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Le temps des rites, handicap et handicapés (note de lecture)

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Michèle Lapeyre

lundi 20 novembre 2006

Presses de l’université de Laval,Canada,2005

Réédition d’un livre introuvable -et pour cause-le temps des rites de Jean-François Gomez ne laisse pas le lecteur indifférent ; plus, il bouscule, choque, révolte, tant la critique du système médico-légal actuel se montre implacable. L’auteur,un praticien autant qu’un théoricien,effectue,au fil des pages,un véritable parcours anthropologique,explorant à l’aide de métaphores culturelles la crise du travail social à l’endroit des personnes handicapées ;si parfois les parallèles ethnologiques mis en évidence déconcertent et glacent notre intelligence,ils ne peuvent être niés. Rejetant vertement l’épistémologie rationaliste, pourrie de concepts, de dogmes et de principes éculés, le discours force à changer de regard et à reconnaître l’urgence d’un nouveau paradigme plus propice au jeu des acteurs.

L’histoire se joue sur fond d’une dénonciation sévère -mais finalement justifiée- de notre société technicienne et libérale, polluée par la raison. Dans cette déviance,la figure du handicap reste,comme aux temps les plus reculés,une figure du désordre que le monde médico-social contrôle en expert et gère en économiste. Le monde médico-social se veut protecteur mais il étouffe dans un temps linéaire,le temps de l’ordre,de l »’objectivité et de la rationalité,un temps monochrome,dénaturé,sans surprise et sans émerveillement. Le schéma institutionnel dominant reste une logique de filière qui,à l’instar des processus mis en œuvre pour exterminer les bagnards,prive les handicapés d’un véritable réseau d’échange,les infantilise. En leur ôtant toute expérience de symbolisation, elle chasse la vie.

Pour contrer l’inanité de ces méthodes teintées d’idéologies largement intégrées et aller vers une appropriation progressive de qualité et d’expérience, seul un vrai travail d’analyse des enjeux s’impose-ce qu’effectue Jean-François Gomez en repérant les présupposés et en abordant les questions communes à tous les hommes, celles du temps des rites en particulier. Ses notes prises au cours d’évènements qui ont émaillé sa carrière lui dévoilent, au cours de leur relecture, les empreintes qui marquent le traitement des situations et l’amènent au repérage de sens nouveaux, de mythes,de types révélateurs.

« Aucune institution ne cherche à connaître la culture d’appartenance des exclus », dénonce Jean-François Gomez. Assumer une position de sujet demande d’être relié à ses propres racines,de rester dans sa généalogie et sa filiation pour prendre naturellement sa place. L’absence de toute forme de symbolisation dans la prise en charge des personnes handicapées les empêche de construire leur vie sociale et d’être reconnus sujets culturels. Dépossédés de la fonction symbolique, maintenus dans les seuls statuts sclérosés de donataires, et jamais donateur, elles deviennent hors la loi des échanges humains qui enferment des acteurs sociaux à part entière. Pourquoi, s’étonne Jean-François Gomez, couper ces personnes de leur puissance symbolique des fêtes, des rituels, des commémorations ou des cérémonies, leur refuser un temps cyclique, synchrone qui respecte l’ordre des choses et des êtres,aide à la mise en forme sociale et participe à la complexité et au ré enchantement du monde ?Le symbole n’est il pas fait pour transporter tous les hommes ?Un monde privé de symbolisation est un monde privé de sens et de liens.
Comment alors repenser les prises en charge ? Jean-François Gomez relie les savoir de l’ethnopsychiatrie, de la psychothérapie institutionnelle, de la clinique,de l’éthologie,de l’anthropologie et de la psychanalyse. Ses références, parfois même un peu trop fourmillantes, imposent une vision psychodynamique et permettent de saisir les processus éco systémiques propres à sortir de l’impasse.
Il n’est plus possible de nier l’hyper complexité des situations. L’incertitude et l’irrationalité existent dans les relation éducateur/éduqué, éduqué/famille, famille/éducateur ; les évacuer participe d’une déshumanisation. Au delà de l’épistémè (la connaissance savante), renouer avec la gnose devrait être le souci premier des acteurs. Sans cette intelligence primordiale, l’intelligence ne peut gérer les paradoxes de la vie, l’obsolescence du rationalisme en témoigne. Seule, l’attention à l’écologie des liens peut aider les exclus à passer du non-lieu des insensés à un e topique de sens. L’évolution demande de développer une approche du temps et de l’espace plus sensible et plus conforme au destin des personnes. Le rite, qui ponctue le temps individuel, met sur la voie puisqu’il se conclue toujours par un processus de vitalisation. Dans cette dynamique, le temps des rites participe à repenser le parcours professionnel. L’initiation toujours teintée d’illusion, y prend sa place pour aider au franchissement des passages, même les plus douloureux. L’éducateur est un passeur, plus soucieux de l’économie des échanges que de l’efficacité de son ingénierie, plus attentif à la rencontre à son intuition qu’à ses compétences acquises en formation.

« Il faut que les personnes handicapées elles mêmes, enfin avec leur représentant légitimes et en, premier lieu leur parents, aient droit au chapitre » affirme Jean-François Gomez. La liberté du choix et la participation à l’évaluation de la qualité constituent les deux piliers d’une organisation des services qui s’adressent à des sujets vivants et reliés. Puissent alors, et dés aujourd’hui, les défenseurs des projets individuels lâcher un structuralisme suranné pour accepter d’expérimenter dans le paradigme systémique, seul capable de respecter la vie et ses dérangements. Puisse la pensée poétique ranimer la pensée politique pour soutenir ces pratiques humanisantes.

Extrait de « Reliance », Numéro 2/2006,N° 20.

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