Marie Bonhomme, Christophe Boy, Cédric Chevalier, Christine Debernardi, Belkacem Kassou, Vincent Lassalle, Mathilde Lounis, Sébastien Reichman, Marie Haloux, Marc Prudhomme
Juin 2011
Le Groupe d’Analyse des Pratiques est un diffuseur de valeurs où chacun se nourrit d’un ailleurs
Les lignes suivantes sont
le témoignage collectif de professionnels, des éducateurs diplômés, animant des Groupes d’Analyse des Pratiques (GAP) auprès d’étudiants
de 2
ième
année en formation d’éducateur spécialisé ; ceci pendant leur stage long d’une durée de huit mois.
Ces professionnels
se réunissent
plusieurs fois pendant la durée du stage
dans le but d’évoquer leurs pratiques dans leurs propres groupes d’étudiants.
Il s’agit tout à la fois de dire ce qui se noue dans la relation avec les étudiants, le groupe, mais aussi d’affirmer les valeurs que l’on pense soutenir le métier.
Nos rencontres s’étalent sur ces quatre dernières années. Il a fallu auparavant longuement argumenter auprès de la Direction de l’époque du Centre de Formation, la nécessité de
ce GAP pour les animateurs des GAP étudiants.
Cette expérience a fini par se propager aux autres années de formation de la filière des éducateurs spécialisés, puis à d’autres filières de formation en travail social de l’Institut.
Cet écrit est une étape supplémentaire pour signifier que toute relation professionnelle dans le secteur socio-éducatif, même dans le cadre scolaire des formations en travail social, ne peut faire l’économie d’une élaboration avec l’aide d’autres
pour s’interroger afin d’y voir plus clair.
Méthodologie concernant l’écriture de ce texte
Nous avons été quatre à nous réunir pour définir une méthode : celle des allers et retours.
Il a été proposé à chacun des huit intervenants (vacataires référents des groupes GAP) d’écrire un texte sur ce qu’il a expérimenté dans les rencontres entre référents GAP.
Cette proposition va donner naissance à sept textes dans un premier temps. Un seul sera présenté, celui qui suit. Nous avons été confrontés à la méthode. Comment faire et que faire quand sept intervenants écrivent chacun un texte sur le contenu des rencontres entre pairs ? Comment les synthétiser sans déformer les styles, les façons d’écrire ?
Premier temps, se réunir à quatre, deux référents disponibles et auteurs de texte, le coordonnateur et une invitée pour un regard extérieur, et tenter de trouver une façon de donner une forme à la production du texte avec l’aval des référents.
Deuxième temps : lire les sept textes pour en sélectionner les passages semblant essentiels et communs avant de passer à une écriture entre synthèse et rédaction par chacun des deux membres représentant le groupe des référents GAP. Leur travail a été individuel. Donc maintenant deux textes pour aller vers un seul.
Troisième temps : l’initiateur du groupe a fini par rédiger un texte à partir des deux précédents.
Le processus d’allers et retours (lors de certaines étapes avec les huit intervenants), propice à l’élaboration, est certes coûteux en temps, mais indispensable pour s’embarquer dans une aventure réflexive. L’élaboration à plusieurs têtes et mains donne lieu au tricotage du texte suivant.
Notre groupe est un sous-marin qui a besoin d’étanchéité
Les réunions entre les référents des GAP auprès des étudiants en 2
ième
année de formation s'inscrivent dans un cadre temporel, une fréquence et une durée des séquences. Celles-ci sont proposées par celui qui animera ce groupe d'élaboration sur les pratiques des référents GAP. Ces derniers sont en grande majorité des professionnels de terrain ou à la marge des formateurs autres que ceux de la filière des éducateurs spécialisés. Il n'y a donc aucun lien hiérarchique entre les personnes en présence. Notre groupe, à l’image de celui des étudiants, «
est un sous-marin qui a besoin d’étanchéité ».
L'animateur de ces groupes d'élaboration est
le plus un
qui permet l'existence de cet espace.
C’est le fait de sa présence comme garant qui met au travail.
