Résumé de thèse pour Psychasoc
Thèse de doctorat
: « La voie de l’inclusion par la médiation au musée des beaux-arts : des publics fragilisés au public universel »
Muriel Molinier
, docteure en Sciences de l’Information et de la Communication au LERASS et chargée de cours en Muséologie à l’Université Toulouse 3, IUT Paul Sabatier.
Résumé de ma thèse de doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication, soutenue le 9 décembre 2019 à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, sous la direction d'Alain Chante (professeur émérite des universités, Université Paul Valéry Montpellier 3, LERASS) & Patrick Fraysse (professeur des universités, Université Toulouse 3, IUT Paul Sabatier, LERASS). [disponible en ligne] URL :
https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02893130/
Dans ma thèse, j’ai choisi d’étudier le musée comme territoire privilégié de la mise en place de l’inclusion dans la société. En tant que lieu public, lieu social, lieu de culture, d'éducation et de transmission, le musée présente selon moi un terrain fertile pour les réflexions envers tous les publics exclus. Son enracinement social et sa volonté de démocratisation rendent le musée pertinent sur la question de l'inclusion.
L'ouverture muséale vers les publics en difficulté débute dès la fin des années 1980 en Grande-Bretagne et aux États-Unis, pour venir progressivement dessiner un rôle social, constituant un tournant dans la prise en compte du public au musée (Caillet, 2011). Dans une récente recommandation de l'UNESCO en 2016 (
concernant la protection et la promotion des musées et des collections, leur diversité et leur rôle dans la société
), le rôle social du musée est réaffirmé. Des expressions radicales sont utilisées pour caractériser l'ampleur de cette fonction muséale : « Les musées sont des espaces publics vitaux » ; « Parallèlement à la préservation du patrimoine, le rôle social des musées constitue leur raison d’être ».
En France, des lois encadrent l’égal accès de tous à la vie culturelle et notamment pour les personnes les plus fragilisées de la société. Mais la loi du 11 février 2005 (
pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
) a provoqué un bouleversement par la prise en compte inclusive des personnes dans la société, rompant ainsi avec une prise en charge spécifique de catégories de personnes : la société doit être accessible à tous.
Afin d’étudier cette évolution, je m’appuie sur les travaux menés sur l’inclusion en milieu scolaire, notamment mis en avant dans un autre document de l’UNESCO, en 2006 (
Principes directeurs pour l'inclusion : assurer l'accès à l'éducation pour tous
). Sont notamment décrites les étapes du processus d’inclusion :
exclusion
ségrégation
intégration
inclusion
. Considérant donc l’inclusion comme un processus, la distinction majeure me semble être la nuance fondamentale entre intégration et inclusion. En effet, l'intégration nécessite la seule compréhension des problématiques, elle est limitée à des adaptations à des besoins spécifiques, qu'il faut justifier : la société demande aux personnes de faire des efforts pour adhérer à une norme supposée. L'inclusion, elle, impose un savoir, une connaissance qui permet de découler sur une universalité, une autonomie, donc une modification des mentalités : la société considère un tout et se met à la portée de tous.
De mon point de vue, l'inclusion ne concerne pas uniquement le handicap (médico-social), cette vision inclusive impacte tout le monde en questionnant l'universel : est universel, ce qui s'applique à la totalité des objets, choses ou personnes. Ainsi, je choisis de considérer une globalité de « publics fragilisés » par des problématiques médicales, sociales ou médico-sociales.
En muséologie, l'inclusion sociale est définie par André Desvallées et François Mairesse (2011) comme à la fois la lutte contre l'exclusion (les procédés mis en place) et le succès de cette lutte (la présence de personnes exclues). Pour définir la médiation, j'ai croisé les réflexions de plusieurs auteurs en sciences de l'information et de la communication. Selon Jean Davallon (2014), la caractéristique principale de la médiation est de réparer une communication défaillante. La médiation est donc nécessaire et implique une transformation. Ce n'est pas une simple interaction ou une transmission d'information. Avec Jean Caune (2006), la médiation s'inscrit dans le langage. Pour Marie-Christine Bordeaux et Élisabeth Caillet (2013), la médiation semble emprunter deux voies distinctes : un passage ou un lien social. Pour Daniel Jacobi (1999), la médiation s'interpose ; pour Serge Chaumier et François Mairesse (2013), elle s'implique dans la construction des personnes. Patrick Fraysse (2015) pense la médiation en trois pôles distincts (objet, public, tiers médiateur) et positionne le processus de médiation dans leurs mouvements.
Dans cette recherche, mon questionnement se situe autour des deux processus de médiation et d'inclusion, et leur lien avec les publics : comment l'inclusion influence la médiation ? Comment la médiation participe à l'inclusion ? Concrètement, comment passer d'une médiation pour des publics exclus, catégorisés, à une médiation universelle ? Car si l’intégration est la réponse à des besoins spécifiques, l’inclusion, plus exigeante, se doit selon moi d'aborder l'aspect universel de la médiation.
