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« Le dépistage précoce est à la mode »

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Jean-Michel Zejgman

jeudi 16 février 2006

Dans un récent courrier adressé aux PCG, Philippe BAS, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille, réaffirme la nécessité d’une refonte urgente du système de Protection de l’Enfance. (Voir http://www.premier-ministre.gouv.fr/ministere_delegue_securite_sociale_m255/ ). Dès mars 2006, il envisage de proposer un projet de loi, autour de 3 thèmes :

Citons le :

« Je voudrais souligner les 3 grands axes retenus pour cette réforme.

- Tout d’abord, la prévention . On constate que, très souvent, les familles dans lesquelles se développent des actes de maltraitance sont celles où l’on pouvait prévoir qu’il y aurait des difficultés, dès le 4ème mois de grossesse ou l’accouchement. Il nous faut absolument multiplier les possibilités de détection précoce des difficultés dans la formation du lien entre parents et enfants.

- Ensuite l’urgence et le signalement . Aujourd’hui, beaucoup de cas ne sont malheureusement pas signalés ou, au contraire, on signale à la Justice des cas où un traitement social serait plus approprié. Il faut mieux organiser nos interventions. Cela pose la question du partage des informations. Aujourd’hui, ce partage n’est pas possible : nous devons l’organiser. Cela ne signifie pas une remise en cause du secret professionnel, qui doit être réaffirmé, dans l’intérêt même de l’enfant. Les familles doivent en effet pouvoir s’exprimer en confiance auprès des personnes chargées de les aider à mieux remplir leur fonction parentale. C’est pourquoi le Gouvernement proposera une solution d’équilibre.

- Enfin, les modes d’action . Ils sont trop rigides. Nous ne suivons pas l’enfant dans les différentes étapes de sa prise en charge, entre les différents services qui peuvent avoir à intervenir. Il faut assurer une continuité. Je voulais aussi vous dire un mot de la protection de l’enfance . cela ne vous étonnera pas ! Cette année 2006 sera très riche en matière de politique familiale. Vous connaissez ma détermination. Aujourd’hui, le rapport de la mission parlementaire de l’Assemblée Nationale Bloche / Pécresse sur la famille est rendu public. C’est une contribution importante à notre réflexion et je compte m’en inspirer fortement. »

Si l’on peut souscrire au diagnostic que le ministre fait du système de Protection de l’enfance et à l’idée d’apporter soutien et aide aux familles en difficulté, on doit s’interroger sur les modes de réponse qu’il préconise :

- « Dépistage précoce, dès le 4ème mois de grossesse : Quels seront les critères qui permettront d’affirmer qu’une famille sera potentiellement maltraitante avec un enfant qui n’est pas encore né ? Qui se chargera d’apprécier ces situations ? Sur quelles bases les signalements seront-ils établis ?

- Évolution des modes de signalement, partage des informations : L’organisation du partage des informations doit concerner qui ? Les travailleurs sociaux ? Les enseignants ? Les personnes chargées de la santé de l’enfant ? Les structures départementales habilitées ? Municipales ? Quelles seront les responsabilités des personnes détentrices d’informations partagées ? Quelles précautions devront être développées ? Face au « voyeurisme » ambiant alimenté par certains medias, de quelles garanties vont bénéficier les enfants et leurs familles ?

- Assurer une continuité des prises en charge : L’idée est généreuse, judicieuse même. Pourtant, il pourrait s’agir là, hors Aide sociale à l’enfance, de la constitution d’un dossier pour chaque jeune « à risque », avec des bilans réguliers, qui le suivrait tout au long de son enfance, comme le fait déjà son carnet de santé. Qui serait chargé de l’élaboration de ces dossiers, de ce suivi ? L’aide sociale à l’enfance ? Les conseils généraux ? Les municipalités ? Quelles sont les finalités réelles de ce projet ? »

Ces questionnements ont déjà été abordés par les signataires de l’Appel des Cent 1 . Par ailleurs une consultation est actuellement organisée par le Ministère, à laquelle participe notamment le CNAPE, Coordination nationale des associations de protection de l’enfance 2 ; il semblerait que ces questions soient largement débattues dans un esprit de travail constructif avec M Philippe BAS.