C'est lui qui fait circuler et distribue la parole, introduit les nouveaux arrivants d'une année sur l'autre et régule les départs. Celui qui, de par sa présence, représente la continuité dans la formation des étudiants.
Ces réunions entre référents GAP fonctionnent un peu en miroir de ce que sont les GAP avec les étudiants.
Comment parler de notre groupe, de ses manières de faire, de ses ambitions? Comment dire notre cheminement, mettre en mots notre travail? Essayons... en employant quelques métaphores au fil de ces lignes. Lors de nos échanges, les métaphores ont été largement utilisées, forme de langage pour s’embarquer avec les images de l’autre.
Ce groupe est un lieu de paroles.
Parler est chose courante dans nos métiers du social. Ici la parole de chacun est attendue, souhaitée même si elle est contre dite. Une ambiance conviviale est une entrée en matière pour se sentir en confiance dans ce groupe. Avant la mise au travail, le partage d'un café ou d'un thé sert d'accueil pour nos retrouvailles. C'est un préalable avant que la parole soit proposée, déposée, donnée.
Quel est le fil d’Ariane à tirer dans le labyrinthe de l’imprévisible ?
La parole
de l’autre, parfois percutante
, est nourricière.
Les séquences sont calmes, agitées, sérieuses, légères ou profondes. A partir de ce qui
s’élabore
dans le groupe, des repérages nouveaux apparaissent. Lors des retours dans nos groupes GAP avec les étudiants, seul sans les collègues qui animent leur propre groupe, on se sert, ou pas, de la réflexion collective. Nous n’avions pourtant trouvé aucune réponse unique. Paradoxalement, l’expérience ne donne
pas de recettes
pour conduire un GAP. C’est une condition pour se sentir libre dans la disponibilité de chacun auprès des étudiants. Nous avons avant tout envie qu’il y ait échange, ce qui nous réunit au-delà de nos façons différentes d’être référents GAP. Mais à avoir trop envie, le risque est l’interventionnisme outrancier, source de satisfaction immédiate et narcissique. La voie serait sans issue : le référent GAP « ne
serait alors plus dynamiseur, mais dynamiteur ».
Nous rencontrons des situations avec des points communs, «
mais il y a toujours de l’imprévisible. Quel est le fil d’Ariane à tirer dans le labyrinthe de l’imprévisible ? ».
Nous le faisons avec ce que nous sommes, l’histoire du groupe que nous accompagnons, notre propre parcours personnel et professionnel… et ce qui nous reste de nos échanges entre référents GAP. Chaque fois, c’est un
passage
négocié différemment. Chaque fois, s’opère une
transformation
pour l’étudiant, et aussi pour le référent. Ce dernier consolide son identité de référent GAP. Il apprend aussi des étudiants.
A quoi ressemble notre espace de réflexion, en quoi consiste-t-il ? Est-ce un
lieu d’élaboration sur nos pratiques
de référents GAP avec les étudiants, de réflexion sur l’identité du référent d’un GAP ou simplement un échange entre pairs ? Sûrement tout cela à la fois. En tous les cas, cet espace nous semble indispensable et l’initiateur de ce groupe s’interrogerait fortement sur la légitimité de la place d’un référent GAP qui ne souhaiterait pas y participer. La participation de chacun est pourtant présentée au départ comme un choix. En fait, pour chacun de nous cela va de soi. Il est ici pour une vraie rencontre qu’il veut bienveillante.
Une rencontre pour écouter, dire, se mettre au travail et accepter du modifiable dans ses pratiques personnelles.
Le GAP, la couche croquante du gâteau
Il y a effectivement l’idée d’une alternance entre GAP avec les étudiants
, « espace dans la formation où l’on s’engage le plus, la couche croquante du gâteau »,
et notre réunion entre référents de ces GAP. C’est un va et vient entre deux sources émergeant des pratiques. Il y a la pratique du GAP avec les étudiants et la pratique d’une pensée permettant ce fameux
petit pas de côté
pour penser après coup ce qui s’est passé.
