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Les écrits professionnels au regard de la réforme de la loi sur l’assistance éducative

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Joseph Rouzel

samedi 09 novembre 2002

Dans la foulée du Rapport Deschamps (magistrat à Marseille) et de la Commission qu’il animait, la réforme récente, en mars dernier, applicable par circulaire au 1er septembre, des textes du code sur l’assistance éducative était attendue et pourtant elle n’est pas sans poser question aux professionnels, aux familles et aux magistrats. Elle était attendue parce que longtemps le droit français en ce qui concerne les mineurs, s’est tenu hors du principe qui fonde le socle de toute action en justice : le respect inaliénable du débat contradictoire. Or l’exercice équitable de la justice ne saurait déroger à ce droit. C’est ce que l’article 6, 1 de la Convention européenne des droits de l’homme souligne : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans une délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial… »

Rappelons que le droit européen prévaut sur les droits nationaux dans la communauté européenne. C’est donc cet article qui légitime les articles 7,14 et 16 du Code de procédure civile :

« Article 7 : Le juge ne peut fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat…

Article 14 : Nulle partie de peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

Article 16 : Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de contradiction . Il ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement

Qui dit débat contradictoire implique de fait un certain nombre de mesures que justement la réforme du 15 mars vise à « rappeler » (dit le texte, il faut donc croire qu’on les avait oubliées !) et mettre en œuvre. La circulaire du 26 avril 2002 précise l’objectif de la réforme dans ce sens : « Le respect du droit des personnes exige que le principe du contradictoire soit réaffirmé et garanti par des nouvelles règles de procédure. Les parents doivent être en mesure de connaître les raisons pour lesquelles ils sont convoqués devant un magistrat et de préparer leur intervention et leur défense en toute connaissance de cause des éléments du dossier. » L’exercice équitable du débat contradictoire exige que l’on détermine ce qu’est un débat en justice. Comme le précise Michel Huyette, magistrat, conseiller à la Chambre des mineurs de la cour d’appel de Grenoble 1 « Organiser un débat, ce n’est pas réunir, ne n’est même pas inviter à parler. C’est d’abord donner la possibilité intellectuelle et matérielle à chaque participant, avant la rencontre avec le juge, de réfléchir et d’élaborer progressivement ses réponses, c’est lui donner le temps et les moyens pour aller chercher à l’extérieur d’autres éléments pouvant donner du crédit à l’argumentaire présenté. » Pour être pleinement exercé par toutes les parties, donc les familles des mineurs, voire les mineurs eux-même, accompagnés, en cas de divergence de ceux-ci avec la famille, chacune doit avoir connaissance, dans des temps raisonnables, des diverses pièces du dossier, notamment des écrits des professionnels. C’est à ce titre que le Royaume Uni a été condamnée par la Cour européenne dans un arrêt du 24 février 1995 pour non respect de procès équitable dans l’affaire où s’opposa une mère de famille à la quelle les services sociaux avaient retiré un enfant. N’ayant pas eu le droit de consulter les pièces du dossier, notamment les écrits des travailleurs sociaux, elle n’avait pu équitablement assurer sa défense dans un débat contradictoire. Notons que cette décision qui a fait grand bruit et pourrait se reproduire dans d’autres pays, en France entre autres, a été prise à l’unanimité par les magistrats de la Cour européenne des droits de l’homme.

