensonge, Ulysse ; et celui de la technique représentée par l’arc, Philoctète. Pour la victoire des Grecs sur les Troyens, victoire de la parole sur la violence, il faudra que le jeune guerrier tue la technique, que Néoptolème tue Philoctète.

Transposons un peu. La question de la transmission se pose aujourd’hui avec acuité. Transmission de la parole d’abord, transmission des pratiques aussi. Mais transmission en panne parce que toute une génération, qui a accompagné les transformations sociétales, s’apprête à quitter la scène professionnelle. Qui va maintenant transmettre quoi ? et à qui pourrait-on encore transmettre ? Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité que nombre de facteurs agissent a contrario de tout esprit de transmission : attaque de la parole comme je le disais plus haut, diminution inquiétante du nombre de psychiatres, formation très organiciste des derniers jeunes psychiatres, disparition de la spécificité psychiatrique de la fonction infirmière, remplacement de la réflexion par l’ évaluation , etc. Pour le moins, la transmission ne s’exerce pas dans les meilleures conditions.

Et c’est sur ce point d’interroger les pratiques et la place des sujets qui les agissent que la supervision trouve son point focal pour une génération enserrée entre deux exigences contradictoires. D’un côté sont les figures des héros de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle, figures tutélaires, écrasantes et désormais quasi mythiques, donc inaccessibles. C’est Ulysse. De l’autre côté est une exigence de progrès technicisable, de soi-disant efficacité construite de la compilation de chiffres et de protocoles vite stérilisants, finalement déshumanisés mais surtout porteurs d’une dynamique mortifère. Comme justement l’était l’arc d’Héraclès que détenait Philoctète : la technique opposée à Ulysse, la parole. Et cette technicisation, si on l’appelle pragmatisme pour l’opposer à l’idéologie, c’est bien par abus de langage car le pragmatisme est en soi une idéologie, une de celles qui faisait dire à un de mes analysants : « nous vivons dans un monde de fer. »

4. Voilà où se situe pour moi la stratégie de la supervision, laquelle ne se peut penser sans assurer de façon permanente la validité de la parole… dans un monde qui chaque jour l’invalide tout en la suremployant. C’est ainsi que dans un groupe de supervision, un participant dit un jour : nous sommes les rois de l’incertitude. Laquelle ? Celle de la vie (et de la mort) d’un autre, qui ne serait que réel inaccessible, un effet de désert du réel si l’on ne se donnait la peine de l’inscrire dans un récit dont la vérité, ou l’inconcevable certitude importe peu, pourvu que ce sujet-là puisse admettre que son existence n’ait d’autre issue que de récit. À l’instar de la phrase de Virgile que Freud cite en exergue de l’ Interprétation du rêve 21 , « si je ne peux fléchir ceux d’en haut, je mettrai en mouvement les enfers » les rois de l’incertitude répondent doublement à notre question.

D’abord par l’étymologie parce que, comme le montre Benveniste22, le rex n’est pas un chef politique. « Sa mission n’est pas de commander, d’exercer un pouvoir, mais de fixer des règles, de déterminer ce qui est “droit”. » Or, les règles forment la racine même du mot régulation , tant dans la délimitation des espaces que dans l’écoulement rythmique.

Ensuite parce que ce participant – c’est là le point essentiel – n’attribuait pas la royauté au régulateur mais au groupe (nous sommes…) qui devenait alors le sujet en même temps que le passeur du sujet.

1 Jacques Lacan, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Séminaire II, Leçon du 19 mai 1955, Paris, Seuil, 1978.

2 Georges Orwell, 1984, Paris, Gallimard NRF, 1950.

3 Voir à ce propos , La part du rêve dans les institutions, La Versanne, Encre Marine, 2005.

4 voir à ce propos Claude Allione, Espace psychique, transfert et démocratie, Vigneux, Matrice, 1996 et le film à paraître de Bernard Richard, Solstices, une utopie réaliste.

5 Fredric Jameson, Archéologie du futur (Le désir nommé utopie), Paris, Max Milo, 2007.

6 Paul Ricœur, Temps et récit, tome 1, Paris, Seuil, 1983.

7 Voir la définition de ce terme in René Kaës, Le groupe et le sujet du groupe, Paris, Dunod, 1993.

8 Jean-Pierre Lebrun, Clinique de l’institution, Ramonville, Erès, 2008.

9Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, Crime et Châtiment, Bibliothèque de la Pléïade, Paris, Gallimard, 1950.

10 Karen Blixen , Le Dîner de Babette , Paris, Gallimard, 1961 & Gabriel Axel, Le festin de Babette, DVD mgm, 1987.

11 « Aimer, disait Lacan, c’est donner à quelqu’un, qui, lui, a ou n’a pas ce qui est en cause, mais assurément donner ce qu’on n’a pas. Donner par contre, c’est aussi donner, mais c’est donner ce qu’on a. C’est toute la différence. » Jacques Lacan, Les formations de l’inconscient, Séminaire V, Paris, Seuil, 1998.

12 voir Claude Allione, La recherche des rythmes perdus in Cliniques méditerranéennes n° 75 , Editions ERES, Avril 2007.

13 Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit, Tome 2, Les sociétés incontrôlables d’individus désaffectés, Paris, Galilée, 2006 & Tome 3, L’esprit perdu du capitalisme, Galilée, 2006.

14 Claude Allione, La haine de la parole, in Travail social et psychanalyse, Nîmes, Editions Champ Social, 2008.

15Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Buchet Chastel, 1967.

16 Franz Kafka, Lettre au père, Paris, Ombres, 1994.

17 Slavoj Žižek, Bienvenue dans le désert du réel, Paris, Flammarion, 2002.

18Jacques Lacan, Subversion du sujet et dialectique du désir, in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

19Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit, Tome 2, Les sociétés incontrôlables d’individus désaffectés, Paris, Galilée, 2006 & Tome 3, L’esprit perdu du capitalisme, Galilée, 2006.

20 Heiner Müller, Philoctète, Paris, Minuit , 2009.

21 Sigmund Freud, L’interprétation du rêve, in Œuvres Complètes, vol IV, Paris, PUF, 2003, qui cite Virgile ( Eneide ) : Flectere si nequeo superos, acheronta movebo.

22 Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, vol. 2, Paris, Minuit, 1969.

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