Le psychanalyste Conrad Stein nous a quitté
Décédé le 16 août 2010, à Paris, Conrad Stein est né à Berlin en 1924. Sa mère, sa sœur et lui-même fuient le régime nazi, dès 1933, à l’initiative du père Gunther Stein, alors journaliste en Chine, et viennent en France. Après ses études de médecine à Paris il soutient sa thèse de doctorat sur « le mutisme chez l’enfant » en 1954. Il a été interne de Pierre Mâle à Henri Rousselle. Il entreprend une analyse chez Marc Schlumberger puis chez Sacha Nacht. Il devient membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris (SPP), en 1960. Son talent et son ouverture d’esprit lui donnent une place particulière dans la brillante génération analytique des années soixante. Il est très proche de Granoff, Leclaire, Perrier (la troïka) ainsi que de Lacan qui l’invite à intervenir à son séminaire.
Au fameux congrès sur « L’inconscient », organisé en 1960 par Henri Ey à Bonneval, avec Maurice Merleau-Ponty, Jean Hyppolite, Paul Ricoeur, Jacques Lacan, Serge Leclaire, Jean Laplanche et André Green, entre autres, il livre un commentaire remarqué du rapport de Laplanche et Leclaire sur l’inconscient. Durant cette période majeure d’effervescence intellectuelle, il manifeste un souci permanent d’échange entre les différentes tendances de la communauté psychanalytique. En 1969, il fonde « Études freudiennes », association qui organise des journées et une revue, Études freudiennes, ouvertes à tous les courants de pensée. Avec son épouse Danièle Brun, il élargit leur auditoire au monde universitaire.
Conrad Stein qui, par son histoire, avait deux langues maternelles, l’allemand et l’anglais, avait une prédilection pour la clarté et la précision de la langue française qu’on retrouve dans son écriture et dans sa traduction de Freud. Parmi ses œuvres, il faut citer L’enfant imaginaire (Denoël 1971) et La Mort d’Œdipe (Denoël 1977), Aussi je vous aime bien (Denoël 1978). D’autres travaux sont à paraître.
« La psychanalyse ne souffre pas de tiers », avait écrit Freud en pensant à l’interférence des instances sociales dans le champ de la psychanalyse. L’apport capital de C. Stein, c’est de souligner que « la séance ne souffre pas de tiers ». C. Stein est l’analyste qui s’est montré le plus radical pour dénoncer l’idéologie psychanalytique, les idéaux qui s’infiltrent dans la cure et qui assujettissent l’analysant à une théorie et une institution. C’est ce qui fait obstacle au processus de l’analyse et à la parole de l’analysant. Parlant des disciples de Freud, il écrivait que « leur position idéologique se traduisait dans la croyance qu’ils trouveraient la clé de leur inconscient dans le texte du maître, signe d’aveuglement ». Tel était le prix à payer pour devenir psychanalyste, au détriment de l’aptitude à revisiter, dans leur propre histoire, la langue de leur enfance, pour y lire ce qu’elle ne disait pas explicitement.
Conrad Stein lègue à ses collègues le souvenir d’un homme qui leur a permis une approche renouvelée de la lecture de Freud. Une exigence de pensée très actuelle face aux risques récurrents de se laisser séduire par des fondamentalismes théoriques qui nous mettent à l’abri de nous-mêmes.
Jacques Sedat
* Article paru dans
Libération
le jeudi 26 août dans Libé des livres