le hiatus tel que je l’ai analyse
Josiane Blanc
Le hiatus est un manque de continuité, de cohérence entre deux éléments, un décalage, une interruption dans un mouvement ; il s’oppose à la cohérence qui est une harmonie logique, une liaison étroite entre des éléments, ce que demande l’Ecole aux parents. Dans cette partie nous allons essayé de retrouver dans les entretiens, répondant à quelques références théoriques, comment le hiatus “travaille” les personnes.
Comme nous l’avons vu dans le processus qui réactive le désir d’apprendre avec Bernadette Aumont, des émotions refoulées peuvent re-surgir dans certaines situations. Cette “réaction réflexe” qui, dans un premier geste dénie le droit d’expression à l’autre, permet au “soi” d’exister : “
la (dé)négation produit une distance entre la représentation et le discours où la correction peut se glisser
(Pain 1989, p 141)
” (in B.Aumont, p 147). “
un contenu de représentation ou de pensée refoulé peut donc se frayer la voie jusqu’à la conscience, à condition de se faire nier (Freud, 1985, p 136)
” (ibid, p 147). Il semblerait que nous puissions dire qu’il s’agit là d’un hiatus.
Deux entretiens font état d’un hiatus, un parent et un enseignant. Les situations sont un peu semblables. Là est le hiatus “\/” :
B3 : à un moment j’étais très en colère \/ à un moment j’ai lâché - j’ai dit non on arrête, j’arrête, faut arrêter
D2 : j’ai très mal pris l’intervention \/ tout en la prenant mal je l’ai prise
Ce moment “\/” de vérité me paraît chargé de sens. C’est un moment particulier où la personne qui vit le hiatus accède à quelque chose de différent, on pourrait dire à un espace inconnu d’elle. J’étais dans une attitude de colère, “hors de moi” et tout d’un coup je suis suffisamment lucide pour prendre “ce qui passe”. J’ai connu avec ma fille ce moment intense qui fait basculer vers l’inconnu à la suite d’un “regard” particulier. Dans les cas qui se présentent examinons les interlocuteurs : la mère et son enfant, deux amies. Un sentiment liait ces personnes : l’amour ou l’amitié.
Lors d’une rencontre sur La Formation, Bernard Honoré a évoqué la capacité que nous avons tous d’apprendre à partir de l’expérience, ce qu’il appelle la Formativité. Il expliquait que lorsque les conditions sont favorables, toute personne pouvait être un relais de formation dans son milieu. Chacun de nous aurait ses moments féconds. Le hiatus en est un. Des significations qui sont propres à la personne et auxquelles elle tient peuvent surgir parce que ce qu’elle fait est soutenu par un sens, une orientation qu’elle découvre à ce moment là. “
je me rappelle de ce regard à ce moment là, de son visage
(B3)
... il était tellement, comment dirais-je, crispé sur lui même qu’il ne pouvait pas être déplacé d’un pas. Pourtant il est pas bien gros, mais il avait de la
force
” (B5).
Lorsque la domination de l’école a été intégrée par les personnes, il leur est difficile d’avoir une attitude différente de celle qu’elles ont apprise. Il s’agit d’un état que l’on pourrait qualifier d’hypnotique.
Le choc cathartique (décharge émotionnelle liée à l’extériorisation du souvenir d’évènements traumatisants et refoulés) du hiatus permet à la personne de “se réveiller” et de retrouver sa formativité qui avait été bloquée ou endormie par la pression subie enfant. La personne au moment du hiatus entrerait donc en relation avec ses souvenirs traumatisants et refoulés (souvenons nous de Napoléon à Ste Hélène lors du départ de Madame de Montholon). Il semblerait que nous soyons à cet instant en relation avec ce qui met en mouvement la personne :
l’émergence de sa propre souffrance.
Questions
- qu’y a-t-il dans le regard de la personne qui va provoquer le hiatus ?
- ce regard qui paraît si intense. Est-ce seulement de la peur ?
- qu’y a-t-il dans le regard de la personne qui connaît le hiatus?
- Est-ce seulement de la colère ?
- quel lien unit les enfants à leur mère ?
- quel lien unit des amies ?