J’ai ainsi élaboré une méthode de recherche compréhensive, au sens de Jean-Claude Kaufmann (2004), où le terrain est primordial et la problématisation n'intervient qu'après s'être confrontée à lui. Dans l'objectif de globaliser les approches envers les publics fragilisés (quelles que soient leurs problématiques) et d’en dégager des caractéristiques communes, j’ai ensuite ciblé trois publics fréquemment visés par l’offre muséale : les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ; les personnes en apprentissage du français ; les personnes déficientes visuelles. Pour le choix des musées des beaux-arts, j'ai été guidée par les innovations mises en place dans six musées tournés vers les publics fragilisés, de façon confidentielle ou constituant des références mondiales : le musée des Augustins (Toulouse), le musée Fabre (Montpellier), le musée du Louvre-Lens (Lens), le musée du Louvre (Paris), le Musée des Beaux-Arts de Montréal (Montréal), le
Museum of Modern Art
(New York). De 2016 à 2019, j’ai réalisé 25 entretiens compréhensifs (c’est-à-dire considérant les personnes interrogées comme des informateurs) avec des médiateurs et des personnes non issues des professions muséales, puis j’ai étudié 28 dispositifs de médiation. J’aboutis à trois réflexions principales pour accéder à la voie de l'inclusion.
Premièrement, par rapport à l’universalité de la médiation, l’actuelle accessibilité universelle mise en place dans les musées semble se détourner de la création d'un seul dispositif de médiation en tolérant les compléments par des dispositifs parallèles : elle n’atteint donc pas ou que partiellement l’objectif d’inclusion. De plus, il me paraît nécessaire de repenser la transposition de la conception universelle au musée, depuis l’architecture et le design (où elle a été créée, par Ronald Mace dans les années 1980). En effet, il s'agit d'aller au-delà des limitations fonctionnelles, induites par les problématiques médico-sociales, pour considérer la dimension langagière de la médiation (Caune, 2006). Ainsi, il m’apparaît tout aussi important de décloisonner le clivage accessibilité / champ social qui divise les publics dans les musées français (bénéficiant d’offres de médiation distinctes), pour en penser la « transversalité ». Une « médiation universelle transversale » (Molinier, 2019) augmentée de la totalité des problématiques des publics fragilisés aurait pour vocation de créer un seul dispositif réellement destiné à tous les publics. De l'analyse de mon corpus ont émergé sept pistes d’inclusion : la sensorialité, la simplification, le récit, l'imagination, l'évocation personnelle, le questionnement, le temps long de délectation.
Deuxièmement, cette universalité m’amène à envisager une fusion de tous les publics en un seul, devenu « public universel » (Molinier, 2019) : fragilisés ou non, tous les publics font partie de la cible principale du dispositif. Cela permet ainsi de sortir le public fragilisé de toute stigmatisation syntaxique, discrimination d'accueil et de toute catégorisation. Il n’est plus alors nécessaire de nommer les publics ni même leurs problématiques qui deviennent des caractéristiques du public universel, des fonctionnements : les problématiques sont les sources d'améliorations et d’anticipations collectives d’une « optimisation sociale » (Molinier, 2019), dans le sens où penser pour tous revient à anticiper les besoins de chacun.
Troisièmement, la connaissance essentielle des problématiques des publics fragilisés pour mettre en œuvre au quotidien cette inclusion, nécessite selon moi de réfléchir à une augmentation de la formation des médiateurs. Car de mon point de vue, la co-construction questionne le prolongement de la vision d’un intermédiaire (professionnel, spécialiste, etc.), au détriment de l’opportunité d’un nouveau regard sur la personne fragilisée, depuis le musée. Même si une certaine porosité des pratiques est repérée dans le partenariat médiateur / éducateur spécialisé (Silverman, 2010), il s’agirait alors de fusionner ces acteurs à travers un nouvel professionnel hybride : le « remédiateur » (Molinier, 2019). Étymologiquement, la remédiation ne consiste pas à redoubler la médiation mais à venir apporter un remède (Chante, 2016). Ainsi le remédiateur, en tant que médiateur augmenté de compétences sociales, cumulerait une double approche de la médiation : médiation muséale mais aussi médiation éducative par l’espace de rencontre dans lequel la personne fragilisée rejoue ses difficultés, encadrée par la relation éducative (Rouzel, 2000, 2005). Se joue ici la question d’un vrai travail social proposé directement par le musée.
Pour mettre en œuvre le musée inclusif, et ne plus considérer les besoins comme spécifiques mais collectifs, universels, il s’agit selon moi de modifier en profondeur le regard du musée sur les publics fragilisés : la spécificité n'est pas dans les publics (Bordeaux, 2007) ; la spécificité n’est pas non plus dans la médiation (Saada, 2015) si elle se veut inclusive ; la spécificité ne doit pas être non plus dans le médiateur, car ainsi formé, le remédiateur pourrait faire entrer l’universel et l’inclusion dans le quotidien de chaque visite et de tout dispositif de médiation au musée.
Bibliographie
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, 32. p.19-65. [également disponible en ligne] URL :
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Patrimonialização e sustentabilidade do patrimonio : reflexéao e prospectiva
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. Thèse de doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication (soutenue le 9 décembre 2019). Sous la direction d'Alain Chante & Patrick Fraysse. Montpellier : Université Paul Valéry. 1009 p. [disponible en ligne] URL :
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