Du coté des professionnels, notamment ceux qui travaillent en AEMO, EMO ou IOE, il semble que l’ouverture de leurs écrits aux familles leur pose souci. Jusque là seul un avocat pouvait se rendre au greffe, faire une copie, et même si légalement il ne pouvait la diffuser, dans le secret de son cabinet il était libre de permettre à ses clients (la famille, voire le mineur) d’en prendre connaissance, pour assurer leur défense. Ce qui est nouveau dans ce texte, c’est que les familles pourront avoir connaissance des écrits des travailleurs sociaux ainsi que des rapports d’experts (médecins, psychiatres, psychologues….) sans passer par l’entremise d’un avocat. Cela pose la question aux professionnels de la marge de manœuvre dont ils disposent dans ces écrits, s’ils ne veulent pas être relégués à la place d’auxiliaires de justice. La position est difficile et même paradoxale. Que ce soit pour une enquête sociale ou un rapport de placement, c’est bien du lieu d’une relation engagée avec un jeune, et au-delà souvent avec une famille, une relation de confiance souvent difficile à construire et d’autant plus fragile, qu’il peuvent produire de tels écrits. Il s’agit de rendre compte à qui de droit, au magistrat en l’occurrence, d’un mandat. Entre la clinique de la relation et l’impératif de rendre compte, il y a un écart, le plus souvent vécu comme écartèlement par les professionnels. C’est cet écart douloureux que le texte est venu raviver. Pour être travaillé et dépassé, il nécessite un meilleur repérage des places dans l’écriture : quelle place occupe l’éducateur, l’AS dans son lien au magistrat ? Quelles règles bornent ce champ ? Que peut-il écrire ? Jusqu’où aller ? Que demande un magistrat, de sa place ? Quel usage va-t-on faire de ces écrits ? Alimenter un débat contradictoire qu’est-ce que cela implique ? Mais d’autre part se posent aussi une série de questions sur le plan de la clinique éducative : comment mettre au travail avec le jeune, et sa famille, les écrits envoyés au magistrat, comme une véritable médiation éducative ? Qu’est ce qu’un professionnel peut leur expliquer de sa position, non pour se justifier, ou faire des compromis, mais pour poursuivre ses objectifs en terme d’accompagnement? Des éclaircissements autour des écrits et de la façon dont un professionnel s’y engage s’avèrent indispensables si l’on ne veut pas voir la relation se rompre, la confiance se déliter, ou l’illusion que le travailleur social serait à la botte soit du juge, soit du jeune et de famille, persister de manière néfaste pour la suite de l’action. Ce repérage des places, du contexte (étymologiquement : ce qui entoure un texte, ce qui va avec), des intentions, des différents niveaux d’engagement et d’intervention, se présente comme complexe. Il exige d’en passer par le tiers institutionnel (l’employeur, la direction, l’équipe de collègues) qui se doit de mettre à disposition, des outils facilitant ce travail de clarification. Une pratique d’assistance aux écrits professionnels en institution depuis plusieurs années m’a appris qu’un outil indispensable était à mettre en place. Ce qu’on nomme analyse des pratiques, supervision, ou atelier clinique constituent une approche dans laquelle un professionnel peut y voir plus clair dans ce qui le guide, souvent de façon inconsciente, dans la rédaction d’un rapport, au-delà de ce qui se joue dans la relation avec un jeune, voire sa famille. Il s’agit de faire place nette, pour ne pas encombrer cet écrit d’erreurs d’aiguillage, de sous-entendus, d’allusions, de rumeurs, de non-dits. Combien d’éducateurs ou d’assistants sociaux écrivent au juge avec en sous- mains l’intention de faire passer un message à la famille ? Il y a erreur d’adresse. Certains, en quête éternelle d’une introuvable reconnaissance, projettent dans cet écrit la défense et l’illustration de leur fonction éducative, jouant en position de défense contre l’impératif de rendre compte qu’ils considèrent comme une attaque personnelle faite à leur intégrité. D’autres enfin, se positionnent comme militants de la cause des mineurs et des familles, prennent parti, quitte à voiler, tordre ou taire certains faits et dire dont ils ont connaissance. Les exemples sont pléthore que j’ai pu rencontrer où l’imaginaire des professionnels engendre un méli-mélo entre position éducative et devoir de rendre compte à la justice. Cette position floue ne permet pas la rédaction claire et sereine d’un rapport. En effet que demandent les magistrats ? Non seulement qu’on rende compte en termes de faits de l’exercice d’une mesure dont ils ont produit l’ordonnance, mais encore qu’un travailleur social s’engage, mouille sa chemise, donne sa position, pour que en connaissance de cause, ayant fait jouer le débat contradictoire, il puisse prendre une décision. Or très souvent pour ne pas risquer de déplaire, ou de se faire taper sur les doigts par une direction qui ne veut pas de vague, on se contente de répéter les mêmes formules, bref la langue de bois. Comment dans de tels écrits à la fois soutenir l’engagement éducatif par rapport à un jeune et une famille et répondre à la demande légitime du magistrat ? C’est toute la question que ce texte est venu réveiller parfois douloureusement pour certains. C’est aussi la quadrature du cercle. On peut par ailleurs imaginer que ce travail d’écriture pourrait s’exercer plus efficacement, mais aussi plus tranquillement, s’il existait une meilleure coordination entre travailleurs sociaux et magistrats, non pour s’acoquiner, mais pour maintenir vivante et opérationnelle la différence des places, qu’on n’a aucun intérêt à laisser glisser en lutte des places. Des rencontres régulières permettraient de faire chuter les illusions des uns sur les autres. Non les magistrats ne sont pas tout puissants, non les travailleurs sociaux ne font pas ce qui leur plait ! Mettre à jour cette opacité entre les deux fonctions rattachées à deux champs différentiés et pourtant complémentaires, éducatif et justice, ouvrirait un espace de sérénité et de respect réciproque. On peut constater que dans certaines juridictions, à l’initiative autant des travailleurs sociaux, que des magistrats, que de telles rencontres se mettent en place et facilitent grandement non seulement la rédaction, mais aussi l’interprétation des écrits. Là encore c’est une affaire de relation et de repérage de la place de chacun. Apprendre à se connaître, et à repérer plus finement ce que fait chacun, contribue efficacement à faire tomber l’imaginaire qui nourrit le trouble dans les relations entre justice et éducatif. Sur la nature et le contenu des rapports, beaucoup de juges insistent pour qu’on leur donne à lire des faits. Qu’est ce qu’un fait ? Y a t-il une possible objectivité ? Pascal Quignard, récent prix Goncourt pour le premier ouvrage de sa trilogie intitulée Dernier Royaume , a la dent dure avec cette illusion de l’objectivité. « On ne sait pas ce qui s’est passé si on n’en a pas le récit. Mais les récits ne correspondent jamais à rien. Ils renvoient à une autre action, qui est celle du langage en activité, qui ne concorde pas avec l’expérience. (…) Une description dite objective n’assouvit que les croyants forcenés au langage. » ( Abîmes , p. 70) Voilà bien un deuxième paradoxe : comment rendre compte de faits, qui sont de toute façon des faits de langage ? Qu’ils soient constitués des dires du mineur, de la famille, des collègues, des partenaires, ou de l’observation du travailleur social. On écoute, on observe et évidemment on parle… avec des mots ! Donc en produisant, qu’on le veuille ou non, une interprétation subjective. On débouche alors sur cette aporie : l’objectivité, c’est le subjectif. Une manière de faire consiste à cerner précisément ce qui relève de chaque situation de locution : un tel dit que… Je pense que… Il semble que… Si le langage écrit ne permet pas d’épouser les contours de l’expérience, s’il y de la perte et de l’écart, il n’est pas impossible de les limiter. Non seulement on ne peut pas tout écrire, mais ce qu’on écrit ne reflète que partiellement la réalité. C’est une construction. Il s’agit donc d’apprendre à faire avec cette distorsion inhérente à tout acte d’écriture. « Il faut se faire à cette situation vertigineuse puis l’aimer. On n’est jamais apaisé », conclue Quignard.