- quel lien unissait Napoléon et Albine de Montholon ?
Pour accéder à l’inconnu qui va advenir il faut être en confiance. La personne va vivre un bouleversement total, face au questionnement intense de cet instant, renvoyé par le regard de son enfant. Pour faire ce “saut” là, dans l’inconnu ne faut-il pas avoir “saisi” un signe infime qui nous dit : “Tu ne risques rien, viens là où je t’attends”.
“
C’est important dans la pratique parce qu’on n’est pas habitué à vivre dans l’attente de l’inconnu. Parce qu’on n’a pas envie de faire ça. Ca dépend un peu de chacun, de ses
besoins de sécurité
sans doute.
” Est-il possible d’accepter complètement l’inconnu ? Peut être ! si on est capable de voir l’amour qui habite cet inconnu ? Françoise et Christine ont accepté :
- “
j’ai lâché, j’ai dit non on arrête
” B3 - j’arrête d’exercer l’autorité
- “
je l’ai prise
” D2 - j’ai pris la parole du parent
- je brise le cadre qui m’était donné.
Daniel Sibony nous dit : “
Nous avons dit le rapport de la violence à l’origine. Or la vie, dans ses détours marquants, dépend de votre façon de rencontrer votre origine, surtout quand elle vous rattrape. Il peut s’ensuivre un mouvement d’entre-deux, une suite de traversées où l’on est rattrapé-relâché ; et il faut esquiver le coup fatal où l’origine vous rattrape une fois pour toutes. Il y va donc d’
un certain enjeu, d’une liberté à conquérir pour franchir l’épreuve :
la brisure du cadre.
Là se profile un certain choix : va-t-on rejouer autrement ? rejouer la même chose ? ou afficher “fin de partie” ? Toute la broderie du symptôme en tient compte. Là, une exigence éthique minimale : veiller à ne pas choisir une position malheureuse ; ne pas choisir de
se faire mal
au moyen des autres
; résister au plaisir de les mettre en faute...
“
...ça change beaucoup de choses au niveau même de l’ouverture d’esprit
” (B49).
C’est probablement un concentré de temps qui passe à vive allure. En effet si nous reprenons les entretiens B et D (1ère partie) nous pouvons voir toutes les expressions de temps utilisées : 32 fois en 6 pages sur l’entretien B et 10 fois sur 2 pages dans l’entretien D. En quelques jours, après le hiatus, la personne qui l’a vécu va faire le parcours qu’une autre fait en plusieurs années (entretien A et C). C’est un retour en arrière accéléré pour une re-projection vers aujourd’hui, un bouleversement total de l’être.
Toute cette partie sur le hiatus est un peu plus longue qu’une analyse ne le devrait, mais je n’ai pas trouvé de définition qui me convienne. Aussi grâce aux entretiens et aux différentes approches conjuguées (B.Aumont, B.Honoré, D.Sibony, Freud et Pain) j’ai pu reconstituer une démarche à la mesure de la richesse que je pressens dans ce phénomène.
Conclusion
A la lumière du concept de Domination, nous pouvons comprendre que le refoulement d’émotions trop fortes vécues dans l’enfance reste profondément enfoui dans l’inconscient des adultes
-
- Dans le rapport au Monde, par la domination qu’ils continuent de subir face à une institution qui ne répond plus à leurs voeux et probablement au delà, dans leurs relations à la société et au savoir.
-
Mais que cette étape a été, il y a longtemps, nécessaire pour se protéger d’une souffrance qui aurait pu les briser... “
le moyen d’éviter de se mettre en relation avec soi-même et peut être aussi de sombrer dans la folie
” (B.Aumont, p 151).
“
...je me suis revue enfant, ça m’a aussi réveillé des émotions que j’ai eu enfant, face à des situations où j’avais eu très peur et je me suis dit que j’avais, non que j’étais, alors je sais pas si c’est du courage, ou si c’était justement parce que j’étais bien sage, parce que j’avais pas d’autre ouverture que celle là, mais je me rappelle que j’étais très malheureuse, je me rappelle de moments qui ont été très malheureux à l’école aussi, où j’ai souffert à l’école, et où je me suis fait violence.
” B43.