Pourquoi suis-je là. Qu’est-ce que je viens chercher ? C’est quoi un GAP qui se passe bien ? Qui ne se passe pas bien ?
Cette alternance permet de nous régénérer, de rebondir, de retrouver des forces, de remettre du cadre, de faire avec les difficultés que chacun rencontre dans son groupe.
Notre travail collectif tire sa force de
l’implication
de chacun d’entre nous. Le regard, le silence des collègues nous interpellent et nous disent :
« parle de toi, ce que tu as à nous dire nous intéresse, c’est un point de départ »
C’est un appel à l’accueil de la parole de l’autre. La parole s’offre et elle engage à la discussion. Chaque participant s’autorise et autorise l’autre à penser, à parler, à le laisser terminer ce qu’il a à dire même si cela apparaît bien trop affirmatif. La parole est entendue même si elle doit se frayer un chemin. Le groupe a besoin d’éprouver le positionnement de chacun. Les métaphores fusent pour tenter de définir, de clarifier, de rendre palpable l’objet du débat.
Nous nous apercevons que nos pratiques singulières ont une certaine similitude entre elles. Il y a les difficultés
« et les moments de bonheur ».
Il faut de la confiance en soi et dans le groupe pour les dire. Mettre sous le regard de l’autre, des pairs, nos savoirs faire et nos savoirs être, permet de
rompre
avec une pratique en solitaire et de s’apercevoir que l’on n’est pas le seul confronté à la difficulté d’accompagner un GAP.
Le GAP, une verte prairie où l’on revient à une nourriture plus éducative
Cette réunion est définie par l’un d’entre nous comme un espace, une rencontre où chacun peut prendre la parole et la confronter ou la conforter à celle de l’autre. C’est-à-dire permettre son interprétation. Il ne s’agit pas d’un regard critique porté sur l’autre, mais sur soi-même, pour une remise en question source de changement, d’évolution. Il s’agit d’une interaction entre soi-même et les autres membres référents d’un GAP entraînant à travers la parole, l’écoute et le silence, un déplacement, voire aussi une assurance. Un autre définira cet espace comme un groupe qui devient
un espace psychique contenant
, susceptible de favoriser une plus grande créativité. Si l’on vient dans notre groupe, «
une verte prairie où l’on revient à une nourriture plus éducative »,
il y a après, le retour dans le GAP avec les étudiants. Au fond tout part du GAP étudiants, mais tout y revient. Nos rencontres permettent à chacun d’entre nous d’être soutenu par le groupe pendant l’exercice du GAP avec les étudiants, de trouver une confiance qui donne envie de revenir et de s’inscrire dans la continuité. «
C’est angoissant de se retrouver face à une dizaine d’étudiants. Ce n’est pas un long fleuve tranquille ».
Prenons un exemple. Le groupe a échangé sur la question du silence des étudiants lors de certains GAP. Chaque animateur est confronté à cela.
Les silences parlent de résistance mais aussi d’élaboration.
En quoi se référer à notre réflexion entre animateurs GAP va-t-il nous aider ? C’est, face aux étudiants, un retour dans son for intérieur, vers nos échanges, sur les dires des collègues, sur leurs ressentis. Je ne suis plus seul. La solitude de l’animateur GAP devient différente, sa «
consistance »
a changé. Le travail de groupe entre nous a transformé cette solitude.
Ce qui crée un sentiment d’appartenance dans cette équipe de référents GAP, c’est bien une question récurrente : comment intervenir en tant que référent GAP ? Il y a aussi les valeurs qui fondent notre métier : l’accueil, la tolérance, l’écoute, le respect de l’autre, l’humilité, l’engagement dans la relation, le dire de ce que l’on vit avec l’autre… Valeurs non négociables qui sont notre dénominateur commun. Nos rencontres, c’est aussi parler de notre métier, de son évolution, de son devenir, de notre éthique que l’on doit affirmer pour transmettre aux étudiants ce qui nous parait essentiel. «
Le GAP est un diffuseur de valeurs où chacun se nourrit d’un ailleurs ».