Les évolutions proposées infléchissent largement le rôle des Conseils Généraux qui deviennent des acteurs primordiaux du dispositif de protection de l’enfance : « Autant qu’il est possible, c’est-à-dire tant que l’on peut obtenir la coopération volontaire des parents et tant que la sécurité et le développement de l’enfant ne sont pas gravement compromis, nous devons privilégier la voie préventive de l’action sociale plutôt que la voie contraignante des décisions de justice. Le recours à la justice ne doit avoir lieu que lorsque le travail avec les familles se révèle impossible. Le principe de subsidiarité de la justice doit être désormais la règle. C’est ma conviction. » 3

Cependant, le risque d’une dérive sécuritaire du discours politique actuel ne peut que nous inciter à la prudence sur l’utilisation qui sera faite de ce nouveau dispositif de prévention et de protection. Jérôme Vachon dans son éditorial des « ASH magazine » 4 note : « S’il s’agit de repérer des enfants- et aussi des parents- en souffrance et tenter de les aider, les professionnels de la petite enfance non pas attendu le rapport Benisti et les injonctions ministérielles pour faire leur métier. Mais si le projet du gouvernement consiste à mettre en place des grilles d’analyse standardisées, cataloguant les plus jeunes selon un supposé devenir d’adolescent à problèmes, voire de délinquant, les pédopsychiatres, les enseignants et travailleurs sociaux ont raison de s’inquiéter. »

Il convient également de mentionner les réserves que M. Patrick Bloche, président de la mission parlementaire sur la famille et les droits des enfants de l’Assemblée nationale Bloche/Pecresse, développe dans le préambule du rapport de cette commission 5 : « Mais je ne partage ni l’analyse que le rapport fait des évolutions de notre société, ni les conséquences juridiques qu’il en tire. …/…Le mariage est présenté comme la seule forme d’organisation du couple qui assure véritablement la sécurité de l’enfant. C’est accorder peu de place aux millions de couples qui ont choisi d’avoir des enfants sans se marier, et aux 400 000 enfants – c’est-à-dire près de la moitié – qui, chaque année, naissent hors mariage. C’est remettre en cause une évolution récente de notre droit qui tend à traiter de la même manière les enfants, quel que soit le statut de leurs parents. »

L’ensemble de ces éléments, de ces interrogations devraient nous amener à débattre plus largement, au-delà des cercles ministériels, sur l’éventuel risque de transformer le travail social en instrument d’une politique que chacun, en tant que citoyen, à le droit de questionner.

Même si l’ensemble des acteurs de la protection sociale souscrivent à l’idée d’une refonte du dispositif de protection de l’enfance, d’une plus grande implication des Conseils généraux et des acteurs locaux, l’urgence avec laquelle Philippe Bas propose un projet de loi réformant la protection de l’enfance nous prend un peu de court.

Cette précipitation (consultation en janvier et février, proposition de loi en mars, vote en juin) laisse le secteur, dans sa grande majorité, plutôt interrogatif.

Les éléments d’information qu’il laisse filtrer sont rares ; or en septembre, il sera trop tard pour réagir à un projet de loi dont de nombreux points nous interrogent fortement. Il laisse également peu de temps pour que d’autres propositions émergent, et que, pour le moins, soient définies et discutées les garanties dont devront s’entourer les dispositifs qu’il préconnise.

mardi 14 février 2006

1 www. appel des100-debatnational.com

2 CF. article paru dans la revue DIRECTIONS n°27, février 2006, p 40.

3 Philippe BAS, Discours Colloque Droits de l’enfant, Paris, 19 novembre 2005

4 ASH magazine N° 13, janvier février 2006, p 5.

5 http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2832.asp

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