Du coté des familles c’est surtout l’article 1187 du Nouveau code de procédure civile qui a été remanié, puisqu’il s’agissait de mettre les textes de l’assistance éducative en conformité avec les principes du droit, notamment en matière de débat contradictoire. Mais le Législateur s’est arrêté en chemin. En effet si on lit attentivement cet article remanié, on constate que les familles qui souhaitent se passer d’avocat, ce qui est leur droit, ne sont pas logées, pour assurer leur défense, à la même enseigne que celles qui en ont un. La procédure d’accès aux écrits du dossier aggrave lourdement l’iniquité. Il leur faut demander au juge la permission, qu’il organise un planning des consultations au Greffe. Cela prend déjà un certain temps. On peut douter que le temps d’étude du dossier soit raisonnablement suffisant pour les familles pour construire une défense. De plus ils ne peuvent faire de copies. Ils ne peuvent que consulter. Comment construire une argumentation qui nourrisse un débat contradictoire dans ces conditions ? D’autre part on sait qu’un certain nombre de familles n’ont ni l’outillage intellectuel, ni les références culturelles pour lire de tels dossiers, qui exigent, quel que soit l’effort de lisibilité des travailleurs sociaux, l’acquisition d’un vocabulaire et la connaissance d’un contexte, celui du droit et de la justice, auxquels souvent elles n’ont pas accès, et qui de toute façon ne va pas de soi. Qu’en est-il dans ce cas d’un jugement équitable, lorsqu’une des parties se trouve ainsi démunie ? Qu’ils prennent un avocat rétorquent certains ! Mais justement on ne peut les y contraindre. Le droit de se défendre soi-même est un droit inaliénable pour chaque citoyen. Encore faut-il qu’il puisse l’exercer et qu’on lui en donne les moyens. Faute de quoi on en reste au niveau des intentions, louables certes, mais inapplicables. Se dessine ici une des principales failles du texte : il faudrait imaginer un corps de métier, des « médiateurs d’écrits de justice », en quelque sorte, qui accompagnent les familles (voire les mineurs dans certains cas) dans une telle lecture. Tant il est vrai que la plupart des textes circulant dans l’enceinte d’un tribunal ou le cabinet d’un juge demanderaient une version sous-titrée ! Evidemment cette « assistance dans la lecture des écrits professionnels» ne saurait être assurée par ceux-là même qui les ont rédigés. On ne peut être juge et partie. Si la lecture au mineur, aux familles, des rapports qu’ils envoient au juge, relève pour les professionnels d’un travail clinique, ici, c’est d’un exercice de justice qu’il s’agit. On ne saurait, faute d’engendrer des confusions dommageables, confondre les places.

Du coté des magistrats, on peut se demander comment, autant que les services des Greffes, déjà submergés de dossiers, il vont trouver et le temps et les moyens de mettre en application ces textes. Un point s’avère particulièrement délicat. Le texte prévoit que certaines pièces, certains écrits, en l’absence d’avocat, puissent être soustraits à la consultation par le magistrat (« ... lorsque ces pièces feraient courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers ») Sur quels critères énoncés publiquement va s’opérer ce choix ? D’autre part on peut penser qu’une telle ségrégation dans les pièces d’un dossier entame une fois de plus l’exercice équitable du débat contradictoire. 2

Conclusion : cette réforme de l’assistance éducative, n’est pas satisfaisante, parce que pas aboutie. Encore un petit effort citoyens, pour respecter les Droits de l’Homme !

1 On pourra consulter le site animé par Michel Huyette . On y trouvera non seulement les textes de loi, mais aussi des commentaires de son cru, tout à fait éclairants.

2 Voir Joseph ROUZEL, La pratique des écrits professionnels en éducation spécialisée , Dunod, 2000. Et (sous la direction de Jean-Luc VIAUX), Ecrire au juge , Dunod, 2001

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